— Comme il vous plaira, Monsieur le Président ! (Il revint alors à Lorenza :) Quelles relations entreteniez-vous avec la D’Escoman ?
— Aucune sinon des saluts échangés, quelques mots sur le temps ou les fleurs du jardin... Le courant quand on se trouve sous le même toit !
— Rien qui touchât les activités de la maison, ou encore Mme de Verneuil elle-même ?
Elle eut pour lui un regard empreint d’une surprise incrédule.
— Je ne vois pas pourquoi. Ce n’est pas la coutume quand on est l’hôte de quelqu’un d’en discuter avec ses serviteurs. Mlle d’Escoman était toujours aimable, toujours souriante, toujours prête à rendre service. J’avoue que je la plaignais... et que je la plains encore !
— Pour quelle raison ?
— Regardez-la, Monsieur le Procureur ! Elle est petite, fragile et la vie ne l’a pas ménagée. Elle continue à ne pas la ménager d’ailleurs !
— A qui la faute ? Personne ne l’a obligée à se répandre en accusations insensées contre celle qui lui donnait de quoi vivre.
— Sinon peut-être sa conscience ?
Le mot avait échappé à Lorenza. Le soudain silence qui le souligna lui fit comprendre qu’elle s'aventurait sur un terrain glissant mais il n’y avait pas à y revenir. La Guesde s’en emparait déjà avec gourmandise.
— Sa conscience ? Est-ce à dire que vous lui donnez raison ?
— Je ne lui donne ni raison ni tort. Chacun est maître de ses convictions. Qu’elles soient justes ou erronées, c’est son affaire. Au reste, à Verneuil, je me tenais le plus souvent auprès de Mme d’Entragues, peu intéressée par les fluctuations de la politique, et qui s’occupe plutôt des bienfaits que l’on peut obtenir des plantes.
Il y eut un court silence. Le Procureur cherchait un autre point d’attaque et il le trouva.
— Vous est-il arrivé de voir Ravaillac chez Mme de Verneuil ? Vous savez qui il est, je pense ?
— L’assassin de notre bon Roi ! Je n’en sais rien du tout !
— Comment, vous n’en savez rien ? S’emporta La Guesde. Je crains que vous ne soyez en train de vous moquer du tribunal !
— En aucune façon, mais pour savoir si je l’ai réellement vu il faudrait que je sache à quoi il ressemblait.
— Mais tout le monde l’a vu ! Ne me dites pas que vous n’avez assisté ni au procès ni à l’exécution !
— Non, répondit-elle, glaciale, en le regardant droit dans les yeux. Je n’ai pas de ces curiosités malsaines ! Il me suffit de savoir qu’il a tué notre Roi... le voir découper en morceaux n’aurait en rien apaisé ma peine.
— Vous n'êtes pas née française pourtant ! Cette grande peine de la part d’une Florentine, n’est-ce pas excessif ?
Agacée, elle s’offrit le luxe de le railler.
— Que n'allez-vous en dire autant à Sa Majesté la Reine dont j'ai été la filleule ! Je me demande ce qu'elle vous répondrait ! Quant au Roi Henri, je l'aimais bien, parce qu'il a été bon pour moi ! En outre, Monsieur le Procureur, le mariage a fait de moi non seulement une Française mais aussi, mais surtout, une Courcy ! Chez nous, poursuivit-elle en appuyant sur le mot, la fidélité au Roi ne s’est jamais démentie et ne se démentira jamais ! Aussi, désormais, sommes-nous prêts à servir Louis XIII, notre jeune souverain.
— Bien parlé ! Lança dans l’assistance la voix du baron Hubert.
— Soit ! Admettons ! Mais nous nous éloignons de notre sujet. Si vous aviez si peu de relations avec la D’Escoman, comment se fait-il qu'à peine sortie de prison, avant la mort du Roi, elle vous ait rejointe sur le pont du Louvre pour faire appel à vous ? Que voulait-elle ?
— Que je l'introduise auprès de la Reine afin de la mettre au courant d’un complot contre la vie de son époux.
— Et que lui avez-vous répondu ?
— Que c’était impossible. Elle pensait qu’appartenant au cercle des dames de la Reine, je pouvais y amener...
— ... N’importe qui ?
— Quiconque m’en faisait demande, corrigea la jeune femme. D’ailleurs, nous n’avons pas eu le temps de converser davantage : le guet la poursuivait et l’a rejointe.
— Vous en savez la raison, j’imagine ?
— Hélas oui ! N’ayant plus les moyens de nourrir son enfant que la nourrice lui avait rendu, elle l’avait exposé sur le Pont-Neuf...
—... Au risque d’être enlevé par les truands des cours des miracles pour y ajouter un sacripant de plus !
Toujours ce ton sarcastique ! N’y avait-il chez cet homme ni cœur ni entrailles ? Elle répondit par une autre question.
— Avez-vous des enfants, Monsieur le Procureur ?
Il eut une moue de dédain.
— Certes ! Mais je ne vois pas en quoi...
— Et savez-vous ce que c'est que la vraie misère, quand on n’a même plus un liard pour apaiser la faim d’un enfant qui pleure et qui pleurera jusqu'au bout de ses faibles forces ?
— Elle n’avait qu’à se faire mendiante ! Aux portes des églises, elle aurait reçu de l’aide ! Elle a préféré cette solution infâme que la loi punit de mort !
— N’est pas mendiant qui veut, Monsieur le Procureur. Aux portes des églises, tout au moins. Elles sont régies par une confrérie qu’une pauvre fille ne peut braver impunément ! Un enfant seul inspire toujours de la pitié !
— Comment le savez-vous ?
— Monsieur le Procureur, intervint le président de Harlay. N’ergotons pas indéfiniment ! Nous savons tous ce qu’il en est des mendiants ! Poursuivez !
Fort peu respectueusement, La Guesde haussa les épaules et revint à la jeune femme.
— De toute façon, vous soutenez cette femme Vous lui avez octroyé une généreuse aumône, m’a-t-on rapporté ?
— On vous a menti. Je ne lui ai rien octroyé. En revanche, j’ai remis quelque argent à l’officier du guet pour qu’en prison elle soit traitée convenablement...
— C’est possible mais vous n’avez pas répondu ma première question. Vous la soutenez ?
— J’admire son courage et je la plains de tout mon cœur !
— Ce n’est pas ce que je vous demande...
Le Président prit le maillet en bois posé devant lui et en frappa quelques coups vigoureux.
— Nous nous en suffirons cependant ! Madame de Courcy, la cour vous remercie et vous salue !
Il inclina le buste, elle plia légèrement le genou mais, avant de se retirer, demanda :
— Pardonnez-moi, Monsieur le Président, mais puis-je rentrer à Courcy ou pensez-vous avoir encore besoin de moi ?
— Non, ce ne sera pas nécessaire ! fit-il avec un sourire. Encore merci !
Elle rejoignit alors les siens qui se tenaient au fond de la salle. Hubert prit son bras pour le glisser sous le sien et lui tapota la main.
— Bravo ! murmura-t-il. C’était très bien... mais vous avez eu de la chance que Harlay soit chargé du procès !
— Il est le Premier président, cela me paraît normal, commenta Clarisse.
— Rien n’est normal en ce moment ! Ainsi La Guesde n’est pas Procureur général... seulement c’est une créature de la Cour et je ne serais pas étonné qu’il réussisse à se débarrasser de Harlay !...
— Il n’en prend pas le chemin... Ecoutez plutôt !
En effet, mécontent sans doute de voir Lorenza échapper à ses griffes, le Procureur entreprenait de protester contre l’aménité dont on avait fait preuve envers elle et, sans transition, se livrait à une sorte de philippique contre l’accusée, adjurant le tribunal non seulement de la confier aux bourreaux pour la faire « bien travailler » afin de lui arracher la vérité, mais encore de la condamner à mort aussitôt.
— Et sous quel chef d’accusation ? S’enquit Harlay.
— Ils ne manquent pas ! Ne voyez-vous donc pas que c’est une sorcière capable de tromper n’importe qui comme elle a trompé Mme de Courcy qui ne cache pas la commisération qu’elle lui inspire ? Ces femmes-là sont capables de tout : envoûtements, commerce avec le diable, conjuration, confection de philtres, de poisons, de fausse monnaie...
— Fausse monnaie ? Et quoi encore ? Vous perdez l’esprit, Monsieur le Procureur, et ce genre d’élucubration n’est pas de mise devant une cour souveraine ! Surtout traitant d’un sujet aussi grave et douloureux que la mort d’un roi envers lequel vous faites preuve de la plus noire ingratitude ! Sortez ! Rentrez chez vous et tâchez de vous remettre les idées en place !
Le duc d’Epernon ayant jugé bon, à cet instant, de reprocher au Président un laxisme intolérable envers une criminelle, ce fut l’avocat Servin qui se chargea de lui en réclamant son arrestation. A quoi l’autre répondit en l’insultant et en menaçant de l'étriper ! D’où le tumulte !
La bagarre menaçait de devenir générale, quand le président de Harlay leva la séance en déclarant qu’il entendrait, dans son particulier, et en apparat réduit, les personnes d’importance. Cela suscita bien quelques murmures mais les hallebardiers entrèrent en action avec le manche de leurs armes, et la salle se vida sans trop de difficultés.
Le soir même, Harlay convoquait à son hôtel Mme de Verneuil et l’interrogeait pendant cinq heures avec une sévérité qui affola l’ancienne favorite. Elle partit sur-le-champ se plaindre à Epernon.
Déjà fort inquiet, celui-ci l’écouta en s’efforçant de masquer l’angoisse qui lui venait et même la rassura.
— Ces robins se croient tout permis pour peu qu’on leur laisse quelque pouvoir ! Ce vieux bonhomme veut se donner de l’importance... mais je vais lui rabattre son caquet... et de belle façon !
Quand sa visiteuse fut repartie, il s’équipa comme au soir de la mort du Roi. Et c’est botté, éperonné, l’épée au côté et à cheval, escorté de quatre laquais, qu’il s’en alla à l’hôtel de Harlay.
Le Président, qui l’avait vu arriver et que cet appareil guerrier scandalisa (il n’y manquait que la cuirasse), ne le laissa pas entrer plus avant que le vestibule.
— Que me vaut votre visite ?
— Il me semble que nous avons à parler, vous et moi, et même qu'il en est grand temps !
— Je n’ai rien à vous dire. Je suis votre juge !
Désarçonné par la rudesse de l’accueil, le duc baissa le ton.
— Mais... c'est en ami que j’ai pris la hardiesse de venir.
— Je n’ai pas d’amis. Je vous ferai justice. Contentez-vous de cela !
Et le haut magistrat tourna les talons pour regagner son cabinet.
D'autant plus furieux qu'il lui fallait bien ravaler sa colère, l'ancien mignon, sans même passer chez lui revêtir une tenue plus conforme, fila au Louvre où, comme presque chaque soir, il y avait concert, et demanda à parler à la Reine seul à seule...
Dérangée, cette dernière lui envoya Concini lequel ouvrit des yeux étonnés devant un équipage aussi martial.
— Vous partez en guerre, Monsou le douc ?
— Toujours quand il s’agit du service de Sa Majesté ! Il faut que je la voie !
— Dites à me ! Ye transmettrai !
— C’est impossible !... Après tout j’y vais !
Ecartant l’Italien, il voulut passer outre mais, à cet instant, Marie de Médicis parut.
— Que de bruit ! On ne s’entend plus ! Que voulez-vous, duc ?
Le courtisan se plia en deux.
— Quelques mots, Madame ! Juste quelques mots ! Mais d’une telle importance !
— Alors dépêchez-vous ! fit-elle avec un signe à Concini pour qu’il s’éloigne...
Le lendemain, elle envoyait M. de Châteauvieux chez Harlay pour lui demander ce qu’il pensait de ce procès.
— Vous direz à la Reine que Dieu m’a réservé de vivre en ce siècle pour voir et entendre des choses que je n’eusse jamais cru pouvoir voir, ni ouïr de mon vivant !
— Mais enfin, Monsieur le Président, cette femme, la D’Escoman, parle sans preuves !
— Des preuves ? S’exclama-t-il en levant les bras au ciel. Il n’y en a que trop !... Beaucoup trop !
Il y eut un silence auquel le chevalier d’honneur de la Reine mit un terme en murmurant, visiblement gêné :
— Cependant, Monsieur le Président, Sa Majesté apprécierait qu'eu égard aux services qu’il a rendus à la Couronne, vous vouliez bien traiter Monsieur le duc d’Epernon avec moins de rudesse !
— Dites à Sa Majesté que je ferai de mon mieux ! Si elle le souhaite, les interrogatoires seront tenus secrets désormais17...
En sortant de la salle d’audience, Lorenza se sentait le cœur lourd. En dépit du billet qui gisait maintenant au fond de sa poche, elle s’en voulait de ne pas avoir mentionné l’entrevue de Ravaillac avec Jacqueline dans le bois de Verneuil. Se tournant vers sa tante, elle demanda :
— Je suppose qu’il y a une chapelle ici ? Je voudrais aller prier !
Ce fut le baron Hubert qui lui répondit.
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