— Dommage que Ravaillac soit mort ! Ricana le baron. Il aurait sa place au milieu de ces gens qui ont manigancé l’assassinat du Roi. Cet anniversaire est plein d’enseignements!

— On peut se demander aussi ce qui a pris à la Verneuil de commémorer sa naissance ! Quand vient l’âge mûr on aurait plutôt tendance à mettre un voile pudique dessus, non ? Persifla Clarisse.

— Oui ! En tout cas, une chose est certaine : l’ennemi est là-dedans ! Reste à savoir lequel... Qu’en pensez-vous, Lorie ?

Semblant émerger d’un songe, la jeune femme eut un sourire machinal.

— Je le crois aussi. Ce qui me surprend le plus, c’est la présence de Giovanetti ! Que fait-il dans ce nid de serpents ?

— Oh, je ne veux pas la rendre plus blanche qu’elle n’est, soupira Clarisse, mais, faisant appel à son médecin, la Verneuil ne pouvait décemment éviter de l’inviter aussi. Ne fût-ce que pour épargner le montant des soins ! De plus, s’il n’en a plus la fonction, il a toujours rang d’ambassadeur. Enfin, il se peut que vous vous montriez ingrate envers lui, mon enfant, car c’est tout de même lui qui est allé à Bruxelles poser certaines questions ! Qui vous dit qu'au milieu de tous ces gens, il ne cherche pas à en savoir plus ?

— Vous croyez ?

— Pourquoi pas ? reprit Hubert. Nous verrons bien s’il donne de ses nouvelles prochainement.

Mais Giovanetti ne donna pas signe de vie... Et l’humeur de Lorenza s’assombrit. La Verneuil était-elle en train de lui voler celui qu’elle croyait un ami si fidèle ? Hier encore c’était impensable, mais qui pouvait encore être sûr du lendemain dans un pays où, depuis la disparition d’Henri, tout semblait tourner à l’envers et où violence et trahison faisaient partie du quotidien ? Une chose était certaine : la lettre était sortie de Verneuil. C’était donc un de ses habitants qui l’avait rédigée. Mais lequel ?

Un peu de réconfort lui vint quelques jours plus tard quand maître Servoz lui remit son ouvrage. En tout point parfait ! La dague ressemblait à s’y méprendre à celle dont on l’avait dépouillée. Même les petits rubis dessinant l’emblème de Florence étaient en place en dépit de sa demande de les remplacer par de l’émail... En outre, le fourreau brodé d’or était plus riche. Le baron Hubert y avait évidemment mis son nez et elle l’en remercia avec émotion.

— Je me sens désormais prête à affronter l’ennemi d’où qu’il vienne ! dit-elle en glissant l’arme dans une poche de sa jupe.

— Nous ferons ce qu’il faudra pour que vous ne soyez pas obligée d’en venir là ! Et, à ce propos, je voudrais de vous une promesse.

— Laquelle ?

— Que vous ne la retourniez pas contre vous si nous obtenions la certitude que... que nous ne reverrons jamais Thomas.

— Je vous le promets, répondit-elle en le regardant au fond des yeux. J’espère seulement qu’elle me permettra d’abattre l’assassin. Quel qu’il soit ! Après il en sera ce que Dieu voudra !

TROISIÈME PARTIE

L’ÉPREUVE

Chapitre IX.

Face à face

Qui avait bien pu écrire la lettre ?

Depuis que l’on avait détaillé devant elle la liste des invités de Mme de Verneuil, Lorenza se posait la question. Sous quel visage se cachait l’âme d’un assassin ? Celui qui avait abattu Vittorio Strozzi, le marquis de Sarrance et maintenant... Thomas ? Il fallait que ce soit le même puisque la dague au lys rouge signait chacun de ses forfaits. Pourtant, elle savait à présent qu’il ne frappait pas de sa propre main mais manipulait un... ou même plusieurs pantins meurtriers. Comment croire que l’exécuteur de Florence soit le même que celui du vieux Sarrance ? Le dernier à se servir de l’arme, ce Bruno Bertini, avait payé son crime en se faisant trancher la gorge chez la Maupin sa maîtresse que, pour faire bonne mesure, on avait accommodée de la même façon. Or, arrivé en France avec Marie de Médicis, il ne pouvait pas être à Florence pour y assassiner le beau fiancé blond ! Il appartenait à la bande turbulente de Concini. Certes, il aurait pu effectuer l’aller et retour mais comment aurait-il pu deviner que Filippo Giovanetti allait être chargé d’une mission délicate par sa royale compatriote ? Encore que dans le monde trouble des ambassades, avec ses émissaires occultes, ses menées tortueuses et ses messages chiffrés, on ne puisse jurer de rien ! Etait-ce Giovanetti qui avait mené le jeu ? Il ne fallait pas oublier la tentative d’assassinat à la veille du mariage à l’aide de la dague rapportée en France par Lorenza et volée quand elle avait quitté l’ambassade pour le Louvre. Mais Giovanetti était son ami à elle et il était difficile d’imaginer cet homme charmant, élégant et courtois, sous le masque sombre d’un chef de bande. Etait-ce lui qui se dissimulait derrière l’homme quand la dague s’était brisée sur la cotte de mailles du vieux guerrier ? L’idée lui faisait horreur... pourtant, il pouvait parfaitement connaître Bertini. Mais pourquoi tout ce sang alors que, s’il avait agi par amour pour elle, rien ne lui aurait été plus facile que la ramener quand elle l’en suppliait ? Non, ce ne pouvait pas être Giovanetti !

Ou Concini, dont Bertini était proche et qui ne cachait pas à quel point Lorenza lui plaisait ? Sa réputation le disait capable de tout et de n’importe quoi pour assouvir ses convoitises. Le ou les meurtriers de la rue des Poulies pouvaient fort bien être à sa solde comme leur victime, et la dague aux rubis était peut-être chez lui ? Cependant, il est difficile de lui mettre le crime de Florence sur le dos Ce n’était toutefois pas impossible pour lui dont la femme régentait la Reine et ne lui laissait sans doute rien ignorer de ses projets les plus secrets.

Restait Antoine de Sarrance qui l’avait poursuivie d’une haine meurtrière dans laquelle il englobait Thomas, jadis son plus cher ami. Mais l’imaginer assassiner - ou faisant assassiner ! - son propre père était tout de même un peu fort. Certes, il était tombé amoureux d’elle au premier regard échangé mais il s’était hâté ensuite de demander à quitter la France pour éviter d’être témoin du mariage avec le vieil homme qui ferait d’elle sa belle-mère... Il était donc en Angleterre au moment où Lorenza vivait son cauchemar.

En dehors de ces trois-là, elle ne voyait pas qui aurait eu intérêt à s’acharner ainsi sur elle !

Autre mystère : le pseudo-capitaine de Vitry qui avait eu l’audace d’aller aux Pays-Bas enlever deux prisonniers en faisant usage d’une lettre - vraie ou fausse ! - de Marie de Médicis. Celui-là avait déjà à son actif la mort d’Henri de Bois-Tracy... et celle de Thomas dont le scripteur de la lettre ne semblait pas douter un seul instant, quelle que soit l’énergie - celle du désespoir peut-être ? - que la jeune femme mettait à en repousser l’idée. Et pourtant... A mesure que passait le temps l’incertitude la rongeait.

Elle savait que son beau-père avait offert une récompense alléchante et dépensait sans compter pour obtenir des renseignements. En dépit de cela, ne s’étaient présentés que des fabulateurs qui se croyaient malins mais que l’esprit incisif d’Hubert avait tôt fait de mettre en déroute. Une chose était certaine : le soi-disant Vitry, sa troupe et ses prisonniers s’étaient volatilisés du côté de Condé-sur-l’Escaut. Le corps sans vie de Bois-Tracy était la seule trace tangible de leur passage. Le châtelain et les soldats défendant la petite cité juraient leurs grands dieux qu'ils n’avaient rien remarqué : ni troupe ni bruit ni écho quelconque ! Rien que ce pauvre jeune homme retrouvé dans les roseaux du fleuve !

Par deux fois, avec l’approbation d’Hubert, Lorenza avait reçu la visite d’un Concini visiblement ravi de ce qu’il s'imaginait être le début d’une belle amitié... ou peut-être mieux ? Dans ces cas-là, Hubert filait au fond de son orangerie sachant que Clarisse, elle, montait une garde vigilante de duègne espagnole qu’agrémentait cependant un sourire de commande. Le mirliflore faisait à la « jeune veuve » - pour lui seul elle s’habillait de noir ! - une cour discrète, apportait des présents de fleurs ou de confiseries - celles-ci pour la plus grande joie des enfants du village ! - et affirmait qu’il était entièrement à son service : il avait promis de tout faire pour que le corps de Thomas pût reposer auprès des siens et qu’on retrouve le faux Vitry. Mais les résultats de ses efforts étaient maigres, presque inexistants, bien qu’il parût débordant de bonne volonté et que son pouvoir allât sans cesse grandissant.

Et là, il ne s’agissait pas de vantardises à la légère. Les lettres de la princesse de Conti avec laquelle Lorenza entretenait une correspondance assidue renseignaient les Courcy sur ce point... Concini passait pour être l’amant de la Régente, et il se comportait de telle façon que la rumeur ne pouvait qu’être accréditée. Ne l’avait-on pas vu sortir de la chambre de Sa Majesté - où il entrait toujours sans frapper ! - dans une tenue négligée et en reboutonnant son pourpoint ? En outre, il possédait maintenant une maison au bord de l’eau qu’une passerelle reliait aux jardins royaux et que l’on appelait le « pont des amours ».

Les gens de Cour en étaient si bien convaincus qu’un jour, ayant entendu Marie de Médicis demander un voile, le comte du Lude osa lancer :

— A navire à l’ancre, point besoin de voile !

La Reine fit comme si elle n’avait pas entendu mais l’intéressé, lui, sourit d’un air fat en retroussant sa moustache. Quant à sa femme, cependant si jalouse, elle ne réagissait pas.

« Il faut dire, raconta Louise de Conti à Lorenza, qu’elle a bien autre chose à faire. Elle tient boutique de tout : argent, prébendes, honneurs, terres et riches demeures, sans oublier de prélever sa part au passage. Son appartement doit déborder d’or et de trésors de toutes sortes. En fait, rien n’est changé : c’est elle et elle seule qui gouverne la Régente et les pouvoirs dont on ne cesse d’investir son époux, c’est elle qui les possède. Quel dommage que vous soyez si belle ! Oh non, je ne ris pas et Bassompierre pense comme moi, mais vous auriez pu vous entendre avec elle. N’êtes-vous pas compatriotes ?... »

— Je lui dois au moins d’avoir été débarrassée de ma tante Honoria, commenta Lorenza pour Clarisse et la duchesse, même si cela n’a pas été pour mon bien. Galigaï la protégeait parce qu’elle était vieille et laide et qu’elle me haïssait...

— Et vous n’avez jamais essayé de savoir ce qu’elle était devenue ?

— Si, lorsque j’ai été nommée dame de la Reine, mais je n’ai rien pu apprendre sinon qu'elle a dû repartir pour Florence afin de récupérer ce qu'elle pouvait de mes biens là-bas... Cela ne prédispose guère à tenter le moindre des rapprochements avec la Galigaï. Outre que je me voie difficilement la cajoler. Elle m’inspirerait plutôt de la répulsion...

— Cela vous amuse beaucoup de recevoir son époux ? demanda Mme d’Angoulême.

— Dieu ! Non !... Et vous le savez bien ! Pourquoi poser la question ?

— Pour savoir jusqu'à quel point vous êtes capable d’avaler des couleuvres afin de parvenir à votre but. Vous êtes trop séduisante pour que la Galigaï souhaite vous voir. D’ailleurs on dit qu’elle est souvent malade ces temps-ci...

La cause était entendue. Provisoirement tout au moins, car, en dépit d’elle-même, Lorenza gardait dans un coin de sa mémoire l’idée d’une entrevue avec la précieuse amie de la Médicis... Une nouvelle lettre de la princesse, qui parlait cependant de tout autre chose, la ramena à la surface.

« Voilà bien d’une autre ! écrivait la princesse. Je me retrouve au centre d’une espèce de querelle de famille ridicule qui menace d’enflammer tout Paris si ce n’est la France ! Figurez-vous que, dans je ne sais plus quelle rue encombrée- elles sont d’ailleurs toujours encombrées ! -, le cocher de mon époux s’est pris de querelle avec un autre qui s’est trouvé être celui du comte de Soissons, son propre frère. Lequel était dans la voiture et s’amusait de la scène. Ce qui a fort déplu à Conti qui n’a pas beaucoup de cervelle et qui, en outre, est à moitié sourd. Il a voulu traîner Soissons sur le pré. Celui-ci, qui trouve l’affaire plutôt drôle, la raconte à la Régente et la prie de s’entremettre en envoyant mon frère Guise en ambassade auprès de mon furieux pour le calmer, mais au lieu de venir chez nous tout seul ou avec un ou deux amis, voilà qu’il se laisse entraîner par ses gentilshommes qui tiennent à l’escorter en le proclamant en danger. Et les voilà partis... à soixante ! Cela fait un bruit du diable, surtout lorsqu’ils passent près de l’hôtel de Soissons et cette fois Soissons prend feu, fait prévenir Condé. Intelligent comme il est, cet imbécile qui ne rêve que plaies et bosses voit là une magnifique occasion de faire du vacarme, rassemble quelque deux cents partisans, va chercher Soissons qu’il emmène au Louvre afin d’obtenir de la Régente qu’elle en finisse avec “ces affreux Guise" qui ne cessent de fomenter des révoltes, comme au beau temps de la Ligue, afin de s’assurer le pouvoir. Une heure plus tard, la Cour était coupée en deux : les Guise rejoints aussitôt par Vendôme, Nevers, Epernon, Bellegarde, Rohan avec, en face, Condé, Soissons... et Concini, ce qui dit bien de quel côté penche le cœur de Madame ! Pour un incident mineur, nous voilà à la veille d’une insurrection parisienne ! Et comme je vous envie le calme de votre belle demeure, je crois que je vais suivre ma mère - la duchesse de Guise - qui aspire à la paix de son château d’Eu ! Comme Mme de Montpensier, dont la fille doit épouser mon frère Guise, va rejoindre Saint-Fargeau, notre aimable souveraine va perdre d’un coup toutes ses amies et se retrouver en la seule compagnie de sa Galigaï ! La pauvre Guercheville ne va pas avoir la vie belle ! Elle déteste Condé, comme tout le monde d’ailleurs, sans oublier la Galigaï... et je me demande si vous ne devriez pas profiter du grand vide que nous allons laisser pour tenter une entrevue avec la dame en question ?... D’autant qu’on la dit aux prises avec ses crises, que la Régente déteste la maladie et ne doit pas trop l’approcher ces temps-ci. Il se peut même qu’elle aille passer quelques jours dans son château de Monceaux ! Ah ! J’allais oublier ! Galigaï aurait fait appel à ce médecin de votre ami Giovanetti qui opérerait des miracles... Croyez-moi tout à fait votre amie !... »