— Vous croyez ?
— J’en suis sûr ! Remerciez les artistes, dites-leur d’aller se reposer et allons faire media noche ! Il y a Conseil demain matin. Quelques pâtisseries et un verre de bon vin vous feront du bien, Madame... Vous êtes un peu pâle!
— C’est vrai que je me sens lasse ! Faites le nécessaire!
On leva donc le camp à la satisfaction générale ? Et l’on se dirigea vers la salle où le couvert était dressé. Lorenza qui n’avait aucune envie de participer aux agapes allait déjà vers Mme de Guercheville pour s’excuser, quand elle vit soudain Concini se matérialiser auprès d’elle, tout sourire.
— Madame la baronne ! Vous ne vous apprêtez pas à nous quitter, j’espère ?
— Oh si ! Je suis épuisée... marquis ! fit-elle en se souvenant à temps de ce titre flambant neuf qu’elle-même jugeait scandaleux. Et je souhaite rentrer chez moi !
— Vous m’en voyez navré ! Alors, au moins, ne rentrez pas seule !
— Mais je ne suis pas seule. Il y a suffisamment de valets autour de mon carrosse pour que je n’aie rien à redouter des mauvaises rencontres !
— Sans doute, sans doute! Pourtant... il y a là quelqu’un qui désire instamment vous raccompagner !
S’effaçant habilement, il céda la place à Antoine de Sarrance qui s'inclinait devant elle.
— Rien n’est plus vrai, Madame la baronne. Nous avons, je crois, bien des choses à nous dire !
Suffoquée d’abord et n’en croyant pas ses yeux, elle le regarda comme s’il venait d’un autre monde mais se reprit vite.
— Vous ici, Monsieur ? C’est pour le moins inattendu !
— Pourquoi donc ? C’est le Roi qui m’avait chassé. Or, le Roi n’est plus... et Sa Majesté la Reine Régente n’a aucune raison de faire siennes les anciennes querelles de son époux !
— Querelles ? Quand vous aviez insulté votre Roi !
— A tout péché miséricorde ! répliqua-t-il avec un sourire moqueur qui choqua la jeune femme.
— Cela la regarde ! dit-elle froidement. En ce qui me concerne, je ne me sens pas la moindre envie d’oublier qu’il n’y a pas si longtemps vous réclamiez ma tête avec insistance et me teniez pour criminelle en dépit de toutes les preuves que l’on avançait !
— J’étais aveuglé par la colère, la douleur aussi ! Comprenez qu’il s’agissait de mon père !
— Et maintenant ?
— Maintenant ?...
Il la regardait sans paraître comprendre sa question et une brusque envie de rire la saisit. Ces points d’interrogation que contenait ce regard, cet air d’innocence qu’il affichait lui parurent du plus haut comique. Elle eut soudain l’impression d’avoir en face d’elle un comédien jouant un rôle qu’il n’avait pas très bien appris.
— J’entends par là : que voulez-vous ? demanda-t-elle, d’un ton sec et impatient.
— Mon ami Concino vient de vous le dire : avoir l’honneur de vous raccompagner chez vous...
— Et pourquoi, je vous prie ?
Il aspira à pleins poumons comme s’il allait se jeter à l’eau.
— Vous me forcez dans mes retranchements, Madame. Ce n’est pas séant... Comprenez-moi ! Voilà des jours que je souhaite avec vous un entretien privé, ce qui est quasiment impossible dans ce palais. Quant à me présenter à l’hôtel d’Angoulême...
— Je ne vous le conseille pas. Il m’étonnerait fort que vous y soyez reçu ! La duchesse Diane, en effet...
— Pour quelle raison me refuserait-elle l’entrée de sa maison ? Elle ne me connaît même pas !
— C’est possible. En revanche, elle aime beaucoup le baron Hubert de Courcy, mon beau-père, et n’a pas apprécié, mais pas apprécié du tout, que vous ayez eu l’impudence inqualifiable de vous en moquer en prenant soin de vous assurer qu’il était seul et vous, solidement appuyé par Monsieur, dit-elle en désignant Concini tout proche d’un mouvement de tête, sans compter une valetaille à laquelle vous avez permis de rire d’un gentilhomme dont vous savez parfaitement qu’il est non seulement plus âgé mais plus noble que vous ! Il est vrai que vous avez fui quand il a dégainé !
— Oh ! Coupa Concini qui donnait tous les signes de la désolation, nous ne savions pas ce que nous faisions... nous étions un peu éméchés, voyez-vous !
— Vraiment ? En ce cas, les convenances eussent voulu que vous présentiez des excuses ! Ceci ajouté à cela, vous devez comprendre, Monsieur de Sarrance, que je ne souhaite aucunement votre présence. Ni maintenant ni plus tard !
Antoine blêmit, ses narines se pincèrent et une lueur mauvaise traversa son regard.
— Ce nom de Sarrance que vous semblez dédaigner, vous oubliez que vous l'avez porté ?
— Pas pour mon salut et fort peu de temps au surplus car j’ai toujours refusé d’en user. Que voulez-vous, il me faisait horreur. A présent, Messieurs, je vous serais reconnaissante de me livrer passage ! Le souper d’ailleurs vous attend !
Mais ils ne s’écartèrent pas.
— Et si moi, s’entêta Antoine, j’avais décidé de vous raccompagner, que cela vous plaise ou non ?
Il tendit une main pour saisir le poignet de Lorenza mais un couple venait d’apparaître.
— Tenterait-on de vous faire violence, ma chère ? Intervint la voix hautaine de la princesse de Conti.
— Auquel cas c’est à moi qu’il appartiendrait de vous en demander raison fit, en écho, celle, tranquille, de Bassompierre. Nous sommes tous deux des amis de Mme de Courcy, ajouta-t-il en caressant sa moustache blonde avec un sourire féroce.
— Inutile d’aller jusque-là ! fit suavement la princesse en passant son bras sous celui de Lorenza tandis que Concini s’éclipsait comme par enchantement. Laissons Monsieur de Sarrance aller collationner ! En ce qui me concerne, je n’en ai nulle envie ! Cette musique m’a endormie et je rentre chez moi après avoir ramené Mme de Courcy chez elle... Messieurs!
Il n’y avait rien à ajouter à cela et Sarrance ne se sentait pas de taille à rompre les lances avec la fille du défunt duc de Guise qui était, en outre, une amie de la Reine. Tandis que les deux femmes se dirigeaient vers l’escalier, il ébaucha un salut en les suivant des yeux puis, quand elles eurent disparu, s’en alla prendre sa part du souper.
Cependant Lorenza remerciait Louise.
— Je crois que vous m’avez tirée d’un mauvais pas, Madame la princesse, dit-elle avec un soupir de soulagement.
— Que voulait-il au juste ? Son visage n’avait rien d’aimable et je l’ai vu se disposer à saisir votre bras...
— Un entretien en tête à tête. C’est pourquoi il voulait m’accompagner. J’ai cru comprendre qu’il tenait plus ou moins à s'excuser.
— La méthode choisie me paraît contestable. Je ne vois pas ce qu’il pourrait avoir à vous dire alors que votre époux est prisonnier, le moment est mal choisi. Ou trop bien ! Prenez garde, Lorenza ! Jusqu’à ce que vous arriviez en France, je l’ai toujours considéré comme un charmant garçon mais depuis ce drame qui a failli vous anéantir je ne sais plus que penser... sinon qu’il ressemble de plus en plus à son père ! Ce qui, de ma part, n’est pas un compliment !
— Réussirait-il à décevoir la difficile princesse de Conti ? Plaisanta Lorenza.
— C’est un peu cela ! Il est beau, séduisant et ne rencontre guère de cruelles. Moi-même, j’ai un instant songé à lui mais cela n’a pas duré. Il connaît trop son pouvoir sur les femmes et je déteste que l’on veuille me dominer. Quant à lui, il devrait se méfier du temps qui passe... et des ravages que peut causer une vie de débauche. La fréquentation de Concini ne lui vaut rien et certains stigmates apparaissent déjà !
— Mais ne devait-il pas se marier ? Je n’ai plus revu sa fiancée parmi les filles d’honneur !
— Pour la bonne raison qu’elle n’y est plus ! Je ne l’aimais pas beaucoup mais j’avoue en être venue à la plaindre. Pauvre La Motte-Feuilly en vérité !
— Que lui est-il arrivé ? Il l’a épousée peut-être et...
Devant la mine inquiète de la jeune femme,
Louise de Conti se mit à rire.
— Et vous pensez qu’elle a eu droit au même traitement que vous avec son père ? Non... mais je crois qu’il a fait pire : il l’a engrossée et ensuite il a refusé d’en faire sa femme. Catégoriquement !
— Et il ne s’est pas retrouvé l’épée à la main en face d’un membre de sa famille ?
— Il n’y en a pas. Le seul qui reste est un oncle valétudinaire et à moitié gâteux. En fait, toute l’énergie de la tribu est concentrée dans la vicomtesse, sa mère. Une forte femme, croyez-moi ! Et devant laquelle notre séducteur a passé, m’a-t-on dit, un assez mauvais quart d’heure... mais le Roi venait de mourir. Elle n’a trouvé personne pour l’écouter.
— Mais... la Reine ? Cette fille lui appartenait ?
Louise considéra Lorenza avec une certaine stupeur.
— Vous êtes, vous, sa filleule, sa cousine, elle vous en a fait voir de toutes les couleurs et vous n’avez pas encore compris qu’elle est totalement hermétique à la plus élémentaire pitié ? Non, elle n’a rien fait sinon recevoir Sarrance à bras ouverts quand Concini le lui a ramené.
— Mais alors qu’est devenue Mlle de La Motte-Feuilly?
— La future mère ? On s'est hâté de lui trouver un époux. Pas très jeune, pas très frais mais très riche et appartenant à la magistrature. Elle est maintenant Mme la Présidente d'Epalainge et ne devrait plus être bien loin d’accoucher. J’avoue que j’aimerais à savoir à qui va ressembler le produit ainsi obtenu car, évidemment, on ne la voit plus. De toute façon, seule la mère garde le droit d’appartenir à la Cour!
— Pauvre fille ! On ne peut que la plaindre...
— Comme vous dites ! Mais si je vous ai raconté tout cela c’est afin de vous prévenir contre les entreprises de séduction du cher Antoine !
— Merci ! Je crois être désormais à l’abri des tentations. Le Ciel m’a donné un merveilleux mari que j’aime trop pour ne pas m’inquiéter de son sort. Et l’attitude de la Reine n’est pas faite pour me rassurer...
— Là, malheureusement, je ne suis guère en mesure de vous aider. Ma mère non plus d’ailleurs, bien qu’avec Mme de Montpensier elle soit sa meilleure amie... française tout au moins car personne, jamais, ne réussira à supplanter la Galigaï... et je vous vois mal aller lui faire des courbettes.
— En admettant que j’en aie envie, je ne m’y risquerais pas. Elle veille sur son conjoint comme un chien sur son troupeau et ne peut supporter qu’il m’adresse la parole ! Ce dont je préférerais qu’il s'abstienne !
— Que cela ne vous empêche tout de même pas de dormir ! Vous voici à destination ! Mes amitiés à votre tante !
Mais il était écrit qu’un sommeil paisible ne serait pas encore accordé à Lorenza et à sa famille,
En rentrant à l’hôtel d’Angoulême, Sauvegrain, le majordome, lui apprit que la duchesse désirait la voir dès son retour.
— A cette heure-ci ? Il est déjà tard...
— Sans doute. J’ajoute cependant que Mme la duchesse n’est pas seule. M. le baron et Mme la comtesse sont avec elle ainsi que M. l’ambassadeur Giovanetti !
La jeune femme tressaillit.
— Il est là ? Je n’ai pourtant vu aucun carrosse dans la cour.
— Il a fait le trajet à cheval, Madame la baronne, et il me semble avoir parcouru une longue route ! Je dirais même...
Mais Lorenza ne l’écoutait plus. Saisie d’une soudaine angoisse, elle ramassa ses jupes et s’élança dans l’escalier menant aux appartements d’honneur.
Giovanetti était là, en effet. Assis dans un fauteuil au coin de la cheminée face à celui de la duchesse Diane, il paraissait transi, ce qui n’avait rien d’étonnant compte tenu du temps, froid et humide, qui s'était abattu sur la France. Quand Lorenza entra, il tentait de retrouver une couleur normale à l’aide d’une copieuse bolée de vin chaud aux épices qui fumait encore et dont les effluves emplissaient la pièce où régnait le silence. Les trois autres se contentaient de le regarder d’un air accablé auquel, tout de suite, la jeune femme fut sensible. Au joyeux « Ser Filippo ! Enfin vous voilà ?... » Succéda :
— Mais quelles nouvelles rapportez-vous donc ? Thomas n’est pas...
— Non ! s’écria Courcy en quittant vivement son siège pour lui laisser sa place. Il ne faut pas pensa à cela ! Le cher garçon est en bonne santé !... Du moins, nous l’espérons !
— Vous... l’espérez ? Et vous estimez que cela va me rassurer ? Ser Filippo ! Que leur avez-vous dit ? Et d’abord pourquoi ne pas m’avoir parlé en premier puisque c’est moi qui vous ai demandé d'aller à Bruxelles ?
Il reposa le récipient, s'essuya la bouche et réussit à esquisser un demi-sourire.
— Mais c’est vous que je venais voir, donna Lorenza ! Seulement, vous n’y étiez pas...
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