Cellamare installe son quartier général à Sceaux puis délègue à la cour… son valet de chambre affublé du titre fantaisiste et hongrois de prince de Listhnay. On croit rêver mais dans les débuts le plan fonctionne. Le faux prince transmet à son maître des informations qui sont remises à un jeune abbé, Portocarrero, lequel ne cesse de faire la navette entre Sceaux et Madrid où Alberoni l’attend toujours avec impatience.
Comme Cellamare ne manque pas d’argent, un véritable parti espagnol se forme autour de la duchesse du Maine. Il y a l’indispensable Malézieu et la secrétaire de la duchesse, un bel esprit nommé Rose de Launay, mais il y a aussi le duc de Richelieu, le prince de Dombes, des jésuites et même un groupe de gentilshommes bretons. La haine grandit autour du Régent.
Heureusement pour celui-ci, il a auprès de lui, en la personne de son ancien précepteur, l’abbé Dubois, un ministre plus roué encore que peut l’être Alberoni. Et surtout un ministre qui entretient une police fort bien faite et fort active. En outre, il faut bien l’avouer, les conspirateurs sont d’une rare étourderie et d’une grande maladresse.
Grâce à la vigilance d’un modeste expéditionnaire de la Bibliothèque royale nommé Buvat à qui le faux prince hongrois confiait, Dieu sait pourquoi, sa correspondance, et aux indiscrétions, après boire, d’un jeune secrétaire de l’ambassade d’Espagne qui n’a rien trouvé de mieux que de clamer ses secrets dans la maison close de la Fillon – qui va se dépêcher de prévenir la police ! – le complot est découvert.
Le 9 décembre, à midi, un peloton de mousquetaires noirs occupe l’ambassade d’Espagne et y garde à vue le prince de Cellamare tandis qu’une compagnie de dragons se lance sur la trace de l’abbé de Portocarrero qu’elle n’aura aucune peine à retrouver près d’Angoulême, réfléchissant aux trahisons du sort au milieu des débris de sa voiture brisée. Cependant, à Paris, la traque des suspects se poursuit. Tous les conspirateurs sont arrêtés. Restent les propriétaires de Sceaux.
M. de Favancourt, brigadier aux mousquetaires gris, accompagné de M. de La Billardière, lieutenant aux gardes, se présente au château et, avec toutes les formes requises de la politesse, arrête tranquillement le duc du Maine. On le conduit à la forteresse de Doullens. Quant à la duchesse, elle a filé par un souterrain…
Elle n’ira pas loin. M. d’Ancenis, capitaine des gardes, la retrouve rue Saint-Honoré, chez une amie et, en dépit de la bordée d’injures et de la crise de fureur dont elle l’abreuve, s’assure de sa petite personne et la conduit, en se fermant soigneusement les oreilles, au fort de Chambay près de Dijon. Tous les autres prennent le chemin de la Bastille. À l’exception de Cellamare qui sera seulement reconduit à la frontière et auquel Dubois fera la galanterie de l’accompagner en personne jusqu’à Tours. Évidemment, un an plus tard, la guerre éclatera entre la France et l’Espagne…
À Paris, on pourrait s’attendre à ce que des têtes tombent. Mais le Régent n’est ni cruel, ni vindicatif, ni même rancunier. Tout s’achèvera le mieux du monde avec une sorte d’amnistie. À jamais guérie de la politique, la duchesse du Maine se retrouve à Sceaux et reprend le cours de sa vie agréable. Le cher Malézieu y ramène les ris et les Grâces. Voltaire, qui s’y cacha deux mois, s’y présente tout seul puis y revient avec Mme du Châtelet. Rose de Launay, devenue baronne de Staal après avoir séduit le gouverneur de la Bastille où elle était enfermée, reprend sa place auprès d’une maîtresse dont elle a tracé un extraordinaire portrait :
« Madame la duchesse du Maine n’a encore rien acquis par l’expérience : c’est un enfant de beaucoup d’esprit. Elle en a les défauts et les agréments… Elle manifestait de la hauteur sans fierté, le goût de la dépense sans générosité, de la religion sans piété, une grande opinion d’elle-même sans mépris pour les autres, beaucoup de connaissances sans beaucoup de savoir et tous les empressements de l’amitié sans en avoir les sentiments… »
Les années coulent. Le 18 mai 1736, meurt le duc du Maine. Il était atteint d’un cancer de la face, une sorte de lupus immonde qui lui dévorait le visage mais qui ne fit pas reculer la duchesse : elle le soigna elle-même, jusqu’au bout, avec un dévouement admirable. Elle-même devait mourir le 23 janvier 1757, « d’un rhume qu’elle n’avait pu cracher… »
Du superbe domaine qu’elle a tant aimé, il ne reste hélas que le pavillon de l’Aurore, une partie du parc et la très belle orangerie où chaque été sont donnés de brillants concerts. Entretenus avec un soin pieux, les bâtiments renferment le très beau et très intéressant musée de l’Île-de-France…
HORAIRES D’OUVERTURE
Tous les jours 10 h-13 h et 14 h-17 h
Fermé le mardi et certains jours fériés.
http://domaine-de-sceaux.hauts-de-seine.net/
Tourlaville
Les amants maudits
Amour nous a conduits tous deux à la même mort.
Dans son cadre de verdure, le château de Tourlaville est sans doute l’un des plus beaux témoins de la Renaissance en Normandie. Il a toute la grâce de ce XVIe siècle qui l’a vu construire mais personne ne l’habite, sinon la plus touchante, la plus dramatique des histoires d’amour. La ville de Cherbourg qui occupe parfois ses salons pour des manifestations culturelles ne permet plus qu’on le visite. Mais, autrefois, lorsque le guide introduisait quelques visiteurs dans certaine jolie pièce octogonale, certaine chambre bleue prise dans l’une des tours et peinte comme un missel, il baissait instinctivement la voix, comme s’il craignait de déranger un fragile fantôme : « Nous voici maintenant dans la chambre de Marguerite. Ici, elle et Julien se sont aimés. »
Ils s’appelaient en effet Julien et Marguerite de Ravalet, de bon lignage normand. L’un de leurs ancêtres avait combattu aux côtés de Jeanne d’Arc à Orléans, à Patay. Leurs parents, Jean de Ravalet et Marguerite de La Vigne, son épouse, ne manquaient pas de biens, entre autres ce château de Tourlaville que leur grand-père, Jacques de Ravalet, fit construire sur une terre à lui donnée par la duchesse de Nevers, Marguerite d’Estouteville.
Julien est né en 1582, sa sœur quatre ans plus tard, noyés tous deux dans une famille de quatre garçons et trois filles mais, alors que les cinq autres enfants Ravalet se contentaient d’être solidement bâtis, Julien et Marguerite, qui se ressemblaient, étaient d’une exceptionnelle beauté. Blonds tous les deux, de cette blondeur normande qui restitue les crinières de lin de leurs ancêtres vikings, ils avaient les mêmes traits fins et purs, les mêmes yeux très bleus, la même élégance. Mais ce qui était grâce exquise chez l’adolescente se teintait d’une virilité affirmée chez son frère.
Et c’est peut-être à cause de cette ressemblance, de cette trop proche fraternité qu’ils s’étaient voués, dès le plus jeune âge, une tendresse exclusive et tenace à laquelle les parents ne prêtèrent guère d’attention, sinon pour s’en attendrir et en sourire un peu. Il ne venait à l’idée d’aucun d’entre eux d’imaginer qu’avec les années cet amour pourrait devenir moins pur. Mais quels parents pourraient jamais avoir pareille idée ?
Les années passent. Quand Julien atteint ses douze ans, son père décide de l’envoyer au collège de Coutances pour y faire les études préliminaires à l’état ecclésiastique, le seul qui convînt à son rang de cadet. Julien se sent peu de goût pour l’église et l’idée de quitter son horizon familial le désespère. Quant à Marguerite, son désespoir est si violent que l’on craint un instant pour sa raison. Peu à peu, pourtant, Marguerite se calme et comprend que se rendre malade ne sert à rien. Qu’il vaut mieux attendre, paisiblement, le retour du frère trop aimé.
Ce beau jour, elle l’attend quatre ans. Qu’elle emploie d’ailleurs intelligemment à sa propre éducation. Marguerite apprend le chant, la danse, la musique ainsi que l’art de diriger une grande maison. Elle prend aussi grand soin d’elle-même et, sa beauté s’affirmant chaque jour davantage, les Ravalet commencent à envisager pour elle un grand établissement. C’est alors que Julien revient. C’est la joie. Une joie sans mesure.
Au même moment un ami de longue date de Jean de Ravalet séjourne au château. C’est un prêtre sage et déjà âgé. D’origine italienne il se nomme Antoine Fusi et a professé longtemps à Paris au collège de Navarre. On apprécie beaucoup chez les Ravalet son intelligence et sa bonté et il vient souvent.
Naturellement, il connaît la tendresse qui unit les deux enfants mais il est tout de même frappé par l’accueil quasi délirant que Marguerite réserve à son frère. Il remarque aussi qu’à table ils ne se quittent pas des yeux et qu’ils ne perdent jamais une occasion de rester seuls ensemble, par exemple pour de longues promenades à cheval.
C’est lui qui va découvrir la nature exacte du sentiment qui unit Julien à Marguerite grâce à un petit valet, jeune paysan fort innocent que l’on affecte à son service quand il est au château.
Un soir, après le souper, Antoine Fusi envoie le jeune garçon porter à Julien un livre que celui-ci souhaite lire. Or, au bout d’un moment, le petit valet revient rouge et agité… et tenant toujours le livre.
Antoine Fusi s’étonne. Julien n’était-il pas chez lui ? Si, il était là. Alors pourquoi rapporter le livre ? Est-ce qu’il n’en veut plus ? C’est d’abord le silence puis, après beaucoup de questions, le petit valet finit par raconter qu’il n’a pas osé entrer dans la chambre de Julien parce qu’il n’y était pas seul. Marguerite était là et, devant les précisions que donne le petit valet sur ce qu’il vient de voir, Antoine Fusi se demande un moment s’il n’est pas en train de devenir fou ou si le gamin n’est pas le plus fieffé menteur qu’il ait jamais rencontré. Mais non ! Le gamin précise, insiste. Si le maître ne le croit pas, qu’il aille donc voir par lui-même.
La chose paraît si grave à Fusi qu’il commence par interdire sévèrement à son jeune émissaire d’ouvrir seulement la bouche sur ce qu’il a vu et cela sous peine d’une sévère punition. Puis, après avoir longuement réfléchi, il décide de prévenir les parents afin qu’ils prennent les mesures nécessaires. Peut-être le mal pourrait-il encore être enrayé : Julien et Marguerite sont si jeunes. Elle a quinze ans, il en a dix-neuf. Tout peut s’arranger sans doute.
Naturellement, les parents sont atterrés. Jean de Ravalet parle d’étrangler purement et simplement les coupables mais Madeleine pleure et supplie. Et Antoine Fusi l’aide. C’est lui qui donne le conseil qui paraît le plus valable.
Il faut, dit-il, séparer au plus tôt ces deux enfants. Lui-même devant repartir pour Paris, il emmènera Julien qui finira ses études au collège de Navarre, sous sa protection spéciale. Quant à Marguerite, il faut la marier. Naturellement avec un garçon assez jeune et assez séduisant pour lui faire oublier très vite son frère… et leurs enfantillages. Avant un an, tout le monde aura oublié cette histoire.
On se rallie à cette politique sage. Antoine Fusi et Julien quittent peu après Tourlaville sous une pluie battante et le prêtre s’efforce de ne pas voir que son jeune compagnon a les yeux rouges de larmes, qu’il se retourne sans cesse pour apercevoir encore les toits du château où reste Marguerite. Marguerite qu’il n’a même pas eu le droit d’embrasser une dernière fois.
Pendant ce temps, enfermée chez elle, Marguerite pleure et crie qu’elle ne se mariera jamais ! Protestations bien vaines : à cette époque, un père a tous les droits sur sa fille et, dès l’instant qu’il ordonne, elle doit obéir. Or, Jean de Ravalet a juré que sa fille coupable serait mariée avant trois mois.
Malheureusement, pressé d’en finir avec une affaire pénible et de donner un maître à la rebelle, Jean de Ravalet choisit son futur gendre sans le moindre discernement et de façon si désastreuse qu’on en vient à penser que, faisant fi des recommandations d’Antoine Fusi, Ravalet a cherché, en la mariant, à punir sa fille. Il n’y réussit que trop bien. Le prétendu est riche mais c’est bien son seul avantage.
Receveur des tailles de la ville de Valognes, Jean Lefebvre de Hautpitois est âgé de quarante-cinq ans, ce qui est la vieillesse à l’époque. Il est pourvu, en outre, d’un physique peut-être très convenable pour un percepteur mais certainement pas pour un fiancé. Surtout pour le fiancé d’une fille aussi jeune et aussi belle que Marguerite. Il est, en effet, franchement laid : front dégarni, longue silhouette voûtée, teint jaune trahissant un foie en mauvais état et un estomac qui ne vaut guère mieux. Marguerite va devoir épouser cet épouvantail qui est aussi ladre qu’il est laid.
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