Au retour d’une assez longue promenade, elles étaient parvenues aux abords du château quand Clarisse s’écria, une main en auvent au-dessus de ses yeux.
— Qu’est-ce qui nous arrive là ?
En effet, un carrosse, entouré d’une demi-douzaine de cavaliers, venait de sortir des bois pour longer l’étang.
— C’est encore trop loin pour pouvoir lire les armoiries...
—... mais comme cet équipage ne me dit rien qui vaille, hâtons-nous de rentrer, décida la duchesse. Que font-ils donc ?
Curieusement, le brillant équipage venait de s’arrêter et deux hommes en sortirent qui s’approchèrent de l’eau. Ils étaient trop loin pour que l’on pût distinguer leurs visages sous l’ombre des chapeaux emplumés, mais ils portaient de riches vêtements. Les dames purent voir l’un d’eux faire d’amples gestes en désignant le château puis l’ensemble des jardins et des dépendances.
— Qui sont ces olibrius ? grogna Mme de Royancourt. Ils se comportent comme si le domaine était à vendre et comme si l’un en vantait les charmes à l’autre !
— Je n’aime pas ça non plus, acquiesça Lorenza. Rentrons ! S’ils viennent jusqu’au château, refusons de les recevoir et s'ils se contentent d’admirer le paysage, envoyons des gardes les prier de quitter les lieux !
Ce que l’on fit... Mais à peine avaient-elles regagné leur pièce préférée, située dans une des tours, que Chauvin, le majordome, accourait, débarrassé pour une fois de son allure compassée.
— Il y a là le sergent La Hurlette qui vient demander...
— Quoi ? S’impatienta Clarisse. Je lui ai donné des ordres il n’y a pas cinq minutes !
— Certes, certes, Madame la comtesse, mais ils viennent de la part de la Reine et sont porteurs d’un message pour Madame la baronne...
— Un message de la Reine? Pour moi?... Eh bien, qu’ils vous le remettent ! Je leur rendrai réponse dans l’instant.
— C’est qu’ils entendent vous le remettre en main propre et... oh, mon Dieu ! Je crois qu’ils sont déjà là ! s’écria-t-il en pivotant sur ses talons pour repousser l’ennemi. En effet, des pieds bottés faisaient résonner les marbres de la galerie extérieure et une voix on ne peut plus reconnaissable clamait :
— Oun message dé la Reine, il n’attend pas !
Concini ? A Courcy et parlant sur ce ton ? Aussitôt Lorenza fut debout mais Clarisse l’avait précédée et obturait le seuil de la double porte. Sa voix retentit, glaciale :
— Ce n’est pas une raison pour forcer l’entrée d’une noble demeure dont le maître est absent. Mais je suppose que vous le savez, sinon vous n’auriez jamais osé ! Seulement, qu’il soit absent ou non, les consignes sont les mêmes ici ! Appelez la garde, Chauvin !
— Ne soyez pas si sévère, Madame de Royancourt, intervint Antoine de Sarrance qui, goguenard, apparaissait derrière le Florentin. Vous me réserviez meilleur accueil il n’y a pas si longtemps...
— Il y a un siècle, vous voulez dire ! En outre...
— Par grâce ! Ne vous fâchez pas ! Le marquis d’Ancre, que voici, n’est pas encore au fait de nos usages ! Que voulez-vous, il est toujours trop pressé ! J’implore votre pardon pour lui... et j'espère qu'à présent vous allez me rendre votre sourire et nous faire accueil !
— Il n'en est pas question ! Coupa Lorenza venue au côté de sa tante. Vous tout au moins ! Monsieur le marquis, ajouta-t-elle pour Concini, je vous recevrais volontiers si vous étiez seul car je n’ai aucun reproche à votre encontre mais M. de Sarrance est indésirable en ce lieu ! Et il le sait ! Alors, envoyez-le vous attendre dans votre carrosse et vous recevrez l’accueil qui convient à un ami de la Reine !
La nuance était habile et un sourire épanoui retroussa la moustache du nouveau seigneur d’Ancre.
— Bien entendu, bien entendu !... Lé servicio de la Reine avant tout ! Faites ce que demande Madame ! Caro moi! Il né faut jamais contrarier oune yolie femme !... ni moi !
Le ton restait gracieux mais une lueur s’allumait dans l’œil du favori qui fit reculer Sarrance prêt à protester, sans doute violemment. Il se contenta de hausser les épaules et, tournant les talons, repartit. Sans saluer bien entendu. Ravi, Concini pénétra dans le salon où, reconnaissant la duchesse d'Angoulême, il se plia en une profonde courbette :
— Madame la duchesse ! Croyez-moi bien votre serviteur !
Sachant qu’elle avait été princesse Farnèse, il avait employé spontanément sa langue natale dans laquelle il se sentait plus à son aise. Il fut reçu courtoisement. Diane comme Clarisse avaient compris le jeu choisi par Lorenza. Connaissant l’immense vanité du mirliflore et surtout son influence actuelle, il pouvait être intéressant de la flatter en lui montrant plus de considération qu'à un marquis de Sarrance. Moyennant quoi, il eut droit à un siège et même à un verre de rossolis qui le fit s’épanouir d’aise. Enfin, il remit la lettre annoncée. En quelques phrases brèves et aussi peu chaleureuses que possible, Marie de Médicis « conviait » la baronne de Courcy à reprendre son service auprès d’elle. Que son époux soit présent ou disparu ne changeait rien à son devoir envers Sa Majesté. Lorenza se félicita d’avoir si courtoisement traité son envoyé.
— Monsieur le marquis, commença-t-elle en montrant une tristesse qu’elle n’avait pas besoin de feindre, je souhaiterais beaucoup reprendre mon service, mais - et je suis heureuse que vous ayez bien voulu vous charger de cette lettre - depuis la découverte du corps de M. de Bois-Tracy, je redoute trop que Thomas de Courcy, mon époux, n’ait subi le même sort...
— Ma qué... son corps n’a pas été retrouvé !
— En toute sincérité, pensez-vous que ce soit rassurant?
— Pas... pas vraiment !
— Vous voyez ! C’est pourquoi je vous prie instamment d’accepter d’être mon interprète auprès de Sa Majesté. Une femme en deuil, ou presque, n’a que faire à la Cour. Sa... bonté naturelle devrait l’incliner à comprendre que mes soins doivent être consacrés entièrement à son père et à sa tante ici présente au cas où ils n’auraient plus que moi !
Plus tard... nous verrons ce que m’apportera le temps. Voulez-vous vous charger de cette réponse ?
Il avait pris un air tellement compréhensif que l’on put craindre un instant qu’il se mette à pleurer mais il se borna à dire :
— C’est bien normal et je vais être bien volontiers votre porte-parole. Soyez sûre que la Reine y sera attentive !
— Je vous en serai infiniment reconnaissante, marquis !
— Me permettez-vous de vous faire visite de temps à autre ? J’aimerais que vous voyiez en moi un ami véritable !
— Je n’ai jamais refusé de recevoir un ami !
— J’en suis très heureux!... J’espère vous être d’autant plus utile que Sa Majesté vient de me nommer Premier Gentilhomme de la Chambre du Roi !... Mesdames, yé souis à vos pieds ! conclut-il, retrouvant l’usage de la langue française pour saluer.
Il était temps qu’il quitte les lieux : les trois femmes étaient au bord de l’apoplexie. L’une après l’autre, elles hoquetèrent :
— Premier Gentilhomme...
— ... de la Chambre...
— ... du Roi ! C’est du délire ! Acheva la duchesse Diane, abasourdie. La Reine est devenue folle !
— Elle est capable de le promouvoir un jour maréchal de France ! fit Clarisse.
— Ne dramatisez pas, ma bonne ! A part une épée de cour il n’a jamais porté une arme !
— Vous oubliez son râteau de croupier !
En chœur, elles éclatèrent de rire ce qui soulagea sensiblement Lorenza un peu inquiète de ce qu’elles pensaient de son coup d’audace.
— Vous ne m'en voulez pas trop ? Hasarda-t-elle d’une voix redevenue timide.
— Vous voulez dire que nous vous félicitons chaleureusement ! s’exclama Mme d’Angoulême. Dissocier l’ennemi sur le champ de bataille est un coup de maître ! Le sang Médicis a parlé !
— Mais... quelle sera la réaction du baron quand il rentrera ?
— Allons, Lorie ! Vous savez qu’il n’est pas idiot et vous avez fait face, avec beaucoup de présence d’esprit, à une situation qui pouvait devenir dangereuse pour vous. Ni votre tante ni moi n’avons la moindre confiance en Sa massive Majesté ! Elle est capable de vous laisser assassiner dans un coin du Louvre sans lever l’auriculaire ! Simplement, quand Concini reviendra, tenez-le à distance ! Sinon, c’est Galigaï qui vous fera trucider !
— En conclusion ?
— Nous garder de tous côtés ! Vous avez gagné une bataille mais pas la guerre ! Attendons la suite !
Dans l’immédiat, les choses furent conformes à ce qu’espéraient les trois femmes. Portée cette fois par un courrier de la Cour, une nouvelle épître royale autorisait la baronne de Courcy à « pleurer son époux » le temps qui lui semblerait convenable sans toutefois oublier indéfiniment ses devoirs envers la Couronne. Le tout sans un mot de simples condoléances que l’on ne demandait pas ! Encore moins de compassion ! La Régente tenait Thomas pour mort, un point c’est tout ! Le texte était si sec, si délibérément cruel que Lorenza pleura. Il correspondait exactement à l’angoisse que chaque jour nouveau alimentait en même temps que diminuait l’espérance ! Et le baron Hubert qui ne revenait pas !
Lorenza, ainsi que Clarisse d’ailleurs, refusait de porter le deuil. Elles se vêtaient de couleurs sombres - marron, vert foncé, gris fer ou violet - mais pas de noir. Il leur semblait que le jour où leurs têtes se couvriraient de crêpes funèbres, une dalle serait scellée sur le corps de Thomas...
Et puis, un soir, Hubert de Courcy rentra chez lui.
Il ne ramenait pas de cercueil mais les rides douloureuses qui creusaient son visage témoignaient d’une lourde fatigue autant que de la perte de l’espoir. Mettant pied à terre d’un pas pesant, il prit dans ses bras chacune des deux femmes accourues sur le perron pour l’accueillir et les serra contre lui sans mot dire, mais l’humidité quelles perçurent sur leurs visages était - hélas ! - révélatrice et il les sentit trembler.
— Venez, proposa-t-il. Allons-nous mettre au chaud ! Il fait un froid de gueux !
Toujours enlacés, ils remontèrent les degrés et traversèrent les immenses salles pour gagner le salon bleu. Sur leur passage les figures se crispaient, des larmes coulaient, essuyées rageusement d’un revers de manche. Hubert se laissa choir dans un fauteuil et les deux femmes s’agenouillèrent chacune d’un côté. Ils étaient seuls, la duchesse Diane étant repartie la veille pour Chantilly. A l’exception des crépitements du feu, le château tout entier était entré dans le silence. Un silence qui, bientôt, fut insupportable à Lorenza.
— Père!... Je vous en supplie, dites quelque chose !
— Que voulez-vous que je dise ? Voilà des semaines que je bats la région de Condé et la vallée de l’Escaut sans trouver la moindre trace ! A la demande du colonel de Sainte-Foy, venu prendre en charge le corps du jeune Henri pour le rendre aux siens avec les honneurs, M. de La Haye-Saint-Pierre, qui commande les défenses de Condé au nom du prince, a fait fouiller les alentours dans l’espoir de retrouver au moins un indice. Sans résultat !
— On a appris que M. de Bois-Tracy gisait dans les roseaux d’une rivière ?
— Et il avait bien reçu un coup de couteau dans le dos, l’œuvre d’un lâche ! Puis fut balancé dans l’eau qui l’a charrié sur une rive sans que l’on sache pourquoi ! Un tourbillon peut-être ?
— L’Escaut est un fleuve important qui va se perdre aux Pays-Bas mais, à Condé, il n’est pas très loin de sa source, ce n’est encore qu’une rivière. Un peu capricieuse peut-être parce que gonflée par les dernières pluies. Je l’ai suivie sur une longue distance mais sans succès. C’est d’autant plus inquiétant que... que Thomas nageait comme un poisson. Evidemment, s'il a été poignardé comme son ami..., conclut-il d’une voix qui se brisa.
Un moment ils restèrent ainsi, enlacés dans la même prostration, sans esquisser un geste, comme si le plus petit écart pouvait les briser, comme s’ils n’avaient qu’un seul souffle, un seul cœur...
Clarisse s’écroula la première. Elle si forte, d’habitude, glissa du bras de son frère pour s’effondrer, assise sur les talons et secouée de sanglots convulsifs. Epouvantée par cette douleur dont elle n’ignorait pas la cause, Lorenza la regarda un instant sans oser la toucher. Thomas, elle le comprenait trop bien, était l’enfant qu’elle n’avait jamais eu et elle lui avait donné tout son amour inemployé. Et maintenant, il ne lui restait que des larmes qui se répandaient à travers ses doigts comme si elle était seule au milieu de ruines. Quant au baron Hubert, il appuyait sa tête au dossier du fauteuil, son bras toujours posé sur l’épaule de sa belle-fille, et fermait les paupières peut-être pour retenir ses pleurs. Il y parvenait presque, encore que sa barbe grise fût légèrement humide...
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