— Mesdames, certaines d’entre vous ont connu voici peu d’années Mlle de L’Isle, élevée par Mme de Vendôme sous ce nom afin de la soustraire à de grands dangers. Elle nous revient à présent sous son véritable nom. Mesdames, je vous présente Mlle de Valaines qui est aussi la fiancée de M. le duc de Fontsomme…
Sylvie s’était relevée pour adresser à la ronde une belle révérence. Elle avait l’impression d’être une comédienne sur un tréteau en train de jouer un rôle un peu usé. Pourtant, cette fois, elle ne vit que des sourires sur ces visages féminins qui l’entouraient, et la jeune femme blonde ajouta pour sa part :
— J’espère, Madame, qu’elle nous revient tout à fait ! Nous manquons beaucoup de jolies voix et comme Votre Majesté a fait ranger avec soin la guitare de mademoiselle ainsi que ses affaires personnelles…
— C’est mon plus vif désir, ma bonne Motteville ! Mon cher duc, vous n’y voyez pas d’inconvénient, n’est-ce pas ?
Le regard inquiet du jeune homme un instant attardé sur le groupe silencieux des filles d’honneur renseigna mieux la Reine sur son embarras qu’un long discours. Elle reprit :
— Non. Pas à son ancien poste, où d’ailleurs Mlle de Valaines n’a jamais été inscrite. J’aimerais la garder… comme lectrice ? En attendant son mariage, bien sûr, où elle sera admise au nombre de mes dames. Peut-être à un rang privilégié, ajouta-t-elle avec un étroit sourire à l’adresse de Mme de Brassac, créature de Richelieu et sa dame d’honneur par force. Qu’en dites-vous, Sylvie ?
— Que je suis aux ordres de Votre Majesté ! répondit celle-ci avec un rayonnant sourire. Puisqu’elle échappait aux filles d’honneur, elle était d’accord pour réintégrer la Cour. Cela convenait à ses plans, surtout pour le peu de temps où elle occuperait la fonction de lectrice. Il lui serait très facile d’aller chercher au Louvre le dépôt d’autrefois. Ensuite, et puisqu’elle allait chanter de nouveau, il fallait espérer que le Cardinal la ferait appeler. Et là…
Quelques jours plus tard, Sylvie, après avoir écrit à Marie de Hautefort pour lui réclamer Jeannette, emménageait au château de Saint-Germain, dans une petite chambre proche de celle de la Reine et qu’elle occuperait seule. Cette dernière circonstance était venue à bout des craintes exprimées par Jean et aussi par Perceval, assez surpris l’un et l’autre de l’enthousiasme avec lequel Sylvie s’était rendue au désir de la Reine, mais puisque cela semblait lui plaire, ils n’eurent pas le courage de le lui reprocher. D’ailleurs, en tant que fiancé, le jeune duc aurait toutes les possibilités de veiller sur celle qu’il aimait…
— Après tout, conclut-il en souriant pour effacer les derniers plis du front de son ami, elle finira peut-être par accepter de devenir ma femme.
Cela, Perceval en doutait un peu et son inquiétude, pour être dissimulée, demeura entière. Quelque chose le tourmentait dans cette histoire. Sylvie, il en était certain, poursuivait un but secret caché sous des sourires et un enjouement qu’il sentait factices, mais il fut incapable d’en apprendre davantage. Sylvie était seule quand, sous le prétexte de chercher une médaille perdue, elle se fit ouvrir par le gardien du Louvre qui la connaissait bien son ancienne chambre. La fiole de verre sombre était toujours là. Elle la glissa dans son corsage et, après avoir fait mine de retrouver le menu objet qu’elle avait apporté, elle partit vers le nouveau destin qu’elle s’était tracé.
CHAPITRE 10
LE PLUS HONNÉTE HOMME DE FRANCE
Ce qui n’avait pas changé dans la demeure des rois de France, c’était l’atmosphère. L’ancienne tension y régnait toujours. Depuis le complot de Cinq-Mars, la Reine, en dépit de la naissance de ses deux fils, restait suspecte à son époux. Jadis, la menace qui pesait sur elle était celle de la répudiation. Maintenant, c’était celle de se voir enlever ses enfants par deux hommes, le Roi et son ministre, aussi malades, aussi atrabilaires l’un que l’autre. En réintégrant une cour où le deuil renforçait la morosité, Sylvie en ressentit l’ambiance avec l’acuité que donnent les peines. Selon elle, c’était même pire qu’avant. Non seulement il n’y avait plus de bals, de comédie ni de grandes fêtes sinon religieuses, mais la Reine vivait retirée au milieu d’un cercle sur lequel régnaient les Brassac, mari et femme, et où les visages avenants se faisaient rares parce que l’on avait écarté tous ceux qu’elle aimait : La Porte toujours en exil, la bonne Mme de Senecey renvoyée dans sa famille, Marie de Hautefort bien entendu. Chez les filles d’honneur, il y avait aussi de grands changements, comme chez les dames du cercle habituel : la princesse de Guéménée était entrée au couvent, Mme de Montbazon, toute à Beaufort, se tenait à l’écart, ainsi que la jeune duchesse de Longueville qui jugeait la Cour trop ennuyeuse. En revanche, on voyait beaucoup l’ex-Mme de Combalet devenue duchesse d’Aiguillon par la volonté de son oncle le Cardinal et qui, sûre de sa puissance, ne craignait pas de s’imposer. En résumé, seule la nouvelle venue, Françoise de Motteville, représentait une véritable source de chaleur et Sylvie comprit sans peine que la Reine, dans son désarroi, se soit attachée à cette fraîche Normande paisible, lettrée et douée d’une certaine philosophie dépassant les limites du cercle royal puisque, dans les salons de Paris, on la surnommait Socratine. En outre elle écrivait à merveille et, tenant un journal régulier, elle servait d’historiographe à la Reine qui lui racontait volontiers les événements ayant précédé son installation auprès d’elle.
Mme de Motteville accueillit Mlle de Valaines avec une visible satisfaction. D’abord parce qu’elle lui fut tout de suite sympathique, ensuite à cause de la distraction que sa guitare et ses chansons apportaient à la souveraine. D’autre part, Sylvie, comme elle-même, parlait l’espagnol et il arrivait que les trois femmes, enfermées tard le soir dans la chambre de la Reine, restassent à bavarder pendant des heures dans la langue de celle qui n’était pas encore parvenue à se faire à l’idée qu’elle n’était plus et ne serait plus jamais une infante d’Espagne.
Le Roi, on le voyait peu. Toujours possédé, en dépit de ses maux, par sa passion de la chasse et son besoin d’espaces libres, il ne sortait guère de son petit château de Versailles que pour galoper autour de Paris où il s’arrêtait à la Visitation, auprès de sœur Louise-Angélique, pour demander à cet ancien amour la consolation du tragique trépas de son favori. Un jour à Chantilly, il était le lendemain à Verberie, puis à Nanteuil chez les Schomberg, à Claye, à Meaux, à Livry, à Jossigny, à Saint-Maur…
Le Cardinal, lui, cherchait dans les eaux de Bourbon-Lancy un hypothétique soulagement à ses souffrances et le nouveau cardinal Mazarin ne le quittait guère, ce qui aiguisait la curiosité de Sylvie. Bien entendu elle ne l’avait jamais vu encore mais, lorsque la Reine en parlait, elle y mettait une chaleur qui lui rappela le jour, proche de la conception du Dauphin, où Anne d’Autriche avait montré tant de joie en recevant les jolies choses qu’il lui avait envoyées d’Italie. Et aussi la réaction violente de Beaufort. Malheureusement, Marie n’était plus là pour recevoir les confidences royales et celle qui les recueillait à présent ne songeait en aucune façon à les partager avec la nouvelle lectrice. Impossible de savoir ce qui subsistait de la passion d’autrefois.
Durant cette villégiature un peu étouffante de Saint-Germain, Sylvie eut pourtant l’impression de s’être fait un ami. Un jour que, retirée dans sa chambre tandis que la Reine était au jardin, elle changeait une corde à sa guitare, elle vit tout à coup devant elle le Dauphin qui la regardait avec cette gravité dont il se départait rarement. Surprise, elle voulut se lever pour le saluer comme il convenait, mais il l’arrêta :
— Non. Je suis seulement venu vous demander si vous vouliez bien m’apprendre à jouer de la guitare.
Ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait et elle retrouva aussitôt l’émotion déjà ressentie en sa présence. C’était un bel enfant de quatre ans qui, pour l’observateur superficiel, ressemblait assez à sa mère dont il avait la bouche ronde mais, sur ce visage enfantin, Sylvie savait lire d’autres traces : la forme du nez, par exemple, et le bleu étincelant du regard. Comme Beaufort lui-même lorsque pour la première fois il s’était trouvé devant le petit prince, elle sentit que son cœur n’aurait aucune peine à aller vers lui et elle eut, pour lui, le plus chaud des sourires.
— Monseigneur, vous pourriez avoir un meilleur maître que moi ?
— Non, fit-il d’un ton net. C’est vous que je veux parce que vous m’apprendrez des chansons, que vous êtes jolie et que vous sentez bon !
Cette dernière précision la fit rire. Contrairement à nombre de ses contemporains, en effet, Sylvie, à l’exemple de François, était convertie aux bienfaits de l’eau, froide de préférence. C’était depuis le jour où, à Vendôme et alors qu’il sortait de se baigner dans le Loir, il lui avait raconté que son aïeule quasi légendaire, Diane de Poitiers, conserva sa beauté jusqu’à un âge avancé en lavant chaque jour son corps, été comme hiver, avec de l’eau froide. À Belle-Isle, dès qu’elle fut remise, elle se baignait quotidiennement dans la mer, et depuis elle s’était efforcée de continuer, ce qui n’était pas toujours facile, surtout à la Visitation…
— Alors, dit-elle en achevant de fixer sa corde et en égrenant quelques notes, voulez-vous que nous commencions ?
— Oh oui ! approuva-t-il dans un soupir fervent.
Sa mine ravie fit chaud au cœur de Sylvie qui installa l’enfant et commença sa leçon en pensant que la taille de l’instrument poserait peut-être quelques problèmes. Une inquiétude qui ne dura pas, tant le petit Louis mit de farouche volonté à dompter la guitare. Et, dans les jours qui suivirent, elle prit plaisir, la Reine ayant donné son accord, à ces leçons que le petit prince ne trouvait jamais assez longues et qui développèrent entre eux une amitié silencieuse, devenue, chez Sylvie, une véritable tendresse. Louis était un élève idéal : il avait beaucoup d’oreille, un sens profond de la musique, et sa petite voix fraîche était irrésistible quand il chantait.
Naturellement, le jeune Philippe, son cadet de deux ans, voulut participer mais Louis s’y opposa avec une si farouche volonté, jurant qu’il cesserait lui-même ses leçons si son frère les partageait, que l’on n’osa pas le contrarier.
— Plus tard, Monseigneur, quand Votre Altesse sera plus grande, expliqua Sylvie à ce petit bonhomme trop joli pour n’être pas séduisant et un peu énigmatique. La jeune fille n’arrivait pas à comprendre comment, en ressemblant au Roi, Philippe trouvait le moyen d’être aussi ravissant. Il est vrai qu’avec ses boucles épaisses, noires et brillantes, ses grands yeux sombres toujours pétillants et sa frimousse rose, le bébé était irrésistible. La Reine, qui vouait à son fils aîné une sorte d’idolâtrie, raffolait de ce tout-petit qu’elle appelait sa « petite fille » et s’amusait à le parer comme s’il ne devait jamais porter autre chose que des jupes et des fanfreluches féminines…
Ces nouvelles occupations plaisaient tant à Sylvie qu’elle en oubliait presque ses dramatiques projets. C’était d’autant plus facile que l’on n’avait aucune nouvelle des émigrés de Londres et que le Cardinal était toujours absent. Un jour, cependant, la nouvelle arriva : Richelieu, toujours par la voie des eaux, venait de regagner son château de Rueil où la Reine l’alla voir le 30 octobre.
À son retour, elle fit appeler Sylvie :
— J’ai cru pouvoir promettre à Son Éminence que vous iriez chanter pour elle ce soir. Non, ne dites rien, ajouta-t-elle devant le geste d’instinctif refus de la jeune fille. C’est à présent un homme fort malade et vous ferez là acte de charité…
— Il y a si longtemps qu’on le dit malade, Madame, et même à toute extrémité, que je ne vois pas bien où serait la charité ? En outre, ma dernière visite au château de Rueil m’a laissé un souvenir…
— Affreux, je le sais, mais cette fois vous prendrez l’une de mes voitures et M. de Guitaut en personne vous accompagnera. Il ne peut plus rien vous arriver… Allons, mon petit chat, un bon mouvement ! Songez que c’est moi – et vous savez ce que j’ai souffert de son fait – qui vous demande cet effort. Le ferez-vous ?
Sylvie plongea dans sa révérence : elle avait suffisamment fait preuve de mauvaise volonté.
— Aux ordres de Votre Majesté.
— C’est bien. Allez vous préparer !
Rentrée chez elle, Sylvie commença par s’asseoir et tira de son corsage la fiole de poison qui ne la quittait plus. Ainsi, le moment qu’elle espérait et redoutait à la fois était venu ! L’occasion lui était peut-être donnée d’en finir avec l’homme qui depuis toujours s’efforçait de détruire les Vendôme et François en particulier à cause de son amour payé de retour pour la Reine ! Mais parviendrait-elle à lui faire absorber le poison ? Il était peu probable que Richelieu, s’il était aussi malade que le disait la Reine, lui demande un verre de vin d’Espagne…
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