— Ce n’est pas grave ! Va me chercher un tampon de linge, toi ! ordonna-t-il au valet réapparu quand il avait entendu du grabuge. Et puis va-t’en.
Les charmes d’une noble dame ne sont pas pour les yeux d’un larbin !
Cependant, il ouvrait son pourpoint laissant apparaître une blessure en dessous de l’épaule. Il y appuya le linge apporté par le domestique et reboutonna le vêtement qui le maintint en place. Après quoi, il s’agenouilla près de Lorenza qu’il commença par dépouiller de ses bijoux pour lesquels il eut un sifflement admiratif avant dans les glisser dans sa poche.
— Voleur en plus ! Jeta Thomas, dégoûté. Tu es vraiment parfait. Tue-moi et finissons-en !
— Te tuer ? Tu es malade. Cela viendra peut-être... après le spectacle, et ce poignard m’a même donné une idée, ajouta-t-il en ramassant la dague. C’est elle qui aura ce plaisir! Pour te délivrer quand elle t’entendra hurler sous la torture. Cela me permettra de la renvoyer en place de Grève quand je me serai bien repu d’elle ! Mais d’abord, réveillons la belle endormie !
Se penchant à nouveau sur Lorenza, il la gifla à deux reprises à toute volée et, en effet, elle revint à elle sous le regard angoissé de son époux. Puis il la jeta dans un fauteuil et lui fit avaler un verre d’eau-de-vie qui la brûla mais acheva de la ramener à la réalité. Tout de suite son regard chercha Thomas. Avait-elle rêvé tout à l’heure quand elle avait brandi la dague ? L’angoisse qu’elle lut dans ses yeux lui fit comprendre qu’elle ne s’était pas trompée : il l’avait reconnue!
— Eh oui, confirma Sarrance, goguenard. Notre ami Thomas a recouvré la mémoire. En vous voyant sans doute ? Vous opérez des miracles. Ce dont je me réjouis parce qu’il va pouvoir apprécier toute la saveur de notre nuit d’amour !
— Vous êtes un suppôt du diable ! Jeta Lorenza écœurée.
— Vous croyez ? C’est possible mais, après tout, pourquoi pas ? Avec vous, j’espère encore reculer mes limites! Revenons à présent où nous en étions : déshabillez-vous... mais pas trop vite que j’aie le temps d’apprécier ! fit-il en jouant avec la dague qu’il venait de ramasser. Allons ! Que l’on obéisse sinon ce cher Thomas va souffrir, continua-t-il en se rapprochant de la chaise de fer. Il tendait la main vers la vis commandant les pointes. Désespérée, les larmes aux yeux, Lorenza commençait à faire glisser les épaules de son décolleté quand un véritable vacarme éclata dans la maison fait de cris et du fracas des armes.
— Allons bon ! Qu’est-ce encore que cela ! Maugréa Sarrance en s’élançant hors de la chambre, où il revint beaucoup moins rapidement et à reculons, la pointe d’une épée appuyée sur sa poitrine...
A l’autre bout de l’arme, se trouvait un gentilhomme pas très grand mais vigoureux, au faciès brutal barré d’une moustache noire.
— Lâchez cette dague ou je vous embroche ! Un peu plus tôt, un peu plus tard, et pas d’illusion, vous ne m’échapperez pas !
— Vous iriez jusqu’à m’assassiner ?
— Sans hésiter ! Ne fût-ce que pour vous apprendre à vous cacher sous un nom honorable pour commettre vos crimes ! Comment ça va, Courcy ?
— Aussi bien que possible dans cet attirail, capitaine de Vitry ! Et très heureux de vous voir ! Par quel miracle êtes-vous ici ?
— On vous dira ça plus tard ! D’abord en finir avec ce truand ! Mais pas devant une dame ! Mes hommages, Madame! (Puis élevant la voix :) Si vous voulez bien venir, Monseigneur, je crois que les secours de l'Eglise ne vont pas tarder à être les bienvenus.
Elégant à son habitude dans son habit mi-cavalier mi-ecclésiastique, l’évêque de Luçon effectua une entrée aussi paisible que s’il s’agissait d’un salon, eut un « oh ! » offusqué en apercevant Lorenza et vint lui prendre la main pour la faire asseoir.
— Que vous êtes pâle ! Comment vous sentez-vous ?
— Pas trop mal depuis un instant mais j’irais mieux encore si vous aviez la bonté de délivrer mon époux !
Elle désignait Thomas qu’il n’avait pas vu mais vers lequel il s’empressa.
— Dieu tout-puissant ! Pardonnez-moi, baron ! Je ne me souciais que de secourir Madame de Courcy !
Avec une joie immense, Lorenza entendit le rire de Thomas.
— Oh, je ne vous en veux pas ! Cela me paraît même tellement naturel !
Cependant, tandis que le jeune prélat le libérait avec d’infinies précautions, Thomas observait avec inquiétude les hommes de Vitry en train de ligoter Sarrance à demi fou de rage.
— Vous avez l’intention de le mener à la Bastille ? demanda-t-il. Je préférerais que vous me laissiez me battre avec lui. Un procès ne pourrait que raviver les blessures de ma femme ! Laissez-moi l’affronter l'épée à la main !
— La Bastille ? Un procès ? Pour quoi faire ? Pour que Concini, son protecteur, achète les juges ou ordonne bonnement qu’on le délivre ? Le Roi et plus encore la Régente sont loin ! Le ruffian italien règne !
La voix - singulièrement suave tout à coup - de M. du Plessis de Richelieu, se fit alors entendre.
— Rien à craindre de ce côté ! Il ne lèvera pas le petit doigt pour lui !...
— Vous mentez ! hurla Sarrance. Il est mon ami !
— Détrompez-vous ! Il pense que les dents vous poussent trop vite et il est las de vous entendre réclamer sans cesse pensions, prébendes et Dieu sait quoi ! En outre, vous êtes trop bruyant... dans l’entourage d’un homme qui ne s’intéresse plus guère qu'au royaume !
— Il m’a fait cadeau de cette maison... pour mes plaisirs !
— Disons que c’était un cadeau d’adieu ! fit l’évêque, un mince sourire aux lèvres. Et sans aller jusqu’à dire qu’il vous a livré...
— Ah non ? Qui alors ?
— Son épouse qui, elle aussi, vous trouve encombrant...
Se tournant vers Lorenza déjà réfugiée dans les bras de son mari, l’évêque reprit :
— Vous lui aviez demandé, Madame, d’essayer d’apprendre qui avait usurpé le nom de M. de Vitry à Bruxelles et dans la vilaine affaire de Condé-sur-l’Escaut ?
— C’est exact !
— Trop malade pour vous recevoir, c’est à moi qu’elle a confié la réponse qui tenait en un seul mot : Sarrance ! Et je me suis mis en campagne pour en savoir davantage. Sans oublier de la questionner et c’est d’elle que j’ai appris l’existence de cette retraite. Quand j’ai su ce qui venait de se passer à Senlis, je suis allé voir M. de Vitry à la porte duquel le marquis m’a fort obligeamment déposé. Et nous voici !
La suite se perdit dans les imprécations du prisonnier vouant pêle-mêle aux feux de l’Enfer les Concini, Monseigneur de Luçon, les Courcy, Vitry et « toutes les maudites créatures de Florence ». Agacé, Vitry ordonna de le bâillonner.
— Quoi qu’il en soit, intervint Thomas, je réitère ma demande de l’affronter aux armes.
Le capitaine lui rit au nez.
— Pour lui offrir une chance de poursuivre ses crimes ? Vous êtes à peine remis et lui crève de santé ! N’importe comment, si quelqu’un devait tirer l’épée contre lui, cela me reviendrait de droit pour avoir eu l’outrecuidance de traîner mon nom dans une boue sanglante ! Allez, vous autres, emportez-le s’il refuse de sortir sur ses pieds !
— Qu’allez-vous en faire ? interrogea l’évêque.
— L’accrocher au premier arbre venu ! Ses complices ont déjà été envoyés ad patres !
— La corde ? Plaida Thomas. Il est tout de même gentilhomme...
— Et vous, vous êtes incurable, hein ? Plaisanta Vitry en le regardant sous le nez. Bon, on va l’arranger autrement. Mais c’est bien pour vous faire plaisir ! Vous voulez le confesser, Monseigneur ?
— On peut toujours essayer ! concéda ce dernier sans grand enthousiasme.
Lorenza n’entendit même pas le coup de pistolet qui fracassa le crâne de son ennemi. Serrés l’un contre l’autre, elle et Thomas échangeaient ce baiser dont ils avaient tant rêvé !
A ce moment même, assis au milieu des plâtras de son hôtel, le baron Hubert attendait toujours le retour de Concini. Et commençait à trouver le temps long !
Epilogue
Dix-huit mois plus tard, le lundi 24 avril 1617, le pistolet de Vitry délivrait la France de Concini.
La situation était devenue intenable. Grisé par sa fantastique réussite et le pouvoir absolu qu’il s’était arrogé, l’ancien croupier menait train royal, ne sortait qu’entouré de deux cents gentilshommes, tranchait, taillait, délaissant sa femme qu’il se préparait à répudier, dédaignant même la Reine mère à laquelle il n’accordait plus que le don quotidien d’un bouquet de fleurs, traitant le jeune Roi lui-même avec une insolence telle qu’il ne se donnait plus la peine de feindre le moindre respect. Ce n’était toujours pour lui qu’un gamin sans consistance dont il songeait à se débarrasser un jour. Il le faisait d’ailleurs tenir sous une surveillance encore discrète.
Autour de Louis, il n’y avait qu’une poignée d’hommes, fidèles parfois par intérêt mais résolus à tout. Peut-être parce qu’ils ne risquaient rien d’autre que leur vie. Parmi eux, Vitry, capitaine d’une compagnie des gardes.
Tous chasseurs impénitents à l’instar du Roi, leur plan relevait de la cynégétique : il fallait isoler « la bête » de cette foule sans laquelle il ne se déplaçait jamais et pour cela utiliser le pont dormant donnant accès au Louvre entre les portes de Bourbon et de Philippe Auguste.
Ce matin-là, Vitry s’y poste, une dizaine de conjurés bavardant ou baguenaudant dans son voisinage. Arrive Concini avec sa cohorte habituelle. Un bouquet à la main, il lit une lettre que l’on vient de lui remettre et ne s’aperçoit pas de la soudaine fermeture de la porte d’Autriche derrière lui ni de la présence réduite de ses partisans. L’autre porte est à son tour close. Vitry s’avança.
— Au nom du Roi, je vous arrête ! Tonna-t-il.
L’interpellé le regarda, éberlué.
— A me20 ?
— Oui, vous !
Concini a alors reculé, cherché son épée mais, plus rapide que lui, Vitry a tiré. Atteint par quatre autres coups de feu, Concini s’écroule dans la boue21- il pleut depuis l’aube ! - et c’est la curée. Ceux de sa suite qui étaient entrés n’ont fait qu’esquisser une défense découragée aussitôt par Vitry.
— Ordre du Roi ! clame-t-il et tout se calme.
Mais les portes sont rouvertes et c’est, au-dehors, une énorme explosion de joie populaire. La nouvelle a filé comme une traînée de poudre et Paris, qui exécrait le Florentin, éclate de bonheur, attirant les chambrières aux fenêtres de Marie de Médicis. L’une d’elles crie à Vitry debout dans la cour :
— Que se passe-t-il ?
— Concini a été tué.
— Mon Dieu ! Mais par qui ?
— Par moi ! Va le dire à ta maîtresse !
Celle-ci, affolée, pique une véritable crise de nerfs mais quand on lui demande si elle veut prévenir elle-même « son amie si chère », elle répond :
— J’ai bien d’autres choses à penser ! Si elle n’entend pas la nouvelle, chantez-la-lui ! (Puis se ravisant, elle ajoute, cruelle .) Dites-lui : E ammazatto.
Le soir même, la Galigaï, arrachée à son appartement bourré de richesses, couchait à la Bastille en attendant la Conciergerie et le procès en sorcellerie qui allait la mener au bûcher avec la seule consolation qu’on lui trancherait la tête avant le feu. Ses cendres rejoindront dans la Seine les restes de son époux, hâtivement enterré d’abord puis déterré et mis en pièces par le peuple.
Après une brève explosion de joie, Louis XIII prit le pouvoir avec un calme, une autorité qui en stupéfièrent plus d’un. On avait tellement l’habitude de le prendre pour un demeuré ! Il s’en expliqua en peu de mots :
— J’ai fait l’enfant sinon je serais peut-être mort !
Il rappela les anciens conseillers de son père, exila sa mère à Blois. Son amour pour elle, si mal payé de retour, s'était changé en fiel ! Elle déménagea avec tout son monde y compris l'imperturbable marquise de Guercheville, ses coffres, ses joyaux, ses serviteurs. Dans le dernier carrosse, il y avait
Monseigneur de Luçon qui s’en allait rejoindre son « évêché crotté ».
Louis XIII le détestait. L’appui de Marie de Médicis et celui de Concini lui avaient valu d’entrer au Conseil et de devenir secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et il avait amené avec lui deux ou trois inconnus qui n’étaient pas sans valeur. Lui-même avait évité au royaume de trop grosses catastrophes mais le jeune souverain ne voyait en lui que le satellite de Concini et le confident de sa mère !
Pourtant, le baron Hubert, Thomas et Lorenza étaient venus à ses genoux plaider la cause d’un homme qu’ils connaissaient bien à présent et qui comptait parmi leurs meilleurs amis... C’était lui qui, six mois plus tôt, avait baptisé dans la chapelle de Courcy un magnifique bébé, le petit Hubert-Armand, que Lorenza avait eu la joie de déposer dans les bras de son époux.
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