— De quoi parlez-vous ?

— Ne faites pas l’idiote ! De cette fiole que je vous remis un certain soir pour vous obliger à sauver mon fils s’il était pris après cette ridicule histoire de duel.

— Je ne l’ai plus.

Il la saisit par le poignet pour l’obliger à se lever :

— Vous avez beaucoup de défauts, ma petite, mais vous mentez mal. Où est-elle ?

— Quand je dis que je ne l’ai plus je ne mens pas.

— Vous l’avez jetée ? Non, corrigea-t-il à peine la question posée, on ne jette pas un moyen de sortir rapidement de la vie quand il tombe dans vos mains. Je gagerais que vous l’avez gardée. Ne fût-ce que… pour vous-même en cas de désespoir. Je me trompe ?

Elle le regarda avec une stupeur sincère. Qu’il puisse retrouver le fil de ses pensées avec cette exactitude avait quelque chose de confondant chez un homme qu’elle avait eu souvent tendance à tenir pour un rustre en dépit de son grand air naturel.

— Non… il est vrai que j’y ai pensé. J’ai même pensé à… partager avec le Cardinal afin d’éviter ce qui me serait sûrement arrivé : la… la torture et la mort sur l’échafaud mais, encore une fois, je ne l’ai pas. J’ai été enlevée, figurez-vous, en sortant du château de Rueil, et quand on vous invite à cette sorte de voyage on ne vous laisse guère le temps de faire vos bagages.

— Alors où est-elle ?

— Au Louvre.

Les yeux de César s’arrondirent.

— Au… Louvre ?

— Dans la chambre que j’occupais en tant que fille d’honneur de la Reine. Je l’avais d’abord dissimulée dans un pli du baldaquin au-dessus de mon lit, puis j’ai pensé qu’il pouvait arriver que l’on secoue, même involontairement, les rideaux. Alors j’ai cherché ailleurs et j’ai trouvé, sous une tapisserie représentant le pauvre Jonas au moment où la baleine l’avale : il y a là entre deux pierres une petite faille qui semblait faite juste pour cette fiole. C’est à peu près à la hauteur de la gueule de l’animal…

— Merci pour ce luxe de détails ! grogna César. Vous n’imaginez pas que je vais me risquer à aller la chercher ? Souvenez-vous ! Je suis obligé de fuir…

— Et moi je suis morte ! Je vous disais cela au cas où vous souhaiteriez envoyer quelqu’un de sûr.

— Les seules personnes sûres dont je pourrais disposer me tiennent de très près. Or je suis déjà soupçonné de tentative d’empoisonnement. Que dirait-on si l’un des miens était pris ? Non seulement je serais condamné sans espoir, mais eux peut-être aussi.

— Oh non ? soupira Sylvie avec lassitude, vous n’allez pas recommencer votre affreux chantage avec Mgr François ?… En outre, au cas où vous penseriez m’obliger à ressusciter, le rapprochement avec vous se ferait aussi si j’étais prise. Ne croyez-vous pas que le mieux, pour nous tous, est encore de laisser cette fiole où elle est ? Je vous assure que, pour la trouver, il faut se donner du mal. De plus, je ne suis pas la seule fille d’honneur à avoir occupé cette chambre et je n’ai pas remarqué que le flacon soit gravé à vos armes ?

Il ne répondit pas tout de suite. Accoudé au manteau de la cheminée, il offrait à la flamme un pied après l’autre tout en réfléchissant. Finalement, il soupira :

— Peut-être avez-vous raison ! Nous n’avons aucun moyen d’en reprendre possession l’un ou l’autre… Eh bien, je vous souhaite la bonne nuit mademoiselle de… quoi au fait ?

— Valaines ! fit Sylvie avec tristesse. On dirait que votre mémoire est moins bonne pour vos vassaux malheureux que pour vos mauvaises actions, monsieur le duc ! Moi aussi je vous souhaite une bonne nuit… et un bon voyage vers l’Angleterre.

— Il vous faudra me supporter jusqu’à ce que Mercœur arrive. Quant à Beaufort, tâchez de vous en tenir à l’écart ! Sachez que j’emploierai tous les moyens… même les plus vils comme une dénonciation anonyme, pour le débarrasser de vous !

— Une dénonciation ? À quel propos ?

Il eut un petit rire méchant qui fit à Sylvie l’effet d’une râpe passée sur ses nerfs.

— Une fois en Angleterre, je n’aurai plus grand-chose à craindre de l’Homme rouge… et je pourrais faire savoir où se trouve la fameuse fiole ? Pensez à cela, ma chère !

Dans la galerie, Marie de Hautefort qui écoutait, en chemise de nuit et pieds nus sur le dallage, jugea qu’il était temps de rentrer chez elle. Ce qu’elle venait d’entendre la confirmait dans l’opinion qu’elle avait toujours nourrie sur le magnifique bâtard du Vert-Galant, même si jusqu’alors elle n’était pas aussi désastreuse : c’était un fier misérable !

Quand César sortit, il aperçut une ombre blanche voltigeant dans les ombres du large couloir et se signa précipitamment : il était superstitieux et croyait aux fantômes !

La menace qu’il venait de proférer contre Sylvie allait dans les heures suivantes se trouver bizarrement sans objet. En effet, parmi les trois cavaliers qui franchirent le lendemain l’entrée du château de La Flotte se trouvait bien Louis de Mercœur, mais aussi le duc de Beaufort et son écuyer Pierre de Ganseville.

De la fenêtre de sa chambre où elle avait choisi de rester jusqu’au départ de Vendôme, Sylvie les vit arriver et, n’écoutant que son cœur, oubliant toute prudence après les menaces de César, s’élança en ramassant ses jupes, dévala le grand escalier et atteignit le vestibule au moment même où François franchissait le seuil. Ses jolis yeux noisette, rayonnants de bonheur, croisèrent le regard bleu du jeune homme qui vira au gris-vert en même temps que son sourire s’effaçait. Oubliant même de saluer Mme de La Flotte qui arrivait des salons flanquée de Marie, il fonça droit sur Sylvie :

— Par tous les diables de l’enfer ! Qu’est-ce que vous faites ici ? Le père Le Floch envoyé par M. de Paul m’a pourtant laissé entendre à son retour qu’il avait bon espoir pour votre prochaine entrée dans un couvent ? Et je vous trouve là, revenue dans le monde comme si de rien n’était ? Mais vous êtes folle, ma parole !

La philippique atteignit Sylvie en plein cœur, douchant cruellement sa joie de le revoir.

— Ainsi, vous vouliez vraiment me jeter au fond d’un couvent ? Pour ne plus entendre parler de moi, sans doute ?

— C’est en effet tout ce que je souhaitais ! J’ai bien d’autres chats à fouetter que vous ! Ne savez-vous pas quel danger court mon père ? Et pour comble de disgrâce, voilà que je vous retrouve à la traverse !

— Un instant ! coupa Marie. Sylvie n’a rien à se reprocher. C’est moi qui suis allée la chercher parce qu’elle n’était plus en sûreté sur cette île du bout du monde où vous l’aviez déposée, jusqu’à la fin des temps sans doute…

— Jusqu’à la mort de Richelieu seulement… et Belle-Isle est le plus bel endroit que je connaisse. Quant à sa sécurité, si elle s’était pliée aux conseils de l’abbé Le Floch aucun danger n’aurait pu l’atteindre dans le couvent où…

— D’où Richelieu aurait pu la faire extraire quand il l’aurait voulu ! Les choses ont changé depuis notre dernier revoir !

— Peut-être, mais vous rendez-vous compte qu’en la recevant ici vous mettez en danger les vôtres et…

— Un danger qui ne vous dérange guère dès qu’il s’agit de votre père. Sylvie n’est pas accusée de tentative d’empoisonnement, que je sache ?

C’était plus que la malheureuse n’en pouvait supporter :

— Par pitié, Marie, ne dites plus rien ! Vous n’avez pas encore compris que M. le duc souhaitait surtout se débarrasser de moi à jamais…

Éclatant en sanglots, elle s’enfuit vers l’escalier qu’elle gravit en courant.

— Eh bien, approuva César de Vendôme qui entrait et suivait la course éperdue de la jeune fille. Voilà une bonne chose de faite ! Il était temps, mon fils, que vous compreniez la nécessité de l’écarter de vous, car elle ne vous vaut rien ! Mais, à propos, pourquoi donc êtes-vous ici, Beaufort ? Seul Mercœur devait me rejoindre ?

Le frère aîné qui jusqu’alors n’avait pas jugé utile de se mêler de ce qui ne le regardait pas se chargea de l’explication :

— Oh, c’est très simple, mon père ! Je l’ai emmené pour l’empêcher de faire encore des siennes. Apprenant que les gens de police vous recherchaient, notre paladin a proposé à Richelieu d’aller à la Bastille en vos lieux et place afin de proclamer haut et fort sa conviction de votre innocence !

Le visage railleur du duc s’adoucit soudain et ce fut avec une visible émotion qu’il vint frapper sur l’épaule de son cadet :

— Merci, mon fils ! Seulement vous n’avez pas songé qu’en ce cas, c’est moi qui n’aurais pu supporter de vous savoir prisonnier. Richelieu nous hait trop ! Vous risquiez votre tête… comme je risque la mienne si je m’attarde encore. Vous n’êtes pas trop las ?

— Du tout !

— Alors, si notre chère hôtesse veut bien nous faire servir quelque chose, nous partirons aussitôt après…

Tandis que lui et Mercœur se restauraient, François expédia son repas en trois coups de dents puis, se levant de table, alla prendre Marie par le bras pour l’entraîner à l’écart d’un salon.

— Avez-vous besoin d’entendre encore quelques vérités ? goguenarda celle-ci.

— J’ai surtout besoin d’en apprendre un peu plus sur ce qu’il y a au fond de votre belle tête. Je ne sais, au juste, pourquoi vous êtes allée chercher Sylvie.

— Je vous l’ai dit : Laffemas risquait de remettre la main sur elle.

— Sornettes ! Avez-vous oublié ce grand amour du jeune Fontsomme dont vous m’avez entretenu naguère ? C’est pour lui que vous êtes allée la prendre. Pour la lui donner ?

— Non. Que vous le vouliez ou non, elle était en grave danger, mais j’avoue volontiers que par la suite j’ai songé à les réunir…

— Elle et ce jeune blanc-bec pompeux ?

— C’est le plus charmant garçon que je connaisse et il l’adore. Vous n’imaginez pas qu’elle va user toute sa vie à contempler votre image, de préférence en pleurant ? Elle a droit à un bonheur que vous êtes incapable de lui donner.

— Alors pourquoi n’est-il pas encore ici ? fit François narquois.

— Je l’ignore et je n’ai aucune idée de l’endroit où il se trouve.

— Vous lui avez écrit et votre lettre est restée sans réponse, n’est-ce pas ?

— Je l’avoue mais ne prenez pas cette mine de matou qui va croquer une souris ! Je crains seulement qu’il ne soit arrivé…

— Rien du tout que d’agréable, ma chère ! Il est en Piémont auprès de la duchesse de Savoie. Une ambassade que vient de rejoindre ce jocrisse que l’on appelle maintenant Mazarin. Il court après un chapeau de cardinal, celui-là ! Quant à votre héros, je gage qu’il aura trouvé là-bas quelque belle mieux fournie en appas que notre pauvre chaton. Ils ont des femmes magnifiques…

— C’est possible, mais elles ne lui feront ni chaud ni froid ! Ce n’est pas votre faute, mon pauvre François, mais vous êtes tout à fait incapable d’éprouver un sentiment de cette qualité. Cela tient je crois aux appétits un rien vulgaires qui percent dans votre langage ! Quant à moi, je n’ai plus qu’un mot à vous dire : je ferai tout au monde pour extirper de la cervelle de Sylvie votre image de héros pour mauvais roman !

Et, avec un air de tête superbe, Mlle de Hautefort s’en alla retrouver Mme de La Flotte…

Les Vendôme repartis dans le vacarme qui accompagnait toujours leurs déplacements, même les plus secrets, le château de La Flotte retrouva le silence… mais pas pour longtemps : le lendemain, un courrier du Roi y mettait pied à terre sous l’œil inquiet de Marie qui se demandait si cet homme n’apportait pas l’ordre de la conduire dans quelque prison, mais elle se rassura en pensant qu’il était seul. Et puis sa lettre était adressée à Mme de La Flotte… En fait, elle contenait un ordre assez inattendu : celui pour l’aimable dame de venir, aussi discrètement que possible, rejoindre le Roi en son petit château de Versailles.

L’œil de Marie s’alluma : son ancien souffre-douleur commençait-il à la regretter et, en s’adressant à sa grand-mère, entamait-il des pourparlers de retour en grâce ? Sans être pour autant outrecuidante, elle ne voyait pas d’autre raison à une entrevue aussi peu conforme aux habitudes de cour.

— Il s’agit peut-être d’un de vos frères ? hasarda la vieille dame pour doucher un peu cet enthousiasme qui lui paraissait un rien présomptueux, mais Marie ne fit qu’en rire :

— Il ne ferait pas tant d’histoires ! Croyez-moi, ma bonne mère, j’ai raison. Si ce n’est pas cela, je pars pour l’Espagne rejoindre la duchesse de Chevreuse !

— Vous êtes trop bonne Française ! Vous ne feriez pas cela. Eh bien, je crois qu’il me faut hâter mes préparatifs si je veux être à temps à l’audience du Roi.