Ramassant ses jupes, Lorenza s’élança dans l’escalier qu’elle descendit en courant.
— C’est lui ? demanda-t-elle.
— Aucun doute ! répondit Mme d’Angoulême. Il était encore à l’Hôtel-Dieu, sa mère l’ayant déposé sur le pont hier dans la journée. En tout cas, s’il venait tout droit de chez sa nourrice, il n’y a pas lieu de la féliciter ! Il n’a que la peau sur les os, le pauvre petit.
— On ne lui a donc rien donné à l’Hôtel-Dieu ?
— Si, mais ce n’était sûrement pas suffisant. Votre Bibiena pourra s’en occuper. Je vais donner les ordres pour qu’on lui porte tout ce dont elle aura besoin.
— Comment vous remercier, Madame la duchesse ?
— Laissez, laissez ! Et regardez : ils se sont déjà adoptés mutuellement !
En effet, l’enfant se nichait dans le giron de la grosse femme avec un soupir de bonheur qui lui fit venir les larmes aux yeux.
— On va bien le soigner, assura-t-elle.
Mais l’attention de tous se détournait : suivi de sa sœur qui s'efforçait de le calmer, le baron Hubert effectuait l’une de ces entrées fracassantes dont il était coutumier quand il était en colère et, cette fois, il soufflait le feu par les naseaux.
Son regard tomba sur sa belle-fille :
— Ah, vous êtes là, Lorie ? Je vous croyais au palais. Mais vous pourriez peut-être me dire où est le Roi ?
— Non. Je n’ai pas pris mon service au Louvre ce matin. Aussi...
— Et vous, Madame la duchesse ?
— Vous ne devez pas ignorer que depuis la fuite des jeunes Condé, je ne suis plus persona grata sauf en présence du Roi. Mais dans quel état vous voilà ! D’où sortez-vous ?
— De chez moi où j’étais allé inspecter mes travaux. En repartant, ce Conchine de malheur fanfaronnant au milieu de sa bande de rustres a osé se moquer de moi. Je n’ai pas manqué de dégainer aussitôt mais l’arrivée de deux archers les a mis en fuite ! Et vous ne devinerez jamais quel jeune misérable était avec lui et a fait chorus ? Par tous les diables de l’enfer, je les étriperai tous les deux ! Fulmina-t-il si fort que l’enfant, effrayé, se mit à pleurer. Qui est ce petit ? Il ne semble pas très gaillard !
— Un enfant que Madame la duchesse a accepté de recueillir, répondit Lorenza. Je vous expliquerai plus tard... mais d’abord, dites-nous qui était le comparse de ce malotru !
Saisie d’un pressentiment, elle redoutait d’entendre un certain nom. Clarisse s’en rendit compte et voulut l’éviter :
— C’est sans grande importance, ma chérie ! Mon frère a toujours eu la langue trop longue...
— Sans importance ? Sans importance ? La langue trop longue ? Non mais ! S’insurgea l’incriminé. Dieu sait que ce n’est pas la faute de ma « fille » si elle a porté...
— C’est Antoine de Sarrance, n’est-ce pas ? Coupa celle-ci. Ce n’est pas la première fois que j’entends associer son nom à celui de l’ancien croupier de Florence. Depuis qu’il a eu l’impudence d’insulter le Roi, il semble s’être donné à tâche de commettre les pires folies en se targuant d’une impunité due au trop bon vouloir de Sa Majesté ! On dirait qu’il souhaite imiter en tout son père ! lança-t-elle avec dégoût.
— Le vieil Hector était certes une brute mais pas un lâche... ni un traître. Et je jurerais que cette clique florentine que la Reine traîne dans son sillage ne souhaite que le trépas de notre Henri !
— Vous avez sans doute raison, mais à ce propos, père, il serait urgent que vous ayez un entretien avec le Roi. Un entretien seul à seul.
Elle voulut prendre son bras pour l’apaiser mais il se dégagea presque brutalement :
— Vous voulez que je m’abaisse à lui rapporter ce qu’on m’a fait comme un marmot malmené ? Et en pleurnichant de préférence ? Vous, Lorenza ? Sachez alors...
— Si vous la laissiez parler ! cria sa sœur. Elle a une foule d'autres raisons de se tourmenter. Savez-vous qui est ce petit garçon que Madame Diane vient de ramener de l’Hôtel-Dieu ?
— Ne hurlez pas de la sorte ! Je ne suis pas sourd ! riposta-t-il encore plus haut. Comment voulez-vous que je le sache ?
Lorenza fonça dans la bataille.
— Vous souvenez-vous, père, de cette femme dont je vous ai parlé dès mon arrivée à Courcy et dont j’avais surpris le curieux dialogue dans les bois de Verneuil avec cet homme bizarre qui venait d’Angoulême ? Un homme vêtu de vert ?
Il se contenta de hocher la tête et elle reprit :
— Ce matin, à mon arrivée au Louvre, elle s’est ruée sur moi en me suppliant de l’introduire auprès de la Reine afin de l’avertir d’un grave danger menaçant la vie de son époux. Etant donné la chaleur de mes relations avec Sa corpulente Majesté, je lui ai répondu que c’était impossible. Sur ce, elle m’a appris qu’à Verneuil comme à Malesherbes, on ne cessait d’envoyer et de recevoir des messages du roi d’Espagne et de l’archiduc Albert. Qu’en fait, toute la famille d’Entragues conspirait avec le duc d’Epernon, que le couronnement aurait lieu et que l’homme d’Angoulême était de retour. Malheureusement, je n’ai même pas eu le temps de lui répondre : des archers du guet sont arrivés qui l’ont arrêtée et conduite illico à la Conciergerie.
— Sous quel chef d’accusation ? S’étonna le baron qui, cette fois, écoutait attentivement.
— Abandon d’enfant. Rejetée de partout, Jacqueline d’Escoman - c’est son nom ! - a été obligée de reprendre son fils que la nourrice refusait de garder plus longtemps parce qu’elle n’avait plus les moyens de la payer. Alors, n’ayant plus aucune ressource, elle s’est résignée, hier au soir, à l’abandonner sur le Pont-Neuf.
— Elle encourt la mort ! C’est chose grave !
— Croyez-vous qu’elle n’en soit pas consciente ? Qu’aurait-elle dû faire : se suicider en se jetant à l’eau avec l’enfant ? C’est sans doute ce qu’il serait arrivé si elle ne s’était donné à tâche de sauver le Roi ! Elle s’est rendue chez les Jésuites pour que ceux-ci avertissent le père Coton qui est le confesseur de la Reine, mais on l’a éconduite sans vouloir l’entendre...
— Ce qui m’étonne, c’est que les « bons » pères l’aient laissée repartir !
— N’exagérons rien ! Ce ne sont pas des assassins ! s’exclama la comtesse Clarisse.
— Demandez donc ça aux mânes de Jean Chastel qui a manqué le Roi d’un cheveu il y a quelques années ! Si je m’en réfère aux bruits qui courent, il y aurait dans leur couvent deux ou trois cellules meublées dans le style de celles du Châtelet ! (Il se tourna vers sa belle-fille :) Cette malheureuse ne vous a rien dit d’autre ?
— Pas grand-chose sinon : « Prévenez le Roi !... L’homme en vert ! »
— Elle a eu de la chance qu'on ne l’ait pas bâillonnée !
— J’ai donné deux écus au sergent afin qu’en prison, elle soit convenablement traitée.
— C’est judicieusement pensé : l’un d’eux ira sans doute à destination. Ce qui n’eût pas été le cas si vous n’en aviez donné qu’un seul !
— C’est ce que m’a dit Filippo Giovanetti qui...
— Il était là, lui aussi ? Il devait y avoir un monde fou devant le Louvre ce matin !
— Il est revenu à Paris à titre privé et a même racheté son ancienne ambassade de la rue Mauconseil ! Et surtout, il m’a ramené ma chère nourrice, Bibiena, qui vient d’emporter le petit à la cuisine. A ce propos, je ne sais même pas comment il s’appelle !
— Nicolas ! répondit la duchesse qui revenait... Pauvre enfant ! Si sa mère meurt sur l’échafaud...
— Il n’en saura rien, assura le baron. Nous le ramènerons à Courcy avec nous et nous en ferons... tiens ! Un jardinier ! Cultiver des salades ou des roses n’a jamais nui à personne et ne tombe pas sous le coup de la loi !... En attendant, je file au Louvre. Vous avez raison, Lorie : il est urgent que je parle au Roi ! Et j’en profiterai pour dire à Mme de Guercheville que vous vous sentiez souffrante ce matin !
Et il sortit en coup de vent.
— Pourvu, mon Dieu, qu’il ne commette pas quelque impair ! Gémit Clarisse. Quand il est à ce point en colère il ne se maîtrise pas toujours !
— Oh, sa colère semble apaisée, la rassura Lorenza.
— Vous ne le connaissez pas comme moi. Je peux vous assurer qu'il l’a seulement mise en veilleuse. Elle peut resurgir en quelque lieu que ce soit. Si, par malheur, il rencontre l’un de ces deux imbéciles il est capable du pire !
— Que pouvons-nous faire ?
— Prier !
Le Ciel, ce jour-là, était du côté de Mme de Royancourt. Quand le baron revint, il n’avait vu aucune des personnes qu’il souhaitait rencontrer : le Roi était parti pour la Bastille où Sully l’attendait pour évaluer, avec lui, le montant de son trésor et ce qu’allait coûter la guerre prochaine. Quant aux deux insulteurs, il ne risquait guère de tomber dessus. Le jeune Sarrance n’avait plus le droit de franchir le seuil du Louvre. Et Concini adoptait en présence d’Henri IV une attitude réservée, se tenant plutôt dans l’ombre de la Reine que dans la lumière éclatante des salons, à se pavaner. Peut-être attendait-il son heure, ce qui n’était pas fait pour rassurer Courcy.
En revanche, il croisa Mme de Guercheville à laquelle il transmit les excuses de sa belle-fille « prise d’un léger malaise».
— Un malaise de bon augure, j’espère ? Émit la dame d’honneur en souriant.
— Ma foi, je n’en sais rien, je me contente d’espérer...
— Quoi qu’il en soit, je vais prévenir Sa redoutable Majesté. Elle n’adresse jamais la parole à donna Lorenza sinon pour lui donner un ordre comme à une domestique dans le seul but de l’humilier et je serais étonnée qu'elle la reçoive avec grâce demain matin. Enfin, je ferai ce que je pourrai.
— Ne vous tourmentez pas pour elle. Lorenza s’y attend !
Certes, mais elle n’était pas préparée à l’avalanche d’imprécations en deux langues qui s'abattit sur sa tête dès qu’elle pénétra dans la chambre royale. Où d’ailleurs le Roi n’était plus. C’était jour de Conseil et il avait dû, comme d’habitude, en sortir à 7 heures. C’était dommage parce qu’il aurait peut-être clos le bec de son insupportable moitié.
On commença par la traiter de menteuse. Il n’était pas vrai qu’elle eût été malade la veille : on l’avait vue sur le pont du Louvre en conversation animée avec une femme de rien dont, d’ailleurs, les gens du guet étaient venus s’emparer et pour qui elle avait donné de l’argent...
D’autant plus calmement que l’autre ne disait que la vérité, Lorenza tenta de couper court :
— Cette femme, que j’ai connue chez Mme de Verneuil, me suppliait de la mener à Votre Majesté afin de lui révéler un complot touchant la vie du Roi...
— Encore une intrigue que l’on a dû découvrir en haut lieu puisque la femme a été arrêtée. Si c’était vrai, vous seriez venue m’en informer tout de suite et vous n’auriez pas filé avec un homme qui vous a prise dans sa voiture... Il n’est pas difficile de deviner ce que vous alliez y faire !...
Dès lors, plus rien ne pouvait endiguer le torrent. Pâle de colère, Lorenza s’entendit traiter de bâtarde entrée par intrigue dans une honnête maison, de criminelle perverse, de gibier de potence, de bougresse au service du premier venu dont le ventre portait sans doute le fruit de quelque soudard auquel elle avait dû s'offrir en profitant du départ de son pauvre imbécile d’époux, qui n’avait au fond que ce qu’il méritait en ramassant une putain dans le ruisseau...
Cette fois, la coupe déborda. En dépit du regard implorant de Mme de Montalivet - avec qui elle ébauchait une amitié ! - et de l’aide que Mme de Guercheville tentait de lui apporter en s’efforçant de calmer la mégère royale écumante de fureur, Lorenza lança :
— Quelle pitié qu’une princesse de si noble ascendance ait été si mal élevée ! Je m’en voudrais donc de lui imposer plus longtemps ma présence. Je sais que, baronne de Courcy, j’ai le droit de servir la reine de France, mais j’y renonce avec soulagement jusqu’à ce que...
— Gaaaaaardes ! Brama l’intéressée.
Deux suisses armés de pertuisanes apparurent aussitôt.
— Que veut la Reine ?
Marie désigna Lorenza d’un doigt dodu tremblant de rage:
— Que l’on couse cette femme dans un sac et qu’on la jette dans la Seine !
— Encore ? fit la voix goguenarde du Roi qui franchissait justement la double porte laissée ouverte. Il n’y a pas si longtemps qu’on l’en a sortie pourtant !
Les révérences étalèrent les robes autour de lui comme autant de corolles de fleurs sur les tapis.
Henri salua puis releva les femmes d’un geste avant de venir baiser la main de la sienne. Il semblait d’excellente humeur.
— Alors ? M’apprendra-t-on ce qui se passe ici ? Dites-moi un peu, ma mie, ce que vous a fait Mme de Courcy pour mériter un traitement aussi barbare ?
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