Néanmoins l’intérieur est fastueux et l’accueil du duc Alphonse particulièrement chaleureux. C’est encore un bel homme qui adore les femmes, les fêtes et, pour sa petite belle-fille, il en a ordonné qui dureront un mois. Il souhaite lui plaire et autour de la nouvelle venue ce ne sont que plaisirs divers, comédies, bals, banquets. L’Arioste jouera à cette occasion sa première comédie. Les Este possèdent au plus haut point le goût du luxe et de la vie fastueuse… On entoure la sage Renée, on l’adule, on l’entraîne dans un véritable tourbillon de joie…

« Pourtant, Renée souffrait de solitude au milieu de tous ces Italiens et avait la nostalgie de la France lointaine… », écrit l’abbé Mathieu qui a consacré à Renée de France une minutieuse étude. D’abord, elle n’entend pas l’italien et, en fait, elle ne l’apprendra jamais. Grave erreur pour une jeune épouse qui souhaiterait jouer un rôle politique auprès d’un mari qui se montre sans doute amoureux mais qui aime un peu trop la chasse. Chez Renée, on trouve une sorte de méfiance envers son entourage. Il est vrai qu’à la cour brille de tous ses feux la belle Laura Dianti, la maîtresse du duc Alphonse, et cette situation choque les idées peut-être un peu austères de la jeune femme…

Néanmoins, les premières années de mariage se passent assez bien, en dépit de quelques nuages conjugaux provoqués par les réticences de Renée qui ne veut ni s’italianiser – car elle entend rester française envers et contre tout – ni se séparer de son entourage français, en particulier de Mme de Soubise qui a été sa gouvernante, possède sur elle une grande influence, et qu’Hercule déteste… Mais les enfants arrangent bien les choses et Renée en donnera cinq à son époux.

En 1534, meurt le duc Alphonse, et Renée, aux côtés d’Hercule, devient duchesse régnante mais, en perdant son beau-père, elle a perdu son meilleur appui et les difficultés vont commencer pour elle.

Désespérant de détacher son époux de l’empereur et du pape envers lesquels la situation géographique et politique de Ferrare l’oblige à de nombreuses concessions, Renée attire sans cesse de nouveaux Français à sa cour, et en particulier ceux qui sont obligés, pour une question de religion, de quitter leur pays. Parmi eux, le poète Clément Marot, qui sent le fagot, fait trop parler de lui en poursuivant de ses assiduités les demoiselles de la duchesse, et surtout crible d’épigrammes désobligeantes le pape et les cardinaux. Ce qui rend la position d’Hercule, vassal de Rome, plus ou moins délicate.

Les difficultés atteignent leur paroxysme quand, en 1536, Renée accueille auprès d’elle Calvin et en fait son directeur de conscience. C’est malheureusement à ce moment-là que surgit l’affaire du « petit chantre » : le vendredi saint, au moment de l’adoration de la Croix, un jeune chantre de la maison de la duchesse nommé Jehannet sort soudain de l’église en proférant des injures et des blasphèmes. Il est arrêté le soir même et une véritable guerre commence entre Hercule et sa femme pour la libération ou non du garçon… qui finira par s’évader.

Cette affaire sonne le glas des Français. Mme de Soubise, son gendre et sa fille, M. et Mme de Pons, partiront successivement. Quant à la duchesse, elle ira « se reposer » au lointain château de Consandolo.

Elle en reviendra mais, aussi obstinée que le fut sa Bretonne de mère, elle continuera à attirer les protestants à Ferrare, au point que le pape Jules III finit par intervenir en demandant à Hercule d’agir sur sa femme. La duchesse, en effet, ne se confesse plus, ne va plus à la messe et à Ferrare le scandale est à son comble. D’autant que des années ont passé dans cette lutte incessante.

En 1554, le duc Hercule demande au roi Henri II de lui envoyer « un convertisseur habile et énergique » et celui-ci ne lui envoie rien de moins que le grand inquisiteur Mathieu Ory qui s’en vient chapitrer la duchesse. Celle-ci paraît céder d’abord, mais Calvin veille de loin et envoie du renfort. Dès lors, Ory perd son temps…

Hercule en vient aux mesures sévères : sa femme est enfermée chez elle, privée de ses filles et, finalement, chose inouïe, se retrouve, elle, fille de Louis XII, devant un tribunal de l’Inquisition comme une vulgaire hérétique.

Elle risque gros : rien de moins que le bûcher. Ses juges cependant se contentent de la condamner, le 6 septembre 1555, à la prison perpétuelle et à la confiscation de ses biens. Cette fois c’est dans une véritable geôle qu’elle est enfermée… Et puis, une semaine plus tard, coup de théâtre : la duchesse se repent, elle abjure ses erreurs. Le 21 septembre, elle fait savoir qu’elle désire entendre la messe et, le dimanche suivant, elle communie. Ory a disparu en direction de la France. Le cauchemar est fini.

Que s’est-il passé ? Lassitude ? Désir de retrouver une position tout de même plus agréable que celle de prisonnière ? Regain des tendres souvenirs d’autrefois ? Toujours est-il que le couple ducal se reforme et que tout redevient comme par le passé. Renée, désormais, ne déviera plus du droit chemin… En apparence tout au moins.

Quand son mari meurt, elle décide de rentrer en France où sa fille Anne est mariée au duc de Guise. Son fils Alphonse, qui devient duc, la déteste et est farouchement opposé aux protestants. Il n’hésiterait pas à s’en prendre à sa mère. Et Renée quitte Ferrare sans regrets, pensant qu’en France elle pourra peut-être venir en aide à ceux qu’elle nomme tout bas ses frères.

C’est ce qu’elle va faire à Montargis, en dépit du fait que les mesures de rigueur s’y sont multipliées envers les huguenots. Mais Renée tient à ses idées. En 1562, une émeute éclate dans la ville. Malgré l’interdiction de la duchesse, un groupe de bourgeois en armes occupe l’église pour empêcher les protestants d’y entrer. De là, le tumulte gagne toute la ville. On assiège les réformés chez eux, jusqu’à ce que la duchesse envoie ses gentilshommes les dégager et les ramener au château qui devient un véritable refuge.

Le duc de Guise dépêche alors l’un de ses capitaines pour l’assiéger et nettoyer « la nichée de huguenots », mais Renée se défend énergiquement : « Avisez ce que vous entreprenez, crie-t-elle du haut d’une tour, car il n’y a homme en ce royaume qui me puisse commander que le roi et si vous en venez là je me mettrai la première sur la brèche pour essayer si vous serez si audacieux que de tuer la fille du roi !… » Le siège sera levé d’autant plus vite que Guise vient d’être assassiné par Poltrot de Méré en forêt d’Orléans. Renée va pouvoir entreprendre, à travers la France, un grand voyage pour venir en aide aux protestants malheureux. Elle est la générosité même et sème l’or sans compter.

De retour à Montargis après une visite à son ami l’amiral de Coligny, elle essaie de réconcilier dans son fief catholiques et protestants, fonde au château une petite école pour les enfants des réfugiés… et manque une fois de plus de se retrouver devant un tribunal d’Église. Mais le roi de Navarre épouse Marguerite de Valois, et il semblerait que la paix doive s’établir. Renée se rend aux noces à Paris… et n’échappe que grâce à la protection royale au massacre de la Saint-Barthélemy…

C’est la mort dans l’âme qu’elle rentre à Montargis. La sienne d’ailleurs n’est plus loin. À la suite d’un accès de fièvre, elle traînera, dolente, jusqu’en juin 1575 : le mercredi 15, à trois heures du matin, elle s’éteint dans le château qu’elle a fait refaire avec un soin extrême… et qui malheureusement sera en partie détruit en 1810.

Suivant sa volonté, son corps, porté par six pauvres, sera inhumé sous les dalles d’une chapelle qui ne servait plus au culte catholique, sans aucun signe qui laisse supposer qu’à cet endroit repose la princesse la plus courageuse, la plus généreuse… et la plus entêtée de cette époque troublée.


HORAIRES D’OUVERTURE

Les visites guidées se font sur demande auprès de l’Office de Tourisme de Montargis (02 38 98 00 87).

http://www.chateaudemontargis.org/

Monte-Cristo

Alexandre Dumas ou la générosité

Tout écrivain, tout peintre gêné peut venir s’installer à Monte-Cristo. Là vit en permanence un peuple de pirates que l’amphitryon ne connaît même pas.

André MAUROIS

Chaque année, au mois de juin et depuis bientôt quinze ans, une centaine d’écrivains s’assemblent dans le parc de la demeure la plus étonnante des environs de Paris pour y affirmer leur tendresse au souvenir de celui qui fut le bon géant des lettres, de l’homme qui aimait le plus la vie et qui savait le mieux s’en faire aimer : Alexandre Dumas, le père foisonnant des Trois Mousquetaires, de Joseph Balsamo, de La Reine Margot, de La Dame de Monsoreau, du Comte de Monte-Cristo et de tant d’autres merveilles qui ont ouvert à tant d’enfants et d’adultes le chemin de l’Histoire.

Ils sont là, ces écrivains, bravant le vent, la pluie ou le trop grand soleil parce que, en 1970, des promoteurs séduits par le site décidaient de racheter la folle maison de M. Dumas pour y installer des immeubles. Alors, l’historien Alain Decaux a protesté. Employant presse et télévision, rassemblant autour de lui une poignée de fidèles, s’assurant trois dévouements exceptionnels, ceux de Mme Christiane Neave, de M. Georges Poisson, historien lui aussi, et de Mme Madeleine Amiot-Péan, il a levé l’étendard de la révolte, mobilisé l’opinion et finalement gagné la partie : Monte-Cristo ne sera pas détruit, Monte-Cristo continuera d’ériger au milieu de ses grands arbres ses tourelles pseudo-Renaissance coiffées de coupoles et de lanternes afin que tous ceux qui aiment Alexandre Dumas puissent y venir chercher la trace de leurs rêves de jeunesse.

Qu’est-ce d’ailleurs que Monte-Cristo sinon un rêve ? Celui d’un merveilleux conteur qui, en 1844, cherchait un coin tranquille pour y achever Les Trois Mousquetaires. Dumas et son fils, Alexandre le jeune, habitaient alors Saint-Germain-en-Laye où le père avait affermé le théâtre. « Il y faisait venir, raconte André Maurois qui est peut-être le meilleur chantre de Dumas, la Comédie-Française, logeait et nourrissait les comédiens, garantissait la recette et perdait à ce jeu une fortune. Mais sa cour, son harem et sa ménagerie grouillaient joyeusement autour de lui et le chemin de fer de Paris à Saint-Germain voyait ses recettes monter. Pour observer de près le grand homme, le public affluait. »

Essayez donc de travailler dans de telles conditions, même si l’encens est, de tous les parfums, le plus agréable à respirer ! Un jour, sur la route de Port-Marly, Alexandre Dumas s’arrête dans une maison de paysans et admire le panorama. On a de là-haut une vue admirable sur la vallée de la Seine. Pourquoi ne pas s’y installer ? L’inspiration – en admettant que besoin en soit – serait encore meilleure dans un cadre pareil. Sans doute… mais il n’y a rien que des arbres. Qu’importe ? Il suffit d’en abattre quelques-uns, de construire.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Dumas achète le terrain qui lui plaît tant et y amène un architecte qui s’appelle tout uniment Durand :

— Vous allez, lui dit-il, tracer ici même un parc anglais au milieu duquel je veux un château Renaissance, en face d’un pavillon gothique entouré d’eau. Il y a des sources : vous en ferez des cascades.

— Mais, Monsieur Dumas, le sol est un fond de glaise ; vos bâtiments vont glisser.

— Monsieur Durand, vous creuserez jusqu’au tuf. Vous ferez deux hauteurs d’étages et d’arcades.

— Cela coûtera quelques centaines de mille francs.

— Je l’espère bien ! dit Dumas avec un sourire radieux.

Et tout se déroule comme il l’a prévu. Le château commence à sortir de terre et, dans le parc, sur la hauteur, on construit un minuscule château gothique auquel le maître donnera le nom de château d’If : ce sera son cabinet de travail.

Pendant ce temps, Dumas s’occupe de sa décoration intérieure. C’est ainsi qu’un jour à Tunis, alors qu’il visite le palais du bey, il remarque deux ouvriers occupés à reproduire, dans le palais, l’une des salles de l’Alhambra de Grenade. Leur travail est une merveille de minutie qui frappe notre écrivain : c’est exactement ce genre de décor qu’il faut pour sa chambre mauresque. L’Orient ! Qu’y a-t-il de plus beau que l’Orient quand on a de l’imagination ? Et il engage sur l’heure les deux Arabes au tarif de 7 francs par jour. Dès le lendemain, il les embarque sur le Veloce et vogue la galère en direction de Port-Marly via Marseille !

Durant des années, le père et le fils vont creuser leurs précieux nids d’abeilles dans les murs de Monte-Cristo, à la grande joie de M. Doumasse.