J’ai dit que j’allais faire chauffer le café parce que j’avais très faim. Léandre s’est mis à rire et à ce moment-là nous avons entendu Marie qui descendait l’escalier. Dès qu’elle est entrée Léandre a crié :
— Tu as vu, c’est pas chez nous. Le courant est revenu !
Marie a eu l’air heureuse aussi et m’a demandé pourquoi j’étais si matinale. J’ai encore raconté l’histoire de l’interrupteur, nous avons ri tous les trois et comme Léandre finissait d’éclairer le feu Marie a fait bouillir l’eau pour le café.
Dès après déjeuner, Léandre nous a dit qu’il retournait achever ses fagots avant que le temps ne se mette à la pluie. Marie a fait remarquer que c’était dimanche et, comme chaque fois, Léandre a dit en riant :
— De toute façon j’ai déjà mon billet pour l’enfer, alors, ça m’est égal d’être à la poulaille ou au fauteuil d’orchestre.
Au moment où il partait, je lui ai demandé de me laisser Bob en ajoutant que j’irais peut-être faire un tour. Je ne savais pas du tout si je sortirais, mais j’ai demandé ça machinalement.
Pourtant, dès que Léandre a été parti j’ai fait ma toilette. Bob tournait autour de moi sans arrêt parce qu’il sentait que les autres étaient sortis et que nous partirions certainement aussi. À vrai dire je n’avais pas tellement envie de me promener. Une fois habillée je suis restée longtemps debout vers la fenêtre à regarder le val que le vent faisait vivre. Les arbres n’avaient plus une feuille, mais le vent en trouvait encore pour les faire monter du bois en grands tourbillons qui s’élevaient plus haut que la colline. Très loin, sur l’autre versant, j’ai vu Léandre traverser la friche avant de disparaître dans le bois de pins. Il avait emporté la marmite de soupe et je n’aurais rien à lui porter. Je l’ai regretté un instant, puis, comme je quittais la fenêtre Marie est entrée en me disant :
— Ça souffle moins fort et le vent est bien moins froid qu’hier. Si vous voulez sortir, faut pas trop tarder, la pluie viendrait vers les midi que ça ne m’étonnerait pas.
J’ai regardé Bob. Il était assis près de la porte. Il ne me quittait pas des yeux et il avait l’air très malheureux. Quand il m’a vu prendre mon manteau il s’est mis à faire le fou autour de moi. Il a même bousculé Marie qui a ronchonné.
Aussitôt dans la cour, il a flairé et pris la trace de Léandre. J’avais déjà remarqué que lorsque Léandre était dehors, il voulait toujours que nous allions le rejoindre. Mais je l’ai rappelé et je suis partie dans la direction opposée. Léandre était trop loin, et je ne voulais pas être obligée de surveiller Bob sans arrêt.
Au fond, ce qu’il voulait, surtout, c’était pouvoir courir librement et une fois perdue la trace de son maître, je crois qu’il ne pensait plus à le rejoindre.
J’ai emprunté le sentier qui mène à la route mais, bien avant d’y arriver, j’ai pris à droite, dans le bois de châtaigniers qui descend presque jusqu’au fond du val. Sous bois, je sentais moins le vent et je l’entendais davantage faire le fou dans les branches au-dessus de ma tête.
Je le sentais moins, mais assez malgré tout pour avoir encore cette même sensation que la veille. À la fin, cela m’agaçait. J’ai joué avec Bob. Je lui lançais des branches qu’il me rapportait. Quand je les prenais il ne voulait pas lâcher et nous luttions pendant plusieurs minutes. Une fois, j’ai glissé sur une racine, je suis tombée dans les feuilles. D’abord surpris, Bob n’a pas bougé ; puis croyant sans doute que je voulais jouer, il s’est jeté sur moi juste au moment où je me relevais. Je suis retombée. Je le tenais serré contre moi. Nous avons roulé dans les feuilles. J’ai senti son souffle chaud dans mon cou. Alors, sans réfléchir, je l’ai repoussé en lui donnant une claque sur le museau. J’ai crié :
— Va-t’en !
Sur le coup il s’est éloigné de quelques pas.
Tandis que je me relevais en brossant mon manteau, il m’a regardée avec ses yeux tristes, et, comme chaque fois, il m’a fait pitié. Je l’ai caressé et je me suis remise à lui lancer des branches.
Nous sommes descendus ainsi jusqu’au ruisseau. Là, le vent ne soufflait presque plus. Je me suis assise au pied d’un arbre. La marche et les jeux avec Bob m’avaient essoufflée. J’ai été calme pendant un moment. Bob aussi devait être essoufflé car il a bu longuement au ruisseau. Quand il a eu fini, il a secoué sa grosse tête en faisant gicler de la bave. Ensuite, il est venu s’asseoir contre moi. J’ai encore senti son souffle sur ma figure, sa patte qu’il posait sur ma cuisse. Je ne l’ai pas grondé, cette fois, mais je me suis levée et j’ai repris le chemin de la maison.
16
En général, quand Léandre restait aux champs toute la journée, Marie ne servait à midi qu’une soupe et un autre plat. Elle réservait le repas le plus important pour le soir. Ce dimanche-là, elle avait fait de même si bien qu’à une heure nous avions fini de manger.
De m’être retrouvée seule en face de Marie m’avait fait penser de nouveau à ses paroles de la soirée. Je l’ai observée à plusieurs reprises, elle n’avait pas l’air plus triste ni plus préoccupée que les autres jours. Elle n’avait rien dit au cours du repas, mais cela n’était pas étonnant. En l’absence de Léandre, il nous arrivait de rester des journées entières sans échanger plus de trois paroles. Nous n’avions rien à nous dire, simplement.
Comme chaque dimanche, nous avons bu le café.
Quand Marie s’est levée, je me suis levée aussi pour l’aider à desservir. Ensuite, je suis allée jusqu’à la fenêtre.
Bob était sur mes talons.
Rien n’avait changé. Le ciel restait couvert. Le vent soufflait aussi fort.
Pendant un très court instant, j’ai eu l’impression que le temps s’arrêtait. Puis, qu’il continuait de couler devant moi dans le val, mais que derrière moi, dans la cuisine, il demeurait en suspens.
Quand j’y pense à présent cela me paraît curieux. Mais je reste certaine que c’est ce qui m’a poussée à sortir cet après-midi-là. À cet instant précis, il n’y avait rien d’autre pour m’attirer dehors. C’était à peine si je sentais la tête de Bob appuyée contre ma jambe.
Je ne suis pourtant pas restée longtemps devant la fenêtre. Je me suis retournée, j’ai dit à Marie que j’allais faire un petit tour et je suis sortie.
Comme le matin, Bob a filé sur les traces de son maître. Cette fois je ne l’ai pas rappelé. Je me disais que j’obliquerais bientôt à gauche pour gagner rapidement le fond du val.
Pourtant j’ai suivi le sentier jusqu’à l’endroit où Léandre m’avait amenée le premier jour. J’y étais repassée souvent. Je m’étais arrêtée chaque fois.
Là encore je suis restée un moment à regarder la colline au jeu de boules et les maisons. Puis, comme Bob ne tenait pas en place, j’ai repris ma route.
Il ne m’était plus possible de gagner le fond du val qu’en revenant sur mes pas ou en traversant des friches presque impraticables. J’ai continué jusqu’à l’endroit où le sentier se partage en deux. Bob avait pris à droite. Bien sûr, il grimpait vers le bois de pins où se trouvait Léandre. Je n’avais plus guère qu’une demi-heure de marche pour atteindre ce bois. Pourtant, j’ai rappelé Bob. Il a hésité, mais, comme je sifflais de nouveau il est revenu.
J’ai regardé un moment vers le fond du val. Il devait y faire meilleur qu’ici où le vent soufflait assez fort.
En prenant à gauche le sentier montait beaucoup moins. À vrai dire, je ne l’avais jamais emprunté. Léandre ne possédait aucune terre de ce côté-là et je n’avais pas dépassé ce croisement. Je savais cependant que ce sentier conduisait à la maison de Roger, mais ce n’est pas pour cela que je m’y suis engagée.
J’ai d’ailleurs été surprise de me trouver si vite à proximité de la maison. J’avais marché tout le temps entre deux vieilles châtaigneraies. Les arbres étaient énormes et très beaux. Les châtaignes n’avaient pas été ramassées et, à mesure que j’avançais, j’écrasais des bogues encore vertes d’où les fruits giclaient tout luisants.
Puis, en débouchant à un tournant, j’avais aperçu le toit et les murs, de l’autre côté du jardin.
Je suis restée longtemps debout à la lisière du bois. Je ne pensais à rien. Je me suis dit simplement que Roger devait être en train de nettoyer sa moto.
Je n’avais jamais vu la maison d’aussi près, ni sur cette face. Aux deux fenêtres du premier étage, les volets étaient fermés, en bas la seule fenêtre était fermée également mais les volets étaient ouverts. Il y avait des rideaux et j’ai pensé que c’était la cuisine.
On ne peut jamais affirmer que l’on aurait fait ou que l’on n’aurait pas fait telle chose si tel événement ne s’était pas produit. Moi, en tout cas, je trouve que les « si » sont inutiles, et j’avoue que je ne sais pas du tout ce que j’aurais fait sans l’arrivée de Roger.
Quand je l’ai vu tourner le coin de la maison avec le chien qui gambadait autour de lui, j’ai compris tout de suite ce qui s’était passé. Mais Roger ne s’attendait pas à me voir. Je l’ai senti à son premier regard et d’ailleurs dès qu’il a été près de moi il m’a dit :
— Quand j’ai vu Bob sans commission à son collier, j’ai pensé que Léandre ne devait pas être bien loin.
Je n’ai rien répondu. Je n’ai pu que rire en lui tendant la main. C’est seulement quand il m’a invitée à entrer chez lui que j’ai dit :
— Non, vous êtes en train de travailler, je ne veux pas vous déranger.
Roger m’a alors montré ses mains comme une preuve qu’il ne mentait pas en disant :
— Justement je viens de finir de manger. J’ai voulu tout démonter avant, pour que ça ait le temps de tremper au pétrole.
Tout en parlant il s’était mis à traverser le pré et je l’ai suivi.
Il m’a fait entrer dans la cuisine et j’ai vu tout de suite que je ne m’étais pas trompée.
J’ai trouvé la pièce petite comparée à la cuisine de Léandre, mais très agréable à cause d’une deuxième fenêtre donnant sur le val et d’où l’on voit la colline au jeu de boules. Malgré le temps, il faisait clair.
Roger a remis une bûche sur le feu. Il faisait chaud. J’ai quitté mon manteau et j’ai pensé tout de suite que c’était ridicule puisque je n’avais pas l’intention de rester longtemps.
Cependant je suis restée parce que Roger a voulu que je boive le café. Ensuite, il a posé sur la table une bouteille remplie de marc avec, dedans, un petit bonhomme en bois grimpant à une échelle. Il m’a dit que c’était son père qui l’avait fait pour occuper ses veillées d’hiver. Il a ajouté qu’il tenait beaucoup à cette bouteille parce qu’elle lui rappelait une époque de sa vie qu’il regrettait.
J’ai pensé à Léandre et à l’histoire du jeu de boules.
Il a fallu que je boive du marc et pourtant, je ne l’ai jamais beaucoup aimé. Il m’a fait tourner la tête parce que, depuis mon arrivée chez Léandre, je ne buvais plus du tout d’alcool. Mais je n’étais pas ivre, loin de là. Et, quand Roger m’a demandé si je voulais visiter sa maison, j’ai très bien senti ce qui pouvait arriver.
J’ai dit oui. Et, à ce moment-là, j’ai vraiment compris que depuis plusieurs jours j’avais envie d’un homme.
Roger m’a d’abord montré une chambre qui avait été celle de ses parents, puis il m’a fait entrer dans la sienne.
Nous n’avons pas dit un mot ni l’un ni l’autre. Je suis d’abord allée jusqu’à la fenêtre. J’ai regardé le val. Quand je me suis retournée, Roger était derrière moi. Je me suis approchée d’un demi-pas à peine. Il s’est peut-être avancé un peu aussi, mais je crois que c’est surtout moi qui l’ai embrassé. J’ai aimé Roger deux fois. Lui aussi a été heureux.
Quand nous nous sommes levés, le jour baissait déjà. J’ai dit :
— Il faut que je rentre, Marie s’inquiéterait.
Roger m’a embrassée puis il m’a demandé :
— Tu reviendras ?
J’ai promis de revenir.
Roger m’a accompagnée jusqu’au bout du pré, mais il avait sa moto à remonter et je n’ai pas voulu qu’il vienne plus loin.
J’ai couru pendant la première partie du trajet. J’étais à bout de souffle et plusieurs fois j’ai dû m’arrêter et m’adosser à un arbre.
Ce n’est qu’en arrivant au fond de la combe que je me suis arrêtée plus longtemps. J’ai respiré très fort, et puis, je crois bien que je me suis mise à rire toute seule. Je riais, parce qu’au fond, j’avais couru comme si j’avais eu une nouvelle importante à annoncer à quelqu’un.
17
Mais non, bien sûr que je n’avais rien à annoncer à personne. Au contraire, pendant tout le mois qui a suivi, je me suis arrangée pour rencontrer Roger chaque dimanche sans éveiller l’attention de Léandre et de Marie. Je trouvais toujours un prétexte pour sortir seule avec Bob. Ce n’était pas tellement facile, car souvent le temps n’était pas très beau. Cependant, ces promenades ne semblaient pas bizarres puisque je sortais tous les jours. J’étais obligée ; autrement les semaines m’auraient paru trop longues.
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