Il n’en fut rien. Trois minutes plus tard, Marie-Angéline déjà tout agitée déboulait de l’ascenseur :
— Que se passe-t-il ? Il y a un problème ?
— Plutôt, oui ! Morosini et Vidal… machin ont été arrêtés !
Le temps de monter et il saluait Mme de Sommières qui le reçut en saut-de-lit de batiste mauve et de dentelles blanches comme le bonnet qui maintenait sa « coiffure » pendant la nuit. Une demi-heure après il récupérait son taxi afin d’indiquer le chemin au vieux Lucien, la marquise préférant se rendre chez Mlle Autié dans son propre équipage. En outre – et là l’idée était du colonel ! – il était préférable que la jeune fille ignorât encore ses relations avec le clan Morosini. Ce serait plus facile pour la surveiller.
Arrivé devant la maison, Karloff donna deux coups de klaxon sans s’arrêter et poursuivit son chemin tandis que Lucien rangeait sa voiture devant la grille à laquelle il alla sonner pendant que Marie-Angéline aidait Mme de Sommières à descendre. Aucun policier ne gardait l’entrée mais l’œil vif de la vieille fille eut tôt fait de repérer de l’autre côté de la rue un ouvrier plombier assis sur sa selle de vélo qui se curait les ongles en ayant l’air d’attendre quelque chose :
– Il faut être un policier pour avoir des idées pareilles, ironisa-t-elle. Qui a jamais vu un plombier se faire les ongles ?
— Pourquoi pas ? Chez mon père au château de Feucherolles, ceux qui y venaient mettaient des gants… Tirez plutôt la chaîne de cette cloche ! On dirait que nous arrivons à l’heure du ménage.
En effet trois portes-fenêtres avaient permis de sortir les meubles les plus légers… En même temps le vrombissement d’un aspirateur parvenait aux visiteuses, si bruyant que l’on pouvait craindre qu’il couvrît le tintement de la cloche mais il n’en fut rien. Il s’arrêta et la maîtresse des lieux, enveloppée d’un grand tablier, en pantoufles et un torchon épinglé sur la tête, vint à la grille.
— Mademoiselle Autié, je présume ? fit aimablement Tante Amélie.
— C’est moi. À qui ai-je l’honneur ?
— Je suis la marquise de Sommières, voici ma cousine, Mlle du Plan-Crépin, qui fait partie de l’organisation de l’exposition « Magie d’une reine ». Nous souhaitons bavarder un instant avec vous au sujet du regrettable événement d’hier soir.
La jeune fille ne répondit pas tout de suite. D’un geste machinal elle ôta le torchon de sa tête en considérant d’un air incertain cette grande dame – à l’évidence c’en était une ! – imposante et encore belle dans une longue robe « princesse » en guipure sable telle qu’en portait la reine Alexandra d’Angleterre au début du siècle, une dizaine de sautoirs précieux au cou, avec des gants de suède assortis et un chapeau-plateau supportant des roses de mousseline. Non seulement elle n’était pas ridicule mais on éprouvait en la regardant que c’était la mode actuelle qui était dans son tort. Derrière elle, une voiture d’époque étincelante avec chauffeur en livrée complétait le tableau :
— Nous vous dérangeons sans doute, continua l’apparition dont les yeux étaient aussi verts que ceux de Caroline elle-même, mais ne pourrions-nous entrer un moment pour parler plus aisément que derrière cette grille ?
— Nous donnons l’impression d’être dans le parloir d’un couvent… ou d’une prison, compléta sévèrement la cousine qui passait un peu inaperçue en retrait de la marquise.
— Veuillez m’excuser et vous donner la peine d’entrer.
Elle ouvrit la grille, fit passer les deux femmes puis referma soigneusement avant de précéder ses visiteuses dans le salon qui avait retrouvé une image présentable… Il était clair que la jeune fille avait dû travailler dur depuis le matin. En admettant même qu’elle se soit couchée car son visage portait des traces de fatigue. Mais elle faisait bonne contenance, offrit deux chaises cannées qui étaient intactes et leur demanda en quoi elle pouvait les aider.
— À réparer une injustice, sourit la marquise en soulevant sa voilette jusqu’au bord de son chapeau. Du moins je pense que c’en est une. Je voudrais que vous nous racontiez ce qui s’est passé hier soir dans cette maison. Vous avez reçu des visites m’a-t-on dit ?
— Davantage que je ne l’aurais voulu… Rentrant de voyage plus tard que prévu – mon train a pris du retard ! – j’ai trouvé ma maison bouleversée, fouillée de fond en comble.
— Que vous a-t-on volé ?
— Rien pour autant que je puisse en juger : pas même une petite cuillère. Je possède quelques jolis souvenirs de mes parents… et tout est là.
— Autrement dit, compléta Marie-Angéline, ce que l’on cherchait on ne l’a pas trouvé. Vous avez une idée de ce que cela peut être ?
Mlle Autié marqua une légère hésitation avant de répondre :
— Aucune !
— En ce cas, reprit Mme de Sommières, comment se fait-il que vous ayez fait arrêter mon neveu et son ami ? J’espère que vous ne les avez pas pris pour des cambrioleurs ?
Instantanément le jeune visage reprit son expression méfiante :
— Mais si, madame ! Comment appelez-vous des hommes qui s’introduisent dans une demeure en franchissant le mur ?
Mme de Sommières se mit à rire :
— Des explorateurs ? Vous n’imaginez pas le nombre d’expéditions de ce genre que ces deux lascars ont menées depuis qu’ils se sont rencontrés, il y a environ huit ans. Mais ils ne travaillaient jamais pour leur profit. Toujours pour quelqu’un ou pour une cause.
— Ce qui signifie qu’il y a derrière un cerveau, un chef de bande qui dirige leurs actions ?
— Ça ne va pas, non ? s’écria Plan-Crépin tellement indignée qu’elle en oubliait de châtier son langage. Les avez-vous seulement regardés ? L’un est un archéologue reconnu, célèbre, l’autre un expert en joyaux de préférence princiers ou royaux, encore plus réputé, qui possède un palais à Venise, est marié à la fille d’un banquier richissime et père de trois enfants ! Et vous les avez expédiés en prison sans prendre la peine de respirer ?
Caroline s’empourpra sous une poussée de colère :
— C’est ce que l’on fait d’ordinaire quand on trouve chez soi, en pleine nuit, des gens que l’on n’a jamais vus. Voulez-vous me dire ce qu’ils venaient faire ?
— Je n’en sais rien mais ils ont dû vous le dire avant que vous n’appeliez la police pour les faire embarquer ?
— Oh, pour parler ils ont parlé ! Un vrai duo, admirablement réglé ! Il était question d’une boucle d’oreille de Marie-Antoinette, ou plutôt de sa copie que j’aurais confiée au joaillier Chaumet pour qu’il l’expose à Trianon dans l’espoir de faire apparaître la vraie ! Une histoire de fous !
— Ah, vous croyez ? Et le commissaire Lemercier avant de se ruer sur mon cousin ne vous en a pas touché un mot ?
— Si, admit la jeune fille de mauvaise grâce. Je dois même me rendre à son bureau ce tantôt pour faire une… déposition et répondre à quelques questions…
— À merveille ! fit la marquise. En ce cas, le mieux est de ne pas différer. Allez vous préparer, nous allons vous emmener. Ma voiture est à la porte…
— Je n’ai pas besoin que l’on me dicte ma conduite ! Et je ne vois vraiment pas pourquoi j’irais avec vous ?
— Parce que c’est assez loin, fit Mme de Sommières avec douceur et que nous avons une voiture devant la porte. Cela vous évitera une peine supplémentaire dont vous n’avez nul besoin car je vous crois très lasse ? Je me trompe ?
— N… on ! Je… je n’en peux plus !
Et sans transition, elle se jeta sur le canapé qui perdait son crin par touffes noires puis éclata en sanglots que les deux visiteuses se gardèrent bien d’interrompre : cette petite en avait visiblement besoin.
— Laissons-la se calmer, chuchota Tante Amélie, mais voyez donc s’il n’y a pas quelque chose d’un peu remontant dans cette maison. Après quoi, vous l’aiderez à se préparer et nous l’emmènerons.
L’interpellée jeta un coup d’œil à la pendule de bronze qui semblait fonctionner :
— Est-ce que nous savons qu’il va être midi ? Le commissaire sera parti déjeuner.
— Qu’à cela ne tienne. Nous allons en faire autant. Un bon repas apportera le plus grand réconfort à cette pauvre fille… Elle se sentira mieux ensuite pour affronter la police.
— Espérons qu’elle acceptera, chuchota Marie-Angéline. Elle ne semble pas facile à manier.
— Qu’est-ce que vous imaginiez ? Qu’elle allait nous sauter au cou alors qu’il y a une heure elle ignorait jusqu’à notre existence ?… Ah, j’y pense, avant de partir vous irez avertir le plombier qu’il peut ranger sa trousse de manucure. Lui aussi a le droit de déjeuner…
— … Et voilà ! conclut Tante Amélie. Tout a marché comme sur des roulettes. La petite Autié a fini par consentir à partager le pain et le sel avec nous, à la suite de quoi nous nous sommes rendues à l’hôtel de police où, après une explication… je dirais animée… elle a retiré sa plainte. Nous l’avons ramenée chez elle. J’avais suggéré qu’elle accepte d’être mon invitée à l’hôtel pour quelques jours afin de se remettre de ses émotions mais elle a refusé : elle tient à rester dans sa maison !
— Puisque vous avez passé un long moment avec elle, avez-vous réussi à débroussailler son histoire de pendentif ? demanda Adalbert. Avant de nous vouer aux gémonies, elle nous a montré un portrait…
— Celui de cette horrible femme ! frémit Plan-Crépin.
— Vous n’y connaissez rien, ma fille ! Et surtout vous ignorez qu’une femme laide mais désirable peut enchaîner un homme plus sûrement qu’une reine de beauté. C’était sans doute le cas de la seconde épouse du grand-père. Or, elle était folle de ce joyau connu dans la famille depuis des lustres sous le nom du pendentif et, quand elle s’est sentie mourir, elle a exigé de son époux qu’il l’enterre avec elle mais dans le plus grand secret. Personne ne devait savoir afin qu’elle pût être certaine qu’on ne viendrait pas la déranger dans son sommeil éternel. Ce que dans son désespoir de la perdre il a accepté. Quand il est mort à son tour, Caroline en rangeant ses papiers a découvert le pot aux roses en lisant un journal intime qu’il cachait dans un meuble.
— Et elle n’a pas demandé l’exhumation alors qu’elle ne roule apparemment pas sur l’or ? commenta Aldo. Elle est héroïque, cette fille !
— Je la crois un être de qualité, fit Tante Amélie songeuse. Il est même étonnant que, tournée comme elle est, aucun homme n’ait songé à l’épouser.
— C’est peut-être elle qui ne veut pas ! suggéra Adalbert. Le célibat c’est une vocation. J’en suis la vivante preuve.
Morosini se mit à rire :
— Pas très convaincante, ta preuve ! Ton cher célibat, tu as dangereusement failli y renoncer à certaines occasions ?
— Que c’est élégant de me le rappeler ! La chair est faible sans doute mais le Seigneur a préservé son serviteur ! déclama-t-il en levant vers le plafond un regard extasié. Ce dont je ne le remercierai jamais assez !
CHAPITRE IV
DU CIMETIÈRE NOTRE-DAME AU BASSIN DU DRAGON
Quelques coups de téléphone permirent à Morosini de réunir, le soir même et dans le salon de Mme de Sommières, dans un souci d’intimité, les membres les plus actifs du Comité – Mme de La Begassière, Olivier de Malden, le colonel de Vernois, lady Mendl et Quentin Crawford que la marquise connaissait de loin – plus le commissaire Lemercier assez surpris de l’invitation mais qui se hâta d’accourir. Adalbert était rentré à Paris afin d’y retrouver des habits à sa taille.
Le policier commença par s’excuser de les avoir malmenés en invoquant le peu de temps qui leur restait avant la date ultimatum fixée par l’assassin : deux jours pour lui livrer la vraie larme de la Reine.
— Il se pourrait que l’on ait besoin de moins, fit Aldo.
— Vous savez donc où elle est ? grogna le vieux « Dur-à-cuire », l’œil déjà soupçonneux.
— Je crois le savoir grâce à Mme de Sommières, notre hôtesse, qui a eu, ce matin, un entretien plein d’enseignements avec Mlle Autié…
Lemercier bondit aussitôt de son fauteuil comme si un ressort venait de s’y détendre :
— Comment se fait-il que ces dames ne m’en aient rien dit quand elles sont venues vous sortir du « trou » ?
— Il n’y avait aucune raison, répondit la voix calme, légèrement traînante de l’Écossais. Vous êtes en charge de meurtres, commissaire, pas du vol d’un joyau qui d’ailleurs a été restitué. En outre, vous êtes ici ? Ne vous plaignez donc pas d’être tenu à l’écart !
— Je me demande justement pourquoi je suis ici !
— Parce qu’on a besoin de vous, tout simplement ! conclut Aldo avec un sourire reconnaissant à l’adresse de Crawford.
— Et pour quoi faire ?
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