— C’est juste ! Pardonnez-moi !... Alors qu’avez-vous appris là-bas ? Et pour commencer, qui avez-vous vu ?
— L’infante Isabelle-Claire-Eugénie et aussi l’archiduc Albert ! Avant d’être ambassadeur en France, j’ai accompli auprès d’eux une mission dont m’avait chargé le grand-duc Ferdinand. Ils ont bien voulu s’en souvenir. Cette entrevue n’entrait pas dans mes plans au départ car je voulais seulement apprendre où étaient détenus MM. de Courcy et de Bois-Tracy. Dans ce but, je me suis adressé à un mien ami, le banquier Crivelli, très introduit auprès de Leurs Altesses et de leur entourage pour obtenir les renseignements dont il a besoin. C’est lui qui m’a emmené tout droit au palais de Coudenberg où j’ai donc été reçu avec une certaine grâce...
— Laissez la grâce ! Au fait, Monsieur l’ambassadeur ! grogna le baron Hubert.
— Oh, c’est très simple ! Les deux hommes ont effectivement été dénoncés pour tentative d’enlèvement de la princesse de Condé et emprisonnés illico. On n’en a pas tout de suite averti Paris car la mort du Roi avait tout bouleversé là-bas... Je m’explique, même si c’est difficile à avaler : elle a déclenché aux Pays-Bas et singulièrement à Bruxelles une formidable explosion de joie. On a fêté l’événement pendant des jours.
— Cela nous le savions, coupa la comtesse Clarisse. Après ?
— On a donc averti la Régente... Elle s’est déclarée très satisfaite par retour du courrier ou peu s’en faut. D’où la surprise de Leurs Altesses quand un émissaire de Marie de Médicis est venu deux jours plus tard, nanti d’une petite troupe armée, demandant que l’on veuille bien lui remettre les deux prisonniers. Ses raisons étaient les meilleures puisque c’était elle qu’offensait le plus l’indécente passion de son époux pour la jeune Charlotte. C’était donc à elle qu’il appartenait de châtier ceux qui s’étaient rendus les complices de cette aventure sordide. Son messager était porteur d’une lettre écrite de sa main royale et les archiducs - plutôt soulagés d’ailleurs ! - n’ont vu aucun inconvénient à lui faire ce plaisir. On a donc extrait les deux hommes de leur prison et on les a remis à ceux qui venaient les chercher...
— Et qui étaient ? demanda Lorenza.
— C’est là que cela devient intéressant, grinça le baron.
— Monsieur de Vitry, capitaine de la deuxième compagnie des gardes, accompagné d’une douzaine d’hommes!
La jeune femme considéra un instant avec étonnement le visage convulsé de fureur de son beau-père,
— Je ne vois pas ce qu’il y a là d’extraordinaire ! Monsieur de Vitry, que je n’ai pas l’honneur de connaître...
—... N’a pas quitté le Roi, qu’il surveille comme la mère poule son poussin parce qu’il lui est tout dévoué et cela depuis le couronnement ! Voulez- vous me dire alors comment il a pu filer à Bruxelles s’emparer de mon fils et de son compagnon et cela au nom d’une Régente qu’il n’aime pas ?...
— ... Mais à laquelle il ne peut refuser d’obéir, fit remarquer Clarisse. Est-ce que le plus simple ne serait pas de le lui demander ? Je sais bien que vous n’êtes pas de la même génération et que, peut-être, il ne connaît pas Thomas...
— Dans l’entourage des rois on connaît toujours un Courcy ! S’emporta le baron. Je le verrai demain et s’il ne veut - ou ne peut - parler, je verrai la Régente !
— Si elle vous a joué un mauvais tour, elle ne vous recevra même pas ! Émit Mme d’Angoulême.
— Il le faudra bien ! Je resterai...
— Je ne vous le conseille pas, baron ! Si elle a effectivement envoyé M. de Vitry plus ou moins secrètement, vous ne ferez que déchaîner la foudre et ce ne sera pas bon pour les deux garçons... Vous risquez seulement d’aggraver leur sort. Voyez d’abord M. de Vitry et selon ce qu’il vous dira nous essaierons d’établir un plan ! Mais, avant tout, il faudrait essayer de savoir si la lettre à l’archiduc était authentique !
— Cela je peux l’attester, dit Giovanetti. Le prince me l’a montrée. Et maintenant, si vous me le permettez, je vais me retirer...
— Il est tard, il fait froid et vous n’êtes pas encore réchauffé ! fit la duchesse en souriant. Acceptez mon hospitalité pour cette nuit! J’ai déjà donné des ordres et l’on va vous conduire à votre appartement.
Visiblement à bout de forces, l’ancien ambassadeur ne se fit pas prier et suivit le valet que l’on venait d’appeler. Lorenza en fut satisfaite. Elle souhaitait vivement s’entretenir avec lui et ce serait peut-être possible au matin, avant qu’il ne rejoigne la rue Mauconseil. Elle-même se levait pour se retirer quand Clarisse lui demanda :
— Alors, ce concert ?
— Des voix superbes mais ennuyeux à mourir !
— Au point de vous mettre la figure à l’envers ? Quand vous êtes rentrée tout à l’heure, vous aviez l’air d’avoir subi un choc !
— Je n’ai aucune raison de vous mentir. Quelqu’un assistait à cette maudite soirée...
— Qui donc ?
— Le marquis de Sarrance dont on dirait bien que Concini l’a ramené à la Cour avec la pleine approbation de la Reine !
— On peut vraiment s’attendre à tout avec elle ! Maugréa le baron. Je pense que l’on va voir revenir tous ceux que notre bon Roi avait exclus. Lui avez-vous parlé ?
— C’est lui qui m’a parlé... et sur un ton que je n’ai pas apprécié. Il voulait me raccompagner ici et, pendant un moment, j’ai compris qu’il me l’imposerait au besoin... Soutenu par Concini avec qui il semble au mieux ! Sans l’intervention de Mme de Conti et de M. de Bassompierre, j’aurais dû souscrire à ses volontés... ou alors crier au secours!
— Il ne fallait surtout pas hésiter ! Avec ce genre de... rustre - car je ne vois guère d’autre épithète à lui appliquer, ce que je n’aurais jamais cru ! -, il n’y a pas d’autre solution. Demain, je vous accompagnerai au Louvre et j’irai voir M. de Vitry !
Ayant dit, il salua les dames et monta se coucher. Lorenza le suivit. Pas pour dormir, ses nerfs secoués une fois de plus ne lui laissant guère espérer un sommeil rapide et réconfortant, mais uniquement pour être seule avec cette nouvelle angoisse qui l’assaillait : Thomas !
Où était Thomas à cette heure ? Au fond de quelle prison? On ne l’avait certainement pas sorti de Bruxelles pour lui rendre la liberté ? Qu’il fût toujours avec Bois-Tracy était plutôt rassurant car celui-ci n’avait jamais trempé de près ou de loin dans la lamentable histoire qu’avait été son mariage avec le vieux Sarrance. A moins qu’on ne les ait séparés, auquel cas le pire serait à redouter !
Réfugiée au fond de son lit, les yeux grands ouverts sur l’obscurité qu’atténuait à peine le feu en train d’expirer, elle retrouvait intacte la terreur qui s’était emparée d’elle quand, à la veille de ses noces, elle avait reçu le billet menaçant la vie de Thomas. Elle l’aimait tant, à présent, ce grand garçon joyeux et tendre qui avait su éveiller en elle une sensualité qu'elle ne soupçonnait pas et lui avait rendu le goût de l’existence dans ce qu’elle avait de plus délicieux : le bonheur d’aimer et d’être aimée, de prendre et d’être prise, les caresses et les rires partagés et, aussi, la merveilleuse impression ressentie entre ses bras que rien ni personne ne pourrait l’atteindre dans un tel refuge ! Elle aimait son époux de tout son cœur, de toute sa chair et de tout son esprit au point de ne plus pouvoir imaginer vivre sans lui ! S’il devait périr, elle le rejoindrait dans la mort et tout serait dit...
En se retrouvant, ce soir, en face d’Antoine de Sarrance, la surprise avait été double : d’abord de le voir parader à la Cour d’où l’avait chassé le Roi ; ensuite de constater qu’il ne restait rien de l’élan qui l’avait poussée vers lui le jour de leur première rencontre. A l’ardeur de son regard elle avait répondu par une ardeur égale et cru longtemps qu’elle l’aimait. Jusqu’à se demander, alors même qu’elle appartenait à Thomas, quel effet pourrait avoir une rencontre avec lui. Elle le savait à présent : aucune émotion autre que la répulsion. Il s’était trop acharné contre elle pour que s’efface un jour le masque de haine qu’elle lui avait vu. Certes, il était toujours beau mais les flétrissures - légères quoique réelles - dont la débauche marquait son visage le rapprochaient de celui de son géniteur au cours de cette horrible nuit... Ces hommes appartenaient aux ténèbres alors que Thomas irradiait la lumière d’un amour total.
Quand le jour revint, ramenant Guillemette qui lui apportait une tasse de lait chaud et venait ranimer le feu, elle n’avait pas fermé les yeux même une seconde et cela devait se voir car la petite camériste s’exclama :
— Mon Dieu ! Madame la baronne a mauvaise mine !
— Cela ne m'étonne pas : je me sens très lasse. Voudrais-tu aller demander à Mme de Royancourt d’envoyer quelqu’un chez Sa Majesté la Reine pour lui offrir mes excuses ?
— Bien sûr ! Nous allons aussi demander un médecin !
— Inutile d’aller jusque-là. Il me faut seulement rester tranquillement ici !
— Madame la baronne a tout à fait raison ! D’autant qu’il fait un temps affreux dehors !
Point n’était besoin d’ouvrir les rideaux pour s’en convaincre : de fortes rafales de pluie mêlée de grêle s’abattaient sur les vitres des fenêtres en crépitant violemment. Rien en vérité qui donne envie de bouger. Pas même pour entendre la messe que le chapelain de la duchesse Diane disait tous les matins dans l’oratoire de l’hôtel. Il fallait donner quelque apparence de vérité à son malaise ! Cependant, elle demanda encore si Filippo Giovanetti était déjà levé. Guillemette lui répondit qu’il était même parti, presque aux aurores, ne laissant qu’un billet pour la duchesse. Lorenza en fut contrariée : elle aurait aimé lui parler en tête à tête mais la rue Mauconseil n’était pas si loin et elle pourrait y faire un tour dans l’après-midi...
— Vous devriez essayer de dormir un peu, conseilla la jeune femme de chambre. Le lait chaud, ça aide !
Lorenza en effet bâillait à se décrocher les mâchoires, résultat de sa nuit sans sommeil. Elle se réinstalla dans ses oreillers après les avoir bourrés de coups de poing et s’endormit aussitôt.
On était le samedi 15 janvier 1611 et, au moment même où Lorenza repartait vers l’antre de Morphée, Jacqueline d’Escoman - que l’on n’avait pas jugé utile de garder plus longtemps en prison - se présentait chez la reine Margot, tout juste rentrée de son château d’Ivry où elle avait passé les fêtes de cette fin d’année et le début de la nouvelle. L’ancienne épouse d’Henri IV, n’ayant rien à faire parce qu’elle venait de mettre à la porte le jeune amant qui l’avait occupée ces derniers jours, accepta de la recevoir dans son privé. Elle se tenait dans sa chambre, en train d’essayer une nouvelle perruque et un onguent miraculeux pour les rides que venait de lui envoyer son apothicaire préféré, assistée de Gilonne, sa camériste, qui était auprès d’elle avant même son mariage avec le Béarnais près de quarante ans auparavant !
En fait, l’ancienne reine de Navarre s'ennuyait comme un rat mort et l’apparition de cette petite bossue, mal vêtue mais se disant porteuse de grands secrets, lui paraissait distrayante. D’autant plus qu’après avoir elle-même refusé de la prendre à son service, elle savait que cette fille avait été placée chez la marquise de Verneuil envers qui Margot ne débordait pas de sympathie.
— Vous voilà donc ? D’où sortez-vous pour être aussi mal accommodée ?
— De prison, Madame, où l’on m’a jetée pour me faire taire... Il m’avait été donné, en effet, de découvrir l’affreux complot tissé contre la vie de notre bon Roi et j’ai fait tous mes efforts pour qu’il en soit averti et se garde en conséquence... mais personne n’a voulu m’écouter. Et j’ai été conduite à la Conciergerie où l’on a amené, son coup fait, l’abominable assassin.
— Il m’est revenu quelque chose comme cela mais, à présent, le Roi n’est plus et je ne vois pas trop à quoi rime votre démarche.
— A le venger, Votre Majesté ! Voir se pavaner au palais et dans la ville ceux qui l’ont envoyé au tombeau est plus que je n’en puis supporter ! Il faut qu’ils payent leur forfait, dussé-je y laisser ma propre vie !
— Et qui sont-ils ?
— Je ne les connais pas tous car ils doivent être plus nombreux que je ne l’imagine mais il y en a trois dont je suis sûre !
— Et ce sont ?
— Monsieur le duc d’Epernon, sa maîtresse Mlle du Tillet et la marquise de Verneuil. Peut-être aussi la Reine...
— La Reine ? Vous allez un peu loin.
— Je ne crois pas. N’est-ce pas au lendemain même de son couronnement - ce couronnement qu'elle ne cessait de réclamer ! - que Ravaillac a frappé ? J’ai tenté maintes et maintes fois de la voir mais jamais je n’ai pu l’approcher. Elle a toujours refusé de recevoir la pauvre femme que je suis mais je pense qu’elle avait surtout peur d’une vérité qui aurait pu s’opposer à ce qu’elle soit sacrée.
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