Mais comme Catherine connaît son gendre sur le bout du doigt, elle prend la précaution d’entourer la reine de Navarre de quelques-unes des plus jolies filles de son fameux Escadron volant. Et le stratagème réussit. Non seulement Henri accueille sa femme avec un plaisir apparent mais il reçoit sa « bonne mère » avec toute la courtoisie désirable et se hâte d’oublier la politique pour se lancer à l’assaut des jolis jupons parisiens.

Il fait tour à tour la cour à la belle Victoria de Ayala que l’on appelle plus simplement Dayelle, à Mlle Le Rebours et, finalement, il arrête son choix sur une adolescente de quinze ans qui a le visage d’un ange blond et dans les yeux tous les démons de la sensualité : Françoise de Montmorency-Fosseux, plus communément surnommée la Fosseuse.

Entre la petite Fosseuse et le roi de vingt-quatre ans, une tendre intimité s’établit. Un brin hypocrite d’ailleurs : Henri appelle Fosseuse sa « fille » et la traite comme un bébé. Il la fait asseoir sur ses genoux pour la gaver de friandises tout en palpant sournoisement les rondeurs prometteuses de la belle enfant.

Ce badinage galant fait sourire Margot. N’ayant jamais aimé son mari, elle n’est pas jalouse. En outre, elle s’est très vite rendu compte que le jeune et beau vicomte de Turenne la regardait d’une façon peu respectueuse sans doute mais fort intéressante. Et Margot à son tour se met à trouver du charme à ce Nérac tant redouté.

Chacun des époux ainsi pourvu, les choses pourraient continuer longtemps sur le mode idyllique si Henri III ne s’avisait d’envoyer en renfort son plus jeune frère, François, duc d’Anjou, pour conclure définitivement la paix avec Navarre. Malheureusement François aime à courir le jupon lui aussi et ne trouve rien de mieux que de faire la cour à Fosseuse. Laquelle sachant les égards que l’on doit à un prince du sang lui a peut-être un peu trop souri pour la tranquillité d’Henri de Navarre. Lequel s’est plaint à sa femme des entreprises de son frère. Margot n’a d’abord fait que rire mais les coquetteries de Fosseuse ayant communiqué aux fêtes de la Noël 1580 une atmosphère assez électrique, elle a consenti à « parler » à François.

Elle l’a fait avec toute la diplomatie dont elle est capable car elle n’a aucune envie de voir un frère qu’elle aime quitter Nérac en claquant les portes, ni même quitter Nérac tout simplement. Non à cause des pourparlers diplomatiques mais parce que, au nombre des gentilhommes de François, se trouve un certain baron de Champvallon qui lui plaît fort.

Elle réussit parfaitement dans son entreprise et, grâce à elle, on tire les rois fort joyeusement. Henri a la fève, l’offre à la jeune Fosseuse qui l’en remercie d’une voix mouillée tandis que le duc d’Anjou tourne ses batteries vers une autre jolie fille et que Margot danse éperdument avec Champvallon sous l’œil jaloux de Turenne.

Hélas, les meilleures choses ont une fin. François d’Anjou reprend enfin la route de Paris emmenant Champvallon, ce qui cause quelque peine à Margot mais aucune à Turenne. Le jeune homme va d’ailleurs avoir la satisfaction de pouvoir soutenir sa reine dans les moments difficiles qui l’attendent.

Un beau soir, Mme de Duras, qui dirige les filles d’honneur, vient annoncer le plus calmement du monde que Fosseuse est enceinte de plusieurs mois. Et tout aussi calmement que la jeune personne n’en montre aucun remords et qu’elle espère bien donner le jour à un fils, ce qui pourrait lui permettre de faire répudier Margot. La favorite miniature s’est rappelé opportunément qu’elle est une Montmorency, donc de grande race.

Margot va devoir se battre. Contre Henri d’abord qui vient la mine pateline lui confier que sa « fille » Fosseuse a des… ballonnements d’estomac et qu’elle aurait besoin des Eaux-Chaudes, où la reine serait bien bonne de l’accompagner. Margot qui, elle, a besoin de Bagnères, envoie aimablement promener son époux. Les Eaux-Chaudes ne servent d’ailleurs strictement à rien, bien entendu. Quand tout le monde se retrouve à Nérac en juillet il est évident, même pour les plus myopes, que les ballonnements sont plus apparents que jamais.

Compatissante, la reine propose alors à Fosseuse de l’emmener passer un mois ou deux dans un château écarté, au Mas d’Agenais, par exemple. Mais Fosseuse refuse. Elle est très bien à Nérac. Elle nie même être enceinte jusqu’au jour où Henri vient supplier sa femme de mettre l’imprudente dans un appartement écarté loin de la curiosité des filles d’honneur. Margot y consent et bientôt Fosseuse accouche d’une petite fille qui meurt aussitôt tandis qu’Henri chasse dans les environs. Quand il revient c’est pour traduire à sa femme les plaintes de sa maîtresse : celle-ci est mécontente de l’appartement qu’on lui a donné. Pour sa réputation il vaudrait mieux l’installer chez la reine elle-même.

Indignée, Margot refuse et, durant plusieurs mois, elle va devoir subir la guerre que lui impose une fille sournoise qui lui rend les plus mauvais services auprès de son époux. L’insolence de Fosseuse atteint de tels sommets que Margot finit par demander conseil à sa mère. Catherine répond aussitôt : « Revenez et prenez avec vous cette Fosseuse. Navarre suivra. »

Non, Navarre ne suivra pas. Il craint trop l’hospitalité de sa belle-mère. Revenue au Louvre avec la joie que l’on devine, Margot sera enfin débarrassée de la Fosseuse que Catherine renverra à sa mère. Henri pleurera bien un peu mais se consolera bientôt avec la belle comtesse de Guiche, Diane, qui s’est choisi pour prénom Corisande.

Malheureusement pour Margot, il lui faudra revenir à Nérac quand son frère Henri III l’aura ignominieusement chassée de Paris. Cette fois, le château n’aura plus de charme pour elle. Écoutons le récit de Michel de La Huguerye :

« Le roi et la reine arrivèrent et furent tous deux seuls se promenant en la galerie du château jusqu’au soir où je vis la princesse fondre en larmes incessamment, de telle sorte que lorsqu’ils furent à table où je les voulus voir je ne vis jamais visage plus lavé de larmes ni yeux plus rougis de pleurs. Et me fit cette princesse grande pitié la voyant assise près du roi son mari qui se faisait entretenir de je ne sais quels discours vains par ses gentilshommes qui étaient à l’entour sans que ni lui ni nul autre quelconque parlât à cette princesse. »

Margot est pratiquement prisonnière à Nérac, et une prisonnière en danger. La favorite en titre, l’altière Corisande, essaie tout simplement de la faire empoisonner pour coiffer sa couronne. C’est une des servantes qui meurt à sa place d’un mauvais bouillon. On ne sait comment l’affaire se serait achevée si, le 10 juin 1584, François d’Anjou ne mourait brusquement. À présent le seul héritier de France c’est Henri de Navarre et Margot comprend qu’elle va être encore plus en danger que par le passé. Alors elle s’enfuit et gagne Agen qui lui appartient. Jamais elle ne reverra Nérac. Sa vie, passant par de folles aventures, est à présent ailleurs.

Le château de Nérac mourra bientôt de cette couronne de France. Devenu Henri IV, le maître qui l’aimait tant n’y reviendra plus.

La Révolution le détruira en partie et on le privera de ses jardins. Il est à présent le musée de la ville, un musée un peu mélancolique où l’on ne peut s’empêcher d’évoquer les vertugadins brodés de la reine Margot et de ses fugitives rivales.


HORAIRES D’OUVERTURE

Du 1er octobre au 31 mars

14 h-18 h

(fermé les lundis et vendredis) Du 1er avril au 30 septembre 10 h-18 h

Fermé le 25 décembre et le 1er janvier.

http://www.nerac.fr/chateau-henri-iv_1407504448000.html

Nohant

Les amis de George Sand

Laissez-moi fuir la menteuse et criminelle illusion du bonheur ! Donnez-moi du travail, de la fatigue, de la douleur et de l’enthousiasme.

George SAND

Au mois de juin 1876, Gustave Flaubert écrivait à son ami, l’écrivain russe Tourgueniev : « Pauvre chère grande femme ! J’ai pleuré à son enterrement, comme un veau. » Flaubert revenait tout juste de Nohant où il avait vu porter en terre, tout au fond du parc et près du cimetière, celle qu’il appelait George comme tous les habitués de Nohant et comme toute la France : Aurore Dupin de Francueil, baronne Dudevant devenue, par la grâce de sa plume, George Sand.

Elle s’est éteinte le 8 juin, dans sa belle chambre bleue refaite à neuf depuis quelques mois : « Je me suis tapissée en bleu tendre parsemé de médaillons blancs où dansent de petits personnages mythologiques. Il me semble que les tons fades et les sujets rococos sont bien appropriés à l’état d’anémie et que je n’aurai là que des idées douces et belles », écrit-elle alors. La belle chambre est désormais vide mais demeurera à jamais intacte.

Aurore avait quatre ans quand, en 1808, après la mort accidentelle de son père, officier de l’armée impériale, elle est venue s’installer à Nohant chez sa grand-mère Mme Dupin de Francueil. C’est d’elle que l’enfant tient ce prénom d’Aurore qui est à lui seul toute une histoire. Et quelle histoire puisque Mme Dupin le tenait elle-même de sa grand-mère, Aurore de Königsmark, maîtresse favorite du roi Auguste II de Pologne. Le trait d’union entre ces grandeurs septentrionales et la paisible châtelaine de Nohant, c’est le maréchal de Saxe, en toute simplicité.

Mme Dupin était la fille quelque peu bâtarde du héros de Fontenoy et d’une charmante comédienne, Marie Rinteau, dite Marie de Verrières. Et il est à supposer que la dernière Aurore doit la plus grande partie de son caractère fantasque à cet aïeul qui a empli l’Europe de ses victoires et de ses amours tumultueuses. Quant au talent littéraire, elle ne le doit sans doute qu’à elle-même, le maréchal n’ayant jamais pu venir à bout de l’orthographe. Ses lettres sont à l’avant-garde de la poésie lettriste1.

Mariée à un fermier général, Mme Dupin est devenue propriétaire de Nohant pendant la Révolution. La maison datait d’une trentaine d’années et avait été construite par un gouverneur de Vierzon, M. Pétron de Serennes. Mme Dupin a trouvé là un refuge contre les fureurs révolutionnaires et une bien agréable façon d’oublier, en arrangeant la maison selon son goût qui était parfait, qu’un certain art de vivre avait quitté la France. Sa petite-fille, élevée dans la tendresse et avec une liberté rare à l’époque, va y puiser, avec l’amour de la campagne berrichonne et de ses paysans, le plus chaud et le plus tendre de son talent.

De 1817 à 1820, il faut bien, hélas ! quitter le cher Nohant. Grand-mère Dupin estime que sa petite-fille a tout de même besoin de recevoir une éducation moins agreste et plus conforme à une demoiselle de la bonne société. Elle choisit le couvent des augustines anglaises où la fillette s’ennuie ferme. Quand elle en sort comme on sort de prison, il lui reste bien peu de temps pour profiter de sa grand-mère. Mme Dupin meurt en 1821. En 1822, Aurore épouse le fils d’un baron d’Empire, Casimir Dudevant, avec lequel elle est loin d’être heureuse mais qui lui fait deux enfants, Maurice et Solange.

La naissance de cette dernière sonne le glas du ménage qui d’ailleurs agonisait depuis un moment. Aurore rompt les ponts et Casimir lui intente un long procès que la jeune femme gagnera au bout de huit ans. Mais, à cette époque, il y a beau temps qu’elle est « libérée ». Son installation chez Jules Sandeau a été déterminante. L’écrivain et Aurore se connaissent depuis longtemps mais, en 1831, c’est chez lui que la jeune femme se réfugie au plus fort de sa bagarre avec Dudevant. Il en fait sa maîtresse et, surtout, il lui fait prendre conscience de son talent littéraire.

L’aventure ne dure guère : juste le temps d’écrire ensemble Rose et Blanche signé Jules Sand. Aurore va garder la moitié du nom, et quand, en 1832, elle donne Indiana, elle est devenue George Sand et elle a quitté Sandeau pour d’autres amours.

Fidèle à son atavisme, elle va collectionner les amants comme autrefois Marie de Verrières et comme Maurice de Saxe collectionnait les maîtresses. Un soir de juin 1833, c’est Alfred de Musset qui entre dans la vie de « George ». La scène se passe au Palais-Royal, dans le célèbre restaurant des Frères Provençaux où le jeune Musset est en train de souper en compagnie de Victor Hugo. À la table voisine, deux personnages prennent place : l’un est Sainte-Beuve et l’autre un jeune homme sanglé dans une redingote prune et des pantalons gris clair. Une haute cravate de satin noir sur une chemise finement plissée, un chapeau haut de forme cavalièrement planté sur une masse de cheveux noirs enfermée dans une résille, une badine au bout des doigts, un cigare aux lèvres. En vérité Aurore, car c’est elle, pourrait passer pour un garçon, n’était peut-être certain moelleux dans les formes. Mais tel est le personnage de George Sand.