Le plus angoissant était que, en dehors du chant d’un merle, le silence était complet. À présent, la « route » montait. Jetant un coup d’œil à sa montre, la fugitive vit qu’il était près de cinq heures et qu’il lui fallait rejoindre au plus vite une région habitée afin de passer la nuit à l’abri. Le ciel, en effet, se chargeait de nuages de mauvais augure.
Soudain, sur sa gauche, un chemin s’ouvrit à l’angle duquel un poteau soutenait un écriteau en forme de flèche portant une inscription à demi effacée, n’offrant plus que les dernières lettres suffisamment explicites cependant : « … nte Anne », et en même temps, un bruit d’eau parvint jusqu’à elle.
Soulagée d’un grand poids, elle prit cette direction en s’efforçant d’accélérer le pas bien que la trace du sentier parût s’effacer. C’est alors qu’elle entendit le cri, un cri qui fit bondir son cœur de joie : « Ho Huc ! » Le vieil appel des druides, d’où elle tira une merveilleuse conclusion : elle devait être beaucoup plus près de Pontarlier qu’elle ne l’imaginait et ce vieux fou d’Hubert de Combeau-Roquelaure, professeur au Collège de France… et druide fanatique à ses heures, y était revenu. Sans doute pour étudier les échos de la Franche-Comté dont il était persuadé qu’elle devait y abriter quelques confrères !
De tout ce qu’elle put rassembler de voix, elle clama :
— Ho Huc ! et se précipita dans cette direction mais avec tant d’enthousiasme qu’elle ne prit pas garde à une racine affleurante dans laquelle son pied droit se prit et se tordit cruellement.
Avec un cri, elle tomba de toute sa hauteur et la douleur fut si violente qu’elle perdit connaissance…
7
Suite des confessions…
Au manoir Vaudrey-Chaumard, Mme de Sommières – lecture faite – avait ôté calmement ses lunettes qu’elle remit dans sa poche et, les mains sur son visage, massa doucement ses paupières closes après avoir rendu le vilain papier à son neveu :
— Et maintenant, soupira-t-elle, que faisons-nous ?
Le silence qui suivit était plus éloquent qu’un discours mais vola en éclats sous le violent coup de gueule d’Adalbert :
— On ne peut pas laisser ce salopard continuer à se foutre de nous ! D’autant que nous savons qu’il est à notre porte ! Et pourquoi n’organiserions-nous pas une descente massive à Granlieu ? Je jurerais que ce serait plein d’intérêt, bien que je le croie aussi trop malin…
Posé sur le bureau, le téléphone lui coupa la parole. Lothaire décrocha, émit un ou deux grognements puis tendit le combiné à Aldo :
— C’est pour vous ! Le patron de la PJ !
Aldo lui arracha presque l’appareil :
— Langlois ?… J’allais vous appeler ! Vous avez du nouveau ?
— Peut-être, mais commencez par vous calmer ! Que se passe-t-il ?
— Je vous le dirai après ! Vous d’abord !
— Bon ! Le jour de son départ, Mlle du Plan-Crépin, au contraire de ce que nous pensions, a pris le train pour Besançon…
— Pour Besançon ? Mais je croyais…
— Ah, maintenant laissez-moi parler ou passez-moi Vidal-Pellicorne !
— Excusez-moi !… L’énervement ! Allez-y !
— J’explique ! Ce jour-là, l’inspecteur Blanchard, qui est le plus âgé de mes hommes et aussi mon ami, s’embarquait lui-même pour Strasbourg, et, d’ailleurs, n’avait aucune raison de la suivre. Il l’a vue attraper son train pratiquement au vol mais n’y a pas attaché grande importance. C’est en rentrant ce matin, ayant appris ce qu’il en était, qu’il m’a rapporté ce qu’il avait vu !
— Mais pourquoi Besançon ?
— Je n’ai pas encore de réponse à cette énigme ! À vous à présent.
— Nous venons de recevoir, anonyme évidemment et tapée à la machine, la lettre que je vous lis !
Quand ce fut fini, il n’entendit plus rien et s’inquiéta :
— Vous êtes toujours là ?
— Oh, oui ! Cette histoire est de plus en plus nauséabonde !
— Il faudrait pouvoir faire une descente à Granlieu ! Je suis certain que l’on y trouverait des trucs intéressants !
— J’en pense autant, mais sous quel chef d’accusation ? Nous n’avons aucune preuve tangible contre cet Hagenthal-là. Nous savons qu’il ordonne mais qu’il n’exécute pas lui-même, à moins que son ou ses exécuteurs ne soient saisis par le repentir ou qu’il ne fasse un faux pas. Tout ce que l’on peut faire c’est surveiller ce maudit château. Cela dit, rappelez-moi si vous avez du nouveau ! Ah, au fait : donnez votre lettre à Durtal ou à Lecoq en la manipulant le moins possible !
— Pour les empreintes, je suppose ?
— Vous supposez bien ! Excusez-moi, on m’appelle sur une autre ligne ! Saluez vos dames et votre hôte pour moi.
— Je n’y manquerai pas !
Et il raccrocha cependant que Tante Amélie protestait :
— C’est déjà fini ?
— Oui, pourquoi ? Que vouliez-vous lui dire ?
Clothilde intervint alors :
— Ce qui s’est passé ici, ce matin, pendant que vous étiez absents, vous et Adalbert. Peut-être d’ailleurs vaut-il mieux en débattre entre nous avant d’y mêler le grand patron de la police. La jeune Marie de Regille, l’heureuse fiancée de Karl-August, est venue se réfugier chez nous en simulant un accident. Autrement dit, elle s’est jetée contre le portail avec sa bicyclette en se couvrant de bleus et d’égratignures.
— Pourquoi cette sottise ? demanda Adalbert.
— Parce qu’elle se refuse à épouser le nouveau seigneur du château. Elle affirme qu’elle en a peur…
— Tiens donc ? Elle ne serait pas aussi cruche qu’on le pensait ?
— Pas autant peut-être, mais tout de même un peu. La « peur » en question sert surtout à dissimuler le fait qu’elle aime quelqu’un d’autre…
— Ah oui ? Eh bien, qu’elle le dise carrément ! Au surplus, on sait qu’elle est amoureuse d’Hugo ! fit Aldo.
— Cela, c’était avant ! expliqua Tante Amélie qui, en dépit de la gravité de la situation, retenait mal une envie de rire.
— Avant quoi ? On dirait que ça vous amuse ?
— Avant qu’elle ne rencontre Adalbert !…
— Quoi ? brailla l’intéressé, qui ajouta aussitôt : J’ai le regret de vous dire qu’elle s’est fichue de vous, Mesdames ! Elle ne m’a jamais vu. Pas même au bal puisque Lothaire ne les a pas laissés pénétrer dans la salle.
— Elle vous a vu en ville, à plusieurs reprises, et elle vous trouve magnifique. Et n’oubliez pas que vous êtes une personnalité reconnue. Elle est subjuguée ! Vous êtes trop modeste, cher Adalbert, et n’imaginez pas ce que vous pouvez représenter aux yeux d’une petite provinciale de dix-huit ans !
— Si j’incarne à ses yeux le train de vie luxueux de la haute société parisienne, il va falloir lui expliquer qu’elle se met le doigt dans l’œil jusqu’aux omoplates et lui ôter cette illusion du crâne !
L’apparition de Gatien, la mine confite, étouffa la controverse dans l’œuf : M. de Regille était là. Il venait récupérer sa fille…
Le digne majordome n’eut pas la possibilité de s’exprimer plus longuement : le père indigné arrivait sur ses talons, le chapeau d’une main, la canne de l’autre. Un bref salut aux dames puis il se tourna vers Lothaire qui, adossé à son bureau, attendait calmement l’attaque :
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Tu dois t’en douter ? Je viens chercher ma fille. On m’a appris qu’elle avait eu un accident devant chez toi et qu’elle s’est blessée, mais je ne vois aucune raison pour qu’elle s’attarde et elle recevra à la maison tous les soins nécessaires. Donc, je répète : je viens la chercher, après, naturellement, vous avoir offert mes remerciements !
Cela dit, il salua les dames avec toute la grâce dont il était capable, ce qui ne faisait pas beaucoup.
— Vous auriez pu commencer par demander de ses nouvelles ? émit Clothilde.
— Ce n’est pas la première fois qu’elle tombe de sa bicyclette. Donc ce ne doit pas être grave ! fit-il sur un ton dont l’indulgence de façade s’efforçait de cacher autre chose.
Il avait l’air de réciter une leçon. Ce que Clothilde perçut aisément :
— Entre tomber par hasard et aller percuter un portail, il y a une différence. C’est cette différence qui l’oblige à garder le lit et à recevoir des soins. Le Dr Maurois…
— Eh bien, quoi, le Dr Maurois ? Il habite à deux pas de chez moi. Il aura moins loin à aller !
— À ceci près qu’il préfère la laisser ici le temps de se remettre du choc et de reprendre ses esprits, renvoya Clothilde. Peut-être aussi de vous permettre de réfléchir au calme ?
— Réfléchir à quoi ?
— Qu’elle est votre fille unique et que son bonheur devrait être la préoccupation majeure d’un père digne de ce nom ! assena-t-elle, visiblement décidée à en découdre avec ce spécimen de l’espèce ignorant ce que le mot signifiait.
Et qui d’ailleurs riposta :
— Son bonheur, qu’est-ce que vous me chantez ? N’a-t-elle pas la chance d’être aimée d’un homme dont toutes les femmes sont folles ?
— C’est lui qui le dit ! grogna Lothaire. Reste à savoir ce qu’il y a de vrai là-dedans ?
— Interroge autour de toi ! Il suffit qu’il regarde une femme et…
— … et elle s’enfuit en courant ! coupa Clothilde, l’œil sévère. Pour celles d’ici tout au moins ! Quant à Marie, elle nous a confié qu’elle en avait peur !
— Peur ? Quelle ineptie ! Je peux vous affirmer, moi, qu’au jour de ses fiançailles, elle resplendissait de bonheur ! Il fallait la voir regarder la bague, la faire jouer dans la lumière !
— Réflexe naturel ! Une fille aime toujours sa bague de fiançailles ! C’est la première pierre précieuse qu’elle reçoit, normalement, mais il peut arriver que le donateur cesse de plaire pour une raison ou pour une autre. Pour Marie, c’est la peur, comme je viens de le dire !
— Mais peur de quoi, bon sang ?
— Du destin des précédentes « fiancées ». Celles dont nous avons eu connaissance, du moins : Isoline de Granlieu et Agathe Timmermans…
— Deux accidents ! L’une avait un cœur en mauvais état et l’autre est passée sous une voiture ! Pas de quoi fouetter un chat !
Et de ricaner, ce qui eut le don de faire exploser Lothaire :
— Plutôt sujets à caution tes deux accidents ! Mais admettons ! Ce qui est certain, c’est que ta fille n’a plus aucune envie de l’épouser et vient d’en avoir un aussi, d’accident ! Volontaire, j’en conviens, mais le traumatisme demeure ! Un traumatisme dont Maurois pense qu’il faut la laisser se remettre et qu’elle sera mieux chez nous, entourée de femmes, que chez toi, en ta seule compagnie, surtout si tu lui cries après à longueur de journée…
— C’est ma fille ! s’entêta Regille. J’en fais ce que je veux !
— Où as-tu pris ça ? C’est un être humain, pas un meuble !
— Elle n’est pas majeure ! Donc, si je ne la ramène pas à la maison, je peux la faire chercher par les gendarmes !
— Le brave homme que voilà ! Alors mets ça dans ta caboche obtuse : Marie restera ici le temps prescrit par Maurois ! Et aucun gendarme ne viendra s’en mêler ! Surtout pas Raymond Verdeaux qui est un brave homme !…
— Mais…
— Laisse-moi finir ! Tu peux venir la voir chaque jour si tu le souhaites ! Toi seulement !
— Ce qui signifie ?
— Pas question que le « fiancé » vienne traîner ses guêtres dans le coin ! Au cas où il s’y risquerait, je lui réserve le même traitement qu’au soir de notre fête, avec la chevrotine en plus ! Et, afin de t’éviter d’aller trépigner à la gendarmerie, je vais prévenir Verdeaux dès que tu auras tourné les talons !
— Et si je dépose une plainte ? Pour séquestration par exemple ?
— Tu feras rigoler la terre entière ! Sans compter que ta conduite pourrait paraître suspecte ! Tu as l’air d’oublier que les récents avatars des châtelaines de Granlieu intéressent vivement la police de Paris, dont l’un des meilleurs inspecteurs a été tué justement pas bien loin de là. Alors, suis mon conseil, rentre chez toi et reviens demain prendre de ses nouvelles…
— Je veux la voir immédiatement ! répliqua-t-il, têtu.
Visiblement exaspérée, Clothilde retourna au combat :
— C’est grotesque ! Elle dort !
— Ou elle fait semblant !
— Non. Maurois lui a prescrit un léger somnifère afin d’apaiser ses angoisses. Vous tenez absolument à la réveiller ?
— Droguée, hein ?
C’en fut trop pour Lothaire. Empoignant le vieil obstiné par le bras, puis par le col de sa veste, il le porta plus qu’il ne l’entraîna jusqu’à l’escalier dont il lui fit gravir les larges marches, avant de le mettre devant la porte de la chambre de Marie qu’il ouvrit sans bruit, découvrant le tableau le plus paisible qui soit : éclairée par la lampe de chevet dont l’abat-jour rose diffusait une lumière douce, la jeune fille reposait, une main sur sa joue meurtrie. Assise près d’elle, la femme de chambre de Clothilde tricotait quelque chose en laine blanche. Ce petit tableau dégageait une telle paix qu’elle agit sur le vieil homme que Lothaire avait d’ailleurs lâché.
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