Il tournait déjà les talons sans laisser à Lothaire le temps de protester quand une voix, celle de l’homme de Salins, s’indigna :
— Un instant, prince ! Vous n’imaginez pas, j’espère, que notre compagnon vient d’exprimer notre opinion commune ? Il ne représente que lui-même et…
— C’est encore trop pour moi dès que mon honneur est en jeu et que l’on m’insulte ! Continuez votre réunion sans moi ! Elle n’a d’ailleurs plus d’objet, et je salue vos compagnons. Lothaire, je vous attendrai dans la voiture !
— Et je te tiendrai compagnie, mon honneur étant aussi chatouilleux que le tien ! Messieurs, je vous salue bien ! nasilla Adalbert.
Prenant Aldo par le bras, ils remontèrent dans la chapelle. Ils s’accordèrent le temps d’une prière avant de regagner la voiture où ils allumèrent chacun une cigarette. Ou plutôt, Adalbert alluma les deux :
— Laisse-moi faire ! Tu trembles encore et tu es capable de te brûler le nez !
— Il est vrai que ce Gilbert m’a mis hors de moi ! Nous aurions dû nous en tenir à notre première décision et laisser Lothaire se débrouiller seul avec son club de fantômes ! D’ailleurs, celui de Montbarey approuvait son confrère !
— Je n’en suis pas sûr… Un seul de ces hommes s’est jeté sur nous pour nous désigner à la vindicte générale. Et pourquoi ne serait-ce pas parce qu’il se sentait en péril ?
— Et tu veux dire que le traître ce serait lui ?
— Ce serait logique, les autres s’étant contentés d’un « oh » scandalisé !
— Et il vient d’où, celui-là ? Toi qui connais la France en détail ?
— Ornans ! Un coin ravissant à une cinquantaine de kilomètres d’ici. Rendu célèbre par une magistrale toile de Courbet : Un enterrement à Ornans.
Aldo se mit à rire, ce qui eut l’avantage d’offrir une soupape à sa colère :
— Tu le fais exprès ou quoi ? (Puis, saisi soudain d’une idée :) C’est loin de Besançon ?
— Un peu plus de vingt bornes ! Mais à quoi penses-tu ?
— Quand elle est revenue par ici, Plan-Crépin a pris le train pour Besançon. On devrait peut-être chercher dans ce coin-là ?
— Brillante idée que l’on pourrait vérifier demain soir quand nous saurons où nous devons aller pour obtempérer aux exigences de ce salopard !
— Sauf qu’il n’y aura peut-être pas de rendez-vous puisque le Judas n’est pas démasqué !
— Attendons déjà que Lothaire revienne ! Il se peut qu’il ait du nouveau à nous apprendre ?
Ils l’attendirent un bon moment, si long même qu’Aldo dut se cramponner à Adalbert qui voulait y retourner afin de « voir ce qui se passe » !
— Tu crois qu’ils sont en train de s’entretuer ?
— Pas dans une chapelle, voyons ! Ils ont pu décider de voter ?
— Pour quoi faire ? Quand nous nous sommes retirés, Lothaire n’avait que deux protestataires devant lui et en tant que président il bénéficie de deux voix !
— Il a pu faire boule de neige dès l’instant où nous n’y étions plus ? Si d’autres ont rejoint le « frère » d’Ornans, la majorité des deux tiers devrait l’emporter ?
— Cela signifierait qu’on a perdu du terrain ?
Il achevait sa phrase quand trois hommes sortirent de la chapelle pour rejoindre le groupe de voitures garées près du mur d’enceinte. Eux-mêmes s’étaient retirés dans l’ombre du petit sanctuaire, mais visibles cependant. Or personne ne s’approcha d’eux.
— On dirait que notre étiquette d’indésirables nous colle à la peau ! marmotta Adalbert. C’est très désagréable !
— On a déjà connu pire ! À nous de trouver une solution de rechange. J’en ai peut-être une.
— Laquelle ?
— Écoutons d’abord ce que Lothaire va nous apprendre.
Celui-ci les rejoignait, l’air plus sombre que jamais. Ce qui était en soi une réponse. Il reprit sa place auprès d’Adalbert : c’était sa voiture, en effet, que l’on avait prise.
— Alors, ils refusent ? demanda Aldo.
— Pas vraiment, encore que, sans l’exprimer clairement, presque tous peinent à devoir renoncer à notre trésor pour…
Il se tut, hésitant visiblement devant ce qu’il était obligé d’exprimer. Aldo le relaya :
— Pour une inconnue qui n’appartient même pas à la Comté et qui s’est mise d’elle-même dans le pétrin ! C’est bien ça ?
— Exactement ! Nous ne sommes plus que quatre – dont Fleurnoy évidemment ! – à accepter de livrer le contenu de la chapelle alors que ce sont nos pères, à Bruno et à moi, qui ont fourni le plus lourd des fonds qu’elle a coûtés !
— Et ils préconisent quoi ?
— Que l’on fasse « semblant » d’obéir. D’attendre de connaître au juste le lieu de la remise et de s’y rendre – armés ! – après avoir confectionné des leurres. Donc des paquets censés contenir ce que les autres veulent !
— C’est à quoi aurait pensé le premier imbécile venu ! ricana Aldo. Et comme le traître n’a pas été démasqué, l’ennemi se paiera une pinte de bon sang dont nous ferons les frais. Quant à ce qui peut arriver à Marie-Angéline, c’est le cadet de leurs soucis ! Leur idée est d’autant plus stupide que je l’ai eue avant eux et que je reconnais volontiers que cela ne tient pas la route.
— Ils ont tout de même fait une proposition, mais elle ne me paraît pas viable.
— Laquelle ?
— Aller au rendez-vous tous ensemble et se battre !
— C’est déjà mieux, et ce serait même parfait si l’on avait réussi – air connu ! – à découvrir celui qui trahit, mais il n’en est rien…
— Ce serait du temps et surtout du sang versé pour des prunes ! conclut Adalbert. Et maintenant, on fait quoi ?
Après un instant de silence, Lothaire soupira :
— On tient pour nulle et non avenue la séance de ce soir, on vide la chapelle avec la bénédiction de l’abbé et l’aide de Fleurnoy, ce qui est le plus important pour moi… et on se tient prêts à en découdre avec ces malfaisants ! Étant donné que nous ignorons combien ils seront…
— … et que nous serons au moins… quatre ! ironisa Aldo. On n’a guère de chance d’avoir le dessus ! Après tout, nous ignorons de combien d’acolytes dispose Hagenthal ? Cependant, il y a quelque chose qui m’étonne : pourquoi veut-il la chapelle ? Je pensais, comme vous-même d’ailleurs, qu’étant à présent en possession de ce qu’il croit être les Trois Frères…
— Et qui pourraient l’être, étant donné qu’ils étaient six à l’origine et que l’on ne sait plus trop lesquels étaient montés sur le fermail, de ceux-là ou de ceux de Kledermann, il serait logique qu’il réclame le diamant pyramidal afin de reconstituer le Talisman.
— Ce qui nous mettrait devant un mur puisque personne ne sait où il est passé celui-là ! conclut Aldo amèrement.
Nouveau silence, après quoi Lothaire toussota pour s’éclaircir la voix mais sans élever le ton plus qu’il ne fallait afin de couvrir le bruit du moteur. Pourtant rien ne vint.
— Vous avez une idée ? s’enquit Morosini.
— Je… bon !… Ou plutôt si ! Il faut que j’en vienne à vous le dire : une ancienne tradition prétend qu’il n’aurait jamais quitté la région après Grandson.
— Elle dit quoi au juste cette tradition ?
— Qu’Olivier de La Marche, dont le père avait été gouverneur du château de Joux et qui le connaissait à fond, l’y aurait apporté avec quelques autres pierres et, en accord avec le duc, les y aurait laissés en attendant la victoire finale !
— Et vous n’avez pas cherché ?
— Si fait, j’ai cherché, mais ce n’est pas facile, surtout pour un homme seul. La forteresse est propriété de l’État. Vous l’avez déjà visitée ?
— Je n’étais jamais venu en Franche-Comté auparavant ! Et toi, Adalbert ?
— Moi si, mais sans explorer le château ! Tu sais que j’ai le vertige ! Tu as vu le monstre ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin !
— Tant qu’on reste à l’abri des passages fortifiés, c’est sans problèmes, mais c’est quand on s’approche du gouffre que c’est impressionnant.
— Les abords du puits aussi, j’imagine ? D’autant qu’il ne doit pas y faire très clair ?
Lothaire en convint, ajoutant que lui-même se sentait mal à l’aise dans la sombre forteresse.
— Ce qui ne rendait pas mes timides recherches plus faciles ! Et je dois vous faire un aveu, Morosini : quand je vous ai invité à venir fêter notre Tricentenaire, j’ai évoqué un « trésor »…
— … dont j’ai vite compris que vous aviez surtout envie de me passer au crible afin de voir si je n’en saurais pas un peu plus sur le sujet, rassura Aldo avec un large sourire.
— Et vous ne m’en voulez pas ?
— Pour quelle raison ? Tous les collectionneurs se comportent ainsi quand ils rencontrent un confrère. En outre – du moins pour moi ! –, l’amitié c’est comme la mayonnaise : ça prend tout de suite ou c’est sans espoir ! De toute façon, j’en pensais tout autant en acceptant votre invitation. Avec d’autant plus d’enthousiasme que, comme je vous l’ai dit, je n’étais jamais venu ici. Donc nous sommes quittes !
— Et moi je suis la cerise sur le gâteau puisque nous parlons cuisine ! conclut Adalbert.
Cette mise au point allégea la tension qui régnait dans le véhicule car, de quelque côté que l’on se tournât, on arrivait dans un mur. Il fallait trouver, soit le moyen de le contourner, soit lui rentrer dedans, mais il y avait gros à parier que c’était la seconde option qui l’emporterait. Le reste du trajet se fit en silence.
— Que va-t-on dire à nos dames ? s’inquiéta le Professeur.
— Tout… et dans les détails, conseilla Aldo. D’abord, leur tête est solide sur leurs épaules et elles sont de trop bon conseil.
Quand ils arrivèrent au manoir, qu’ils supposaient plongé dans l’obscurité, ils furent surpris de le voir éclairé de la bibliothèque à la salle à manger, et plus encore de rencontrer, dans le vestibule, un Gatien épanoui au-dessus d’une tarte couronnée de crème fouettée. Il leur adressa un sourire rayonnant, tout à fait incongru.
— Ah, Messieurs, quel bonheur ! Il y a vraiment de braves gens dans notre beau pays !
Et s’engouffra dans la salle à manger.
— Il est fou ? hasarda Lothaire. Nous n’avions pas d’invités prévus pour ce soir ? Sinon…
— Et si on y allait voir ? proposa Aldo, emboîtant derechef les pas du majordome.
Ce qu’ils découvrirent commença par les pétrifier. Sous le regard hautain de Richelieu, quatre personnes étaient assises autour de la table, dressée visiblement à la hâte : deux qui « chipotaient » en buvant une coupe de champagne et deux autres qui dévoraient avec ardeur. L’une d’elles leur arracha une exclamation unanime :
— Plan-Crépin !
Déjà Adalbert s’était précipité, l’arrachait littéralement de sa chaise pour une sorte de pas de valse en lui appliquant un baiser sonore qui l’empourpra. Ce que voyant, Aldo la lui arracha pratiquement pour l’embrasser à son tour. Elle, cependant, riait et pleurait en même temps.
— Si vous étiez inquiète sur la réception que l’on vous réserverait, vous voilà fixée, commenta Tante Amélie. Maintenant, laissez-la finir son dessert et en plus reposez-la doucement. Elle a une entorse ! Puis vous pourriez remercier son sauveur !
Tout à leur joie de retrouver celle dont ils se souciaient tant, les « garçons » ne l’avaient même pas remarqué. Lothaire, lui, le connaissait et l’accolait à la mode paysanne avec un plaisir évident avant de faire les présentations :
— Voici mon ami Claude Bourdereau, le maître taillandier de Nans-sous-Sainte-Anne, que je n’ai pas vu depuis des années… bien qu’il ait été invité au Tricentenaire ! Il était malade, je crois ?… Malade ! Avec son gabarit ! je vous demande un peu !
Le personnage en question aurait pu, en effet, servir de publicité pour un produit de remise en forme… Taillé sur le même modèle que Lothaire, son visage de bon vivant disparaissait à moitié sous une végétation luxuriante : barbe imposante, moustache drue et sourcils foisonnant au-dessus d’un regard bleu qui regardait droit et pétillait volontiers comme à cet instant :
— C’est ma femme qui était malade ! Ça prouve seulement l’attention que tu apportes aux lettres qu’on t’envoie !
— Excusez-le, Claude, et moi aussi ! Il faut dire qu’à ce moment-là on vivait ici dans le plus profond délire, émit Clothilde… Elle se porte bien maintenant ?
— Je crois pouvoir vous assurer que oui ! répondit Marie-Angéline. Si j’en juge la façon dont elle m’a soignée. Je lui ai une infinie reconnaissance… comme à M. Bourdereau, d’ailleurs. Sans eux je ne sais pas ce que je serais devenue…
Ensemble, Aldo et Adalbert ouvraient la bouche pour libérer une foule de questions, mais Clothilde reprit :
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