Avec lui, Grosbois connaît des fêtes somptueuses. La maîtresse de Barras, l’éblouissante Mme Tallien, donne le ton mais on y remarque aussi une jolie créole, la citoyenne Beauharnais qui, un temps, a été la maîtresse du directeur et qu’il mariera, presque de force, à un jeune général corse, un certain Napoléon Bonaparte.
Le coup d’État du 18 brumaire marque la chute de Barras et, la mort dans l’âme, il lui faut vendre Grosbois, pour la moitié de sa valeur réelle au général Moreau, le rival de Bonaparte, l’un des généraux les plus en vue de l’heure, l’idole des armées d’outre-Rhin.
Moreau a, lui aussi, épousé une créole, la ravissante Eugénie Hulot, et, follement épris d’elle, il souhaite lui donner pour cadre ce château quasi royal. Tous deux vont y vivre quelques mois délicieux mais Grosbois n’a jamais supporté longtemps qu’une femme règne sur lui. Moreau, aveuglé par la haine qu’il porte à Bonaparte, se laisse entraîner insensiblement dans la conspiration royaliste du général Pichegru qui, souvent, sera l’hôte secret de Grosbois. Grâce à lui Moreau rencontre boulevard de la Madeleine, une nuit de janvier 1804, le fameux conspirateur breton Cadoudal. Les deux hommes pourraient s’entendre car ils ont en commun la bravoure et le sens de l’honneur. Mais Moreau ne peut comprendre son interlocuteur qui, d’ailleurs, a plus de pureté et de vraie noblesse que lui. Il veut bien travailler pour lui-même, pas pour les Bourbons. L’accord ne se fait pas mais Moreau est néanmoins dénoncé. Un mois plus tard il est arrêté, conduit au Temple.
En dépit du grave danger qu’il a couru, Bonaparte se montrera indulgent : Moreau sera seulement embarqué pour l’Amérique avec sa famille. Devenu empereur, Napoléon a racheté tous ses biens – dont Grosbois – à leur juste prix. Mais pas pour lui :
« Allez dire à Mme Bernadotte (Désirée Clary) que je lui donne l’hôtel de la rue d’Anjou et à Berthier que je lui donne Grosbois », déclare-t-il un jour à Fouché qui aimerait bien garder pour lui le château où il a séjourné un temps.
Quand il prend possession de Grosbois, le maréchal Berthier, bientôt prince de Wagram, n’amène pas d’épouse avec lui mais un couple, le marquis et la marquise Visconti, avec lesquels il compose un assez réjouissant ménage à trois. Les salons du château vont en entendre de belles car Angela Visconti, qui est belle mais qui a tout de même passé fleur, est douée d’un caractère impossible. Jalouse comme une tigresse et d’une folle vanité, elle enrage de n’avoir pas ses entrées aux Tuileries.
La cour, en effet, lui est fermée de par la volonté de l’Empereur. Dire que celui-ci déteste la marquise constitue un aimable euphémisme : il l’exècre positivement. Même Mme de Staël n’arrive qu’en seconde position dans l’échelle de ses phobies, et cela depuis l’entrée à Milan, en 1796, des armées du général Bonaparte.
À l’époque, la Visconti avait jeté son dévolu sur le vainqueur et le poursuivait de ses assiduités avec une telle ardeur et un tel entêtement qu’il avait fini par prier Berthier de l’en débarrasser. Le malheureux n’avait que trop bien réussi en tombant éperdument amoureux de la dame. Au grand mécontentement de Bonaparte qui n’en demandait pas tant.
Depuis, le mécontentement est devenu fureur car Berthier ne se déplace plus sans les Visconti qui se sont installés chez lui. Il faut un ordre impérial pour que le maréchal, devenu prince de Neuchâtel en attendant de devenir prince de Wagram, accepte de se donner une épouse digne de lui : la princesse Élisabeth de Bavière-Birkenfeld. Le mariage a lieu le 9 mars 1808.
On pourrait supposer que la Visconti accepte alors de s’effacer ? Même pas. Le ménage à trois restera ménage à trois, le marquis ayant fini par quitter ce monde. Les deux femmes s’entendent bien. La marquise avait d’ailleurs cessé d’être dangereuse car, devenue énorme, elle était à peu près impotente.
Grosbois abritera la dernière nuit française du petit roi de Rome en route pour Vienne avec sa mère. Berthier s’est rallié aux Bourbons mais, se sentant en fausse position, se suicida le 1er juin 1815.
En 1962, René Ballière, président de la Société d’encouragement à l’élevage du cheval français, acquiert le domaine pour y installer un centre d’entraînement pour chevaux de course.
HORAIRES D’OUVERTURE
Dimanches et jours fériés 14 h-17 h
Fermeture annuelle du 1er décembre au 15 mars sauf pour les groupes.
Au premier étage du château a été créé un musée du Trot.
http://www.cg94.fr/boissy-saint-leger/1268-boissy-saint-leger-chateau-de-grosbois_1407504448000.html
Hautefort
Un poète de la guerre, une guerrière de l’amour
Trompes, tambours, bannières et pennons,
Enseignes et chevaux blancs et noirs
Verront bientôt qu’il fera bon vivre :
On prendra leur bien aux usuriers
Et par chemins n’iront plus convois
De jours tranquilles, ni bourgeois sans tracas
Ni marchands qui viendront de la France
Mais sera riche qui pillera de bon cœur.
Peut-on célébrer avec plus d’enthousiasme et plus de talent les malheurs de la guerre ? L’homme qui fulmine et clame cette poésie violente, cruelle et impitoyable dans le dernier quart du XIIe siècle compte pourtant au nombre de ces doux chanteurs que l’on appelait les troubadours. Et même y tint un rôle éminent. Mais il faut le regarder de plus près.
Il n’a rien du dameret soupirant aux accords d’un luth, assis sur un carreau aux pieds de quelque châtelaine. L’amour, en vérité, ce n’est pas du tout, mais pas du tout son affaire. On peut chercher : on ne lui connaît ni douce amie ni princesse lointaine. Il n’a que faire des douceurs fades, des regards noyés, des voix murmurantes. Lui, Bertran de Born, vicomte de Hautefort, ne sait que crier dans la mêlée et, de retour sous la tente, tout fumant du combat, écrire sa joie sauvage encore toute chaude puis appeler Papiol, son chanteur, pour mieux entendre l’effet produit :
« Je vous le dis : rien n’a pour moi saveur
Ni manger, boire ou dormir
Autant que d’entendre crier : « En avant ! »
……………………………..
Et voir tomber dans les fossés
Grands et petits dans la prairie
Et voir les morts avec, dans le côté
Tronçons de lance et leurs fanions.
La vie de ce brûlot pensant, de ce boutefeu ambulant ressemble à ce qu’il écrit : guerre, guerre et encore guerre ! Il n’aime pas les dames, il n’aime que le roi d’Angleterre, son suzerain, hélas ! puisque alors les battements de cœur désordonnés d’Aliénor d’Aquitaine ont apporté l’énorme duché au Plantagenêt. Et son roi, à lui, c’est d’abord Henri II. Mais il l’aime déjà moins quand, en 1182, ledit Henri place son pays – le Périgord – sous le commandement de Richard au cœur de lion qui n’a encore aucun droit à la couronne. Car c’est à Bertran que Richard s’en prend en tout premier lieu.
Le prince a pour cela une excellente raison : Bertran a un frère Constantin qu’il déteste et auquel il conteste la possession du puissant château familial, et Constantin s’en est allé porter sa plainte à Richard. Richard, bien sûr, prend sous sa protection cet expulsé dont il espère faire un vassal reconnaissant. Apprenant cela, Bertran se hâte d’aller faire hommage à l’héritier d’Angleterre, Henri, frère aîné de Richard et son ennemi. Le choix serait bon si Henri Court-Mantel ne mourait subitement en 1183. Quelques semaines plus tard, Richard vient mettre le siège devant Hautefort, en chasse Bertran et réinstalle Constantin.
Furieux, le poète trousse quelques sirventès vengeurs et, profitant de l’inimitié qui règne entre le roi et Richard, souffle le feu et la fureur entre les deux hommes tant et si bien qu’on lui rend le château en 1185. Pas pour longtemps : l’année suivante, Constantin revient, expulse à nouveau son frère et, pour faire bonne mesure, ravage totalement Hautefort.
Malheureusement pour lui, il n’est pas poète. Devenu roi, Richard Cœur de Lion acceptera l’hommage de Bertran et appréciera sa muse ardente qui répond si bien à ses goûts personnels. D’autant que, cette fois, Bertran restera fidèle. À la mort du roi il pensera que nul n’est plus digne d’être chanté par lui… sinon peut-être Dieu. Il se retire alors à l’abbaye de Dalon où il mourra en 1215, âgé de soixante-quinze ans, laissant environ quarante-cinq poèmes épiques. Il avait tout de même trouvé le temps de se marier par devoir. Ce furent les descendants de sa fille Marguerite qui héritèrent de Hautefort puis, par mariage, la famille de Gontaut.
Il faut attendre le XVIIe siècle pour que le château, après avoir connu diverses constructions, trouve son aspect actuel, celui d’un superbe échantillon de son siècle dont l’harmonie corrige la sévérité. Le bâtisseur, c’est Jacques-François de Hautefort, et l’œuvre se poursuit entre 1640 et 1680.
La demeure toute neuve va abriter pendant quelque temps l’exil d’une des plus belles jeunes femmes de l’époque. Elle s’appelle Marie, elle est la sœur de Jacques-François. Elle est aussi dame d’atour de la reine Anne d’Autriche, femme de Louis XIII, à laquelle elle voue un attachement absolu. En cette beauté se retrouvent l’orgueil et l’ardeur guerrière du lointain ancêtre Bertran. Sa hauteur ne cède que devant la reine.
Devant la reine et pas devant le roi ? Eh bien non ! Et cela pour la meilleure des raisons : Louis XIII le chaste, le secret, l’homme qui préfère à sa blonde épouse ses amis et ses chevaux, est tombé amoureux d’elle, de la plus imprévisible façon. Peut-être à cause de cet éclat hautain et triomphant qu’elle avait et qui était fort loin des grâces plus mièvres des autres dames. Saint-Simon, dont le père était alors le confident du roi, a écrit assez longuement sur Mlle de Hautefort, rapportant même les paroles prononcées un jour par Louis XIII lorsque son confident le poussait à faire de la jeune fille sa maîtresse.
« Il est vrai que je suis amoureux d’elle, que je le sens, que je la cherche, que je parle d’elle volontiers et que j’y pense encore davantage ; il est vrai encore que tout cela se fait en moi malgré moi parce que je suis un homme et que j’ai cette faiblesse ; mais plus ma qualité de roi ne peut donner plus de facilité à me satisfaire qu’à un autre, plus je dois être en garde contre le péché et le scandale. Je pardonne pour cette fois à votre jeunesse ; mais qu’il ne vous arrive jamais de me tenir un pareil discours si vous voulez que je continue à vous aimer. »
Nobles et belles paroles sans doute, traduisant bien cette étrange résistance qui exaspérait tant la belle Hautefort. Pour parvenir à ses fins, elle ne cessait de provoquer le roi. Et un jour où, entrant chez la reine, il a vu celle-ci remettre un petit billet à sa fille d’honneur, il demande qu’on le lui donne. Mlle de Hautefort glisse alors le billet dans son décolleté, bien en vue entre ses seins et, en riant, met le roi au défi de venir l’y prendre. On dit que Louis XIII rougit très fort puis tourna les talons et s’enfuit comme s’il avait vu le diable. Peu de temps après d’ailleurs, un amour beaucoup plus pur pour Mlle de La Fayette le sauvait des pièges de la belle Marie. Celle-ci entreprit de conspirer contre Richelieu, ce qui lui valut un premier exil à Hautefort. Elle revint à la cour après la mort de Louis XIII et, fidèle à ses habitudes, manigança contre Mazarin. Elle ne savait pas que les choses avaient changé et qu’Anne d’Autriche aimait autant ce cardinal-là qu’elle avait détesté l’autre. Marie fut de nouveau exilée. Deux ans plus tard, elle épousait le maréchal de Schomberg, duc d’Halluin.
La Révolution passée, un autre guerrier, le baron de Damas, devint propriétaire de Hautefort par son mariage avec Charlotte du même nom. Il fut de ces soldats qui servirent la France avant de servir un régime et, après avoir combattu sous la Révolution et l’Empire, servit fidèlement la Restauration qu’il suivit même jusqu’en son exil en devenant gouverneur du duc de Bordeaux. Chateaubriand le détestait.
En 1929, le baron de Bastard faisait l’acquisition de Hautefort, alors bien abîmé, et entreprenait une restauration exemplaire. Une entreprise qui dura des années et dont il ne vit pas la fin. Il n’était plus, au jour où l’on célébra, avec éclat, la fin des travaux. Peu de temps après, un incendie réduisait à néant toutes ces années d’effort. Néanmoins, grâce à une souscription, la baronne de Bastard a réussi, avec une rare ténacité, à remettre encore une fois l’écrasant Hautefort en état.
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