— Viens !... Oh, viens !
— Il ne faut pas aller trop vite, avait-il murmuré contre sa bouche. Tu es si jeune... si neuve ! Je vais te faire mal...
— Tant mieux !... Je veux... être à toi !
Dût-elle vivre cent ans, elle n’oublierait jamais l’instant où, d’un coup de reins, il était entré en elle. La brûlure du déchirement s’était perdue dans cette joie inattendue qu’elle avait éprouvée quand elle sentit qu’elle ne faisait plus qu’une seule chair avec lui. Trois fois encore, il l’avait possédée jusqu’à ce que le sommeil les emporte au même instant, si étroitement enlacés l’un à l’autre qu’au réveil ils avaient recommencé à s’aimer. Mais ensuite, la laissant se rendormir, Thomas était allé s’arroser copieusement d’eau froide afin de se retrouver prêt à rejoindre Bellegarde.
Elle eut soudain un peu honte d’évoquer, au pied d’un autel, les heures brûlantes de cette nuit d’amour, mais quand le prêtre qui les avait unis s’approcha d’elle pour lui demander si elle voulait se confesser, elle se conduisit d’une façon fort répréhensible en éclatant de rire.
— Me confesser ? De quoi, Seigneur ? De nous être aimés éperdument, Thomas et moi ? Ne nous y avez-vous pas incités en bénissant notre mariage ?
— Je vous ai invités à procréer sous le regard de Dieu. Au-delà de cette perspective, ma fille, il ne faut pas tomber dans la luxure... qui est un grave péché !
Elle le considéra de ses grands yeux noirs devenus immenses.
— J’aimerais savoir où commence le péché.
Il fronça les sourcils et sa bouche se resserra jusqu’à ne plus former qu’une mince ligne méprisante.
— J’ai manqué à mon devoir, hier, en ne vous conseillant pas les nuits de Tobie par lesquelles devrait commencer toute union chrétienne...
— Les nuits de Tobie ? Qu’est-ce ?
— Un couple soucieux de plaire au Seigneur se doit de consacrer à la prière les trois premières nuits de leur union ! A la prière seule ! précisa-t-il en levant vers la voûte un doigt autoritaire. Ensuite seulement on peut laisser parler la chair... mais jusqu'à un certain point !
— Lequel ? murmura Lorenza, de plus en plus abasourdie.
— Lorsque la femme a reçu la semence, elle et son époux doivent se séparer pour prendre du repos mais non sans avoir au préalable prié Dieu de bénir cette étreinte afin qu’elle porte son fruit !
— Mais on ne peut pas le savoir tout de suite !
— Aussi peut-on réitérer le lendemain et les nuits suivantes jusqu'à ce que l’enfant s’annonce. Mais une fois seulement. Vous devriez vraiment vous confesser, ma fille ! Combien... de fois ?
Révoltée par ce regard devenu trouble, cette bouche que la langue humectait sans cesse, la jeune femme riposta :
— En vous confiant que nous nous étions aimés follement, je crois avoir tout dit. De toute façon, il faudra vous en contenter, ajouta-t-elle, désinvolte, en se dirigeant vers la sortie après une brève génuflexion et un signe de croix.
Elle tremblait de colère. Qui était ce prétendu homme de Dieu qu’elle jugeait répugnant ? Et par quelle incroyable alchimie avait-il réussi à se faire confier les consciences d’une si importante châtellenie que Courcy ? Elle n’imaginait pas un instant
Clarisse en train d’ouvrir son âme à un religieux de cette espèce. Quant au baron Hubert, la seule évocation était à mourir de rire...
Mme de Royancourt n’étant pas encore rentrée, ce fut auprès de ce dernier qu'elle alla s’épancher. Il s’occupait à vaporiser du liquide sur les feuilles brillantes de ses orangers.
— Ne m’en veuillez pas, s'il vous plaît, mais je ne parviens pas à comprendre comment ce prêtre est devenu votre chapelain ! Il est si différent du château et de ses habitants !
— C’est le moins que l’on puisse dire et si le père Fremyet ne nous l’avait amené lui-même avant de partir se soigner aux eaux de Bourbon, son pays natal, on ne l’aurait jamais accepté. Le père de Luna est un Jésuite et je n’ai jamais aimé ces gens-là, mais comme sa présence ici n’est que temporaire, on n'a pas voulu ergoter. Evidemment, nous aurions préféré qu’un autre vous mariât mais faute de grives on se contente de merles... Et Thomas avait tellement hâte d’être heureux ! J’ai l’impression qu’il l’est, aussi tâchez de supporter Luna jusqu’au retour de notre brave Fremyet !
— Je promets... à condition qu'il ne vienne pas tous les matins me demander de me confesser ! Je ne veux pas qu'il abîme mon bonheur !
Lâchant son vaporisateur, il se tourna vers elle et la prit aux épaules.
— Votre bonheur ! fit-il, ému. Quel joli mot dans votre bouche, mon enfant ! Et combien doux à entendre ! Car vous l'êtes, n’est-ce pas ?
— Heureuse ? Oh oui ! Merveilleusement ! Je n’aurais jamais cru que ce fût possible de l’être autant ! Thomas est...
— N’en dites pas plus !
Il l’embrassa sur les deux joues puis revint à son oranger.
— Quant au père de Luna, vous n’avez qu’à lui dire chaque matin : « Rien à déclarer ! » et moi je vais essayer de savoir si notre Fremyet a bientôt fini de barboter dans son bain!
Au grand soulagement de la famille, le carrosse de Bellegarde ramena Thomas le soir même mais ce qu’il avait à leur apprendre ne manquait pas d’intérêt. Non seulement le Roi n’avait pas réclamé le jeune homme mais le messager était inconnu au bataillon des courriers. Quant à M. de Bellecour, il était depuis quinze jours dans ses terres du Nivernais. Aussi ledit messager recevait-il à cette heure l’hospitalité du Grand Châtelet où l’on allait œuvrer pour en savoir davantage.
— Je pense que l’on peut se fier à mon ami d’Aumont pour faire le nécessaire, commenta le baron Hubert à qui Thomas venait de remettre une lettre du Grand Prévôt. Il n’aime pas du tout mais pas du tout cette histoire ! Une chose est certaine, en tout cas, c’est que notre bon roi Henri t’a sans doute sauvé la vie en envoyant Bellegarde jouer les pères nobles à la chapelle. Tu avais toutes les chances de tomber dans une embuscade !
— Au fond, il aurait peut-être mieux valu que je joue le jeu mais suivi à distance raisonnable par une troupe de nos gens dûment armés. On aurait su au moins qui l’on allait rencontrer !
— Pas sûr ! Escamoter quelqu’un de nuit et sur un chemin forestier n’est pas un exploit...
— Et ces angoisses à cause de moi ! Gémit Lorenza, toute sa joie disparue. Si seulement je pouvais savoir qui est mon ennemi !
Voyant sa détresse, Clarisse jugea qu'il était temps de s'en mêler.
— Cessez de vous tourmenter ! On finira par y arriver puisque nous avons le Roi pour nous ! Ne songez qu’à être heureuse ! Tenez ! Montez vite dans votre chambre. On va vous y apporter votre souper ! Vous avez besoin d’être seuls tous les deux !
— Et nous aussi, nous serons seuls tous les deux ? Ronchonna son frère en contrefaisant sa voix. Vous n’allez pas commencer à nous obliger à jouer les vieux croûtons ?
— Vous ne courez aucun danger, lança Thomas qui avait déjà saisi sa femme par la taille pour l’entraîner vers l’escalier.
Clarisse, qui les regardait s’envoler en souriant, glissa son bras sous celui de son frère.
— Cessez donc de grogner ! Vous n’avez donc pas envie d’avoir des petits-enfants ?
— Quelle question ! Et où allez-vous encore ?
— Dire à Chauvin qu’on laisse le plateau à leur porte ! Je suis certaine qu’ils n’ouvriront pas avant un moment !
Rien n’était plus juste. A peine la porte refermée d’un coup de talon, les jeunes époux s’étaient enlacés pour un long, long baiser qui manqua faire défaillir Lorenza. Après quoi, Thomas la fit asseoir devant le grand miroir de la table à coiffer, se plaça derrière elle et commença à retirer les épingles à têtes de perles et les petits peignes précieux qui maintenaient sa chevelure. La soie vivante de ses cheveux coula sur ses mains en un flot doré dans lequel il enfouit son visage pour mieux le respirer. La haute collerette de dentelle l’encombrait et il l'ôta avant de s’attaquer au corsage qu’il dégrafa. Le miroir renvoya à Lorenza leur double image qui la fit rougir.
— Thomas ! murmura-t-elle tandis qu’il dégageait ses épaules et les baisait. Est-ce que...
— Allons, mon cœur, souffla-t-il contre son cou. Vous n’allez pas me refuser le délicieux plaisir de vous déshabiller ? Autant vous prévenir tout de suite, c’est une habitude qu’il vous faudra prendre car j’ai bien l’intention de ne pas m’en priver. Avec des variantes, évidemment ! Acheva-t-il en riant. Alors pensez à autre chose, faites une prière ou racontez-vous une histoire mais ne me gênez pas !
Elle se mit à rire et leva les bras pour attirer sa tête contre la sienne...
Chapitre II.
Un honneur peu souhaité !
Le bonheur !... Pendant les jours - et les nuits ! -qui suivirent, il s’amplifia et s’épanouit comme une fleur entre les deux jeunes gens. Pour leur plus grande joie, le froid et la neige avaient investi le pays dès le 1er janvier, refermant sur eux-mêmes villages et châteaux qui ne communiquaient plus guère entre eux. A Chantilly, le jeune Montmorency avait bien émis l’idée d’une chasse au loup mais s’en était tenu là quand son père lui avait ri au nez, en le mettant au défi d’en rencontrer un seul dans la région depuis que son grand-père en avait fait une telle hécatombe que les rares survivants avaient quitté une terre aussi inhospitalière et qu’il ne s’en trouvait plus aucun à dix lieues à la ronde...
A Courcy, des feux d’enfer ronflaient à longueur de journée dans les vastes cheminées : Clarisse était frileuse et Hubert avait des rhumatismes même s’il refusait farouchement de l’admettre. Il se réfugiait le plus souvent dans son orangerie - chauffée elle aussi ! - où, loin des regards amusés de sa sœur, il s’ennuyait ferme la plupart du temps, ne ressuscitant qu’à l’heure des repas quand les jeunes époux faisaient leur apparition, la main dans la main, souriants et si visiblement heureux qu’il était difficile de leur en vouloir de vivre enfermés la plupart du temps.
Ils étaient toujours gais d’ailleurs et les conversations avec eux se ressentaient de leur joie de vivre. Et si, après le souper, ils consacraient volontiers une heure ou deux à la vie en société, il devenait peu à peu évident au trouble soudain de Lorenza sous le regard ardent de son mari, à leurs mains qui n’osaient pas se joindre, qu’ils mouraient d’envie de retourner à leur solitude.
— J’ai l’impression qu’ils font ça en riant, émit un jour le baron qui, de nuit, s’était aventuré pieds nus jusqu’à leur porte et avait entendu le rire sonore de son fils.
— Laissez-les donc tranquilles ! Lui conseilla Clarisse qui s’amusait franchement. Rien n’est plus agaçant que les sombres passions où les amants ne se prennent pas au sérieux mais au tragique. Ces deux-là sont transfigurés par leur amour. La beauté de Lorenza est devenue éblouissante, vous ne trouvez pas ?
— Sans aucun doute... et c’est un bien joli spectacle ! Mais au train où ils y vont, ils devraient au moins nous fabriquer des jumeaux. Si ce n’est plus !
— Un unique exemplaire devrait suffire et, en ce qui me concerne, je prie pour qu’elle soit enceinte quand Thomas regagnera son régiment. Ce qui ne saurait tarder, hélas ! Lorie - Thomas, tendrement, avait ainsi rebaptisé sa femme ! - serait moins triste si...
—... elle a des nausées tous les matins et prend en dégoût la moitié de ce qu’on lui servira ! Ça doit être distrayant, en effet !
— Oh ! Vous êtes insupportable ! Et surtout, vous ne savez pas ce que vous voulez !
— Etre grand-père, évidemment ! Mais elle est si ravissante ! Ce serait dommage que cela l’abîme !
— On y veillera ! Soyez rassuré ! Mais vous aurez votre rôle à jouer.
— Moi ? Vous voulez que je...
— Non je ne veux pas que vous... Grâce à Dieu, vous ne ressemblez pas au vieux Sarrance ! Mais l’entente de ces deux-là n’est pas uniquement bâtie sur un exceptionnel accord sensuel mais aussi intellectuel. Ils parlent d’un tas de choses ensemble.
— Comment le savez-vous ? Vous écoutez aux portes maintenant ?
— Tout comme vous, cher frère, tout comme vous ! Ils ont à peu près les mêmes goûts, une culture supérieure et un égal sens de l’humour. Ils aiment la nature, le grand air...
— Ils ne sortent pas souvent !
— Ils savent que leur temps d’intimité leur est compté, qu’il va bientôt falloir se séparer et c’est on ne peut plus normal ! Ajoutez à cela qu’ils détestent également la vie de Cour !
— Pour aimer ça, il faut apprécier le martyre ! Quoique, avec notre joyeux Henri, elle soit à peu près supportable !
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