Pensant avoir affaire à quelque porte mal fermée, il entre et rabat sur lui un panneau qui lui paraît habillé de bois et se referme aussi silencieusement qu’il s’est ouvert. Henri n’y voit rien. L’obscurité est complète, l’endroit sent le renfermé. Et, comme il a entendu décroître les pas de celui qui l’a fait se cacher, il cherche à sortir ; mais ne trouve sous ses mains ni serrure, ni loquet, ni verrou : rien que des planches lisses… C’est un garçon courageux mais le cœur lui bat tout de même un peu vite. Il s’est laissé bêtement enfermer dans un placard. À présent, il s’agit d’en sortir…

À force de tâtonner, il finit par sentir que quelque chose bouge sous sa main. Alors, il appuie, mais c’est derrière lui que le mur s’ouvre, laissant filtrer un jour gris et faible. Rabasteins se précipite et se trouve au seuil d’une pièce basse dans laquelle on descend par quatre marches.

Il ne voit pas grand-chose d’abord, sinon une espèce de cave à peine éclairée par un étroit soupirail armé de barreaux et ouvert à la hauteur de la voûte. Puis, ses yeux s’accoutumant, il distingue deux fauteuils à haut dossier, une table. Mais l’un de ces fauteuils est occupé : il aperçoit l’ampleur d’une robe claire, une silhouette de femme, et pense d’abord que l’une de ses compagnes a trouvé avant lui cette cachette. Mais quand il s’approche il constate que ce qu’il a devant lui c’est le cadavre, littéralement momifié, d’une femme en robe de mariée…

Malgré son courage, le jeune homme sent ses cheveux se dresser sur sa tête. Il comprend qu’il a résolu le mystère et qu’il a devant lui cette Lucie de Pracomtal dont il rêve depuis des heures. À présent, c’est la terreur qui l’envahit : si personne n’a pu retrouver la jeune femme, personne ne le retrouvera lui non plus. Et il pense qu’il va lui falloir mourir ici, comme elle, en face d’elle, dans ce fauteuil vide qui semble l’inviter…

Affolé, il réussit à se hisser jusqu’au soupirail en s’aidant des barreaux, ce que la pauvre Lucie n’a certainement jamais pu faire. Mais il ne voit que de grosses pierres écroulées et mêlées de broussailles. Alors il appelle, il crie, il hurle jusqu’à en être enroué. Et les heures passent, et la nuit vient et aucun bruit ne parvient jusqu’au malheureux. Il est perdu au cœur des pierres sans qu’aucun espoir puisse lui rester. Et il ose à peine, à présent, regarder sa lugubre compagne, celle à qui va l’unir le plus abominable des hyménées. Pourtant, au fond de sa peur, il trouve encore le courage de plaindre la pauvre enfant qui en plein bonheur, s’est vue condamnée à une épouvantable, une interminable agonie. Comment son époux n’a-t-il pas démoli ce château pierre à pierre pour la retrouver ?

Soudain, dans le caveau, quelque chose bouge, quelque chose apparaît : c’est le chat du gardien qui vient de se glisser par le soupirail et qui semble habitué à venir ici. Alors, une idée vient à Rabasteins. Après avoir ôté sa cravate, il saisit l’animal et la noue solidement autour de lui en dépit de ses protestations. Puis il le reporte au soupirail et le lance au-dehors. C’est une chance bien faible sans doute, mais c’est une chance tout de même. Peut-être que là-haut, on le cherche encore ?

En effet, Clansaye et Beaumont, incapables d’abandonner leurs recherches, sont encore au château. On a simplement fait repartir les dames pour Clansaye… Le retour du chat rend l’espoir à tout le monde et les recherches reprennent avec plus d’ardeur encore. Surveillé de très près, l’animal finit par conduire Beaumont jusqu’à une étroite cour intérieure, sorte de puits où s’entassent des pierres… On découvre le soupirail par lequel on fera passer un peu de vin et de nourriture puis, à la pioche, on va élargir la minuscule ouverture. Rabasteins est sauvé. Mais, en deux jours, ses cheveux sont devenus blancs.

Prévenue, Mme de Pracomtal vint de Valence pour reconnaître le corps de sa fille qu’elle eut le courage de « revoir », comme l’avait prédit la bohémienne.

Quant à Henri de Rabasteins, son tragique tête-à-tête avec Lucie devait le tourner vers Dieu. Il entra en religion et, sa vie durant, pria dit-on pour l’âme de celle qu’il avait aimée durant quelques heures…

Montsoreau

Les deux dames de Montsoreau

Une adorable créature, vêtue d’une longue robe de laine blanche comme celle que portent les anges, avec des cheveux blonds tombant sur ses épaules.

Alexandre DUMAS

Dumas n’en a célébré qu’une : celle qu’il appelait Diane de Méridor. Pourtant, il y en eut une autre : celle que personne ne connaît parce que le maître du roman historique n’en a jamais parlé ; une autre qui n’en eut pas moins une existence digne d’inspirer un roman, bien que cette existence eût été courte. Celle-là se nommait Colette et vivait environ un siècle avant la célèbre dame.

C’est son père, Jean de Chambes, qui, en 1440, donne à ce château un peu sévère, dressé au bord de Loire comme une sentinelle armée, son aspect actuel. Riche et puissante, la famille de Jean de Chambes ne possède pas la seigneurie depuis fort longtemps. Le premier château, dont l’origine remontait au Xe siècle, avait eu comme possesseurs successifs les familles de Montbazon, de Craon et de Chabot qui n’en firent guère plus qu’un poste militaire commandant le fleuve dans les eaux duquel trempaient ses murailles.

La Loire, en effet, a longtemps servi de douves au château et la route qui passe devant a été reprise tardivement sur le fleuve.

Outre des fils qui le continueront, Jean de Chambes a deux filles, très belles toutes deux mais l’aînée, surtout, Colette, est ravissante. On la marie très jeune à Louis d’Amboise, vicomte de Thouars. Elle ne l’aime guère ; d’autant moins qu’un jour un jeune prince, passant le long de la Loire, s’est arrêté à Montsoreau pour admirer le château neuf. Il se nomme Charles, duc de Guyenne. Il est jeune, il n’est pas laid et il est le frère cadet du roi Louis XI. Un frère aussi fou et aussi turbulent que le roi est calme, secret et réfléchi.

Colette s’en éprend d’autant plus vite que le prince, tout de suite, s’est déclaré son prisonnier. Et, pour lui, elle va bafouer le mariage au point de donner, à son amant, deux filles dont l’une, Jeanne, sera religieuse et l’autre, Anne, mariée à un seigneur de Ruffec. Il est facile de comprendre qu’un époux s’accommode mal d’une telle situation. Louis d’Amboise finit par se fâcher et, dans le courant de l’année 1469, Colette doit s’enfuir pour éviter sa juste colère.

D’autant que son influence sur le prince n’est pas des meilleures. Elle tient la tête d’un des deux partis qui se partagent cette influence mais qui se rencontrent tout de même pour persuader Charles qu’il ferait un bien meilleur roi que son frère. Ce sont choses que l’on aime à entendre lorsque l’on est content de soi, et le duc de Guyenne, peu à peu, va glisser dans la haute trahison. Il entretient d’amicales relations avec l’ennemi juré du roi, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, dont il va même jusqu’à briguer la main de la fille unique, Marie.

Ce mariage-là, s’il emporte les suffrages du parti que mène le vicomte d’Aydie, fait enrager Colette et ceux qui la suivent. La jeune femme craint trop cette princesse fabuleusement riche qui réduirait son influence à rien. Et quand elle doit s’enfuir c’est naturellement auprès du prince, au château de Saint-Sever, près de Mont-de-Marsan dans les Landes, qu’elle accourt, satisfaite au fond d’avoir un bon prétexte pour ne plus le quitter.

Elle connaît bien son amant ; tant qu’elle sera auprès de lui, il n’osera pas conclure avec la Bourgogne. D’ailleurs, quelques mois plus tard, une bonne nouvelle lui arrive : elle est veuve. Louis d’Amboise est mort le 28 février 1470. Du coup la dame de Montsoreau s’accroche à son titre de vicomtesse de Thouars qu’elle portera jusqu’à sa mort. Une mort qui est moins éloignée qu’elle ne le croit mais, en attendant, elle obtient du prince d’entrer en possession d’une partie des biens de son époux défunt. Elle n’en jouira guère : au début du mois de décembre 1471 elle tombe malade et c’est alors que se place une légende qui a donné naissance à une énigme, aujourd’hui résolue.

Charles et son amie, festoyant chez l’abbé de Saint-Jean d’Angély, auraient partagé une pêche, empoisonnée par ordre de Louis XI. Le 14 décembre, Colette meurt à Saint-Sever. Huit mois plus tard, c’est le duc de Guyenne qui meurt à son tour, à Bordeaux, le 12 mai 1472. Et il ne se trouve plus qu’une seule voix pour proclamer qu’il meurt de la fameuse pêche empoisonnée.

Or, outre les difficultés qu’il pouvait y avoir, au XVe siècle, à se procurer une pêche en décembre, il semblerait que la jolie Colette ait été atteinte d’une maladie vénérienne qu’elle partagea avec son amant. Plus fragile, elle y succomba plus vite. Elle avait vingt-trois ans et ne devait jamais revoir les rives de la Loire.

Un siècle plus tard, les Chambes sont toujours maîtres de Montsoreau. Ils sont deux frères : Jean et Charles qui, tous deux, se sont épris d’une belle jeune femme, Françoise de Méridor, veuve depuis peu, en cette année 1574, du baron de Lucé. Comme il se doit, Françoise, qui était dame d’honneur de la reine mère Catherine de Médicis, a quitté la cour pour retourner vivre chez son père un veuvage sans joie. La demeure de la famille était le château de La Freslonière où la mère de Françoise, Anne de Matignon, huguenote intransigeante, faisait régner un ordre austère, fort peu comparable à la cour de France.

La chance d’en échapper se présente avec Jean de Chambes. Il faut d’ailleurs que celui-ci soit fort épris car il est connu dans la région comme grand massacreur de huguenots et, en épousant Françoise, il se donne une belle-mère protestante. Il n’aura guère le temps de se poser un cas de conscience : alors que le mariage va être célébré, il meurt assassiné dans des circonstances demeurées mystérieuses.

Sans se décourager, Françoise accepte alors son jeune frère Charles, garçon plutôt timide et doux, grand amateur de livres et de chasse. Le ménage coule, à Montsoreau l’hiver, au manoir de la Coutancière l’été, des jours paisibles jusqu’à ce qu’en avril 1578 le duc François d’Anjou, frère du roi Henri III, vînt passer quelques jours sur ses terres en compagnie de sa mère. Les choses vont mal entre les deux frères et François a jugé bon de prendre du recul et de s’assurer de la fidélité de ses vassaux. Avec lui est arrivé son favori, Louis de Clermont, seigneur de Bussy d’Amboise qu’il a fait gouverneur d’Anjou.

Un beau chercheur de noise

Est le seigneur d’Amboise,

Tendre et fidèle aussi

Est le brave Bussy.

Les vers sont de la reine Margot dont Bussy est alors l’amant mais nombreuses sont les femmes qu’il a rendues à moitié folles. C’est qu’avec d’énormes défauts – il est loin d’être le héros romantique vu par Dumas – Bussy est beau, charmant, follement brave : la meilleure lame de France… après peut-être le roi Henri III qui était à l’épée un véritable champion.

À la réception au château d’Angers, les Montsoreau sont invités. La reine Catherine est heureuse de revoir son ancienne suivante, et Bussy, pour sa part, trouve que cette Françoise est bien belle. Mais son époux et elle ne se quittent pas, même à la chasse.

Cela donne une idée à Bussy. Le roi a besoin d’un grand veneur. Pourquoi ne prendrait-il pas Montsoreau qui est d’assez grande maison pour occuper le poste et qui est un véritable Nemrod ? Il en parle au duc d’Anjou qui obtient sans trop de peine la charge pour son fidèle ami.

Un an plus tard, Bussy est de retour en Anjou, presque en disgrâce. C’est l’été et, comme il s’ennuie dans son château des Ponts-de-Cé, il songe à rendre visite à Françoise qu’il n’a pas oubliée, loin de là. Il se rend à Montsoreau mais elle n’y est pas. Il faut aller à la Coutancière et c’est là qu’il la retrouve.

Françoise est souvent seule, Charles étant retenu à la cour par sa charge. Elle trouve plaisir aux visites de Bussy et finalement tombe dans ses bras.

Montsoreau n’en aurait peut-être jamais rêvé si Bussy, cédant à une assez vilaine vanité masculine, n’avait écrit à son ami de Thou le billet suivant :

« J’ai tendu des rêts à la biche du grand veneur et je la tiens dans mes filets. »

Ravi de l’histoire, M. de Thou montre la lettre au roi. Henri III apprécie beaucoup son grand veneur et garde une dent à Bussy qui fut autrefois de ses amis. La vengeance est là et il ne s’en prive pas : il prévient Montsoreau.

Fou de rage, celui-ci galope chez lui et fait sentir à sa femme le poids de sa colère. Puis il dicte ses volontés : elle va donner rendez-vous à son amant pour la nuit suivante qui est celle du 19 août. Françoise obéit et accueille Bussy comme si de rien n’était. Mais Montsoreau est là aussi, avec douze hommes.