Mme de Sommières en pensait tout autant et, avec un petit sourire encourageant à l’intention de Mary, elle proposa :
— Nous repartons pour Paris, Plan-Crépin et moi. Pas dans l’intention d’y rester, mais j’estime qu’au point où nous en sommes il est indispensable d’aller parler de tout cela avec Pierre Langlois. C’est par sa position le seul capable de nous donner un coup de main et, de toute façon, je voudrais avoir son avis. Venez-vous avec nous ? Cela vaudra mieux que tourner en rond toute la journée dans cette maison après avoir passé des nuits blanches...
— Pour les nuits blanches, il m’étonnerait qu’elles ne me suivent pas !
— Eh bien, vous me ferez la lecture, vous jouerez aux échecs avec Plan-Crépin ou elle vous tirera les cartes ! Elle est très forte et, il n’y a pas si longtemps, nous lui avons découvert des dons de médium !
— Réels, je t’assure, affirma Mary, qui faillit ajouter qu’elle l’était un peu elle-même mais préféra s’en tenir là.
Son amie ne dégageait que des ondes négatives en ce moment. Peut-être fut-ce le fait que Plan-Crépin partait aussi qui emporta sa décision :
— Pourquoi pas ? Finalement, c’est lui qui les a engagés dans cette aventure délirante.
— Ne mélangeons pas ! Aldo refusait de rentrer à Paris à rester les bras ballants. Il voulait partir et serait peut-être déjà sous les verrous. Alors vous venez ?
— Je viens... mais j’aurais voulu voir Adalbert avant !
— Eh bien, ce sera après. Il a besoin de se remettre, pas de pleurer sur votre épaule, et sir Peter veille sur lui ! coupa Mme de Sommières que la résistance tacite de la jeune femme commençait à agacer sérieusement.
Mais Lisa n’en avait pas fini :
— Au fond, il n’a pas de véritable raison de se cacher. Ce n’est pas lui qui est accusé de vol !
— Non, fit observer Peter. Simplement de complicité, et avec le redoutable crétin qui remplace Warren à la police en ce moment, cela peut mener très loin. Donc il ne bougera pas de chez moi ! Vous le verrez au retour !
Enfin elle se décida, disant qu’elle serait heureuse d’entendre l’opinion d’un homme de la valeur du commissaire principal.
En réalité, Plan-Crépin s’en serait bien passée, espérant seulement que Langlois lui remettrait les idées en place et surtout qu’il lui donnerait le sage conseil de ne pas s’impliquer dans cette histoire, quelque envie qu’elle en ait, et qu’il serait plus raisonnable de rentrer à Rudolfskrone près de ses enfants. Dans l’état d’énervement où elle se trouvait, Lisa charriait les mauvaises ondes à la pelle. Ce serait sans doute charité d’en libérer Mary au moins pour quelques jours, mais en évoquant les nuits blanches qui l’attendaient elle-même, son moral avait tendance à flancher. Heureusement, sa chère messe de 6 heures à Saint-Augustin serait-là pour lui redonner du courage... et peut-être réussirait-elle à y entraîner l’épouse angoissée. Elle entendait, pour sa part, y demander une neuvaine...
9
L’homme au pendule
En revenant dans sa chère maison de la rue Alfred-de-Vigny ouvrant si joliment sur le parc Monceau, Mme de Sommières éprouva une sensation bizarre. Malgré le plaisir de rentrer chez elle, de retrouver son jardin d’hiver et son grand fauteuil de rotin blanc au large dossier en éventail, son trône, si confortable avec ses coussins en chintz fleuri, évocateur du champagne de 5 heures et de toutes les bonnes habitudes, et où elle passait d’ailleurs le plus clair de son temps quand elle était à Paris, à papoter avec Plan-Crépin, elle ressentait la pénible impression de ne plus être tout à fait chez elle, que la demeure avait imperceptiblement changé... sans aucun doute parce que cette vilaine affaire sordide – qui planait dessus –, l’absence d’Adalbert rue Jouffroy, de l’autre côté du parc Monceau, et surtout parce que manquait le bonheur de voir débarquer Aldo – souvent sans prévenir ! – lancé sur la trace d’une de ces merveilles qui le passionnaient.
Et puis il y avait ses vieux serviteurs : Cyprien, son majordome, qui avait à peu près son âge et dont les bagarres incessantes avec Plan-Crépin mettaient du piment dans la vie quotidienne, et Eulalie, sa sublime cuisinière, que son talent rendait digne de la table des dieux et qui s’ennuyait à mourir quand elle n’était pas là. On moins on allait pouvoir se régaler pendant quelques jours parce que la cuisine anglaise était, en dehors du breakfast et des pâtisseries du sempiternel thé, parfois à peine mangeable... Elle eut honte d’ailleurs de cette pensée un peu trop terre à terre au milieu du drame que l’on vivait...
Heureusement que Plan-Crépin était à ses côtés. Sans elle, la marquise eût peut-être choisi de descendre au Ritz pour ce bref séjour. Il y avait aussi Lisa qui semblait traîner derrière elle toute la misère du monde ! Dieu sait si l’on pouvait la comprendre, mais ce n’était pas la première fois qu’Aldo disparaissait sans qu’on puisse savoir où il était passé, et la certitude qu’il était toujours vivant était ancrée au cœur de la vieille dame comme dans celui de Plan-Crépin qui, elle, avait hâte de se remettre en chasse !
À peine installée, le premier mot de la jeune femme avait été pour réclamer celui que l’on était venu voir...
Il accourut, bien entendu, dès qu’il les sut de retour, et accepta le café que lui offrait Cyprien. Élégant comme à son habitude, dans un complet bleu marine adouci par une cravate à fines rayures rouges assortie au « canapé » rouge et or de commandeur de la Légion d’honneur qui avait chassé de la boutonnière la fleur traditionnelle, il arborait une mine sévère en s’inclinant sur la main de la marquise, puis sur celle de Lisa – et même sur celle de Marie-Angéline qui en resta pantoise, accoutumée qu’elle était à une virile poignée de main –, mais la petite flamme qui animait son œil bleu révélait qu’il était plutôt content :
— Vous vous êtes décidées à rentrer ? Je vous attendais plus tôt, bien que je vous sache en sécurité à Chartwell.
— De toute façon nous allions le quitter. Les travaux sont terminés chez les Sargent – où nous sommes toujours invitées ! – et d’ailleurs sir John annonce son retour. Au fond, commissaire, que voulez-vous qui nous arrive ?
— Vous n’en savez rien et moi non plus, sinon que cette affaire est sûrement plus dangereuse qu’il n’y paraît ! Alors, pourquoi êtes-vous là étant donné votre esprit frondeur bien connu ? Quant à vous, princesse, surtout compte tenu de ce que vous devez endurer, pourquoi ne pas rester auprès de vos enfants ?
— Pour qu’ils conservent une mère si leur père est en danger..., fit-elle amèrement.
Mme de Sommières ne lui laissa pas le temps de continuer :
— Ne la tarabustez pas, mon cher Langlois ! Elle a besoin de vous tout autant que nous, car vous ignorez – je ne vois pas d’ailleurs comment vous auriez pu l’apprendre – que l’on a retrouvé Adalbert ?
— Quoi ? Et seulement lui ?
— Seulement lui ! – pardon, Lisa ! Et il n’en sait pas plus que nous sur ce qu’a pu devenir Aldo !
Naturellement, ce fut Marie-Angéline qui assuma le récit. Langlois l’écouta sans l’interrompre, même par une exclamation, mais les sourcils durement froncés, il était évident qu’il dominait sa colère.
— Eh bien, merci, mademoiselle du Plan-Crépin ! soupira-t-il quand elle se tut. À certains détails on se rend compte que tout n’est pas clair à Hever Castle. À l’exception possible des propriétaires qui doivent ignorer ce qui se passe réellement chez eux. Lui vit avec ses fantômes plus qu’avec la réalité et sa femme considère tout cela avec une sorte d’indulgence amusée du moment qu’il la laisse vivre comme elle l’entend.
— C’est-à-dire ?
— En femme libre qui se passionne pour la politique et pour les causes les plus généreuses, et je suis certain qu’ils seraient abasourdis s’ils savaient qu’une entité malfaisante s’agite, bien abritée dans l’ombre dramatique d’Anne Boleyn et la passion d’Astor pour les Tudors.
— C’est ce que je pense également, approuva Plan-Crépin, mais comment s’en assurer et surtout l’empêcher de nuire ?
— J’en suis venu à décider qu’il me faut infiltrer quelqu’un d’à la fois courageux, intelligent et même intuitif dans cette bizarre taupinière.
— Il y a là-dedans une telle foule de serviteurs que cela devrait être possible. Où est-on mieux caché que dans la foule ?
— Sans doute, mais il y a aussi la police...
— La police ? s’étonna Lisa. Vous pensez qu’elle aurait tendance à protéger ce genre d’individu ?
— Parfaitement. Surtout Scotland Yard qui est devenue l’un de mes soucis majeurs depuis qu’un certain Mitchell remplace Gordon Warren. Elle nous aurait déclaré la guerre qu’elle ne se comporterait pas autrement !
— Mais enfin, s’écria Mme de Sommières, Scotland ne règne pas sur le Royaume-Uni, que je sache ? Il y a des ministres, deux Chambres – les Communes et les Lords. Enfin, si j’ose dire, le roi George !
— Qui n’a guère de pouvoir réel.
— Mais auquel on doit tout de même pouvoir faire appel ? J’avais pas mal d’amis anglais influents, mais les années passent et les rangs s’éclaircissent ! déplora la marquise.
— N’exagérons rien ! Il vous reste sir John Sargent... qui n’est pas rien, bien qu’il ne fasse guère parler de lui et, derrière, cet incroyable sir Winston Churchill qui, lui, pourrait avoir un destin fulgurant ! Quoi qu’il en soit, j’ai l’intention, je viens de vous le dire, d’infiltrer l’un de mes meilleurs agents capable et assez courageux pour affronter le nouveau patron de Scotland Yard, qui, Dieu sait pourquoi, garde un œil sur Hever Castle.
— Mais enfin, pourquoi cet homme – un redoutable imbécile, selon sir Wolsey ? Il serait dûment protégé par on ne sait qui...
— Par le chancelier de l’Échiquier et sa réputation, car c’est loin, très loin d’être un imbécile. Sa réputation approcherait même de la légende...
— Vous voulez rire ?
— Le moment m’en paraît mal choisi. Adam Mitchell est rentré depuis peu en Angleterre. Il a fait pratiquement toute sa carrière aux Indes où il a résolu quelques affaires retentissantes et particulièrement compliquées. C’est un policier remarquable comme tout chef aimerait en avoir au moins un... sauf peut-être moi !
— Pourquoi ça ? émit Plan-Crépin. De toute façon il ne vous vaut pas !
— C’est l’amitié qui parle ! Mais si je dis que je n’aimerais pas l’avoir sous mes ordres, c’est en raison de son caractère intraitable. C’est un homme naturellement méchant, cruel même, et ce sont des travers dont j’ai horreur ! L’affaire du Sancy est exactement ce qu’il lui faut pour asseoir sa réputation en Angleterre.
— Mais pas au point de garder sa place quand le Superintendant Warren sera guéri ?
— C’est possible, encore que j’en doute. Warren est très apprécié là-bas et avec juste raison. En outre, il est un peu plus jeune. Avec lui les choses ne se seraient pas passées ainsi. D’abord, parce qu’il connaît bien Morosini. Ensuite, il aurait certainement mis fin aux divagations d’Ava Ribblesdale et nous ne nagerions pas en plein scandale. À ce propos, madame, ajouta-t-il en se tournant vers Lisa, auriez-vous enfin une idée de l’endroit où se trouve votre père car, si quelqu’un a les moyens de remettre les pendules à l’heure, c’est lui. On le pense en Amérique du Sud, mais c’est un peu flou étant donné la taille du continent.
— J’ai réussi à apprendre qu’il était encore récemment à Manaus...
— À Manaus ? Le pays du caoutchouc ? Mais qu’est-ce qu’il fabrique dans ce trou perdu ?
— Il cherche trois émeraudes quasi légendaires et, naturellement, s’est entouré du secret le plus absolu par crainte de la concurrence. Aux dernières nouvelles, il aurait quitté Manaus pour remonter le cours de l’Amazone sur deux pirogues. Voilà tout ce que je sais.
— Incroyable ! Il n’aurait pas pu faire plus compliqué ? Ces collectionneurs sont parfois une véritable plaie ! fulmina Langlois. Son gendre risque la prison, la ruine et le déshonneur, et lui, il remonte béatement l’Amazone ! Comment avez-vous pu savoir ? Expliquez-moi !
Elle raconta ce que Birchauer lui avait confié des petits mystères paternels que Langlois eût peut-être considérés amusants en d’autres temps mais qui, pour l’heure présente, n’obtinrent qu’un haussement d’épaules agacé.
— C’est beau, la grande fortune, glissa Plan-Crépin. Cela permet vraiment de s’offrir n’importe quoi !
— C’est le cas de le dire, reprit Langlois, mais j’ai une idée, même si elle doit lâcher une meute de chercheurs sur ses traces. L’actuel ambassadeur du Brésil en France, M. de Souza-Dantas, est un homme remarquable à qui l’on peut faire entière confiance. M’autorisez-vous à lui en parler ?
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