Hélas, Bergeret est parisien et il ne lui faut qu’un coup d’œil à la fausse comtesse pour reconnaître le très réel abbé de Choisy. Bien élevé il ne dit rien mais, la nuit venue, il se fait discrètement reconduire chez « la comtesse » qui, elle aussi, l’a reconnu. François accueille son visiteur en robe de chambre, et cette fois sous un aspect tout à fait masculin :
— J’imagine, dit-il, que vous venez me faire la morale ? Je vous attendais…
Bergeret moralise moins qu’il ne raisonne. L’abbé de Choisy est d’Église. Il est intelligent, spirituel, très cultivé. Il pourrait prétendre aux plus hautes destinées…
— Et, ajoute-t-il, puisque vous aimez tant les robes, songez qu’il n’en est pas de plus majestueuse que la simarre cardinalice…
Il prêche si bien qu’il remporte la victoire. Mieux, il emmène à Rome où s’ouvre le conclave le trop sémillant abbé qui va entrer au Vatican en tant que conclaviste du cardinal de Bouillon. Choisy y prendra le goût de la politique et des grandes affaires… et s’apercevra que sa piété est réelle.
Dès lors, il renonce aux folies de sa jeunesse, fait quelques séjours en forme de retraite dans son magnifique Balleroy et se lance dans la diplomatie. Nommé coadjuteur de l’ambassadeur envoyé au Siam par le roi, il y opère des conversions spectaculaires et en revient couvert de gloire pour se lancer dans la production littéraire. On lui doit une Histoire de l’Église, le Journal d’un voyage au Siam, des œuvres religieuses d’une haute portée morale… et une amusante Histoire de la comtesse des Barres.
Retenu à Paris par ses travaux, il vend en 1700 Balleroy à la princesse d’Harcourt qui ne le gardera que quelques mois avant de le céder à la petite-fille de Madeleine de Choisy, sœur de l’abbé, qui le léguera à la famille de La Cour. Le château sera alors érigé en marquisat.
Le second marquis de Balleroy se retrouvera exilé au château pour avoir pris parti contre Mme de Châteauroux, favorite en titre, lors de la maladie de Louis XV. Il en profitera pour fonder au pays une poterie de grès et s’occuper de ses houillères. Mais cet exil ne sera que temporaire et les Balleroy continueront à s’illustrer auprès des rois de France.
La Révolution fit saisir le château mais laissa la vie sauve à Mme d’Hervilly, fille du marquis, grâce au dévouement et à la ruse de son médecin qui la fit se rouler dans les orties et présenta le résultat aux sectionnaires en déclarant sa maladie contagieuse.
Quant à notre abbé, il devait mourir à Paris, sinon en odeur de sainteté, du moins en ayant acquis le droit à la considération et au respect de ses contemporains…
En 1971, l’homme d’affaires américain milliardaire Malcolm Forbes achète le château. Il y recevra Liz Taylor qu’il voulait épouser…
HORAIRES D’OUVERTURE
Du 15 mars au 30 juin et du 1er septembre au 15 octobre
10 h-12 h et 14 h-18 h
(fermé le mardi)
Du 1er juillet au 31 août 10 h-18 h
Le musée des Ballons et le parc sont ouverts toute l’année (sauf mardi et week-ends).
http://www.chateau-balleroy.com
Bellême
Mabile de Montgomery, la Locuste du Perche…
Et pour ce cœur instruit par une âme si noire
Des crimes éclatants ressemblent à la Gloire
Du château de Bellême, il ne reste qu’une porte fortifiée et une tour, mais cela devrait suffire pour évoquer les comtes, mi-forbans, mi-bâtisseurs, qui ont fait cette ville haute dont on devine qu’elle fut forte. Et surtout pour faire surgir de la nuit des temps la fleur vénéneuse par qui s’acheva le dernier rameau : Mabile !
Elle n’était pas belle et le savait, mais elle fascinait par l’éclat de deux yeux d’un vert doré, énigmatiques comme ceux d’un chat, et par l’épaisseur d’une crinière de lionne, rousse comme une flamme. En dehors de cela, sa taille courte et grasse tôt empâtée par d’énormes ripailles, sa peau tavelée et son nez trop gros détournaient les regards attirés par l’éclat apparent.
L’âme ressemble à l’enveloppe et, à quinze ans, la jeune comtesse de Bellême, la plus riche peut-être et la plus puissante des héritières de Normandie, joint à la violence d’appétits dévastateurs et à une cruauté rare, même au XIe siècle, un goût de la fourberie, une passion du mensonge et une cupidité qui, dès son jeune âge, ont terrifié ses nourrices, ses compagnes, et jusqu’aux rudes guerriers qui gardaient les forteresses familiales.
Il faut bien avouer qu’elle a de qui tenir : son père, Guillaume Talvas, surnommé le Lièvre, est sans doute le coquin le plus redoutable que l’on puisse trouver à quelques lieues à la ronde. Pourtant, les racines étaient belles…
D’ancienne famille bretonne venue chercher fortune sur les terres normandes, Guillaume le Lièvre comptait parmi ses ancêtres quelques hommes de valeur. Yvon, le premier des comtes, esprit brillant et ingénieur en machines de guerre, avait eu la bonne fortune, le courage aussi, d’arracher des mains de Louis IV d’Outremer le jeune duc Richard Ier de Normandie. La récompense avait été à la hauteur du service rendu : le vaste et riche comté qui tenait tout le Perche et lançait même des tentacules vers la mer.
Guillaume, son fils, avait reçu l’Alençonnais. Lui aussi était un bâtisseur, mais de forteresses : Domfront, Mortagne, Alençon et bien sûr Bellême. Mais la violence était latente dans le sang des Talvas et avec la richesse vint le goût d’une puissance toujours plus grande. Bientôt, Guillaume l’Ancien compta plus d’ennemis qu’il n’avait de châteaux.
À cette époque où la Normandie était fraîchement soumise aux guerriers venus du Nord, seule comptait la force du bras armé et celle des bandes dont on pouvait s’assurer les services. Les ducs eux-mêmes avaient le plus grand mal à maintenir un semblant d’ordre.
Néanmoins, quand il entra en révolte contre le duc Robert II dit le Diable, Guillaume l’Ancien fut abattu avec la majeure partie de sa famille. De ses quatre fils ne resta que Guillaume le Lièvre, qui avait pris grand soin de se tenir loin du carnage et qui, de ce fait, recueillit l’énorme héritage.
Devenu comte de Bellême, il se crut tout permis. Qu’avait-il à craindre d’ailleurs ? Le duc Robert mort en Terre sainte ne laissait pour héritier qu’un garçon bâtard, un petit Guillaume né de ses amours avec Arlette, la fille du tanneur de Falaise1, contre lequel tous les hauts barons se levaient et qu’il avait fallu faire passer en France pour le confier à la protection du roi.
Un beau jour, le Lièvre, marié et pourvu de trois enfants, s’éprend d’une jouvencelle, bien rentée de surcroît, et découvre du même coup que son épouse Héréburge a cessé de lui plaire. Et même qu’elle le gêne…
Au matin de Pâques 1042, la comtesse Héréburge, suivie de ses femmes et tenant par la main sa fille Mabile alors âgée de dix ans, se rend à l’église pour y entendre la messe. Elle n’a pas fait la moitié du chemin qu’une troupe armée l’assaille, disperse ses femmes et envoie la fillette rouler contre un montoir à chevaux. Quand ils en ont fini, la comtesse gît au milieu de la rue dans sa robe de fête, étranglée avec son propre voile.
L’horreur de ce crime secoue la ville mais personne n’ose rien dire. Seule Mabile affronte son père. Ses hommes ont failli la tuer ; doit-elle se préparer à mourir ? Tout dépend de sa conduite, et si elle se montre aimable avec sa nouvelle mère, tout ira bien.
Mabile promet d’être aimable mais elle a bien compris la leçon. Son père vient de lui montrer comment s’y prendre pour obtenir ce que l’on désire. Et quand, deux jours après la mort d’Héréburge, Talvas épouse celle qu’il voulait, l’enfant de l’assassinée assiste, souriante, à la cérémonie. En contemplant le nouveau couple, elle se dit que, faute de beauté, elle tâchera d’obtenir la puissance et la fortune. Ce sera facile… lorsqu’elle se sera débarrassée de son père et de ses frères…
Les noces scandaleuses sont d’ailleurs marquées d’un épisode abominable. Sur ses terres, le Lièvre compte une puissante famille de grands vassaux : les Giroie, seigneurs d’Echauffour, de Montreuil l’Argillé et de toute la vallée de la Charentonne. Ces Giroie, Bretons d’origine eux aussi, ont été jadis les amis de Guillaume l’Ancien et, sur leurs fiefs, ils sont aimés autant que les Talvas sont détestés. C’est une superbe famille : quatre filles et sept fils, des géants blonds, des cavaliers puissants comme leurs gros chevaux percherons et riches aussi de toutes leurs terres acquises, par mariage ou à la pointe du glaive. Certes, ils reconnaissent les comtes de Bellême pour leurs suzerains, mais leurs terres leur appartiennent en propre, et ces terres, le Lièvre brûle maintenant de se les approprier.
Depuis quelque temps, les Giroie semblent poursuivis par le malheur. Ernaud, l’aîné, a péri, les reins brisés, en luttant à mains plates contre un de ses bûcherons. Le second, Foulques, est tombé en 1040, tué par son frère Robert en défendant leur tuteur commun, Gislebert de Brionne, que les Giroie accusaient de malversations. L’avant-dernier, Hughes, a été tué par accident au cours d’un concours de tir à l’arc. Un autre est devenu fou. Trois seulement restent : Guillaume, un homme de bien et de paix, Robert, le meurtrier sans le vouloir, et Raoul, un être rare, une âme privilégiée qui a choisi à la fois la tonsure et la médecine. Élève de la grande abbaye du Bec-Hellouin, il s’est retiré à celle de Saint-Evroult, qui doit tout à sa famille, pour y poursuivre des études vouées au soulagement de l’humanité souffrante, une préoccupation rare à l’époque. À cause de ses cheveux courts et hérissés, le peuple qui l’adore l’a surnommé « Malcouronne2 ».
De tous ces Giroie, c’est Guillaume que Talvas déteste le plus, parce qu’il est le plus riche. Il l’a invité à son mariage et Guillaume, bonne âme, a cru qu’un refus chagrinerait cet homme sur qui pèse déjà la réprobation publique. Il a eu grand tort car, le repas de noces terminé, le Lièvre se retire avec sa nouvelle épouse… et livre Giroie à ses hommes qui le martyrisent, lui coupent les oreilles, le nez, et le châtrent avec une sauvagerie que l’on tentera par la suite d’attribuer à la folie du vin. Car le malheureux ne meurt pas de cette abomination qui a eu lieu sous les yeux même de Mabile, d’une Mabile qui y a pris un étrange plaisir.
Rentré chez lui, Guillaume Giroie cachera sa face devenue monstrueuse sous un voile épais et choisira de devenir un saint. Mais, tandis qu’il gisait sur son lit de souffrance, Robert Giroie est allé tirer son frère Raoul de son monastère. Ils ne sont plus que deux capables de porter les armes. Raoul doit aider à punir le Talvas. Il priera plus tard ! Et Raoul suit son frère, réendosse la broigne à écailles de fer, ceint la longue épée normande mais refuse le casque. Il combattra tête nue, à la grâce de Dieu.
Ils rameutent leurs gens, et la poursuite commence. Devant leur colère, le Lièvre détale, traînant sa femme et sa fille, refusant le combat dont il sait qu’il ne sortira pas vivant. Il va de l’un à l’autre de ses châteaux, s’y cachant du lundi matin au mercredi soir car l’Église a institué la Trêve de Dieu qui interdit le combat les autres jours de la semaine. Mabile suit, silencieuse, murée dans ses pensées mais jouissant des sueurs paternelles quand le danger se fait pressant.
Chaque fois qu’ils trouvent l’oiseau envolé, les Giroie brûlent son gîte et reprennent la piste, plus sombres et plus acharnés que jamais… Un jour, un jeune homme vient vers eux :
— Pour prendre un Talvas il faut un autre Talvas, dit-il.
Il s’appelle Arnulf. Il est le fils du Lièvre, et les deux autres le regardent avec horreur mais acceptent son aide. Hélas, le Lièvre fuit encore mais cette fois, c’est en France qu’il va chercher refuge. Il a eu trop peur ! Son digne fils mourra d’indigestion peu après pour avoir mangé tout entier un cochon qu’il avait volé à une religieuse… Il ne reste plus comme héritiers qu’Yvon, évêque de Sées, et Mabile.
Bien souvent, celle-ci a pensé tuer son père. Elle est habile dans l’art des poisons, grâce aux leçons de certaine sorcière de Bellême dont elle a fait son obligée. Mais le temps n’est pas encore venu de rentrer en Normandie et de réclamer ses terres. Les choses, en effet, changent au pays : le Bâtard est devenu le duc Guillaume et il est rentré chez lui. En 1047, à Mézidon, il a battu ses barons révoltés et il est devenu le maître. Un maître à la poigne de fer.
Mabile pense qu’il serait temps de faire la paix avec lui car, au fond, son père n’a jamais combattu contre le duc. Et elle conseille au Lièvre d’aller à Rouen plier le genou devant le jeune vainqueur et réclamer ses biens.
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