— Quoi encore ?
— Si, au lieu de progresser vers la guérison, le cas s’aggravait et si...
— Il suffit ! Il y a des mots que je ne veux pas entendre! Dans ce cas, Gratien sautera en selle et viendra nous chercher ! Et puis Senlis n’est pas si loin que notre Gratien ne puisse venir nous tenir au courant, décida-t-il.
Descendant de ses grands chevaux, il vint prendre la jeune révoltée dans ses bras.
— Mettez-vous à sa place, Lorie ! Rien qu’un instant. Quand il s’est regardé dans un miroir, il s’est presque fait peur! Ne l’obligez pas à subir, dans cet état, votre regard ! Dès avant votre mariage il ne se jugeait pas assez séduisant pour vous !
Cette fois les larmes montèrent aux yeux de la jeune femme et elle nicha sa tête dans le creux de l’épaule du vieil homme.
— Je crois que j’ai compris ! Pardonnez-moi ! Je vous obéirai...
Elle l’avait dit du fond du cœur. Seulement, ce ne serait pas facile. Savoir Thomas si proche et ne pouvoir courir vers lui, l’envelopper de sa tendresse, le soigner, lui réapprendre à l’aimer. Ce pourrait être si doux mais elle avait promis et ne pouvait que tourner en rond en attendant les nouvelles. Qui, dans les premiers temps, ne furent guère rassurantes. Le mal semblait plus profond que la solide constitution de Thomas ne le laissait supposer. Une issue fatale cependant ne semblait pas à craindre.
Des nouvelles, on en avait tous les trois jours environ même si le baron brûlait d’y galoper tous les matins, mais le fait que Thomas soit resté si longtemps à l’abri des recherches disait assez que si on remettait la main dessus, c’en serait fait de lui à jamais. Il fallait donc que son séjour chez le docteur Chancelier demeure ignoré, et s’en remettre au seul Gratien pour être renseignés. On ne fait pas attention à un valet et celui-là, en outre, savait, le cas échéant, modifier son apparence.
Ce ne fut pas évident de le faire admettre aux deux femmes, surtout à Lorenza. Quand Gratien apparaissait, il subissait un tel feu roulant de questions que le baron, agacé, finissait par s’enfermer avec lui dans un coin tranquille, en l’occurrence sa librairie, pour que le messager puisse se restaurer et prendre un peu de repos avant de repartir. Mais, finalement, le providentiel Gratien eut la gloire d’apporter la bonne nouvelle sous forme de lettre : le docteur Chancelier, ayant enfin trouvé la racine du mal, appliquait à présent un traitement qui donnait d’excellents résultats. On en pleura de joie !
— Je vais pouvoir y aller ! s’écria Lorenza, illuminée d’espérance.
— Pas question qu’aucun de nous aille à Senlis ! Faut-il répéter continuellement qu’on le mettrait en danger ? Mais comme la Cour va partir pour la frontière espagnole, nous aurons les coudées plus franches...
C’était la première fois, depuis que l’on avait retrouvé Thomas, que le baron faisait allusion à ce monde extérieur dont il ne cessait de se méfier puisque, jusqu’à présent, on ignorait toujours l’identité du pseudo-Vitry évaporé dans l’atmosphère après le meurtre d’Henri de Bois-Tracy et celui - raté de justesse évidemment mais on pouvait l’appeler ainsi - de Thomas. Il avait d’ailleurs prié Lorenza d’éviter d’y faire la moindre allusion lorsqu’elle répondait aux lettres de son amie Conti.
— Non que je me défie d’elle, ma chère enfant, mais une lettre peut se subtiliser. Mieux vaut que l’assassin continue à croire qu’il a réussi son coup.
— Soyez tranquille ! J’en ai conscience en dépit de l’amitié que je porte à Louise. Nos plumes nous servent à bavarder à bâtons rompus ! Les siennes étant, il est vrai, plus intéressantes que les miennes !
C’était peu de le dire ! En fait, sans la princesse, les gens de Courcy n’auraient plus su grand-chose de ce qui se passait à Paris... Même, on n’apprenait plus rien de Chantilly : le Connétable, sa goutte, ses fureurs, sa prune et la moitié de sa maison étaient partis pour son gouvernement du Languedoc. Par ordre plus que de son propre chef ! Malgré son âge, la duchesse Diane l’y avait accompagné.
On avait aussi su, quelques mois plus tôt, que, harcelée par la guerre plus ou moins larvée que se livraient les princes, la Régente s’était laissé arracher une session des états généraux afin d’essayer de mettre un peu d’ordre dans l’énorme pagaille créée, non seulement par lesdits princes - et surtout par Condé ! - dans le but de ramener le régime féodal, mais aussi par le peuple écrasé d’impôts, par le clergé menacé de voir rogner ses riches prébendes, par les généraux, officiers et autres militaires ulcérés par l’élévation de Concini au rang de maréchal de France pour lequel il n’avait pas le moindre titre ni la moindre qualité. C’était déshonorer cette charge prestigieuse !
A coups de millions - les derniers de la Bastille ! -, on avait extrait une sorte de cote mal taillée, jugée insuffisante par l’insupportable
Condé mais qui permettait au moins le mariage du Roi sans amener l’infante dans un pays en pleine révolution.
Une des lettres de la princesse faillit déclencher un orage. Elle y relatait le « miracle » dont la reine Margot avait été l'heureuse bénéficiaire. Ayant pris froid à un bal chez la Régente, l’ancienne souveraine était tombée malade au point qu’on la crut à la dernière extrémité. Son amant d’alors, le chanteur Villars, qu’elle couvrait de bienfaits, prit une décision héroïque : aller demander sa guérison à Notre-Dame de la Victoire, près de Senlis... et y aller à pied !
« Connaissant les habitudes sybarites du garçon, cela fit beaucoup rire. On proposa même de prendre des paris ! Mais on rit beaucoup moins quand on sut que, non seulement Villars avait accompli son pèlerinage jusqu’au bout, mais qu’en outre la chère malade en personne l’attendait devant le sanctuaire, dans sa litière escortée de deux ou trois carrosses emplis de ses femmes. Le retour fut triomphal comme bien vous l’imaginez ! La Galigaï songerait à s’y faire porter mais Sa Majesté s’y est opposée en lui faisant remarquer que, faute d’amant, c’est son Concino qui devrait prendre son bâton de pèlerin. Celui-ci s’est contenté de hausser les épaules : sa grandeur ne saurait se livrer à ce genre de mômeries. En fait, comme chaque jour qui passe voit augmenter le nombre de ses ennemis, on aurait plutôt tendance à lui donner raison : à moins d’y aller avec une armée, il n’arriverait certainement pas vivant ! »
A peine eut-elle achevé la lettre que Lorenza prenait feu.
— Pourquoi ne m’a-t-on pas encore dit qu’il s’y tenait là-bas un lieu de pèlerinage miraculeux ? C’est bien à Senlis que Thomas est soigné ?
— Difficile de prétendre le contraire ! Émit le baron. Seulement c’est certainement la première fois que j’entends parler de miracle !
— Ce Villars ne s’y est tout de même pas rendu au hasard ?
— Autrefois... mais il y a longtemps, il se serait produit un événement analogue, se rappela Clarisse. En fait, comme son nom l’indique, on va prier Notre-Dame de la Victoire pour obtenir un succès. En outre, c’est le sanctuaire marial le plus proche de Paris.
— Il y en a un autre plus loin ?
— Notre-Dame-de-Liesse près du château de Marchais qui appartient au duc de Guise dont Mme de Conti est la sœur, comme vous le savez... Ce sanctuaire-là est célèbre. Le feu Roi et la Médicis s’y sont rendus...
— Alors pourquoi ne m’y avez-vous jamais emmenée ?
— Toujours la même raison. Moins vous sortirez d’ici et mieux cela vaudra jusqu’à ce que Thomas nous soit rendu... où jusqu’à ce que nous sachions enfin qui se dissimule derrière Vitry !
— J’ai l’impression que nous ne le saurons jamais, fit-elle amèrement. Si la Galigaï est à ce point souffrante, je dois être le cadet de ses soucis.
Clarisse se garda sagement de dire qu'elle n’avait pas cru une minute à une aide quelconque de cette femme. Quant à Villars, ou il avait eu une chance inouïe, ou la reine Margot n’était pas si gravement atteinte !
— Voilà que vous mettez en doute la puissance de la Vierge Marie ? Ironisa Hubert. Vous n’allez pas tourner parpaillote au moins ?
— Cessez de proférer des âneries ! Ce que nous pouvons faire, tous les trois - vous aussi mon frère... et ne me regardez pas de cet œil torve ! -, c’est nous engager, entre les mains de notre père Fremyet, à prendre la route de Liesse pour rendre grâces quand Thomas sera revenu au foyer, avec ou sans mémoire ! J’avoue que je ne vivrai pas tant qu’il ne sera pas en sécurité sous nos solides murailles...
— Parce que vous croyez que je vis, moi ? Bien sûr que je le préférerais dans nos murs où nous pouvons aisément soutenir un siège, mais je vous rappelle que si je ne m’étais aperçu à temps de son état et si le Ciel n’avait mis sur mon chemin ce docteur Chancelier à qui je dois d’avoir gardé mes deux jambes, je ne l’aurais pas ramené vivant. Si vous voulez tout savoir, chaque fois que je vais me coucher j’enrage de ne pouvoir aller le récupérer ! Et plus encore de ne pouvoir agir en pleine lumière ! En d’autres temps, je fusse allé droit chez le Roi lui montrer ce qu’on a fait de mon fils !... D’ailleurs, avec notre Henri, il y a beau temps que l’affaire serait tirée au clair, en admettant qu'elle ait eu lieu parce que les archiducs auraient eu d’autres chats à fouetter qu’emprisonner des gentilshommes ! Mais bien qu’il ait atteint sa majorité et qu’il soit sur le point de se marier, notre jeune souverain ne se décide pas à grandir ! Il continue à jouer, à fabriquer des petits gâteaux et surtout à dresser des oiseaux de chasse en compagnie de son ami Luynes !
— Ne le lui reprochez pas ! dit Clarisse. Mal aimé ou pas aimé du tout d’une mère qui ne songe qu’à elle-même et à son cher Concini, le pauvre petit connaît au moins les joies d’une amitié quasi fraternelle...
— Avec un gentillâtre provençal alors qu'il est roi de France ?
— Pourquoi tant de dédain ? Ce garçon est beaucoup plus âgé que lui mais il lui adoucit la vie ! On verra ce qu’il en sera quand, après le mariage, ils reviendront de Bordeaux. Ce qui n’enlève rien aux regrets immenses laissés par le roi Henri.
— Mme de Verneuil elle-même les éprouverait, dit Lorenza. Enfin désabusée, elle aurait confié au prince de Joinville, d’après Mme de Conti : « Ah, si le petit homme était encore là, comme il prendrait le fouet pour chasser les galants et les marchands du temple ! »
— Il est bien temps de se lamenter après avoir tout fait pour le conduire au trépas ! Elle pleurerait des larmes de sang, celle-là, et ce ne serait pas encore suffisant ! Bougonna le baron. Et, à moins qu’il ne nous tombe quelque génie du Ciel, nous avons devant nous de longues années à être la risée de l’Europe - nous qu’Henri avait fait si grands ! - sous la férule d’un mirliflore gorgé d’or et d’une grosse dindonne vieillissante qui l’idolâtre, tous deux protégés par le manteau royal d’un gamin qui n’arrivera jamais à maturité ! Conclusion: la France est foutue !... Qu’est-ce qu’il y a, Chauvin, ajouta-t-il pour son majordome qui venait d’entrer discrètement. Avons-nous un message ? Il me semble avoir entendu le galop d’un cheval...
— Un message, non, Monsieur le baron. Une visite oui: Monseigneur l’évêque de Luçon demande si vous pouvez le recevoir.
— Oh oui ! s’écria Lorenza sans attendre l’agrément d’Hubert, ce dont elle s’excusa aussitôt mais elle était ravie de revoir le jeune prélat qui lui avait été si secourable au moment du procès d’Escoman.
Mais le baron ne s’en offusqua pas. Il se mit à rire.
— Vous avez entendu, Chauvin ? Introduisez !
Celui qui entra d’un pas rapide n’avait d épiscopal que la couleur des vêtements, justaucorps et chausses de drap violet disparaissant dans de hautes bottes de cavalier, ainsi que la plume du feutre gris comme les bottes et les gants à crispin. Sous le chapeau qu’il avait ôté pour le salut d’usage, il portait une calotte violette protégeant la tonsure.
— Que c’est aimable à vous, Monseigneur, d’avoir fait tout ce chemin pour nous voir ! dit Lorenza en s’agenouillant à demi pour baiser l’anneau d’améthyste, immédiatement suivie par Clarisse qui pensait que c’était fort dommage de faire d’Eglise un aussi séduisant cavalier.
— Pardonnez-moi, baron, et vous aussi Mesdames, d’arriver à l’improviste, mais je devais me rendre à l’abbaye de Royaumont et j’ai pensé pousser jusqu’ici. Je désirais vous parler et vous trouver tous trois ensembles m’enchante.
— L’accueil de ces dames vous montre à quel point ce plaisir est partagé ! Et nous sommes toujours d’accord, fit Hubert, courtoisement. Enfin... presque toujours, rectifia-t-il avec son sourire de faune. Holà, Chauvin !
"Le Couteau De Ravaillac" отзывы
Отзывы читателей о книге "Le Couteau De Ravaillac". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Le Couteau De Ravaillac" друзьям в соцсетях.