— C’est que… je ne peux guère monter à cheval avec ma jambe. Mieux vaudra que vous y alliez seul…
— Jamais de la vie ! Tu as participé aux recherches, tu participeras à la découverte. Je te prendrai en croupe…
Pour toute réponse, Pierre fit un rapide signe de croix en homme qui se demande comment il se tirera de l’épreuve mais, pour la première fois depuis longtemps, un sourire de bonheur vint éclairer son visage amaigri.
Le vieux Joël confié à la terre chrétienne avec tout le respect qu’il méritait et tout le cérémonial breton, Gilles, Pierre et Pongo se préparèrent pour leur expédition. Anna tint à leur préparer un bon souper, tenant bien au corps et qui les préserverait un peu de la fatigue et du mauvais temps. Car, peu après l’enterrement de Joël Gauthier, un gros orage avait éclaté, suivi d’une pluie diluvienne qui avait, en un rien de temps, transformé les chemins en fondrières. Elle continuait à tomber, presque sans vent ce qui pouvait signifier qu’elle était là pour un moment. La température avait d’ailleurs baissé considérablement et il faisait presque froid.
Bien lestés d’une solide soupe aux choux garnie de lard, de galettes au beurre fondu et de cidre, les trois hommes se disposèrent à quitter La Hunaudaye. Mais, au moment où ils allaient sortir, Madalen vint à Gilles, lui fit une révérence et, en rougissant très fort, glissa dans sa main une petite médaille qu’elle avait dû prendre parmi celles qui se dissimulaient dans la guimpe bien amidonnée de sa robe.
— Afin que sainte Anne d’Auray vous protège, notre maître ! murmura-t-elle avant de tourner les talons et de courir cacher sa confusion dans la pièce voisine où les femmes avaient leurs lits. Mais l’éclat humide des grands yeux violets avait frappé le chevalier et il baisa la petite médaille avant de la joindre au testament du moine dans la poche intérieure de son habit.
La pluie continuait, douce et têtue, et arrachait des reflets à tout ce sur quoi se posait la lumière de la lanterne qu’Anna élevait bien haut pour éclairer le départ.
— Vilain temps ! grogna Pongo qui, depuis son expérience dans la Delaware, détestait l’eau de tout son cœur.
— Tu n’y connais rien, fit Gilles joyeusement. C’est un temps parfait pour ce que nous allons faire. Nous ne rencontrerons pas âme qui vive et les moines seront tous dans leurs lits.
Il était déjà en selle. Tout en maugréant, Pongo aida Pierre à s’installer en croupe derrière lui avant de sauter à cheval à son tour, armé de la lanterne que lui passa Anna.
— Dieu vous garde ! lança Anna quand la petite troupe se dirigea vers la poterne. Prenez soin de ne pas glisser…
La recommandation n’était pas superflue. Un conglomérat de pierres et de boue grasse rendait le chemin difficile, même la route qui, de Pleven à Lamballe, traversait la lande et la forêt de La Hunaudaye et qui était une ancienne voie romaine. Il n’était pas loin de minuit quand les trois cavaliers arrivèrent en vue du vaste groupe d’édifices isolé, au fond d’une lande cernée par la forêt.
Pas une lumière ne brillait et le silence y était si total, si pesant, que l’on aurait aussi bien pu croire abandonnés ces grands bâtiments groupés autour de leur église dont la tour carrée imposait sa puissance à l’écran noir de la nuit. Les yeux perçants de Gilles et de Pongo distinguèrent sans peine derrière des murs à demi écroulés, un vaste jardin envahi par les herbes folles et dont une partie servait de cimetière, des murailles lézardées ici ou là et quelques toits dont les bardeaux pointaient vers le ciel.
— Il ne reste plus que l’église, un beau cloître Renaissance, le logis de l’abbé et deux bâtiments conventuels, soupira Pierre. Autrefois, c’était, paraît-il, une riche et puissante abbaye. Ainsi l’avait voulu Olivier de Dinan, son fondateur, mais le temps, et puis le manque de foi ont fait leur œuvre.
— Combien sont-ils là-dedans ?
— Une dizaine tout au plus, tant moines que frères convers.
— Nous avons mis beaucoup de temps pour venir. À quelle heure chantent-ils matines ?
— Oh ! pas avant quatre ou cinq heures du matin. La plupart des moines sont âgés et puisque la règle veut que l’office soit chanté entre minuit et le lever du jour, ils allongent leur nuit autant qu’ils le peuvent. Tenez, prenez ce chemin à main droite, ajouta le jeune homme quand on fut à un carrefour où s’élevait un calvaire.
Quelques secondes plus tard, tous trois mettaient pied à terre à l’ombre des grandes murailles de l’église et se dirigeaient vers la petite porte basse qui ouvrait près du chevet. Elle s’ouvrit avec un léger grincement.
Il régnait à l’intérieur une humidité glaciale que les plus fortes chaleurs de l’été ne devaient jamais réussir à vaincre entièrement et une obscurité profonde. Pongo battit le briquet et se hâta d’allumer sa lanterne qu’il tendit à Pierre.
Le jeune homme guida tout d’abord Tournemine vers l’autel devant lequel tous deux s’agenouillèrent pour une courte prière avant de se retourner vers les profondeurs obscures de la vaste nef.
— Les tombeaux sont sur la gauche, chuchota-t-il, dans la partie qui ouvre sur le cloître du couvent.
En effet, passé un grand pilier angulaire, la lumière de la lanterne révéla d’abord un grand enfeu contenant plusieurs dalles gravées, puis deux tombeaux plus récents, assez bas et de facture plutôt sobre, enfin un monument plus imposant édifié le long d’un mur.
— Tenez, dit Pierre, voilà le tombeau de l’ambassadeur.
Mais Gilles l’avait déjà identifié. Il se dressait, puissant et magnifique mais élégant et sans lourdeur : une dizaine de statues d’une grâce achevée semblaient soutenir la dalle sur laquelle reposait le gisant du baron. Mains jointes, revêtu de son armure, les yeux clos, Raoul de Tournemine vivait son éternité dans une totale sérénité. Deux anges agenouillés encadraient le coussin où reposait sa tête et, à ses pieds, un chien était couché entre un blason où s’inscrivaient les armes du seigneur et un grand casque fièrement couronné de laurier dont la vue fit battre un peu plus vite le cœur de son descendant.
— C’est une belle chose, n’est-ce pas ? murmura Pierre en allant déposer sa lanterne sur un angle du tombeau. Je crois que seuls les ducs de Bretagne ont eu si noble sépulture.
— J’espère seulement que les leurs sont mieux habitées, marmotta Gilles songeant avec une pitié révoltée au merveilleux artiste qui avait créé cette splendeur et que son talent avait conduit à une mort si cruelle. À l’œuvre, à présent, car ce sera justice que priver de son trésor un homme à ce point dépourvu d’entrailles ! Éclaire-moi ! ordonna-t-il à Pongo en s’approchant du casque.
L’une après l’autre, ses mains palpèrent les feuilles de la couronne. En dépit de l’émotion qui le bouleversait, elles ne tremblaient pas et accomplissaient leur travail calmement, méthodiquement. Allait-il réussir à trouver la feuille mobile ? Tant de temps avait coulé et l’humidité de cette église était si grande que la pierre pouvait coincer, que le mécanisme intérieur avait pu rouiller. Ses doigts fermes poussèrent, tirèrent, grattèrent chacune des feuilles sans succès. En dépit de la fraîcheur ambiante, il avait chaud tout à coup, sentant un filet de sueur couler le long de son dos.
— Si pas possible ouvrir, souffla Pongo, moi chercher de quoi briser la chose.
— Non car alors ce serait profaner… Il faut que je trouve, il le faut.
Ce fut, naturellement, la dernière qui céda. La feuille qui se trouvait sur l’arrière du casque, à gauche du nœud de ruban liant la couronne, s’ouvrit comme le couvercle d’une tabatière quand Gilles tira dessus un peu fort… Un triple soupir de soulagement se fit entendre.
Le chevalier prit alors, à son cou, la feuille de bronze, fit un rapide signe de croix et l’appliqua dans la cavité découverte puis appuya dessus…
Dans l’épaisseur des pierres un léger déclic se fit entendre.
— La… la visière ! souffla Pierre… Elle se lève…
— Chien aussi ! fit Pongo.
En effet, avec une extrême lenteur, la visière ciselée du casque se levait tandis que le corps de la levrette s’ouvrait comme un couvercle. La gorge soudain sèche, Gilles éleva la lanterne qu’il avait saisie…
La nuit parut s’emplir de lumières, de couleurs, de fulgurances. La cavité du casque était pleine de perles et de pierres non montées : rubis, émeraudes et saphirs surtout dont les facettes renvoyaient les couleurs de l’arc-en-ciel mais c’était le corps du chien qui détenait les parures. Comme le casque, l’intérieur de l’animal était doublé de velours et, sur ce velours, colliers, bracelets, bagues et pendentifs s’entassaient sur une fabuleuse chaîne de rubis énormes qui reposait au fond avec une bague et une agrafe de toque faites des mêmes pierres.
Muets d’admiration, les yeux ronds, Pierre et Pongo regardaient les longs doigts du chevalier faire revivre, sous la lumière pauvre de leur lanterne, les pierres sanglantes qui dormaient là depuis si longtemps après avoir brillé sur la poitrine et la tête de César Borgia, le prince-fauve de la Renaissance.
— Mes amis, dit Gilles calmement, nous voilà riches !
— Vous voilà riche, corrigea doucement Pierre. Nous n’avons aucun droit sur ceci.
— Sauf celui de la fidélité, sauf celui que t’a acquis la grandeur d’âme de ton grand-père. Nous allons emporter tout ceci, Pierre, et tu en auras ta part.
Mais le jeune homme hocha la tête négativement.
— Non, monsieur le chevalier. Je n’en saurais que faire. Rachetez La Hunaudaye et faites de moi votre intendant, cela, oui je l’accepterai car cela réalisera mon rêve et les miens pourront continuer à vivre dans la dignité sur cette terre que nos ancêtres cultivent et servent depuis la nuit des temps. Mais rien d’autre !
Spontanément, Gilles attira le jeune estropié à lui et l’embrassa.
— Tu n’as plus rien à craindre ni pour toi ni pour les tiens. Sur le salut de mon âme, je ferai votre bonheur. Ta mère vivra en bourgeoise, ta sœur aura…
Il s’arrêta soudain. Il allait dire « une dot » mais à la suite de ce mot c’était la silhouette imprécise d’un mari qui apparaissait et une soudaine répugnance lui venait à l’idée de confier un jour la lumineuse enfant aux bras d’un homme, quel qu’il soit…
— Dépêchons-nous ! dit-il en conclusion. Il faut rentrer, à présent.
Homme de précaution, Pongo s’était muni d’un sac de toile. À eux trois, ils eurent vite fait d’y entasser le trésor que l’Indien chargea sur son dos après l’avoir soigneusement ficelé.
— Nous rentrer, dit-il avec un large sourire. Chemin aussi difficile pour revenir que pour aller…
Avant de quitter l’église, Gilles tint néanmoins à s’agenouiller une nouvelle fois devant l’autel pour une ardente action de grâces et, peut-être, pour que Dieu les préserve, lui et tous ceux qui allaient bénéficier du trésor retrouvé, de la vengeance de l’ancien propriétaire.
Quelques instants plus tard, l’église de Saint-Aubin retombait dans son silence et son obscurité tandis que, sous la pluie qui n’avait pas cessé, les trois compagnons reprenaient le chemin de La Hunaudaye, laissant seulement derrière eux des traces mouillées qui n’inquiéteraient guère les moines lorsque, tout à l’heure, ils viendraient chanter matines. Ne laissaient-ils pas ouverte la porte de leur église afin que le passant, le voyageur égaré pût trouver asile ou simplement abri en cas de besoin ?
1. En Bretagne, la mort est représentée par un squelette habillé conduisant une charrette.
2. Gros bâton noueux dont ne se sépare guère le paysan breton.
CHAPITRE XV
RENCONTRE À LORIENT
— Pour vos pauvres, pour les prisonniers que vous rachetez, pour les filles que vous dotez et pour tous ceux à qui vous donnez tout ce que vous avez, même votre nécessaire…
Sans songer à dissimuler sa surprise, l’abbé de Talhouet regarda tour à tour son filleul, puis l’imposant sac d’or qu’il venait de déposer sur ses genoux puis, à nouveau, son filleul.
— Où as-tu trouvé cela ? Reviens-tu de Golconde ou bien…
— Ou bien ai-je fait un pacte avec l’Autre ? dit Gilles en riant tandis que le recteur d’Hennebont, légèrement choqué, se signait discrètement. Non, monsieur, je n’ai rien fait de tout cela. J’ai simplement retrouvé le trésor des Tournemine.
Une petite flamme s’alluma dans le regard bleu, pâli par la fatigue et les privations de l’abbé.
— Celui de Raoul que mon cousin de Rennes cherche depuis si longtemps et bien d’autres avant lui ?
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