La tempête en question a été terrible. Elle a secoué le Royaume-Uni et même l’Europe entière. Mais revenons quelques mois en arrière.

Au soir du 11 décembre 1936, le monde entier est à l’écoute de la BBC autour du peuple britannique qui vit là une crise sans précédent dans son histoire. Quelques heures plus tôt, le roi Édouard VIII, qui a accédé au trône le 26 janvier précédent, a signé le document suivant :

« Je, Édouard VIII de Grande-Bretagne, d’Irlande et des Dominions britanniques d’au-delà les mers, empereur des Indes, déclare par la présente ma décision irrévocable de renoncer au trône pour moi et mes descendants. Et je désire qu’effet soit immédiatement donné à cet instrument d’abdication. »

Il reste à celui qui s’en va à faire ses adieux à cette Angleterre qu’il aimait et qui l’aimait et où, en principe, il ne devra plus jamais revenir. Et c’est cela que le monde attend, en écoutant la radio anglaise.

À l’heure prévue, le téléphone est suspendu partout et, venue du château de Windsor, une voix émue se fait entendre :

« Me voici, après un long silence, capable de dire moi-même quelques mots. »

Le silence, en effet, a été imposé au roi durant la longue, l’épuisante bataille qu’il a soutenue, non contre un peuple qui lui était attaché et qui, peut-être, l’eût compris, mais contre son Premier ministre, Stanley Baldwin, et contre l’archevêque de Canterbury, sans compter – et ce fut le plus déchirant – contre sa mère et ses frères. On ne lui a pas permis de s’adresser à la nation mais à présent qu’il renonce à tout, qu’il n’est plus que Son Altesse royale le duc de Windsor (à noter que la duchesse n’aura jamais droit au titre d’Altesse royale), nul ne peut plus lui contester ce droit.

Ses premières paroles sont pour reconnaître la souveraineté de son frère, le duc d’York, qui vient de lui succéder sous le nom de George VI :

« Ceci, je le dis de tout mon cœur. Tout le monde sait pourquoi je m’en vais mais tout le monde doit savoir qu’en prenant ma résolution, je n’ai pas oublié le pays que je me suis efforcé de servir pendant vingt-cinq ans comme prince et comme roi. Mais vous devez me croire lorsque je vous dis que j’ai jugé impossible de continuer à assumer ma lourde responsabilité et d’accomplir comme je le voulais mon devoir de roi sans l’aide et le soutien de la femme que j’aime. »

Ces mots tout simples ont fait sortir nombre de mouchoirs parce qu’on les sentait venus du cœur. Mais, l’émotion est combattue par la déception, la colère aussi. On n’a guère de sympathie pour Mrs. Simpson et l’on pense qu’à son âge – il a quarante-deux ans –, Édouard VIII aurait pu avoir plus de raison. Il était le prince charmant de l’Europe et on ne comptait plus les princesses, jeunes et belles, ou les jeunes Anglaises de grandes familles qui eussent fait d’excellentes reines. Or Wallis Simpson n’est pas jeune – deux ans de moins que le roi – et pas belle non plus. Mais son charme et son élégance sont extrêmes et elle restera longtemps l’une des dix femmes les plus élégantes du monde. Néanmoins, à cet âge, on pourrait douter qu’elle réussît à donner un héritier à l’Angleterre, en admettant qu’il n’y eût pas d’autres empêchements car elle n’a pas eu d’enfants de ses précédents maris.

Le prince de Galles l’a rencontrée deux ans plus tôt et très vite s’est attaché à elle. Wallis et son mari anglais – le premier était américain et se nommait Earl Spencer – firent très vite partie de la petite bande qui fréquentait chaque week-end Fort-Belvédère, le château du prince où il s’adonnait avec passion aux joies simples du jardinage.

On parlait beaucoup de cette liaison mais le scandale n’a véritablement éclaté que durant l’été 1936 à propos d’une croisière en Méditerranée à laquelle participaient le nouveau roi et Mrs. Simpson, plus quelques amis mais moins Ernest Simpson. Au retour d’ailleurs partait la demande en divorce.

Tout de suite ce fut la bataille. Bataille contre la Society, contre l’Église, contre le Parlement, contre la presse, contre la famille royale, contre Wallis elle-même épouvantée par l’ouragan qui se levait. Le tout avec pour unique soutien l’amitié vigoureuse et la combativité féroce de Winston Churchill.

Mais la lutte était trop inégale, en dépit des manifestations d’affection du peuple anglais et singulièrement des suffragettes qui promenaient par les rues d’immenses pancartes aux termes desquelles ces dames intimaient à Stanley Baldwin l’ordre d’« ôter ses mains de sur le roi ». Néanmoins peut-être fût-on arrivé à un accord si le roi s’était contenté d’un mariage morganatique mais il n’en voulait pas : Wallis serait reine ou lui ne serait plus roi.

À présent, c’est chose faite. Celui qui s’en va achève son allocution :

« Et maintenant, nous avons tous un nouveau roi. Je lui souhaite de tout mon cœur, ainsi qu’à vous qui êtes son peuple, bonheur et prospérité. Dieu vous bénisse tous ! Dieu sauve le roi… »

Quelques minutes plus tard, le duc de Windsor monte en voiture et gagne Portsmouth par un temps détestable. Il est seul, sans escorte. Dans le port, un navire de guerre, le Fury, attend. Il appareille en direction de la France. Mais l’ex-roi ne fait que la traverser : le divorce de Wallis n’est pas encore effectif et il n’a pas le droit de rejoindre celle qu’il aime au point de lui sacrifier la plus grande couronne du monde. C’est en Autriche, au château d’Enzesfeld, près de Vienne, appartenant au baron Eugène de Rothschild, qu’il va attendre l’appel de Wallis.

Quand sonne l’heure de Candé tous deux savent que le revoir est pour bientôt. Le 4 mai, c’est chose faite : le duc arrive à Candé.

Le mariage a lieu le 3 juin suivant par un temps superbe. La mariée porte une robe de satin bleu pâle – le fameux bleu Wallis – qu’a signée le couturier Mainbocher et un chapeau assorti, œuvre de la grande modiste Caroline Reboux. Quelques amis seulement assistent à ce mariage, bien moins nombreux que la marée de journalistes qui assiège les grilles de Candé : Randolph Churchill, lord et lady Metcalfe, lady Selby, le baron et la baronne de Rothschild, George Allen et enfin Hugh Luyd Thomas. Sans compter bien sûr les Rodgers. Un prêtre anglican, le révérend R. Anderson Jardine, a bravé les foudres de son évêque pour marier son ancien roi. Quelques heures plus tard, le duc et la duchesse de Windsor partent pour l’Autriche et pour une union exemplaire qui durera trente-cinq ans, jusqu’à la mort du duc. Candé retombait au silence.

Trois mots, tout de même, du château. Il avait été construit en 1508, sur des fondations féodales, par le cardinal Guillaume Briçonnet qui, entré dans les ordres à la suite de son veuvage, atteignit les plus hautes fonctions : conseiller du roi Charles VIII, puis surintendant des Finances, il devint archevêque de Reims mais perdit son chapeau de cardinal pour avoir soutenu le roi Louis XII contre le pape Jules II. Le château appartint par la suite à la famille Brodeau puis à la famille de Fleury, aux Drake del Castillo jusqu’à ce qu’en 1927 Charles Bedeaux s’en rendît acquéreur.

Aujourd’hui, le château est la propriété du Conseil général d’Indre-et-Loire.


HORAIRES D’OUVERTURE

D’avril à juin

10 h 30-12 h 30 et 13 h 30-18 h

(fermé les lundis et mardis)

De juillet à août

10 h 30-12 h 30 et 13 h 30-18 h

(fermé les lundis et mardis)

D’octobre à novembre

13 h-17 h

(fermé les lundis et mardis)

http://www.domainecande.fr

Carrouges

Le sang de la fée

Tous les parfums de l’Arabie ne purifieraient pas cette petite main-là.

SHAKESPEARE, Macbeth

Y avait-il déjà un château, ou tout au moins une maison forte à cette croisée de chemins forestiers, sur cette haute crête d’où l’on domine la Normandie profonde, aux temps mérovingiens où régnaient les sanglants Clotaires ? Toujours est-il qu’une légende est née qui a traversé les siècles depuis la nuit des temps.

À cette époque donc, le maître de Carrouges – le nom, en patois, signifie carrefour –, c’est le comte Ralph, époux d’une noble et charmante femme dont le nom semble choisi pour un conte : Évelyne du Champ de la Pierre. Le couple serait pleinement heureux si un enfant lui venait mais, au bout de sept années de mariage, le berceau ancestral demeure désespérément vide.

Un jour enfin, à force de prières et d’aumônes, la comtesse annonce que le ciel s’est laissé toucher et qu’elle a des espérances.

Une pareille nouvelle, cela se célèbre. On n’y manque pas. Une fête est donnée pour tous ceux d’alentour, amis et vassaux, pour tous ceux qui veulent venir et ils sont nombreux. Or, au cours de cette fête qui comporte une chasse comme il se doit en pays forestier, le comte Ralph disparaît. Les heures passent sans le ramener et, la nuit venue, on l’attend toujours.

En fait, il ne lui est rien arrivé de grave. Acharné à la poursuite du gibier il a fini par se perdre dans la forêt où la nuit l’a surpris. Après avoir erré longuement, il arriva dans un vallon. La lune s’était levée et faisait briller l’eau d’une fontaine auprès de laquelle se tenait une jeune femme vêtue de blanc, la plus belle dame sans doute que Ralph eût jamais vue. C’était une fée rayonnante de jeunesse et de beauté aux pieds de laquelle le comte, oubliant sa femme et l’enfant à venir, mit aussitôt son cœur et ses désirs. La fée lui sourit et l’entraîna dans une danse folle autour de la fontaine où ils finirent par tomber tous les deux mais pour d’autres ébats.

Au matin, le comte rentra chez lui où l’on était en peine. Il expliqua, ce qui était presque vrai, qu’il s’était perdu mais qu’il avait eu la chance de trouver une cabane de bûcheron. L’incident fut vite oublié mais, le soir venu, prétextant les grandes précautions que devait prendre sa dame, il la laissa dormir seule et repartit dans la nuit.

Cela dura plusieurs mois, jusqu’à ce qu’enfin la comtesse Évelyne s’aperçût que son époux n’allait pas se coucher quand il lui disait bonsoir mais enfourchait son cheval et filait dans la forêt. Un soir elle le suivit et comprit son malheur : Ralph dansait dans le clair de lune avec une créature de rêve et s’abîmait finalement avec elle dans l’eau étincelante.

Le lendemain, elle fut au rendez-vous avant lui. La fée, assise sur la fontaine, peignait ses longs cheveux blonds. Évelyne tira alors le poignard d’or qu’elle portait à sa ceinture et frappa. Avec un grand cri sa rivale disparut dans la fontaine qui se teignit de sang tandis que la meurtrière revenait au château en toute hâte.

Au matin, on trouva près du château le cadavre du comte. Le même poignard qui avait tué la fée lui traversait la gorge. On courut, bien sûr, annoncer la terrible nouvelle à la comtesse qui dormait encore. Mais quand le jour éclaira son visage, on se rendit compte avec horreur que son front portait une large tache de sang. Une tache qui, à l’instar de celle qui souillait lady Macbeth, ne s’effacerait jamais. Plus grave encore : lorsque l’enfant qu’elle attendait vint au monde, la même tache sanglante marquait son petit front. On l’appela Karl. Il fut, pour tous, Karl le Rouge…

Si l’on quitte la légende pour l’Histoire, on trouve le premier seigneur de Carrouges connu en 1150. Il se nommait Roger et afficha pour la première fois les armes des seigneurs : de gueules aux fleurs de lys d’argent. Auparavant, le fief appartenait aux ducs de Normandie et on ne sait trop qui le tenait pour eux. Mais un drame réel marque le château au XIVe siècle. Jean de Carrouges, parti avec l’amiral Jean de Vienne en direction des côtes anglaises, a laissé au logis sa belle épouse Marguerite sous bonne garde. Garde insuffisante peut-être car, à son retour, Jean trouve Marguerite en larmes. Elle a, dit-elle, été violée par un certain Le Gris, chambellan du duc d’Alençon. On devine la fureur du mari. Enquête, contre-enquête, plainte au Parlement normand. Le Gris fournit un alibi pour la nuit incriminée mais Carrouges n’y croit pas. Il demande, il exige le duel judiciaire. Le duel a lieu. Et Le Gris est tué.

Que croyez-vous qu’il arriva ? La dame de Carrouges désespérée, ravagée de remords alla s’enfermer, sa vie durant, dans la cellule d’un couvent.

Pendant la guerre de Cent Ans, Robert de Carrouges prend parti pour les Anglais, change d’avis, ce qui lui vaut la confiscation de ses terres par le roi anglais Henri VI – Jeanne d’Arc est déjà passée d’ailleurs et la Normandie n’en a plus pour longtemps à être britannique. Quoi qu’il en soit notre Carrouges participe à la défense du Mont-Saint-Michel et se fait tuer à la bataille de Verneuil.