« Eh bien, dit Eugénie, l’anneau portera de petits diamants mais je serais bien étonnée si l’une de nous deux avait à faire cette dépense. »

Or, au mois de janvier 1812, Pauline de Montendre reçoit un écrin de velours blanc renfermant un anneau serti de petits diamants. Et, en effet, quelques jours plus tôt, Eugénie a épousé le maréchal Oudinot, duc de Reggio, dans la cathédrale de Bar-le-Duc réchauffée par des centaines de cierges. Elle a tout juste vingt ans, il en a quarante-quatre, il est veuf avec six enfants mais ce n’en est pas moins un très authentique mariage d’amour. Que s’était-il donc passé ?

Rien que de fort simple au fond, encore que de très romantique. Mme de La Guérivière, sœur d’Eugénie de Coussy, était très liée avec la maréchale Oudinot et elle fut l’une des premières à visiter Jean d’Heurs en compagnie de sa jeune sœur. Avec d’ailleurs une idée derrière la tête : marier Eugénie avec le jeune Victor Oudinot qui était son aîné de un an et qui était un très charmant garçon, tout à fait capable de séduire une jeune fille.

La maréchale, née Françoise Derlin, était une aimable femme d’une quarantaine d’années, belle encore mais de santé précaire. Elle approuva tout de suite le projet de son amie : Eugénie, grande fille blonde aux magnifiques yeux noirs, pleine de grâce et de distinction, avait tout pour plaire. Le jeune Victor était, pour sa part, totalement d’accord. Rien n’aurait dû en conséquence s’opposer au mariage. Sauf Eugénie elle-même… Eugénie qui trouvait Victor bien gentil mais n’hésitait pas à le trouver fade en comparaison de son père.

Le premier contact a eu lieu par le truchement du portrait du maréchal qui trônait dans le grand salon. Non que le héros fût beau. Il était même plutôt laid mais Eugénie avait été séduite par le visage énergique, les yeux sombres et l’épaisse crinière de cheveux noirs. À la rigueur, on pouvait penser que le peintre avait flatté son modèle mais bientôt Eugénie se trouve confrontée à la réalité : Oudinot est venu se remettre chez lui d’une grave blessure reçue sous Dantzig. Et elle n’est pas déçue, loin de là : le Bayard de la Grande Armée lui paraît même encore mieux que son portrait.

Eugénie comprend très vite ce qui lui arrive et, comme elle est honnête, comme la maréchale l’a toujours reçue avec bonté, elle trouve le courage de cesser toute visite à Jean d’Heurs. À la stupeur de Mme de La Guérivière qui finit par conclure, faute d’information plus précise, que son aristocrate de sœur trouve les Oudinot de naissance trop modeste pour elle.

Or, à l’automne 1810, la maréchale Oudinot meurt à la suite d’une courte maladie, loin de son époux qui se trouve alors en Hollande. C’est seulement l’année suivante que celui-ci peut revenir s’agenouiller sur sa tombe… mais presque immédiatement après il se rend à Bar, chez Mme de La Guérivière. Car si Eugénie est amoureuse d’Oudinot, celui-ci rêve d’elle depuis pas mal de temps. Quelques mois plus tard, l’accord se fait entre eux à la grande stupeur de la sœur aînée.

Le voyage de noces est bref. Le maréchal doit se rendre à Berlin pour y prendre le commandement du 2e corps de la Grande Armée. Eugénie l’accompagne, fière et heureuse. Avec orgueil elle voit son époux entrer dans Berlin à la tête de ses quarante mille hommes et défiler dans Unter den Linden. Mais ensuite il faut regagner la France et la regagner seule : l’Empereur prépare la campagne de Russie.

À Jean d’Heurs où elle est désormais maîtresse, Eugénie occupe ses loisirs à écrire de longues lettres pour l’absent et à monter sa maison sur un pied réellement ducal. Sa vie y est paisible entre sa mère, son oncle le baron de Coussy et ses beaux-enfants… jusqu’à ce qu’elle apprenne par Le Moniteur que son époux est grièvement blessé au fin fond de la Pologne. Alors, n’écoutant que son amour, Eugénie, accompagnée de son seul oncle, se lance sur les routes pour rejoindre le cher Nicolas, priant continuellement pour avoir la joie de l’embrasser une dernière fois.

C’est une folle, une incroyable équipée qui porte Eugénie à la hauteur des héroïnes de roman. Elle réussit non seulement à retrouver son Nicolas encore vivant mais à le ramener à travers les invraisemblables dangers et le drame que fut la retraite de la Grande Armée. Et c’est triomphalement qu’elle rentre avec lui dans leur château. Hélas, c’en est fini de l’héroïsme pour l’un comme pour l’autre. Poussé par sa femme, Oudinot se retourne contre Napoléon. Il fait partie de ceux qui l’obligent à signer son abdication et reste chez lui tandis que le canon tonne à Waterloo… Il en sera récompensé : jusqu’à sa mort, en 1847, il demeurera grand chancelier de la Légion d’honneur et gouverneur des Invalides. Jusqu’à sa mort aussi, il conservera l’amour d’une épouse qui lui a donné quatre enfants.

Pour sa part, Eugénie devient, par la grâce de Louis XVIII, dame d’honneur de la jeune duchesse de Berry. Une dame d’honneur singulièrement dévouée car, lorsque les mauvais jours seront venus pour la folle duchesse, Mme Oudinot demandera la faveur de la rejoindre dans sa prison de Blaye.

Mais c’est à elle que le château doit d’avoir connu nombre d’heures pompeuses car elle avait réussi à en faire un séjour à la fois somptueux et fort agréable. C’est ainsi que, durant la Restauration et la monarchie de Juillet, Mme la duchesse de Reggio allait y recevoir le duc de Berry en septembre 1814 – la fête donnée alors fut mémorable –, le comte d’Artois, futur Charles X la même année, son second fils le duc d’Angoulême en 1818, la duchesse de Berry naturellement en 1825, la duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, en 1828, puis en 1834 les ducs d’Orléans et de Nemours, fils de Louis-Philippe.

Après la mort d’Eugénie survenue en 1868, le château passe à M. Léon Ratier, cousin des frères Goncourt, qui va lui donner ses lettres de noblesse littéraires. C’est en effet à Jean d’Heurs qu’Edmond de Goncourt écrit son roman Chéri – ne pas confondre avec celui de Colette – et que les deux frères accumulent des notes pour leur fameux Journal.


HORAIRES D’OUVERTURE

Du 1er juillet au 20 août visites guidées

Josselin

Olivier de Clisson, connétable de France

Roi ne puis, prince ne daigne, Rohan suis.

Devise de la maison de Rohan

Plus beau, plus noble, plus imposant ne se saurait trouver sur cette terre bretonne, si riche cependant en monuments précieux et superbes demeures, que ce hautain château dans son armure de pierres. Il symbolise à lui seul tout un monde féodal et semble résonner encore du vacarme des bombardes et des cris de victoire. Il impose sa loi, il domine le paysage, si paisible cependant et qui peut-être a oublié ; mais lui se souvient. Elles ont vu tant de choses, les hautes tours qui se reflètent immuablement dans la petite rivière d’Oust. Un nom qui va mal à ce tranquille chemin d’eau car il ressemble à un cri de guerre…

Si le château se souvient si bien, c’est peut-être parce que, depuis des siècles, il appartient au même maître : le chef de nom de la puissante famille de Rohan, plus noble que certains rois et dont les branches s’étendent sur l’Europe.

Celui qui, le premier, fonde une place forte sur l’éperon de schiste où s’élevait jadis un poste de guet romain, se nomme Guethenoc, vicomte de Porhoët, mais il a un fils qui se nomme Josselin. Voilà le nom du repaire neuf tout trouvé. Un repaire devenu maison forte qui va connaître bien des vicissitudes jusqu’à l’an 1370 où il entre dans la possession d’Olivier de Clisson, connétable de France.

Au nombre de ces vicissitudes, Eudes II de Porhoët, qui ayant épousé Berthe de Bretagne, fille du duc Conan III, prétendit à la couronne ducale en dépit de tout droit. Cela donna une guerre au cours de laquelle le premier Josselin fut rasé, et quand le fils aîné d’Eudes, Josselin II, en hérita, il ne représentait plus guère qu’un imposant monceau de ruines. L’héritier s’en arrangea sans envier son frère Alain qui avait reçu, lui, la vicomté de Rohan : c’était tout simple, Josselin renaissait déjà de ses cendres.

Par alliances et héritages, il passa successivement aux seigneurs de Fougères, aux Lusignan, aux Valois de France et aux ducs d’Alençon. Mais, au cours de ces années, une page de gloire allait s’y inscrire quand Jean de Beaumanoir en devint capitaine pour Charles de Blois, duc de Bretagne.

Le 26 mars 1351, Jean de Beaumanoir quittait Josselin à la tête de trente chevaliers. Ils se sont confessés et ont ouï messe car, du combat vers lequel ils se dirigent, peu doivent revenir. On est alors en pleine guerre de Succession de Bretagne quand s’opposent Charles de Blois, époux de Jeanne de Penthièvre, sœur du défunt duc Jean III, et Jean de Montfort, demi-frère de ce même Jean III. Montfort a l’aide des Anglais, et c’est un Anglais, Richard Bemborough, que Beaumanoir va rencontrer dans la lande de Mi-Voie entre Josselin et Ploërmel, en un lieu dit la Croix-Helléan Bemborough, qui, de son côté, amène trente chevaliers anglais.

Le combat fut terrible. Au deuxième assaut, Bemborough fut tué mais les Anglais continuèrent la lutte. Il fallut l’exploit fabuleux de Guillaume de Montauban mettant à mal, à lui seul, sept chevaliers anglais pour décider du sort d’un combat demeuré fameux sous le nom de combat des Trente Beaumanoir. Lui était toujours vivant mais comme, blessé, il se plaignait d’une soif ardente, un chevalier français, Geoffroi du Bois, lui a lancé le fameux : « Bois ton sang, Beaumanoir ! »

La guerre terminée en 1364 par la mort de Charles de Blois, Jean de Beaumanoir ne lui survécut guère. Mais il avait pour ami un grand seigneur breton de la région de Nantes, Olivier de Clisson, dont le père a été jadis exécuté stupidement et même criminellement par le roi de France Philippe VI, et que l’on avait élevé en Angleterre1. Revenu en Bretagne, Clisson a rejoint le parti français. Compagnon d’armes de Bertrand Du Guesclin, il s’y couvre de gloire et une chaude amitié le lie à Beaumanoir. Après la mort de celui-ci, il épouse même sa veuve, Marguerite de Rohan. Cela ne lui suffit pas. Il veut aussi Josselin dont les ducs d’Alençon ne prennent aucun soin mais dont lui sait la valeur stratégique.

Pour l’obtenir, il offre une fortune : une forêt, une baronnie normande et une rente sur les riches foires de Champagne. Il l’obtient et, dès lors – nous sommes en 1370 –, il en décide la reconstruction totale. C’est une superbe forteresse qui va s’élever au bord de l’Oust : neuf tours – dont il ne reste que trois – vont la garder, la rendre inexpugnable. Plus un énorme donjon dont il ne subsiste rien.

Devenu connétable de France en 1380, Olivier de Clisson fait alors table rase des droits suzerains du duc de Bretagne. Il s’engage par écrit à ne jamais remettre le château qu’au seul roi de France car seul compte pour lui le serment qu’il fit au jour où lui fut remise la grande épée aux fleurs de lys d’or. Naturellement, le duc Jean IV n’apprécie pas et, en 1387, il joue à Clisson un bien mauvais tour.

La scène se passe à Vannes où Clisson possède une demeure seigneuriale. Un jour, le duc Jean invite Clisson et trois autres seigneurs qui lui sont proches à visiter le château de l’Hermine qu’il vient de faire élever dans sa bonne ville. Sans défiance, Clisson se rend à l’invitation mais, comme il monte l’escalier qui mène aux chemins de ronde, il est arrêté, enchaîné et jeté en prison en grand danger d’être enfermé dans un sac et noyé. En fait, Jean IV n’assouvit pas qu’une seule vengeance. Il est persuadé que le connétable est l’amant de sa seconde femme, la belle Jeanne Holland.

Clisson se tire de justesse de ce mauvais pas grâce à l’amitié d’un serviteur du duc, le sire de Bazvalan, mais il doit payer une rançon de « cent mille florins d’or et de dix places fortes ». Que ne ferait-on pour recouvrer sa liberté ? Clisson signe le traité exorbitant puis, une fois libre, se hâte de reprendre une à une les places qu’il a dû abandonner. Mais, entre lui et le duc, la guerre n’est pas finie.

Jean IV va tenter de faire assassiner Clisson à Paris, près de son hôtel – aujourd’hui l’hôtel des Archives de France – par son homme de main Jean de Craon. Puis, en 1393, c’est devant Josselin qu’il vient mettre le siège avant de se réconcilier enfin avec son ennemi et même, une fois persuadé du fait qu’il est bien l’homme le plus noble qui soit, de lui confier en mourant la tutelle de ses trois fils.

À Josselin, alors, se situe une scène qui trace le portrait définitif du connétable. Au jour où un messager lui a fait connaître la mort du duc et ses dispositions testamentaires, Clisson est encore couché. C’est le petit matin. Pourtant l’une de ses filles, Marguerite de Penthièvre, vient prendre son lit d’assaut, ou presque. C’est une furie déchaînée qui revendique pour ses fils les anciens droits des Penthièvre. Et comme Clisson n’a pas l’air de comprendre, elle précise sa pensée : la seule chose à faire est de « faire périr les enfants de Bretagne et mettre les siens en leur place ».