Jusqu’à ce que, derrière la porte, éclate la voix de Pierre de Ganseville :

— Tout est prêt, monseigneur. Il faut partir… et vite ! La nuit commence à céder et il y a une troupe qui se masse au portail…

— Fais-les partir ! Je vous rejoins !

Beaufort bondit sur ses vêtements qu’il enfila tant bien que mal avec la gêne de son bras blessé. Machinalement, Sylvie, les yeux agrandis d’effroi, fit de même sans qu’ils prononcent une seule parole. Mais quand ils furent prêts ensemble, le même mouvement les jeta dans les bras l’un de l’autre pour un dernier baiser, puis François s’arracha et partit en courant. À l’extérieur, on entendait le vacarme d’un bélier lancé contre le portail de chêne… Elle descendit derrière lui tandis que le roulement des chariots s’éloignait.

Ce fut au moment où ils arrivaient au perron que la porte s’effondra, précipitant à terre les soldats qui maniaient la lourde poutre. Un homme surgit, les enjamba, et Sylvie, avec un cri d’horreur, reconnut son époux, ou plutôt devina que c’était son époux, bien qu’une folle colère convulsât son visage au point de le défigurer lorsqu’il vit Beaufort sortir de chez lui. Il brandit son épée et fonça sur l’intrus la lame haute :

— Pour cette fois je vais te tuer, larron d’honneur !

Sans répondre, François dégaina et repoussa brutalement derrière lui Sylvie qui voulait se jeter entre les deux hommes. Corentin, qui arrivait derrière Fontsomme, arrêta un nouvel élan et la maintint fermement.

— C’est affaire à eux, madame Sylvie ! Vous ne devez pas vous en mêler.

Les soldats qui avaient enfoncé la porte devaient penser la même chose car ils s’étaient arrêtés, fascinés par ce spectacle de choix pour des gens de guerre : un beau duel.

Car ce fut un beau duel. Les deux combattants étaient de force à peu près égale. Sans se dire un mot, ils concentraient leur fureur dans la mince lame d’acier qui prolongeait leur bras. Feintes, esquives, bottes hardies, assauts fougueux, toute la gamme du mortel jeu d’escrime y passa, si brillante que l’on entendit même quelques applaudissements. À genoux sur le perron, Sylvie priait éperdument, sans trop savoir de quel côté diriger sa prière. Et soudain, ce fut le drame. Il y eut un cri étouffé tandis que l’épée de Beaufort s’enfonçait dans la poitrine de son adversaire. Fontsomme s’abattit comme une masse.

Le cri de Sylvie fit écho à celui de son époux. Vivement relevée, elle courut vers lui et s’effondra sur son corps :

— Jean !… Ce n’est pas possible !… Il faut que vous viviez… pour moi… qui vous aime et pour notre Marie… Jean, répondez-moi !

Les yeux déjà clos se rouvrirent et le mourant eut un sourire :

— Mon cœur… Je vais vous aimer… ailleurs !

La tête, redressée dans un ultime effort, retomba…

Resté debout mais comme frappé par sa propre foudre, François se pencha, toucha l’épaule de Sylvie. Elle tressaillit, se redressa, et il vit son regard flamber de colère à travers ses larmes :

— Je ne vous reverrai de ma vie ! gronda-t-elle avant de retomber sur le corps sans vie de son époux.

Ganseville, revenu sur ses pas pendant le combat avec les chevaux, saisit son maître par la manche et l’entraîna presque de force tandis que, près du portail, les soldats réveillés de leur fascination s’élançaient avec des cris sauvages…

Ce jour-là, Paris fut ravitaillé.

Neuf mois plus tard, Sylvie donnait le jour à un petit garçon.