— Non ! Ne le dites pas ! l’arrêta Aldo. Il doit exister encore un terrain d’entente avec son ravisseur. Nous savons tous que ce qu’il veut c’est le Talisman du Téméraire… au complet ! Ce qui est à peu près impossible selon moi. Alors, disons que je suis prêt à lui remettre ma propre collection de bijoux pour qu’on nous la rende ! Et croyez-moi, il ne perdra pas grand-chose au change ! Sans compter qu’on pourra essayer de la récupérer.
— C’est peut-être beaucoup ? objecta Lothaire.
— Pas pour moi, mon ami ! Si on ne retrouve pas Plan-Crépin, Tante Amélie en mourra ! C’est une idée que je ne supporte pas…
Le capitaine Verdeaux termina son verre, se racla la gorge et s’efforça de prendre un ton officiel en se levant :
— En attendant, mon cher ami, vous me voyez à mon grand regret obligé de vous arrêter. Mais vous n’irez pas en prison !
— Ah, non ?
— Non. Prenez un petit bagage, mais ni matelas, ni couverture. C’est moi qui vais être votre geôlier et vous dormirez chez moi !
— Il aura droit à la cuisine de Mme Verdeaux ? demanda Adalbert.
— Comme si celle du manoir lui était inférieure ! En outre, je parie que la sous-préfète viendra, coudes au corps, faire une visite à Huguette ! Pendant ce temps, téléphonez donc à votre ami Langlois ! Pourrait être utile celui-là ! Et maintenant, procédons…
Et il prononça la formule officielle.
1 Voir Les Joyaux de la sorcière, Plon, 2004.
2 Matière provenant d’excréments et de cadavres d’oiseaux marins employée comme engrais.
10
Le pot de crème de Tante Amélie
Pendant ce temps, assise devant sa table à coiffer, Mme de Sommières regardait avec consternation l’image que lui renvoyait le miroir, et s’efforçait de faire le point. Sa joue tuméfiée sous une écorchure – peu importante il est vrai ! –, son œil poché déclinant une gamme variée de nuances allant du mauve pâle au bleu « nuit d’été », et les larmes qui en coulaient n’arrangeaient rien !
Ce n’était pourtant pas sur ce désastre qu’elle pleurait, ni même sur le coup sévère qu’en ressentait sa dignité. Elle savait que, après un certain nombre de badigeonnages avec certaine crème, son visage retrouverait son aspect habituel – ou presque. Et puis, à quatre-vingts ans passés, c’était d’une importance relative. C’était sur Plan-Crépin qu’elle pleurait ! La retrouver quelques jours plus tôt l’avait emplie d’une joie dont elle avait soigneusement évité qu’elle déborde. Entre les deux, les grandes expansions n’étaient pas de mise… surtout après l’incroyable audace dont elle avait fait preuve en volant le rubis dans la poche même d’Aldo. Mais comme elle en était revenue dans un état plutôt pitoyable et que tous étaient tellement contents, elle avait évité la mercuriale.
La marquise avait pensé alors que plus vite on tournerait le dos à la Franche-Comté et mieux cela vaudrait pour tout le monde, si solides que soient, à présent, les liens tissés entre les gens du manoir et ceux de la rue Alfred-de-Vigny. Rien ne vaudrait le retour dans la chère maison pour y retrouver ses vieux serviteurs, son jardin d’hiver, son grand fauteuil de rotin et son champagne de cinq heures. Ce qui eût été impossible tant que manquait celle qui, au fil des années, en était devenue l’âme !
Quand ce brave homme de druide local l’avait ramenée avec une figure tuméfiée et un pied hors service, Tante Amélie avait dû vaincre sa première réaction : faire les valises et rentrer sans plus tarder à la maison, mais c’eût été une offense pour ceux qui leur offraient une si chaleureuse hospitalité. Il n’était pas possible de les laisser aux prises avec leurs propres problèmes qui étaient devenus ceux d’Aldo et d’Adalbert… De toute façon, il fallait rester là bon gré mal gré, et aider Lothaire et Clothilde à dénouer le paquet de maléfices qui semblaient prendre un malin plaisir à leur tomber dessus.
Puis le paysage avait changé de nouveau. Tout en continuant à promener sur son visage un doigt enduit de la crème « miraculeuse » pour effacer les hématomes de multiples provenances, la marquise essayait de chasser son marasme et, pour cela, d’examiner une à une les questions qui s’étaient bousculées dans sa tête. D’abord, comment Marie-Angéline avait-elle pu être enlevée d’une maison bien protégée et où l’on avait fait le maximum pour cacher son retour ?
Certes, Aldo était parti en catastrophe pour Venise à un moment délicat, mais sa présence, après tout, ne semblait pas indispensable. Le temps s’étant révélé mauvais, en partant, Lothaire, et sa sœur, de l’intérieur, avaient veillé à ce que la maison soit hermétiquement fermée – fenêtres et volets clos ! On avait remonté Plan-Crépin encore un peu handicapée dans sa chambre, et Marie de Regille, qui ne sortait guère de la sienne que pour les repas, l’avait regagnée aussitôt. Quant au personnel, on n’avait rien changé à ses habitudes. Dans la cuisine, Gatien jouait aux cartes avec son neveu Lucien – auquel il enseignait son métier ! – et Marthe la cuisinière. Les autres avaient rejoint leur logement au-dessus des écuries.
On avait allumé du feu dans la cheminée du salon où se tenaient les dames que rien n’aurait pu convaincre de se retirer avant le retour de l’expédition. Mais afin de calmer leur nervosité, Clothilde avait fait servir du tilleul sucré au miel. C’était, bien sûr, insuffisant pour calmer leur anxiété mais apportait cependant une note douce renforçant celle des flammes claires dans la cheminée sur laquelle une pendule de marbre et de bronze égrenait les minutes, les unes après les autres…
Et soudain, tout s’effondra de cet univers feutré. La porte s’envola sous la poussée violente de trois hommes de haute taille, pareillement vêtus comme des paysans et portant des masques de carnaval. Deux se jetèrent sur Marie-Angéline qui réagit avec une rapidité incroyable en leur envoyant la grosse tisanière encore à demi pleine à la face en poussant un cri de douleur qu’un coup de poing au menton paya en la laissant inconsciente. De son côté, elle-même s’étant précipitée sur l’envahisseur pour défendre Plan-Crépin entra presque simultanément en contact avec l’un des chenets et dans l’inconscience. Elle ne vit donc pas Clothilde sortir un pistolet de sa poche, et n’entendit pas le double coup de feu : celui qui blessa la sœur de Lothaire à l’épaule ni sa riposte qui tua l’un des hommes. Assommée aussitôt par un coup de chandelier qui aurait pu la tuer si Clothilde n’avait porté, comme à l’accoutumée, son petit tricorne de velours noir sur son chignon, elle s’écroula.
Quand, la première, elle reprit conscience, Clothilde appliqua une serviette sur sa blessure, s’empara du téléphone pour appeler au secours la gendarmerie et ranima Tante Amélie à l’aide d’une ration de cognac dont elle aussi avala un demi-verre, puis voulut aller jusqu’à la cuisine mais reperdit connaissance au seuil. Ce fut la vieille dame, un peu flageolante mais debout, qui la relaya pour délivrer les joueurs de cartes. À peine trois minutes après, le capitaine Verdeaux arrivait en personne pour évaluer les dégâts. Il ne put que constater l’état des deux dames, les interroger avec précaution, puis les serviteurs plus vigoureusement… Mais ne trouva aucun cadavre – ses complices avaient dû l’emporter en même temps que Plan-Crépin.
On en était-là quand les hommes rentrèrent au logis dans l’état d’esprit que l’on devine… On appela le Dr Maurois qui arriva en un temps record, ne se perdit pas en considérations oiseuses, voulut faire transporter Clothilde à l’hôpital pour y subir une radiographie mais dut s’avouer vaincu devant la défense vigoureuse qu’elle produisit :
— J’irai consulter demain… ou après si ça ne s’arrange pas, mais cela m’étonnerait puisque l’on a retrouvé la balle et que je ne souffre pas beaucoup.
Quant à Marie, on avait pu constater qu’elle dormait toujours. Sur sa table de chevet, il y avait un tube de somnifères et de l’eau dans un verre…
Ce besoin de sommeil profond étonna la marquise… et plus encore le fait que, venus pour enlever Plan-Crépin, ses ravisseurs n’aient pas profité de l’occasion pour rendre Marie à son père… Sauf, évidemment, si, malgré ses grands cris et ses manifestations horrifiées, l’arrivée dramatique dont elle avait régalé le manoir n’eût été qu’un acte d’une vilaine comédie, jouée à la perfection par une gamine digne en tous points des malfaisants qui l’actionnaient comme une marionnette. De là à penser qu’elle avait réussi à communiquer les renseignements pour qu’on la débarrasse de Plan-Crépin, il n’y avait qu’un tout petit pas. Et la marquise n’hésita pas à le franchir. Restait à savoir comment cette fille avait pu s’y prendre.
Cependant, à ce moment-là, elle avait décidé de garder pour elle ses impressions jusqu’au retour d’Aldo. Non par méfiance vis-à-vis d’Adalbert mais, le connaissant parfaitement, elle savait, comme Aldo, le cher garçon sensible aux admirations féminines. Même quand il donnait de la voix pour faire entendre que « c’était de la blague » et qu’il n’y croyait pas. Or, Marie, comme elle le faisait entendre si bien elle-même, ne manquait pas d’attraits. Pour faire court : Adalbert détestait « qu’on lui enlève ses illusions » ni plus ni moins qu’un gamin de dix-huit ans…
Mais cette journée sans Aldo avait été longue ! Et cela en dépit des allées et venues des gendarmes menées – grâce à Dieu ! – par le bon capitaine Verdeaux, résolument rangé dans le clan Vaudrey-Chaumard et Cie… Cependant, il fallait tenir compte de l’homme abattu par Clothilde et sur lequel personne n’avait l’air de savoir grand- chose.
Rassurés sur l’état de celle-ci qu’un rapide passage à l’hôpital avait finalement déclarée hors de danger, les habitants du manoir avaient réussi à passer une assez bonne nuit. Venise avait appelé et Adalbert devait se rendre à Lausanne au petit matin pour récupérer Aldo.
Malheureusement, pendant ce temps-là, une autre dénonciation anonyme était tombée sur le bureau du sous-préfet, révélant plusieurs noms des Compagnons de la Toison d’Or – et en premier lieu celui du chef mais sans trop entrer dans le détail. Peu désireux sans doute de voir les autorités mettre la main sur le trésor de la chapelle souterraine, le dénonciateur avait choisi de signaler l’existence d’une « bande de notables » se réunissant à dates fixes pour célébrer un « culte démoniaque », la victime ayant été trouvée la gorge tranchée au pied d’une « pierre levée », un gros rocher portant quelques signes profondément gravés. Magnanime, le « corbeau » ajoutait que, jusqu’alors, l’association n’était rien de plus qu’un de ces groupements sans danger comme il en poussait un peu partout sur les terres d’anciennes civilisations encore imprégnées des relents de culte païen. Celle-là aurait mal tourné depuis qu’elle avait accepté dans son sein le « dangereux prince Morosini » et son ami égyptologue.
Perplexe – et surtout pas convaincu le moins du monde –, le capitaine Verdeaux s’était efforcé d’arranger les choses à sa façon. Sachant qu’Adalbert devait partir chercher Aldo à Lausanne, il attendit que le jour soit bien installé pour prendre sa voiture et se rendre au manoir afin de « procéder à l’arrestation ». Lui-même, sachant pertinemment qu’il n’aurait pas à employer la force et que le « suspect » le suivrait sans faire d’histoires, avait décidé d’éviter quelque publicité que ce soit ! Et tout, en effet, s’était bien passé… enfin, si l’on pouvait l’exprimer ainsi !
Secouant l’espèce de torpeur où l’avait peu à peu plongée son retour en arrière, Mme de Sommières, revenant à l’heure présente, s’aperçut qu’elle était toujours devant son miroir et que l’image reflétée était plutôt pire que tout à l’heure quand elle avait décidé de se prendre en main. Simplement, le contenu du pot de crème-miracle avait diminué de moitié parce que, au fur et à mesure que ses larmes coulaient, elle les séchait à l’aide d’une serviette, remettait une couche d’onguent, puis les larmes revenaient et tout était à recommencer… Découragée, elle essuya une dernière fois sa figure et alla se coucher. Sans oublier toutefois d’emporter la serviette… et le pot !
Le sommeil ne vint pas pour autant, parce que les points d’interrogation se multipliaient et qu’elle cherchait vainement le meilleur moyen de s’en sortir. En admettant qu’il y en ait un, ce dont elle finissait par douter.
Si on récapitulait, Plan-Crépin avait à nouveau disparu et le Diable seul savait jusqu’où allaient monter les exigences des ravisseurs, en admettant qu’ils ne s’en débarrassent pas purement et simplement. Aldo était arrêté même si Verdeaux avait fait preuve d’un tact surhumain ! En principe, il devrait s’en tirer assez facilement… à moins qu’Adalbert n’aille le rejoindre pour « complicité ». On avait deux cadavres sur les bras, l’un – un certain Michel Legros –, trouvé au point de rencontre prévu entre les Compagnons de la Toison d’Or avec des gens sur le compte desquels on ne gardait guère de doute, et l’autre abattu au manoir par une Clothilde – elle-même blessée ! –, dont on ne savait strictement rien, pour l’excellente raison que ses complices avaient fait le ménage en l’emportant. Seuls Lothaire et la petite Regille s’en sortaient sans une égratignure et sans être soupçonnés… sauf par elle-même ! Qu’est-ce que tout cela voulait dire ?
"Le diamant de Bourgogne" отзывы
Отзывы читателей о книге "Le diamant de Bourgogne". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Le diamant de Bourgogne" друзьям в соцсетях.