Le lendemain, au cours du dîner, maman demanda à Walter ce qu'il pensait des sectes ; et avant même que l'un de nous deux puisse répondre, elle se leva de table et alla ranger sa cuisine.
Assis sur la terrasse qui domine la baie d'Hydra, j'échangeais avec Walter quelques souvenirs d'enfance liés à cette maison. Ce soir-là, le ciel était transparent, la voûte céleste limpide.
– Je ne veux pas dire de bêtise, annonça Walter en regardant au-dessus de nous, mais ce que je vois là ressemble fort à...
– Cassiopée, dis-je en l'interrompant ; et, juste à côté, c'est la galaxie d'Andromède. La Voie lactée où se trouve notre planète est irrémédiablement attirée par Andromède. Il est hélas probable qu'elles entrent en collision dans quelques millions d'années.
– En attendant votre fin du monde, j'allais vous dire...
– Et un peu plus à droite, c'est Persée, et puis bien sûr l'étoile du Nord, et j'espère que vous voyez la magnifique nébuleuse...
– Allez-vous cesser de me couper la parole à la fin ! Si je réussissais à placer deux mots sans que vous me récitiez votre abécédaire des étoiles, je pourrais vous faire remarquer que tout cela me fait sacrément penser à ce que nous avons vu sur le mur, hier soir pendant l'orage.
Nous nous regardâmes tous deux, aussi stupéfaits l'un que l'autre. Ce que venait de dire Walter relevait de la fantaisie, de l'absurde, et pourtant sa constatation était assez troublante. À bien y repenser, ces points, en quantité phénoménale que la lumière intense de la foudre avait projetés au travers du pendentif ressemblaient à s'y méprendre aux étoiles qui brillaient au-dessus de nos têtes.
Mais comment reproduire le phénomène ? J'avais beau approcher le pendentif d'une ampoule, rien ne se passait.
– L'intensité d'une simple lampe est insuffisante, affirma Walter qui devenait soudain plus scientifique que moi.
– Où voulez-vous trouver une source de lumière aussi puissante que celle d'un éclair ?
– Le phare du port, peut-être ! s'exclama Walter.
– Son faisceau est trop large ! Nous ne pourrions pas le diriger vers un mur.
Je n'avais pas envie de me coucher, aussi raccompagnai-je Walter à son hôtel, une promenade à dos d'âne me ferait le plus grand bien et puis je voulais poursuivre cette conversation.
– Procédons avec méthode, dis-je à Walter dont la monture trottinait à quelques mètres derrière moi. Quelle sont les sources de lumière assez puissantes pour nous être utiles, où les trouver ?
– Lequel de nous deux est Sancho Pança et lequel Don Quichotte ? me demanda-t-il alors qu'il rapprochait son âne à hauteur du mien.
– Vous trouvez ça drôle ?
– Ce faisceau vert qui s'élevait dans le ciel de Greenwich, vous vous souvenez, c'est vous qui me l'avez montré, il était plutôt puissant, non ?
– Un laser ! Voilà exactement ce qu'il nous faut !
– Demandez donc à votre mère si elle n'aurait pas un laser dans sa cave, on n'est jamais à l'abri d'un coup de bol.
Je ne relevai pas le sarcasme de mon camarade et donnai un tout petit coup de talon à mon âne qui accéléra le pas.
– Et susceptible en plus ! cria Walter tandis que je m'éloignais de lui.
Je l'attendis dans le virage suivant.
– Il y a bien un laser dans le département de spectroscopie de l'Académie, dit Walter essoufflé en me rejoignant. Mais c'est un très vieux modèle.
– Il s'agit probablement d'un laser à rubis, son faisceau rouge ne nous conviendra pas, j'en ai bien peur. Il nous faudrait un appareil plus puissant.
– Et puis, de toute façon, il se trouve à Londres et même pour percer le mystère de votre pendentif, je ne renoncerais pour rien au monde à mon séjour sur cette île. Réfléchissons encore. Qui utilise des lasers de nos jours ?
– Les chercheurs en physique moléculaire, les médecins et particulièrement les ophtalmos.
– Vous n'auriez pas un ami ophtalmo du côté d'Athènes ?
– Non, pas que je sache.
Walter se gratta le front et proposa de passer quelques appels depuis son hôtel. Il connaissait le responsable de l'unité de physique à l'Académie, celui-ci pourrait peut-être nous aiguiller. Nous nous quittâmes sur ces résolutions.
Le lendemain matin, Walter m'appela pour me demander de le rejoindre au plus vite sur le port. Je le retrouvai à la terrasse d'un café, en pleine conversation avec Elena ; il ne me prêta aucune attention lorsque je m'assis à leur table.
Pendant que ma tante continuait de lui raconter une anecdote sur mon enfance, Walter me tendit négligemment un bout de papier. Je dépliai la feuille et lus :
INSTITUTE OF ELECTRONIC STRUCTURE AND LASER,
FOUNDATION FOR RESEARCH AND TECHNOLOGY – HELLAS,
GR-711 10 HERAKLION, GREECE.
CONTACT DR MAGDALENA KARI.
– Comment avez-vous fait ?
– C'est bien le minimum pour un Sherlock Holmes, non ? Ne prenez pas ce faux air d'innocent, votre tante a tout balancé. J'ai pris la liberté de contacter cette Magdalena auprès de qui nous avons tous deux été recommandés par l'un de mes confrères à l'Académie, annonça triomphalement Walter. Elle nous attend ce soir ou demain et m'a assuré qu'elle ferait de son mieux pour nous aider. Son anglais est parfait, ce qui ne gâche rien.
Héraklion se trouve à deux cent trente kilomètres à vol d'oiseau. À moins de naviguer dix heures, le moyen le plus simple pour y accéder était encore de remonter vers Athènes et, de là, prendre un petit avion qui nous déposerait en Crête. En partant maintenant, nous pourrions arriver en fin d'après-midi.
Walter salua Elena. J'avais juste le temps de remonter à la maison prévenir ma mère que je m'absentais vingt-quatre heures et préparer un sac, avant d'embarquer à bord de la navette.
Maman ne me posa aucune question, elle se contenta de me souhaiter bon voyage, d'un ton un peu pincé. Elle me rappela alors que je me trouvais sur le seuil de la porte et me tendit un panier qui contenait de quoi déjeuner pendant la traversée.
– Ta tante m'avait prévenue de ton départ, il faut bien que ta mère serve encore à quelque chose. File, puisque tu dois t'en aller !
Walter m'attendait sur le quai. La navette quitta le port d'Hydra et mit le cap vers Athènes. Après un quart d'heure de mer, je décidai de sortir de la cabine pour aller prendre l'air, Walter me regarda, amusé.
– Ne me dites pas que vous avez le mal de mer.
– Alors, je ne vous le dis pas ! répondis-je en abandonnant mon fauteuil.
– Vous ne verrez pas d'inconvénient à ce que je finisse les sandwichs de votre mère, ils sont délicieux, ce serait un sacrilège de les laisser !
Au Pirée, un taxi nous conduisit vers l'aéroport. Cette fois, ce fut Walter qui n'en menait pas large pendant que notre chauffeur zigzaguait sur l'autoroute.
Heureusement pour nous, il y avait encore de la place à bord du petit avion qui assurait la liaison avec la Crête. À 18 heures, nous débarquions sur le tarmac d'Héraklion. Walter s'émerveilla en posant le pied sur l'île.
– Mais comment peut-on être grec et s'exiler en Angleterre ? Vous aimez donc la pluie à ce point ?
– Je vous rappelle que, ces dernières années, je me trouvais plutôt sous les latitudes chiliennes, je suis un homme de tous les pays, chaque nation a ses attraits.
– Oui, enfin il y a quand même trente-cinq degrés de différence entre ici et là-bas !
– Peut-être pas autant, mais il est vrai que le climat...
– Je parlais du taux d'alcool entre notre bière anglaise et cet ouzo que votre tante m'a fait goûter tout à l'heure, dit Walter en me coupant la parole.
Il héla un taxi, me fit signe de monter le premier et donna l'adresse au chauffeur. Pas une seconde je n'aurais imaginé jusqu'où ce voyage me conduirait.
Le Dr Magdalena Kari nous accueillit derrière les grilles de l'institut où un vigile nous avait demandé de bien vouloir patienter.
– Pardonnez-nous, ces mesures de sécurité sont bien inamicales, dit Magdalena en faisant signe au gardien de nous laisser entrer. Nous sommes obligés de prendre toutes les mesures nécessaires, le matériel dont nous disposons ici est classé sensible.
Magdalena nous guida à travers le parc qui entourait l'imposant bâtiment en béton. Une fois dans l'immeuble, nous dûmes nous plier à de nouvelles contraintes sécuritaires. On échangea nos papiers d'identité contre deux badges où figurait la mention « visiteur » en gros caractères ; Magdalena signa une main courante et nous entraîna vers son bureau. Je pris la parole le premier ; je ne sais pas quel instinct me poussa à ne pas tout lui raconter, à minimiser le but de notre déplacement et le pourquoi de l'expérimentation que nous souhaitions mener. Magdalena écouta avec beaucoup d'attention l'exposé, pourtant décousu, que je lui faisais. Walter était perdu dans ses pensées. Peut-être à cause de la ressemblance entre notre hôtesse et Miss Jenkins, qui me surprit aussi.
– Nous avons plusieurs lasers, dit-elle, hélas, il m'est impossible d'en mettre un à votre disposition sans autorisation préalable ; cela va prendre du temps.
– Nous avons fait un long voyage et nous devons repartir dès demain, supplia Walter, sorti de sa rêverie.
– Je vais voir ce que je peux faire, mais je ne peux rien vous promettre, s'excusa Magdalena en nous demandant d'attendre quelques instants.
Elle nous laissa seuls dans son bureau, nous priant de n'en sortir sous aucun prétexte. Il nous était interdit de circuler dans l'enceinte de l'établissement sans être accompagnés.
L'attente dura quinze bonnes minutes. Magdalena revint accompagnée du Pr Dimitri Mikalas, qui se présenta à nous en qualité de directeur du centre de recherches. Il s'installa dans le fauteuil de Magdalena et nous pria courtoisement de lui expliquer ce que nous attendions de lui. Cette fois, Walter prit la parole. Je ne l'avais jamais vu aussi peu loquace. Était-il mû par le même instinct que moi un peu plus tôt ? Il se contenta de se recommander de plusieurs collègues de l'Académie, chacun avait un titre impressionnant mais je n'avais jamais entendu parler de la plupart d'entre eux.
– Nous entretenons d'excellents rapports avec l'Académie des sciences britannique, et je serais très embarrassé de ne pas pouvoir répondre favorablement à la demande de deux de ses éminents membres. Surtout quand ces derniers ont de pareils appuis. Je dois faire quelques contrôles d'usage, dès que vos identités me seront confirmées, je vous donnerai accès à l'un de nos lasers, afin que vous puissiez procéder à vos expérimentations. Nous en avons justement un qui sort de maintenance. Il ne devait être opérationnel que demain. Vous pourrez en disposer à votre guise toute la nuit. Magdalena restera avec vous pour en assurer le bon fonctionnement.
Nous avons remercié chaleureusement le professeur pour la générosité de son accueil, ainsi que Magdalena qui acceptait de nous consacrer sa soirée. Ils nous abandonnèrent, le temps d'aller faire leurs vérifications.
– Croisons les doigts pour qu'ils ne contrôlent pas tous les noms que je leur ai donnés, me chuchota Walter à l'oreille, la moitié de la liste est bidon.
Un peu plus tard, Magdalena revint nous chercher et nous escorta jusqu'à la salle où se trouvait le laser que nous convoitions.
Je n'aurais jamais imaginé pouvoir utiliser un appareil aussi magnifique que celui que nous découvrîmes en pénétrant dans ce sous-sol. Je pouvais voir dans le regard quasi maternel que Magdalena posait sur ce laser, combien elle était fière de le manipuler. Elle s'installa derrière le pupitre de commandes et actionna plusieurs interrupteurs.
– Bien, me dit-elle, si nous laissions maintenant les courtoisies de rigueur et que vous me disiez enfin ce que vous attendez vraiment de ce petit bijou de technologie. Tout à l'heure dans mon bureau, je n'ai pas cru une seconde à vos explications aussi décousues qu'incompréhensibles, et le Pr Mikalas doit être bien préoccupé en ce moment, pour ne pas vous avoir tout simplement congédiés.
– Je ne sais pas ce que nous cherchons exactement, repris-je aussitôt, sinon à reproduire un phénomène dont nous avons été témoins. Quelle est la puissance de ce petit bijou ? demandai-je à Magdalena.
– 2,2 mégawatts, répondit-elle la voix pleine d'orgueil.
– Sacrée ampoule ! Presque trente-sept mille fois la puissance de celles qui se trouvent dans le salon de votre mère, me susurra Walter, ravi de la promptitude de son calcul.
Magdalena arpenta la pièce ; en repassant devant la console elle appuya sur un nouvel interrupteur et l'appareil se mit à bourdonner. L'énergie fournie par les électrons du courant électrique commençait à stimuler les atomes de gaz contenus dans le tube en verre. Les photons ne tarderaient pas à entrer en résonnance entre les deux miroirs situés à chaque extrémité du tube, permettant au processus de s'amplifier ; dans quelques instants le faisceau serait assez puissant pour traverser la paroi semi-transparente du miroir.
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