Telle était celle qui venait de rire. Lorenza, qui n’ignorait pas son esprit mordant, crut qu’elle se moquait d’elle et se raidit.

— Puis-je savoir ce qui vous amuse tellement, Madame la princesse de Conti ? demanda-t-elle sur la défensive.

— Pas vous, n’ayez crainte ! J’aurais plutôt tendance à admirer votre courage. En revanche, j’ai apprécié les préliminaires de la scène de ménage dont la Galigaï va gratifier son sémillant époux. Heureusement que les murs de ce palais ne manquent pas d’épaisseur !

— Une scène pour m’avoir adressé quelques paroles... que je n’ai nullement appréciées ? Le fait que nous soyons nés, lui et moi, à Florence ne l’autorise pas à cette espèce de... familiarité plutôt déplaisante !

— Le contraire m’aurait étonnée. Vous êtes de trop bonne race ! Mais...

Redevenue sérieuse, elle se rapprocha.

— Croyez-moi et évitez-le le plus possible ! La mort de notre bon Roi va lui permettre de laisser libre cours à toutes ses ambitions et il a les dents d’autant plus longues que la Reine le voit... avec plaisir, si ce n’est davantage !

— J’ai l’impression pourtant que sa femme le tient en lisière !

— Elle en est folle, donc jalouse en proportion. La seule chose qu’elle accepterait... peut-être, c’est une aventure avec la Reine dont je ne crains pas d’avancer qu'elle est son âme damnée, la conseillère indispensable et redoutable parce qu’elle agit dans l’ombre. En fait, c’est elle la plus dangereuse. Si ce cuistre s'avisait de vous faire la cour, il faudrait vous garder de tous les côtés.

— Soyez sans crainte, j’aurai vite fait de le décourager!

— N’en soyez pas si sûre ! Repartit la princesse soudain grave. Tant que le Roi vivait c’était tâche facile mais, à présent, la sottise de la Reine et l’habileté de sa femme vont le rendre omnipotent ! Alors, prenez garde ! Il est de ceux dont on peut craindre le pire !

— Merci, Madame la princesse, murmura Lorenza, touchée. Merci de tout mon cœur mais, pourquoi cette sollicitude ?

— Parce que j’aime le courage. Jusqu’à nouvel ordre, nous ne changerons rien à nos relations mais, si vous aviez besoin d’aide, sachez que j’habite, près de Saint-Germain-des-Prés, une partie de l’ancien palais parce que mon époux perçoit les revenus de l’abbaye. Ce qui nous vaut une certaine autonomie. Au cas où vous vous trouveriez dans une situation inquiétante, vous y seriez accueillie. Et dites mon amitié à Mme de Royancourt ! Il se trouve que je l’aime beaucoup.

Sans attendre d’autres remerciements, Louise de Conti adressa un sourire d’encouragement à la jeune femme et quitta l’appartement royal. Lorenza en eût volontiers fait autant mais la Reine, que les affaires de l’Etat n’intéressaient guère, y revint peu après, ramenant dans son sillage le duc d’Epernon avec qui elle discutait de la peine qu’il convenait d’appliquer au régicide.

— La loi veut qu’il soit écartelé, Madame ! Ce n’est déjà pas si mal !

— Ce n’est pas suffisant ! Songez que sa mort brise mon cœur, ce qui aggrave sa faute ! Je voudrais qu’il souffre mille morts. Par exemple, on pourrait l’écorcher vif ? proposa-t-elle du ton avec lequel elle eût offert un verre de vin. Cela plairait à mon peuple, je crois ! Et je verrais cela avec plaisir !

Lorenza, qui avait noté le possessif au passage, eut une grimace de dégoût. Elle savait cette femme méchante mais ne lui connaissait pas cette cruauté. Epernon pas davantage, peut-être, car il se hâta de formuler une réserve, à savoir que le supplice lui semblait déjà « satisfaisant » compte tenu du fait qu’il serait précédé de la « question préalable » - sans doute les brodequins qui brisaient les jambes ! - destinée à obtenir les noms des éventuels complices.

— Dois-je comprendre qu’il ne sera pas torturé pendant le procès ?

— Non. Ce que l’on appelle la « question préparatoire » est inutile dans ce cas puisque l’assassin a été pris en flagrant délit !

— Oh ! Que c’est dommage !

Incapable d’en entendre plus, Lorenza sortit discrètement de l’appartement et descendit respirer un peu l’air au jardin. Elle étouffait !

Elle y resta un moment, après quoi, contrainte et forcée, elle se dirigeait vers le Grand Degré quand elle vit Sully en train de discuter avec le colonel de Sainte-Foy commandant les chevau-légers et visiblement très mécontent !

— Mettez-vous à ma place, Monsieur le grand maître ! On m’emprunte mes meilleurs officiers pour les joindre à M. de Praslin envoyé à Bruxelles en « mission spéciale » et je ne les vois pas revenir ! Le jour du sacre, celui-ci m’a répondu qu’ils devaient attendre l’arrivée du Roi mais le Roi est mort et personne ne semble savoir ce que sont devenus MM. de Courcy et de Bois-Tracy ! C’est insupportable !

— Savez-vous quelque chose de cette mission ?

— En gros, ils devaient préparer la fuite de Madame la princesse de Condé quand le Roi approcherait afin de la mettre aussitôt sous sa protection ! Je suppose que l’on sait là-bas que le Roi ne viendra jamais ?...

— Oh oui ! Les échos que j’en ai parlent d’enthousiasme général, de fêtes et de remerciements adressés au Ciel pour avoir abattu l'Antéchrist ! On ne se gêne pas pour célébrer l’événement et la bière coule à flots ! fit le ministre avec amertume. Savez-vous que la Reine veut faire entrer au Conseil le nonce du pape et l’ambassadeur d’Espagne ?

— Elle est devenue folle ?

— Oh non ! Pas vraiment ! Ce qu’elle souhaite obtenir au plus vite c’est le mariage de notre petit Roi Louis avec l’infante et celui de sa fille Elisabeth avec le prince des Asturies ! Elle clame qu’il faut réconcilier tout le monde pour la plus grande gloire de Dieu sans imaginer un seul instant que l’Espagne va régner sur l’Europe et que toute l’œuvre de notre regretté Roi s’en va à vau-l’eau !

— Alors qu’il n’a pas encore été porté à Saint- Denis ? Quelle honte !

— Dites-vous bien qu’au Conseil, c’est elle qui parle mais c’est la voix des Concini que l’on entend !

— Je ne vais tout de même pas aller demander des nouvelles de mes deux gentilshommes à ce... ce...

— Vous ne trouverez jamais le terme convenable ! Le consola Sully avec un triste sourire. En attendant, vous avez eu raison de me parler ! Je vais m’enquérir de ces messieurs auprès de Villeroy... C’est sa partie et il est toujours en faveur. Ce qui n’est pas mon cas ! Seulement ne manquez pas de me tenir au courant si vous apprenez quelque chose de votre côté ! conclut-il avec amertume.

Voyant s'éloigner l’officier supérieur qu’elle ne connaissait pas, Lorenza, qui n’avait pas osé s’approcher pour entendre ce que les deux hommes se disaient, se hâta de rejoindre le ministre tandis que, le pas alourdi par la douleur autant que par la colère, il s'approchait de sa voiture. Au contraire de ce que sa mine laissait craindre, il eut pour elle un sourire.

— Gageons, dit-il après l’avoir saluée, que vous allez me poser la même question que M. de Sainte-Foy il y a un instant : où sont passés votre époux et M. de Bois-Tracy ?

— C’est cela même... ce dont je demande excuses à un moment où les plus fidèles amis de notre Roi sont dans l’affliction !

— Vous aussi?... En dehors du fait que vous craignez pour votre Thomas ?

— Oui ! Quand Sa Majesté est sortie de la chambre de la Reine pour rejoindre le carrosse fatal, je l’ai suppliée, implorée de ne pas quitter le Louvre... Mais il n’a rien voulu entendre. Je savais pourtant que l’homme en vert n’était pas un mythe et qu’il existait réellement !

— Vous le connaissiez ?

— Non, mais je l’avais vu près du château de Verneuil en conversation avec l’une des femmes de la marquise et, pendant des jours, le baron de Courcy, mon beau-père, l’a traqué à travers les auberges de Paris...

— Pour l’amour de Dieu, taisez-vous !... Ou plutôt non: ma voiture est là ! Montez, je vous ramène chez vous !

— Mais... la Reine ?

— Vous aurez droit à une algarade de plus ? Cela vous fait tellement peur ?

— Oh ! Pas vraiment, le rassura-t-elle avec un sourire. C’est une question d’habitude, je crois.

— Je savais que vous étiez courageuse, fit-il en l’aidant à prendre place dans le carrosse dont un laquais tenait la portière ouverte. Touche à l’hôtel d’Angoulême ! ajouta-t-il à l’intention du cocher. Et maintenant, racontez-moi tout !

Elle refit donc, pour lui, le récit de cet épisode de son séjour chez Mme de Verneuil dans lequel elle mentionna les recherches de son beau-père pour terminer par sa brève rencontre avec Mme d’Escoman, l’arrestation de celle-ci et la récupération du petit Nicolas. Sully l’avait écoutée sans l’interrompre mais, quand elle eut achevé, il ne put retenir un soupir accablé.

— Que n'ai-je su tout cela plus tôt ! A présent, il faut agir de telle sorte que votre rôle - bien léger pourtant ! - dans cette affaire ne soit pas ramené au jour !

— Que dois-je faire ?

— Vous arranger, immédiatement, pour que l’enfant recueilli soit conduit à Courcy... ensuite vous taire !

— Comment l’entendez-vous ? Se cabra Lorenza, vexée. Je n’ai pas coutume de clabauder à tous vents !

— Ne vous fâchez pas, je le sais, mais j’espère que, dans la maison de la duchesse Diane, le personnel ignore d’où vient le petit garçon. De mon côté, je vais me renseigner pour apprendre si sa mère est toujours à la Conciergerie afin qu’elle n’ait aucun contact avec ce Ravaillac. Quand le procès sera clos, nous verrons ce que l’on peut faire pour elle.

— Savez-vous si l’homme a nommé des complices ?... Mais peut-être ne vous informe-t-on plus ?

Il fit une affreuse grimace et bougonna :

— N’exagérons rien ! Même si je sens que cela pourrait venir, on ne m’a pas encore relevé de mes fonctions et je conserve de nombreux fidèles. Etre au courant de ce qui se passe dans les prisons n’est pas un problème. Je conserve des amis au Parlement qui va juger l’assassin. Pour en revenir à cet illuminé, il s’en tient à ses premières déclarations et ne cesse de clamer qu’il a agi seul, spécifiant qu’un envoyé de Dieu n’a besoin de personne pour accomplir sa volonté. En dépit de ses conditions d’incarcération, il est heureux... même à la pensée des supplices qui l’attendent ! Il est persuadé qu’une force surnaturelle lui sera accordée. Il est vrai que, tant qu’il a été enfermé à l’hôtel de Retz, il a reçu la visite des Jésuites... et je donnerais ma barbe pour connaître la raison de cet arrêt d’une journée chez Epernon ! Rien que cela... et le fait qu’il soit venu d’Angoulême signent le crime !

— Vous pensez que le duc...

— ... Trempe dans cette boue jusqu’au cou ? Mais c’est l’évidence, voyons ! De là à le démontrer... C’est un homme habile, vous savez !

— Vous l’êtes au moins autant !

— Mais je ne possède pas sa ruse. En outre, il haïssait le Roi parce qu’il avait succédé sur le trône à son cher Henri III. Enfin, il vient de subir une cruelle déception : après s’être démené comme un diable pour s’assurer du pouvoir, il voit grandir chaque jour celui de Concini ! C’est encore plus dur pour son orgueil que pour son ambition !... Mais vous voilà rendue ! Hâtez-vous de suivre mon conseil ! Je vais essayer de savoir où sont votre époux et Bois-Tracy !

Le soir même, le baron Hubert regagnait son château, emmenant avec lui Bibiena - pas trop contente de se séparer de Lorenza ! - et le petit Nicolas. On dut promettre à la nourrice qu’il s’agissait d’une solution provisoire et que l’on verrait à chercher un couple de braves gens sans enfants qui l’accueilleraient avec d’autant plus d’empressement qu’on les rétribuerait en attendant d’en faire un jardinier ! Le baron tenait à son idée, et le petit était d’ailleurs attachant !

Le 16 mai, jour où la « joyeuse entrée » aurait dû dérouler ses fastes, s’ouvrit le procès de Ravaillac, mené par le président de Harlay. Trois autres jours d’interrogatoires suivirent sans qu’il soit possible d’obtenir l’aveu d’une complicité quelconque, même quand on menaça de faire venir d’Angoulême son père et sa mère pour les mettre à mort. Toujours aussi fier de lui, l’accusé ne cessa de proclamer qu’il avait frappé pour obéir à la volonté de Dieu et pour le bien du peuple dont il était persuadé qu’il lui en était certainement très reconnaissant.

Aussi fut-il décontenancé quand, le 27 mai, on le conduisit à la mort en place de Grève au milieu d'une foule hurlante que les cordons de soldats avaient bien du mal à contenir et qui se calma un peu au spectacle de l’effroyable supplice qui l’attendait.

Le nonce Ubaldini le relata brièvement à l’intention du pape Paul V : « On a fait justice du malheureux qui a assassiné le Roi. On lui brûla la main qui commit le parricide, on lui coula de la poix et du plomb sur ses plaies11 et enfin il fut écartelé en quatre morceaux par quatre chevaux. Il a été constant à assurer n’avoir été poussé par autre cause que par le zèle de la religion ; de quoi enfin il s’est repenti et a reconnu son erreur et sa faute et il est mort " saintement ” et avec constance... »