Tout se passe à merveille et dame Amédée reprend pleine confiance quand, à la fin du repas, ses hôtes la remercient chaleureusement de son accueil… et lui réclament les clefs du château. Au cas où elle serait tentée de refuser, il est bon qu’elle sache que la troupe royale garde à présent toutes les issues. C’est la catastrophe !
Tandis que la jeune Ysabeau lui saute pratiquement au visage comme un chat en colère, La Fayette s’explique : il n’a nullement l’intention de garder Polignac. Simplement, il entend en extraire messire Guillaume-Armand qu’il doit conduire à Clermont auprès du grand maître de France, messire Antoine de Chabannes. Colère ni pleurs n’entament en rien sa détermination. Que le seigneur soit malade, tant pis pour lui. Il voyagera en litière au lieu de faire la route à cheval et devra s’estimer satisfait.
Force est à Polignac d’obéir. On l’installe dans une litière, bien emballé dans les fourrures, et fouette cocher ! On l’emporte.
Dans son cahotant véhicule qui lui fait endurer mille morts, Guillaume-Armand n’en mène pas large. Il est au plus mal avec Chabannes dont il a refusé la fille pour son fils aîné. Et sans parler du roi lui-même ! Sûrement, c’est l’échafaud qui l’attend !…
Or, comme on arrive à Issoire, La Fayette, qui joue le rôle du gardien-chef, décide soudain de faire une pause. Il fait réveiller les consuls de la ville, leur confie son prisonnier avec toutes sortes de recommandations puis, à bride abattue, reprend la route de Polignac, après avoir informé Guillaume-Armand qu’il s’en allait épouser sa fille !
Quand Gilbert arrive à destination, son retour inattendu répand presque la terreur dans la demeure où règnent déjà le deuil mais aussi une certaine agitation car, à peine la litière avait-elle disparu, que dame Amédée commençait à sentir les douleurs. Et quand La Fayette arrive, elle est tout bonnement en train d’accoucher.
On devine dans quelle disposition d’esprit la jeune Ysabeau accueille l’insolent qui vient l’arracher de la chambre de sa mère avec la prétention d’en faire sa femme sur l’heure. À nouveau, elle crie, elle hurle, elle se débat mais, à nouveau, il lui faut baisser les armes. On la traîne à la chapelle où l’attend le chapelain de la maison plus mort que vif. Furieux aussi et, dans sa colère, il trouve le courage de refuser ce mariage forcé.
Il ne veut pas les unir ? Qu’à cela ne tienne : La Fayette va passer toute la maisonnée au fil de l’épée.
Que répondre à pareil argument ? Le chapelain bénit. Ysabeau pleure mais prononce le « oui » fatal, terrifiée d’avance à la pensée des heures à venir. Mais, décidément, les atrocités ne sont pas pour ce soir. Avec une soudaine gentillesse, Gilbert la remet à ses femmes, prend congé, remonte à cheval et repart, laissant la nouvelle dame de La Fayette légèrement ahurie.
À Issoire, Gilbert recouvre la charge de son prisonnier-beau-père et, cette fois, l’emmène à Clermont, noble ville, mais dans laquelle le gros seigneur croit entrevoir sa dernière étape terrestre.
Pourtant, aucun gibet n’est encore dressé et même Antoine de Chabannes reçoit assez bien son ancien ami. Entendons par là qu’il lui fait comprendre que, personnellement, il n’est pas tellement pressé de lui faire sauter la tête. Encouragé par ce semblant de bienveillance, Guillaume-Armand supplie que l’on veuille bien faire prévenir son jeune frère, le seigneur de Chalençon, qui a l’oreille du roi. C’est le meilleur avocat qu’il puisse espérer.
On va envoyer chercher Chalençon mais, en attendant, on mettra le sire de Polignac dans une bonne prison, point trop inconfortable mais solide tout de même. On l’y nourrira assez sobrement pour que son accès de goutte disparaisse.
Ce qu’il ignore, c’est que Chabannes lui-même avait reçu à l’origine commission d’arrêter son ancien ami. Mais le grand maître n’était guère tenté par la corvée. Il espérait toujours arriver à conclure le fameux mariage qui lui tenait fort à cœur. Aussi avait-il trouvé plus simple d’envoyer le jeune La Fayette. Qui d’ailleurs ne s’était pas fait prier.
On a vu comment quelques heures passées en compagnie de la jolie Ysabeau lui avaient donné à penser et comment, en faisant les affaires de son grand maître, il avait fait les siennes par la même occasion.
En fait, Chabannes et lui s’étaient donné bien du mal sans se douter le moins du monde que leurs vues personnelles entraient tout à fait dans celles du roi. L’arrestation de Polignac n’avait, dans l’esprit de Louis XI, d’autre but réel qu’obliger le gros seigneur à donner son fils à la fille de Chabannes. Le mariage de La Fayette n’était sans doute pas prévu mais ne pouvait en rien contrister le roi. Le seigneur de Chalençon n’eut donc à jouer qu’un rôle facile. Il enfonça seulement les portes que l’on tenait largement ouvertes devant lui.
La conclusion eut lieu le 14 avril suivant, dans la cathédrale du Puy où Jacqueline de Chabannes épousa Claude de Polignac tandis que l’on bénissait de nouveau, et de façon fort orthodoxe, cette fois, le mariage d’Ysabeau et de Gilbert. Une Ysabeau qui n’en voulait plus du tout à son bourreau. Elle le lui prouva en lui donnant seize enfants.
Quant au château, abandonné peu après, il devint la ruine superbe que l’on peut encore contempler lorsque l’on se rend d’Ambert au Puy.
HORAIRES D’OUVERTURE
Du 1er avril au 31 mai 10 h-13 h et 14 h-18 h 30 Du 1er juin au 16 septembre 9 h-19 h Du 17 septembre au 11 novembre 10 h-13 h et 14 h-18 h
Pontchartrain
La Païva
Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage
Traversé çà et là par de brillants soleils.
En 1857, un jeune aristocrate prussien, immensément riche et cousin de Bismarck, achète pour la somme de deux millions la terre et le château de Pontchartrain, noble et superbe demeure construite jadis pour un chancelier de Louis XIV au milieu d’un parc, aussi superbe, dessiné par Le Nôtre. Mais ce jeune nabab n’achète pas pour lui. Pontchartrain, c’est le cadeau d’anniversaire qu’il destine à sa maîtresse.
Cette maîtresse, c’est la marquise de Païva, l’une des plus belles femmes que compte le Paris éblouissant du second Empire. L’une des moins respectables aussi car, en un mot comme en cent, celle que l’on appelle tout uniment la Païva n’est rien d’autre qu’une courtisane qui a fabuleusement réussi. Mais qu’importe au comte Guido Henckel von Donnersmarck ? Cette femme – qui a cependant dix ans de plus que lui –, il en est fou et il dépense pour elle des sommes fabuleuses. Rien ne saurait être trop beau pour la Païva.
Ainsi, le petit hôtel qu’elle occupe alors place Saint-Georges, en face de la maison de M. Thiers, lui paraissant indigne de sa divine, le jeune comte prussien a acheté aussi un terrain situé à l’actuel numéro 25 des Champs-Élysées et entreprend la construction d’un superbe hôtel destiné à faire une sévère concurrence à celui, tout voisin, de l’ambassadrice de Belgique, la comtesse Le Hon1. En fait, Pontchartrain est destiné à distraire la belle durant les travaux de construction et à lui assurer une maison des champs pas trop éloignée.
Aussitôt, Mme de Païva se met à l’œuvre : elle fait construire des serres, exige de ses jardiniers des fleurs et des fruits en toute saison, plante des arbres, en abat d’autres et change le tracé des allées pour se ménager des points de vue. Un personnel nombreux a pris possession de Pontchartrain mais un personnel qui n’apprécie pas tellement la nouvelle dame du château. En dépit de sa fortune, on la dit avare et, de toute façon, elle ne présente aucun point commun avec le marquis d’Osmond, précédent propriétaire du château.
Mais, au fait, cette Païva, qui est-elle ? Simplement la fille d’un fripier juif des bas quartiers de Moscou où elle est née en 1819. Elle s’appelait alors Thérèse, Pauline, Blanche Lachmann. Naturellement, elle est belle, d’une beauté un peu sauvage où se retrouvent quelques traces du type mongol. À seize ans, Thérèse a pleinement conscience de sa beauté et prend une grande décision : elle qui n’a rien, qui n’a jamais possédé une robe neuve, elle se jure avoir à elle tout ce qu’il est possible à une femme d’obtenir : argent, bijoux, toilettes, maisons, domestiques, voitures, etc.
Un jour, un homme entre dans la boutique du père Lachmann qui vend aussi des fournitures pour tailleurs : c’est un Français échoué Dieu sait comment à Moscou. Peut-être un ancien soldat de Napoléon qui n’a pas eu le courage de « faire » la Bérézina. De métier, c’est un tailleur. Il s’appelle Villoing. Il tombe naturellement amoureux fou de Thérèse et l’épouse avec la bénédiction de la famille.
Son commerce marche assez bien et c’est la raison qui a décidé Thérèse. Mais Villoing n’a rien de beau et il ne représente pour la jeune femme qu’un moyen de quitter le ghetto. Un jour, passe un étranger, séduisant et bien vêtu, qui lui fait la cour, s’indigne de voir une telle beauté s’étioler dans un cadre aussi peu digne d’elle, et l’enlève. Thérèse quitte sans remords son époux et même l’enfant qu’elle a mis au monde pour suivre son séducteur, sans oublier toutefois d’emporter la caisse du ménage.
Cela se passe en 1838 et, pendant trois années, la trace de la belle Thérèse se perd. On sait vaguement que le couple s’est dirigé sur Odessa puis sur Constantinople où, selon la future marquise, elle aurait été « surveillante dans un harem ». Celui du sultan naturellement dont elle s’évade un jour. Autres étapes : Sofia, Bucarest, Belgrade, Vienne et enfin Ems, célèbre ville d’eaux allemande, près de Coblence, où elle va rencontrer le pianiste et compositeur Henri Hertz. C’est par lui que Thérèse va enfin pénétrer dans les salons parisiens et dans cette vie large et brillante dont elle rêve toujours.
À son crédit, il faut porter les efforts qu’elle va faire pour y tenir sa place. Intelligente, elle a « l’instinct de toutes les élégances, l’intuition de l’art en ce qu’il a de plus raffiné ». C’est du moins ce que soupire l’un de ses admirateurs et Dieu sait si elle en a. Une chose est certaine : elle fait tout pour se cultiver.
À Paris, elle passe pour Mme Hertz et, bientôt, son salon est l’un des mieux fréquentés de la capitale : on y rencontre Liszt, Wagner, Théophile Gautier, Arsène Houssaye, Prosper Mérimée. Mais, en fait, le mariage n’a pas eu lieu et, le jour où Hertz s’en va jouer aux Tuileries pour le roi Louis-Philippe, il lui faut laisser Thérèse dans la voiture. Néanmoins, une fille leur est née, Henriette, qui a été dûment reconnue par son père.
Hélas, la fortune de Hertz fond rapidement dans les mains insatiables de Thérèse et, un beau jour, c’est la rupture. Le scénario de Moscou se renouvelle et la jeune femme abandonne sa fille d’un cœur aussi insouciant qu’elle a abandonné jadis son fils. Mais elle n’oublie pas d’emporter ses bijoux.
La période qui suit est cruelle. Thérèse mène une vie de misère dorée et passe d’un amant à l’autre. Théophile Gautier l’aide à sortir de ce mauvais pas et, grâce à lui, elle gagne Londres où cette fois un amant riche, lord Stanley, va la remettre à flot. Ensuite, ce sera un jeune comte russe qu’elle suivra en Russie pour adoucir sa fin car il est phtisique. Après sa mort, elle rapporte de fabuleux bijoux qui vont la relancer au firmament des nuits parisiennes.
Installée rue Rossini, elle ne compte plus ses admirateurs mais parmi eux elle choisit toujours les plus généreux. Il y en a un, tout de même, pour qui elle va faire une exception bien qu’il n’ait pas d’argent : un Portugais, le marquis Albino Francesco de Païva. Celui-là est assez fou pour vouloir l’épouser. Un titre de marquise ? Quel rêve ! Et Thérèse l’épouse.
La chance qui ne la quitte plus l’a bien servie : le pauvre tailleur Villoing est revenu mourir à Paris en 1849. Et, le 5 juin 1855, dans la chapelle des frères des Écoles chrétiennes à Passy, la petite juive de Moscou devient marquise de Païva. Elle ne va d’ailleurs pas s’encombrer longtemps du mari : quelques semaines de cohabitation nocturne puis, nanti d’une belle somme d’argent, Païva sera prié d’accepter de se retirer. Naturellement, il ne saurait être question de divorce et Thérèse demeure marquise comme devant. La place est désormais libre pour l’entrée en scène d’Henckel von Donnersmarck.
C’est le consul de Prusse, Bamberg, qui le présente à Mme de Païva et tout de suite c’est le coup de foudre. Partagé, quand Thérèse apprend que le jeune homme n’arrive pas à dépenser de fabuleux revenus. Comment résister à l’envie de l’aider dans une si agréable tâche ? On sait à présent que Thérèse sut à merveille s’en acquitter, sans d’ailleurs réussir à tarir le pactole.
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