Son fils, Joseph-François, épouse la nièce de Mme de Montespan, étonnante jeune femme dont Saint-Simon a tracé le portrait vivant :
« Madame de Castries était un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite mais bien prise, et aurait passé dans un médiocre anneau : ni derrière, ni gorge, ni menton ; fort laide, l’air toujours en peine et étonné ; avec cela une physionomie qui éclatait d’esprit et qui tenait encore plus parole. Elle savait tout : histoire, philosophie, mathématiques, langues savantes et jamais il ne paraissait qu’elle sût mieux que parler français ; mais son parler avait une justesse, une énergie, une éloquence, une grâce jusque dans les choses les plus communes avec ce tour unique qui n’est propre qu’aux Mortemart. Aimable, amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec la dernière finesse sans le vouloir être et assenant aussi les ridicules à ne jamais les oublier… Avec sa gloire, elle se croyait bien mariée par l’amitié qu’elle eut pour son mari ; elle l’étendit à tout ce qui lui appartenait et elle était aussi glorieuse pour lui que pour elle. Elle en recevait la réciproque et toutes sortes d’égards et de respects. » Quel portrait, quand on connaît la plume acerbe du mémorialiste !
Hélas, elle meurt jeune et l’époux qu’elle aimait tant se remarie avec la fille du duc de Lévis. Ils vont être les parents d’un grand soldat, l’un des plus grands serviteurs du royaume : Charles-Eugène-Gabriel de Castries qui, marié à seize ans à la petite-nièce du cardinal de Fleury, va trouver le moyen d’être le plus jeune maréchal de camp, le plus jeune lieutenant général, le plus jeune chevalier du Saint-Esprit et l’un des plus jeunes stratèges de France. Il n’a que trente-trois ans quand il remporte la victoire de Clostercamp où meurt le chevalier d’Assas, son jeune voisin dont le château s’aperçoit de la terrasse de Castries. Ministre de la Marine de Louis XVI de 1780 à 1787, il est le maître d’œuvre de la grande expédition navale commandée par l’amiral de Grasse, qui aboutira à la bataille de Yorktown et à la victoire des États-Unis sur l’Angleterre. Il donne, en outre, leurs commandements au bailli de Suffren, à La Motte-Picquet et, soutenu par le roi, il offre à la France la marine la plus forte de l’époque. Malheureusement, la Révolution détruira son œuvre en grande partie. Mais de cette œuvre restent deux éclatants témoignages : le port de Cherbourg et le Code maritime…
Après la prise de la Bastille, le maréchal choisit d’émigrer, puisque apparemment on n’avait plus besoin de lui, mais il voulut servir encore en tentant d’empêcher la publication du Manifeste de Brunswick dont on connaît les désastreux effets. Premier ministre du roi en exil, c’est en exil, au château de Wolfenbüttel, que meurt ce grand homme dont la mémoire devrait être vénérée par d’autres que les siens.
Son fils fut digne de la tradition militaire de la famille.
Le château, lui, avait beaucoup souffert de la Révolution, saccagé, vendu et partagé entre quatorze propriétaires. Ce fut l’époux de notre « duchesse de Langeais » qui réussit à rassembler le domaine et à le restaurer tout en menant à bien une belle carrière militaire. Mais il n’avait pas d’enfants et dut léguer le château et le titre à son neveu Edmond. Soulignons que la sœur de cet Edmond épousa le maréchal de Mac-Mahon… et devint de ce fait « présidente » de la République !
Autres grands soldats ? Henri, qui fut le compagnon de Charles de Foucauld, fondateur du Service historique du Maroc et le conseiller du maréchal Lyautey. Enfin, le général de Castries, grand cavalier devant l’éternel, qui assumera aux yeux du monde l’héroïque défense de Diên Biên Phu… C’est à la paix du château qu’il viendra demander de lui rendre la santé et la sérénité de l’âme.
Heureusement pour lui, le château, qui en avait encore grand besoin, avait été entièrement remis en état à partir de 1936 par un jeune ménage qui y sacrifia vingt ans de son existence : le duc et la duchesse de Castries. Lui s’attaqua aux jardins, elle à l’intérieur, et tout renaquit aussi beau que par le passé, mais plus confortable. Pendant dix ans, la jeune duchesse ne mit pas les pieds à Paris.
Mais peut-être le soin du château n’était-il pas son seul souci. S’y joignait le désir bien naturel de suivre les importants travaux historiques de son époux, une œuvre magistrale qui devait conduire le duc de Castries à l’Académie française. Lui ne vécut pas par l’épée et cependant son talent devait lui en apporter une, prestigieuse !
À sa mort en 1986, le dernier duc de Castries lègue le château à l’Académie française.
HORAIRES D’OUVERTURE
Le château est actuellement fermé pour travaux de restauration.
http://www.institut-de-france.fr/fr/patrimoine-musees/ch%C3%A2teau-de-castries
1- On dit Castries pour le village et Castres pour la famille. Il y a, en effet un autre Castres dans le Tarn. Voir Hauterive (tome 2).
Chamarande
Folle et cruelle Églé
Perversité de femme !… Quel plaisir, quel instinct la porte à nous tromper ?
Bâti par François Mansart sur des jardins de Le Nôtre pour le plus discret et le plus efficace des secrétaires de Louis XIV, Pierre Mérault, le château de Chamarande – briques roses et chaînages de pierres blanches – a vécu dans le calme et la dignité jusqu’à ce qu’une très jolie femme en devînt châtelaine et transformât cette aimable demeure en antichambre de l’enfer à l’usage de son mari. Ce mari, Victor Fialin de Persigny, n’était pourtant ni un niais ni un innocent puisqu’il fut le maître d’œuvre du second Empire et l’ami le plus dévoué de l’empereur Napoléon III.
Louis Napoléon n’est encore que prince-président quand, dans la chapelle de l’Élysée, il préside au mariage de son fidèle Persigny avec l’une des plus ravissantes filles de la noblesse d’Empire : Églé Ney de La Moskowa, petite-fille du fameux maréchal Ney et du banquier Jacques Laffitte. C’est-à-dire un charmant condensé de la gloire et de la fortune des temps napoléoniens. Mais un condensé qui ne se montre guère, et c’est le moins que l’on puisse dire, à la hauteur d’une naissance qui aurait dû lui inspirer le sens de la grandeur ou tout au moins celui des convenances. Or nous sommes loin du compte.
À dix-huit ans – on est en 1852 – Églé est exquise : blonde, lumineuse avec des yeux d’un azur infini, un teint d’une incomparable fraîcheur, une silhouette adorable… et un léger zézaiement qui à son âge paraît irrésistible. En face de cette beauté, les quarante-quatre ans de Persigny ont flambé comme une allumette, d’autant que la fiancée s’est déclarée fort éprise de sa séduisante maturité.
C’est donc – chose rare dans un tel endroit – un mariage d’amour auquel l’Élysée sert de cadre. Mais, après les violons de la fête, il y a la vie quotidienne et le pauvre Persigny va s’apercevoir bientôt que, dans le genre enfant gâtée, il n’existe pas de créature plus insupportable que son Églé. Ses malheurs commencent, en effet, dès que le nouveau marié a été nommé ambassadeur de France à Londres, en 1855.
Églé qui, après un essai malheureux, vient de donner le jour à une petite fille, se comporte outre-Manche comme en pays conquis. Ne pouvant supporter de demeurer seule, elle mobilise pour son service tous les secrétaires de son époux puis se déchaîne en scènes affreuses dès que l’on fait seulement mine de lui refuser quelque chose. En outre, elle dépense sans compter, mettant parfois les finances de l’ambassade dans l’embarras. Mais surtout, et c’est le plus grave, elle compromet souvent par son attitude l’œuvre diplomatique de son mari. Quand leur présence est requise à Windsor, Persigny recommande son âme et son ambassade à Dieu.
Bien sûr, on ne s’amuse guère chez la reine Victoria. Mais on peut imaginer sans peine l’effet produit quand, arrivant en retard à un dîner présidé par la reine, Mme de Persigny déclare en manière d’excuse qu’elle s’est attardée au zoo pour assister au repas du boa. Ou bien, cet autre malheureux soir où, découvrant sur une autre femme une toilette identique à la sienne, elle se jette sur la malheureuse et la gifle à toute volée avant de sortir à grand fracas en jurant comme un charretier. Heureusement pour Persigny, son travail et sa personne sont vivement appréciés en haut lieu, tant anglais que français.
Le comté a d’abord traité sa femme-enfant avec indulgence mais peu à peu, à mesure que passaient les années, l’inquiétude puis l’angoisse remplacèrent le sourire car, en dépit de la naissance de cinq enfants – dont elle ne s’occupe guère –, Églé ne change pas. Elle ne s’intéresse qu’à elle-même, à ses toilettes, à ses bijoux et à l’effet qu’elle produit sur les autres hommes. D’ailleurs des bruits d’adultère de plus en plus fréquents se sont élevés autour d’elle au point que Persigny a songé au divorce. Puis il y a renoncé. Pour ses enfants d’abord puis parce qu’il ne peut guérir de son amour.
Le scandale véritable éclate dans l’été 1862, au château de Chamarande qui est la résidence estivale du couple. Une grande fête, honorée de la présence de l’empereur et de l’impératrice, vient d’avoir lieu. Les chambres du château sont pleines. Il y a là lord Malmesbury, la comtesse Walewska, le ministre Pietri et beaucoup d’autres. Mais on a pu remarquer la mine maussade affichée par la comtesse Églé tout au long de la réception. Et chacun d’ailleurs en découvre sans peine la raison : le duc de Gramont-Caderousse, dont on chuchote qu’il est l’amant en titre de la dame, ne s’est pas montré. Le couple impérial est à peine parti qu’Églé monte s’enfermer dans ses appartements.
Pas pour longtemps : une heure plus tard, elle quitte le château dans sa voiture sans prévenir personne. Intrigué, Persigny interroge d’abord son secrétaire, Henri de Laire, puis la femme de chambre de la comtesse. Celle-ci finit par avouer que sa maîtresse, ayant appris dans la journée que Gramont-Caderousse la trompait avec la Mogador, une danseuse de bal public, vient de partir pour ledit bal : le Château des Fleurs, situé rue des Vignes, aux Champs-Élysées.
Pensant que dans un tel endroit un scandale peut éclater, Persigny à son tour fait atteler et, en compagnie de Laire, se rend lui aussi au Château des Fleurs. Trop tard ! Au beau milieu de la salle, Églé est en train de se disputer avec la Mogador comme le feraient deux harangères. Gramont-Caderousse s’efforce de les séparer avant le pugilat. C’est Henri de Laire qui, pour épargner l’honneur et la sensibilité de Persigny, plongera dans la fournaise pour en sortir Églé, sans trop de douceur.
Hélas, quand elle retrouve son mari c’est pour l’accabler de sa cruauté : elle a vingt-cinq ans de moins que lui et le considère comme un vieillard, malade de surcroît, et qui ne présente plus pour elle le moindre intérêt.
Le lendemain, le drame éclate, énorme en dépit des précautions prises. L’empereur s’en mêle, car il aime bien son vieux compagnon. Sur son ordre, Gramont-Caderousse devra refuser de se battre avec Persigny mais celui-ci doit rendre son portefeuille de ministre de l’Intérieur. Pour le consoler, Napoléon III le fait duc en espérant que, devenue duchesse, l’insupportable Églé se tiendra enfin tranquille.
Certes, le titre l’enchante un court instant mais, son mari n’étant plus ministre, on ne quitte guère Chamarande où elle s’ennuie ferme. Tout à coup, elle décide de faire un séjour en Angleterre. Elle a fini en effet par s’enticher de ce pays qu’elle déclare le plus agréable du monde. Elle en copie les modes, les habitudes et truffe son langage de tant de locutions anglaises, inventant ainsi le franglais sans s’en douter, que les Britanniques amusés l’ont surnommée lady Persington.
Deux mois après l’aventure du Château des Fleurs, Églé s’embarque pour Douvres, sans même laisser d’adresse, pensant qu’elle donnera de ses nouvelles quand il lui plaira.
Habitué, Persigny se résigne mais il n’en va pas de même de sa belle-mère. La princesse de La Moskowa, mère d’Églé, passait pour avoir l’esprit légèrement dérangé ; en fait elle était beaucoup moins folle que sa fille. De son père, le banquier Laffitte, elle tenait du bon sens. Elle le prouva en débarquant un beau matin à Chamarande où elle trouva son gendre entouré à la fois de ses enfants et de lettres anonymes qu’elle lut après avoir pris soin de mettre ses gants.
Le conseil qu’elle donne est énergique : il faut que Persigny fasse rentrer Églé au plus tôt en la menaçant du divorce. Ce qui fut fait : huit jours plus tard, la nouvelle duchesse réintégrait Chamarande mais pour s’y montrer plus odieuse que jamais, s’il était possible.
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