Pendant ce temps, le mari guerroie, mais comme il n’est d’expédition guerrière qui ne prenne fin, le roi, pour l’empêcher de venir à la traverse de ses amours, l’a nommé gouverneur de Bretagne, ce qui l’oblige à résider sur place. Jean de Laval ronge son frein car il n’a jamais cessé d’aimer sa femme et la jalousie le ronge. Mais que faire contre un roi ? Attendre ? Il attend…
Un jour, Mme de Châteaubriant rentre au bercail. Les heures noires sont venues avec le désastre de Pavie en 1525 : François Ier est prisonnier à Madrid et la régence est aux mains de sa mère, Louise de Savoie, qui exècre la favorite. Celle-ci n’a plus qu’à rentrer chez elle pour attendre elle aussi.
Quand le roi recouvre la liberté, quand la cour se rend à Bayonne pour l’accueillir, Françoise n’est pas là. Louise de Savoie non seulement ne l’a point fait prévenir mais encore présente à son fils une jeune fille toute rose, toute blonde, toute fraîche, tout exquise : Anne de Pisseleu, qui va l’asservir d’un regard et dont il fera bientôt une duchesse d’Étampes. Quand Mme de Châteaubriant apprend enfin son malheur, quand elle accourt, il est trop tard.
Bien sûr, durant quelque temps, le roi maintient la balance égale entre les deux rivales mais peu à peu le fléau penche vers la plus jeune. Et Françoise de se plaindre, toujours en vers :
Mais qui eût su penser pouvoir trouver au miel
Tant de mortel venin, d’amertume et de fiel ?
Elle est vaincue et elle le sait. Même Chambord est abandonné pour reconstruire un Fontainebleau éclatant. Elle part, elle rentre en Bretagne où l’accueillent son époux et un vaste chantier : auprès des ruines de la vieille forteresse féodale qui avait abrité tous les seigneurs de Châteaubriant passés – celui qui combattit à Mansourah, celui qui combattit à Saint-Aubin-du-Cormier, celui qui défendit sa fille veuve d’un Plantagenêt, tous ceux enfin qui firent que les lys de France s’inscrivaient sur leur bannière –, auprès de cette bastille grandiose qui va peu à peu devenir une superbe ruine, Jean de Laval construit, de 1532 à 1537, le palais Renaissance que l’on peut encore admirer et trace des jardins. Françoise, dont la douleur a vaincu son ressentiment, pourra y rêver aux jours si doux d’autrefois. Pour sa part, Jean espère que le temps leur permettra d’oublier tout cela.
Encore faudrait-il qu’on les laissât en paix. Mais une épreuve cruelle attend Françoise : l’insatiable – et détestable ! – duchesse d’Étampes a entendu parler des joyaux jadis offerts par le roi à Mme de Châteaubriant et, surtout, des devises d’amour qui y sont gravées et qui, selon elle, offensent sa dignité. Alors elle contraint le roi – en se voulant semblables aux hommes, les femmes ne savent pas à quelles armes elles renoncent ! – à réclamer ces joyaux. Et François consent en dépit de sa chevalerie. Un messager part pour Châteaubriant.
Raidie dans une froide colère qui la sauve momentanément du désespoir, la descendante des comtes de Foix a écouté le messager puis elle a demandé vingt-quatre heures pour s’exécuter : le temps pour le chevaucheur de se reposer.
Le lendemain, toujours aussi froide, elle a remis au messager un pesant paquet : des lingots d’or et des pierres démontées :
« Allez porter cela au roi, dit-elle, et dites-lui que puisqu’il lui a plu me révoquer ce qu’il m’avait donné si libéralement, je le lui rends et renvoie. Pour les devises, je les ai si bien empreintes et colloquées en ma pensée et les y tiens si chères que je n’ai pu permettre que personne en disposât, en jouît et en eût plaisir… que moi-même ! »
François Ier accepte la leçon et, repentant, renvoie l’or et les pierreries tout en confiant à son ami Bonnivet :
« Elle a montré en cela plus de courage et de générosité que je n’eusse pensé pouvoir provenir d’une femme. »
Un jour, las peut-être des coquetteries acides de sa favorite, l’envie lui vient de revoir ses belles amours d’antan et, avec une suite de trois mille personnes, il se rend en Bretagne, est accueilli par le couple au seuil du château neuf.
Durant quelques jours, qui vont coûter une fortune à Jean de Laval, les tendres liens de jadis vont se renouer, des liens qui avaient la saveur d’un renouveau tardif mais dont Mme d’Étampes pensa mourir de fureur, craignant par-dessus tout que la belle Françoise ne fût du voyage de retour.
Mais le roi n’emmènera plus jamais Mme de Châteaubriant. En remerciement de l’accueil, il lui offre la terre et le château de Suscinio puis repart. Ils ne se reverront plus.
Les retrouvailles tardives ont-elles réveillé la jalousie du mari ou n’est-ce qu’une légende ? On dit que, dès lors, Françoise dut vivre enfermée dans ses appartements tendus de drap noir et qu’une nuit Jean de Laval fit entrer un barbier qui ouvrit les veines de l’infidèle. Toujours est-il que Françoise de Foix, comtesse de Châteaubriant, mourut dans la nuit du 16 octobre 1537 et que la tradition prétend que chaque année, dans la nuit anniversaire, le fantôme de la plus belle dame du royaume apparaît et erre tristement, ombre blanche et désolée, dans les salles où elle attendit en vain un appel qui ne devait jamais venir…
N’ayant pas eu d’enfant, Jean de Laval légua Châteaubriant au connétable de Montmorency puis, par mariage, le château passa aux Condé. Henri II et Charles IX s’y arrêtèrent. La guerre ne l’épargna pas, mais le département de Loire-Atlantique a fait panser ses blessures avec une sollicitude digne d’éloges.
HORAIRES D’OUVERTURE DE LA COUR INTÉRIEURE
Du 1er mai au 30 septembre 8 h-20 h Du 1er octobre au 30 avril 7 h 30-18 h
L’accès à la cour intérieure du château est libre et gratuit toute l’année.
HORAIRES D’OUVERTURE DU CHÂTEAU
Du 1er mai au 30 septembre
11 h-18 h 30
fermé le mardi
Du 1er octobre au 30 avril
14 h-17 h 30
fermé le mardi
Fermé les 24, 25 et 31 décembre et le 1er janvier.
http://www.loire-atlantique.fr/jcms/cg_7521/chateau-de-chateaubriant
Château-Gaillard
La reine assassinée
Amour nous a conduits tous deux à la même mort.
Un an ! Il n’a fallu qu’un an, douze petits mois à Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, pour faire sortir du sol l’énorme forteresse dont les ruines gardent encore assez de puissance et de grandeur pour rester impressionnantes.
Commencé en 1195, le sourcilleux château qui barre la route de Normandie, planté comme une sentinelle sur la vallée de la Seine, s’achève au début de 1197 à la grande satisfaction de son bâtisseur qui déclare, ravi et toutes espérances dépassées : « Qu’elle est belle, ma fille de un an ! »
En fait, elle lui paraît encore plus belle quand il songe à l’effet qu’elle doit produire sur son ennemi le plus acharné – un ancien ami, comme cela se produit fréquemment ! –, le roi de France Philippe Auguste.
Et c’est vrai que le Capétien supporte mal, et même ne supporte pas du tout cette forteresse assise à sa porte et qui semble le narguer, lui, Philippe, le plus grand roi de son temps, l’homme qui veut la France au-dessus de tous autres pays. Il ne lui faudra guère de patience : deux ans plus tard, Richard n’est plus. Le roi anglais, à présent, c’est son frère, le tristement fameux prince Jean, et Philippe, qui connaît bien le personnage, ne doute pas d’en venir à bout sans trop de peine. Mais il n’est pas de ceux qui s’embarquent dans une aventure sans la préparer longuement. Après quelques travaux d’approche qui lui donneront Conches et Bernay, il met, en octobre 1203, le siège devant Château-Gaillard. Un siège qui va durer plus de quatre mois.
Quand vient l’hiver, c’est l’horreur qui commence. Le réseau est serré autour de Château-Gaillard dans l’espoir d’affamer les défenseurs (ils sont plusieurs milliers). On n’y réussit que trop bien car le roi a fait creuser autour du château un fossé et quatorze tours de siège. Toute sortie est impossible… hormis celle que décide Robert de Lascy qui commande la garnison : celle des « bouches inutiles », c’est-à-dire tous ceux qui, parce qu’ils sont trop jeunes, trop vieux ou trop faibles, sont incapables de porter les armes, de collaborer à la défense du château.
Alors une poterne s’ouvre et on chasse dans les fossés les vieillards, les femmes, les enfants, tout ce qui n’est pas combattant. Et il y en a, car les gens des villages d’alentour sont venus chercher refuge au château. Qu’importe ! On les chasse sans pitié, dans la neige et le froid. Et les assiégeants non plus n’ont pas pitié. Et ces malheureux vont mourir là, dans la boue des fossés, de froid et de misère. Certains s’entre-dévoreront.
Quand vient le mois de mars, on en est toujours au même point mais il y a, chez les Français, des gens qui s’entendent à tourner les difficultés. C’est le cas de Pierre Bogis, un sergent d’armes. Il a étudié toutes les possibilités de forcer l’entrée de Château-Gaillard et il a fini par conclure qu’il y en a une et une seule, la moins engageante : celle qui passe par les latrines. Avec une poignée de hardis compagnons il va s’introduire dans ces latrines dont l’ouverture bée sous la chapelle.
Le nauséabond stratagème réussit et, bientôt, c’est par le pont-levis que Bogis et les siens ont réussi à abaisser que les troupes françaises vont entrer dans le château et le réduire enfin à merci. Château-Gaillard n’est plus anglais. Il ne le redeviendra qu’un court moment, après Azincourt, quand le roi Henri V, cher à Shakespeare, s’en emparera.
C’est par ce même pont-levis que, certain soir pluvieux de mai 1314, un lugubre cortège pénètre dans la forteresse : deux chariots tendus de noir, environnés d’une nuée d’archers et de soldats en armes. Chacun de ces chariots contient une femme à la tête rasée, vêtue d’une robe de bure grossière. Deux femmes jeunes, belles, puissantes hier encore car l’une, au moins, était reine et l’autre devrait l’être un jour : Marguerite de Bourgogne, reine de Navarre, et sa cousine Blanche de Bourgogne, comtesse de la Marche, toutes deux belles-filles du roi de France, Philippe le Bel. Et si l’une s’efforce à une fière contenance, l’autre ne sait que pleurer et se désoler quand on la traîne jusqu’à un cachot où l’hiver s’attarde.
C’est qu’un drame effrayant vient de passer, comme une tempête, sur le trône de France, un drame qui l’eût ébranlé si celui que l’on surnommait le roi de fer ne l’avait maintenu si fermement, si impitoyablement.
Dans cette tragique histoire, il y a également une troisième princesse abattue : c’est Jeanne de Bourgogne, la sœur de Blanche, Jeanne, comtesse de Poitiers et elle aussi belle-fille de Philippe. Mais si le crime d’adultère a été nettement prouvé pour les prisonnières de Château-Gaillard, il ne l’a pas été pour Jeanne à qui l’on ne peut reprocher que des complaisances, un ouvrage délicat d’entremetteuse. Elle l’a d’ailleurs fait entendre au roi :
« Je dis que je suis prude femme ! » a-t-elle proclamé et Philippe l’a entendue. Sa punition en sera moins rude : rasée bien sûr, elle aussi, on la conduit au même instant au château de Dourdan où sa réclusion doit être moins sévère.
Tandis qu’on l’enferme, Marguerite, la plus brave, songe que la vie a d’étranges recours. Il y a dix ans, dix ans seulement, elle épousait l’héritier de France à Vernon, petite ville peu éloignée de Château-Gaillard et qui était de l’apanage de son père. Son regard avait effleuré la forteresse sans imaginer un instant qu’un jour elle se refermerait sur elle. La vie était belle, autant qu’elle-même, en dépit du fait que son époux Louis, surnommé le Hutin, n’était guère séduisant. De son père, il n’avait ni la beauté, ni le haut caractère : un brouillon, un agité, velléitaire et sans courage que Marguerite a vite dédaigné discrètement en pensant qu’un jour elle serait reine de France.
Pendant dix ans, elle et ses belles-sœurs ont véritablement régné sur la cour, sur le palais de la Cité et les divers châteaux du roi. Elles étaient jolies, élégantes, coquettes, raffinées, elles lançaient des modes que les femmes suivaient avec joie et qui affolaient les hommes. Un jour, ce qui devait arriver arriva : Marguerite s’éprit d’un des jeunes seigneurs de la suite du comte de Poitiers, Philippe d’Aulnay, depuis longtemps amoureux d’elle, et devint sa maîtresse. Les amants se retrouvaient dans la chambre haute d’une des tours de l’hôtel de Nesle, résidence parisienne du roi et de la reine de Navarre, et Marguerite donna le jour à une petite fille que l’on attribua au Hutin – mais on devait par la suite faire de grandes réserves sur sa paternité.
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