Vinrent la Ve République et le règne du Général ! Sous les rayons de sa puissante personnalité, son épouse, née Yvonne Vendroux et devenue « tante Yvonne » pour la France entière, géra avec discrétion mais non sans fermeté la vie quotidienne de la demeure présidentielle que l’on quittait chaque semaine pour regagner la chère demeure de Colombey-les-Deux-Églises…
Georges Pompidou, normalien lettré, passionné d’art contemporain et de poésie française – il en écrivit une anthologie –, gardait bien évidentes ses racines terriennes, les joignant à son sens de l’État et à ses talents de financier qui laissaient prévoir un grand septennat, peut-être deux. Sa mort priva la France d’un grand président !
Avec Valéry Giscard d’Estaing, brillant financier, la vie à l’Élysée prit une tournure inattendue : le Président y invitait ses éboueurs à prendre leur petit-déjeuner avec lui. Par ailleurs, il s’invitait de temps à autre à dîner chez un couple de Français modestes en prenant soin de se faire précéder par un traiteur de bon aloi…
Avec François Mitterrand, l’Élysée, tout en gardant son lustre présidentiel, aborda le temps des secrets. Danielle, son épouse, s’intéressait davantage aux révolutionnaires sud-américains qu’aux réceptions d’une demeure où du reste elle ne vivait pas. Un conseiller du Président, François de Grossouvre s’y suicida mais on y vit fleurir, un beau jour, la jeune Mazarine, la fille cachée du Président. Aussi bien que la maladie qu’il se refusait à révéler…
Avec Jacques Chirac, grand cœur, grande gueule – à tous les sens du terme – et vitalité garantie, le petit palais vécut à cent à l’heure… mais bénéficia des talents de maîtresse de maison qu’apportait avec elle Bernadette Chirac, parfaite épouse, femme de tête, mère déchirée… et conseiller général de Corrèze qui, tout en gardant à son mari un amour intact, sut se tailler sa propre popularité avec des œuvres caritatives aussi originales – les pièces jaunes ! – que bienvenues… Une grande Première Dame !
Tout change de nouveau avec Nicolas Sarkozy que l’on a pu voir, à peine élu, faire des efforts pathétiques pour retenir son épouse Cécilia que la fonction ne tentait absolument pas ! Divorce suivi presque aussitôt d’un remariage avec une fort jolie femme, Carla Bruni, chanteuse et ancien top-modèle. Avec elle, la guitare et le monde du spectacle sont entrés en familiers à l’Élysée mais leur éclat tapageur vient de faire silence pour l’événement le plus joli qui se soit produit sous les plafonds dorés de la République : la naissance d’une petite Giulia…
Quant à la suite… Qui vivra verra !
Le palais de l’Élysée est ouvert uniquement durant les Journées du patrimoine.
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Amboise
Les larmes des Marguerites
Moi, Marguerite, de toutes fleurs le choix
Fus jadis mise en grand jardin françois
Pour demeurer auprès des fleurs de lys.
Là, ai vu joutes, et danses, et tournois
Et maintenant, je vois et je cognois
Que ces grands biens me sont pris et faillis.
Ce n’est pas un poète illustre mais une fillette de douze ans qui écrit ces jolis vers mélancoliques au moment de quitter une demeure où elle espérait pourtant passer toute sa vie. On la chasse, ou presque, elle qui est peut-être la plus grande princesse d’Europe. Son nom ? Marguerite d’Autriche. Elle est fille de l’empereur Maximilien, petite-fille de Charles le Téméraire, le fabuleux grand-duc d’Occident, et de Marguerite d’York. Et pourtant, le jeune roi de France, Charles VIII, qu’elle aime depuis toujours et auquel on l’a autrefois fiancée – autant dire mariée pour l’époque –, auprès de qui et pour qui elle a été élevée selon la coutume royale, Charles VIII en a épousé une autre. Une autre qui exige son départ…
Tout a commencé neuf ans plus tôt, au soir du 22 juin 1483, vers cinq heures, près du pont qui enjambe la Loire. Il y a là grande assemblée de seigneurs et de dames menés par Mme Anne de France, fille aînée du roi Louis XI, et son époux Pierre de Beaujeu. Tout ce monde attend l’arrivée d’un cortège impérial escortant une voyageuse.
Attente brève. La rencontre a été bien réglée par des gens qui connaissent leur métier. Ceux de France sont à peine au coin du pont qu’apparaît une litière un peu poussiéreuse. Dedans, une minuscule Marguerite de trois ans, blonde et rose comme une vraie poupée. Quand la lourde machine s’arrête, un garçon d’une douzaine d’années qui est le Dauphin s’avance, écarte les rideaux de velours qui ferment la litière et montre à tous sa future épouse assise sagement entre ses deux gouvernantes : Mme de Ravenstein, la Flamande, et Mme de Segré, la Française. À cet instant, sur les remparts du château, les trompettes d’argent font entendre leur sonnerie. Puis ce sont les cloches de Saint-Denis et de Notre-Dame-de-Grève qui se mettent à sonner tandis que le couple juvénile, se tenant par la main, monte au milieu des acclamations vers le château où l’attend la reine Charlotte, seconde épouse de Louis XI et mère du dauphin Charles.
Le jeune prince n’est pas beau. Il a un grand nez, des lèvres trop épaisses et le dos un peu arrondi mais la petite Marguerite le trouve aimable. Le lendemain, dans la chapelle, les deux enfants sont unis par une sorte de mariage provisoire. La cour est au complet autour d’eux. Seul manque le roi. Cette union est pourtant son œuvre patiemment réalisée car elle fait rentrer dans le royaume la dot fabuleuse de Marguerite : l’Artois, la Bourgogne, le Charolais et le Mâconnais. Mais Louis XI, à l’heure où sonnent les cloches, est quasi mourant dans son château de Plessis-lez-Tours où il attend son heure dernière sous la garde de saint François de Paule.
Deux mois plus tard, il est mort. Sa fille Anne dont il avait coutume de dire qu’elle était la moins folle femme de France « car de sage il ne s’en connaissait pas » devient régente durant la minorité de son jeune frère. Autant dire qu’elle va mener toutes choses d’une main vigoureuse, à commencer par la petite troupe d’enfants royaux dont elle a la garde. En effet, outre Charles et Marguerite, celle que l’on appelle Madame la Grande élève à Amboise une orpheline pauvre, une cousine, Louise de Savoie qui, pour la toute petite reine, sera toujours une amie fidèle et sûre. Un jour, bien plus tard, après le désastre de Pavie, les deux princesses signeront ensemble la paix des Dames : Louise pour son fils François Ier, Marguerite pour son neveu Charles Quint. Et ce jour-là leur amitié, comme la tendresse que Marguerite garde au « grand verger françois » pèseront d’un certain poids dans la balance politique.
Pour l’instant, nul n’imaginerait destin à la fois si dramatique et si illustre. On vit agréablement à Amboise. Le château jadis construit par la famille du même nom et qui lui appartenait jusqu’à ce que Charles VII confisque le domaine a été, depuis longtemps déjà, attribué par Louis XI à une femme dont il ne s’occupe guère – la sienne – et à des enfants qu’il considère surtout comme des pions d’échiquier. Depuis l’arrivée de Marguerite, la vieille demeure jouit d’une atmosphère presque familiale. Une tendresse profonde et mutuelle unit le jeune roi à sa petite reine. Il lui porte des présents, des colombes aussi douces qu’elle-même et, en principe, rien ne devrait ternir ce ciel pur parce que encore enfantin.
En principe ! Mais existe-t-il des principes pour le jeu politique ? En 1491, une grave nouvelle réussit à faire trembler Madame la Grande : la jeune duchesse de Bretagne, Anne, qui va sur ses quinze ans, vient d’accorder sa main à l’empereur Maximilien, père de Marguerite. C’est à la fois une offense pour Charles VIII car, vassale, la duchesse ne saurait se marier sans le consentement du roi de France… et un danger. Cela signifie en effet l’Allemand installé aux confins du royaume, coupant la France en deux s’il lui en prend fantaisie. Il faut à tout prix empêcher le mariage et, pour cela, un seul moyen : il faut que Charles épouse Anne de Bretagne.
Courageusement, le jeune roi défend Marguerite et son bonheur mais contre une sœur aînée en qui s’incarne – et avec quel éclat ! – le principe monarchique, il n’est pas de taille. Bon gré, mal gré, il lui faut partir pour Nantes dans le dessein officiel de ramener la duchesse à une plus saine compréhension de ses devoirs.
Hélas, en fait de raison, c’est lui qui, à Nantes, perd la sienne. Tombé amoureux d’Anne, Charles oublie du même coup Marguerite, l’Artois et la Franche-Comté. Il convainc Anne de renoncer à devenir impératrice pour devenir reine de France et, le 6 décembre 1491, au château de Langeais, il l’épouse puis gagne le château de Plessis-lez-Tours pour y passer sa lune de miel. À Amboise, c’est le silence. Un silence qui ne va pas durer : un an après le mariage, Marguerite qui a espéré, contre vents et marées, contre toute probabilité, pouvoir continuer à vivre au château reçoit l’invitation à s’éloigner. C’est, en fait, un ordre à peine déguisé par les formules protocolaires : la nouvelle reine est jalouse d’elle et exige son départ.
Alors Marguerite s’en va. On l’installe d’abord au triste château de Melun, le temps d’essayer d’arranger les choses avec un Maximilien mécontent à double titre. Qui ne le serait ? On lui prend sa fiancée et on lui renvoie sa fille. Enfin, la jeune fille va retrouver la liberté : celle de rejoindre, en Flandre, sa grand-mère Marguerite d’York qui, déjà, lui prépare un autre destin. Un destin étrange et fastueux : d’abord mariée à Juan, prince des Asturies, Marguerite se retrouve veuve peu de temps après. Plus tard, on la marie au beau duc de Savoie, Emmanuel-Philibert, dont elle tombe éperdument amoureuse. C’est enfin le bonheur jusqu’à ce qu’au retour d’une chasse le duc boive un verre d’eau glacée qui le mène au tombeau. Un tombeau que Marguerite voudra à la mesure de sa douleur : immense et somptueux. Ce sera l’admirable église de Brou, près de Bourg-en-Bresse, aux blanches pierres de laquelle est confié le corps du bien-aimé ; un fabuleux cadeau fait, sans le savoir, au cher « verger françois ». Veuve à nouveau c’est en tant que gouvernante des Pays-Bas que Marguerite va écrire en grandes lettres son nom dans l’Histoire avant de revenir dormir, à Brou, de son dernier sommeil.
Mais revenons en arrière et surtout à Amboise où Charles VIII a entrepris toute une série de bâtiments neufs et où il fait dessiner de grands jardins pour plaire à sa petite Bretonne. Il l’y entoure d’une cour brillante mais « de ces grands biens » lui non plus ne va guère profiter : le 7 avril 1498, se rendant en compagnie de la reine en une galerie surplombant le jeu de paume, Charles se heurte rudement le front contre le linteau de pierre d’une porte basse et trépasse à la fin du jour. D’aucuns prétendent que le résultat fatal fut obtenu, non par la porte trop basse, mais par une orange pas trop fraîche. Le secret en appartient désormais à Dieu.
Le nouveau roi, c’est le turbulent cousin d’Orléans qui devient le sage Louis XII et qui épouse la veuve de son prédécesseur après avoir répudié au moyen d’un procès crucifiant la pauvre Jeanne de France, fille de Louis XI, sainte et douce créature mais boiteuse et disgraciée. Louis délaisse Amboise, lui préférant son château de Blois, et c’est Louise de Savoie, la cousine pauvre d’autrefois, l’amie de Marguerite d’Autriche, veuve du comte d’Angoulême, qui s’y installe avec ses deux enfants François et Marguerite. Louise ne fait que reprendre d’anciennes habitudes mais, pour les deux enfants, Amboise va représenter ce paradis d’enfance que l’on ne peut oublier. Ni l’un ni l’autre ne songe à la politique, laissant à Louise ses noirs soucis. François est en effet l’héritier présomptif de Louis XII tant qu’Anne de Bretagne n’aura pas réussi à donner à la France un dauphin. Ses grossesses répétées qui finissent mal font endurer l’enfer à Louise de Savoie.
En octobre 1509, le temps des ris et des jeux s’achève pour sa fille, cette « Marguerite des Marguerites » qui est en vérité la plus accomplie des princesses. C’est le temps des larmes qui est venu et des larmes amères contre lesquelles le charme des jardins d’Amboise demeure impuissant : par ordre de la reine Anne, Marguerite doit épouser le duc d’Alençon, un cousin qui a vingt ans de plus qu’elle. Mais, en fait, l’âge ne serait qu’une gêne mineure si le cœur de la jeune fille n’était déjà pris ailleurs. Et par qui ? Le charmant, le vaillant, le superbe, le légendaire Gaston de Foix à qui d’ailleurs les « fumées et gloires d’Italie » seront bientôt fatales à la bataille de Fornoue. Et Marguerite, qui ne sait pas encore qu’elle sera un jour reine de Navarre, pleure tandis que son frère François court les filles et les aventures en attendant que la couronne de France lui tombe sur la tête.
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