— Pensez-vous vraiment supporter la vie dans une maison qui, voici peu, vous faisait peur avec juste raison ?
— Ce n’est pas la première fois qu’il s’y passe des choses bizarres et jusque-là je les supportais sans trop de peine. Je ne sais ce qui m’a pris de m’affoler comme je l’ai fait. Mes nerfs sans doute m’ont joué un mauvais tour mais grâce à vous maintenant je me sens redevenue sereine et il est temps que ma vie reprenne son cours normal.
Elle s’exprimait d’un ton monocorde, comme si elle récitait une leçon. Ce qui agaça Morosini :
— N’y a-t-il personne qui puisse venir habiter avec vous ? C’est votre solitude qui nous inquiète.
— Ne vous y trompez pas : j’aime la solitude, répondit-elle avec un sourire qu’il jugea artificiel parce qu’il n’atteignait pas les yeux, curieusement ternes, qu’elle fixait sur lui. J’aime aussi ma maison. En outre, je n’y serai pas seule longtemps. La lettre que vous m’avez remise ce matin est de mon cousin Sylvain. Il m’annonce son retour-
Cette fois, elle avait réussi à créer la surprise.
— Votre cousin Sylvain ? Je croyais que vous l’aviez perdu de vue depuis longtemps et que vous ignoriez ce qu’il était devenu ? C’est du moins ce que vous avez dit à la police ?
— Justement parce que c’était la police. Il était si loin que se mettre à sa recherche eût compliqué les choses… sans servir à quoi que ce soit.
— Vous nous l’avez dit à nous aussi, coupa Aldo sévère.
— Je ne mentais qu’à peine. J’ai longtemps ignoré où il était au juste. C’est grand, l’Amérique du Sud et, en fait, c’est ce matin seulement que j’ai pu le situer. Maintenant tout est bien… et d’ailleurs nous allons nous marier…
Toujours cette impression de récitation. Caroline débitait ses mots avec une sorte d’indifférence sans montrer la moindre joie à l’approche d’un événement important dans la vie d’une femme. Mme de Sommières, qui l’observait avec attention, entra dans la comédie :
— Voilà au moins une heureuse nouvelle ! Et qui nous rassure puisque vous allez retrouver un protecteur naturel, ajouta-t-elle, les yeux sur Aldo, avec une nuance interrogative à laquelle il répondit par un haussement d’épaules. Et je suppose que vous l’aimez ?
— Oh oui !… Il est très beau ! dit-elle sans la moindre conviction.
La bizarrerie de son comportement finit par arracher Marie-Angéline à ses élucubrations romanesques :
— Et il rentre quand, ce cousin si beau ? Au fait, vous n’auriez pas une photographie ?
Caroline tourna vers elle un regard qui n’avait plus l’air de la voir :
— Non… Sylvain a toujours détesté les photographies. Il dit… qu’elles peuvent voler une âme. Du moins en partie… Il n’en a pas non plus de moi. C’est mieux ainsi !
— Vous n’avez pas répondu à la question de Mlle du Plan-Crépin ? reprit Aldo. Pour quand annonce-t-il son retour ?
— Sous peu, je pense… Il doit être en mer à cette heure !
Mme de Sommières fit observer qu’une traversée de l’Atlantique depuis Buenos Aires demandait un certain temps et que Caroline pourrait peut-être rester encore quelques jours avec eux… Mlle Autié alors se leva sans même achever son assiette.
— Non…, non, il faut que je rentre et le plus tôt sera le mieux, dit-elle soudain fébrile. Merci de toutes vos bontés, madame la marquise ! Je vais préparer mes affaires et demander un taxi…
— Ne prenez pas cette peine. Ma voiture vous ramènera ! Aldo, veux-tu faire dire à Lucien qu’il se tienne prêt ?
— Encore merci !
Elle était déjà partie alors qu’Aldo ne s’était pas encore levé de son siège. Ils regardèrent la jeune fille s’engouffrer dans l’hôtel et disparaître.
— Que dites-vous de cela ? émit Marie-Angéline médusée. Elle laisse son déjeuner en plan, dit merci et se sauve comme si nous allions la poursuivre. Et pas le moindre au revoir !
— Il est certain que cette fille n’est pas normale. Elle a changé d’un seul coup ! remarqua Mme de Sommières.
— C’est cette foutue lettre ! grogna Morosini. J’aurais dû mettre de côté mes grands principes et en prendre connaissance avant de la lui remettre…
— Sans aucun doute, approuva la vieille dame. Plan-Crépin, allez donc l’aider à faire sa valise ! Telle que je vous connais vous êtes tout à fait capable de dénicher ce poulet galant et d’y jeter un œil, non ?
— Si ! Vous avez entièrement raison. J’y vais.
Elle quitta la table en même temps qu’Aldo. Il allait prévenir Lucien. Tante Amélie restée seule se fit apporter un saint-honoré qu’elle dégusta lentement avec une dernière coupe de champagne. Dans un sens, elle était assez satisfaite que cette fille eût choisi de couper les ponts avec Aldo qu’elle prétendait aimer trois heures plus tôt, même si cela égratignait son amour-propre masculin. D’autant que c’était vraiment une bien jolie créature et que… bon ! En voilà une au moins qui ne risquerait pas de troubler les nuits de Lisa et c’était toujours ça de pris !
Aldo revint rapidement mais on en était à la seconde tasse de café quand Marie-Angéline reparut, l’air préoccupé.
— Eh bien ? s’enquit Aldo.
— Elle a refusé mon aide en disant qu’elle avait trop peu de bagages pour ne pas s’en tirer seule. Évidemment elle n’est pas allée jusqu’à me mettre à la porte. Pour gagner du temps j’ai essayé de la faire revenir sur sa décision. Sans succès, bien entendu, mais j’espérais pouvoir mettre la main sur la lettre. Je n’ai pas réussi davantage. En revanche j’ai péché ça dans la corbeille à papier pendant qu’elle pliait des jupes dans sa valise…
— L’enveloppe ? Que voulez-vous que j’en fasse ?
— La regarder avec attention et me dire à quelle heure vous l’avez trouvée dans la boîte ?
— À l’aube, au moment où nous allions partir.
— Et vous avez déjà vu un facteur délivrer le courrier à ce moment-là quand il ne s’agit pas d’un télégramme ?
— Non, mais…
— Regardez mieux, vous dis-je ! Si cette épître vient d’Argentine ou est seulement passée par une poste quelconque, moi j’arrive des États-Unis !
Aldo prit le papier qu’il examina avec attention :
— C’est ma foi vrai ! Le timbre est authentique mais les compostages, à peu près illisibles, sont de pure fantaisie. Et dire, soupira-t-il, que j’ai eu ce truc dans ma poche pendant des heures sans me rendre compte de rien.
— C’est normal, fit Mme de Sommières. Tu étais trop occupé à lutter contre l’envie de la décacheter délicatement pour pouvoir la lire. Un combat intérieur prend du temps…
— Vous pouvez le dire mais je suis surtout un imbécile ! Ce poulet a peut-être été écrit ici même et le cousin Sylvain ne doit pas être loin. Caroline a beau dire qu’elle va l’épouser, je ne peux m’empêcher de penser qu’il représente un danger. Et qu’elle a besoin de protection ! Vivre seule dans cette maison est une folie !
— Va lui tenir compagnie ! fit Mme de Sommières acerbe en écrasant d’un geste nerveux la cigarette qu’elle aimait fumer avec son café. Elle ne demande que ça !
Devinant que quelque chose lui avait échappé, Marie-Angéline les regarda l’un après l’autre puis réintégra aussitôt son rôle de vieille fille effacée :
— Nous n’y pensons pas ! Ce ne serait pas convenable ! À la limite ce serait plutôt ma place mais…
— … mais j’aimerais savoir de qui vous êtes la lectrice et la secrétaire ? explosa la marquise. Depuis que je vous ai permis de vous fourrer dans ce sacré comité, on vous trouve dans tous les coins de Versailles sauf auprès de moi ! D’ici que je rentre rue Alfred de Vigny il n’y a pas loin !
— Calmez-vous, Tante Amélie ! plaisanta Aldo. Nous n’irons ni l’un ni l’autre mais je vais faire en sorte que la maison soit surveillée…
Sa première idée était de se rendre chez Lemercier lui poser le problème mais, en passant par le bar de l’hôtel afin d’y recharger son étui à cigarettes, il aperçut le journaliste Michel Berthier accoudé au long comptoir d’acajou où il sirotait un liquide indéfinissable dans un verre ballon, en ayant l’air de s’ennuyer prodigieusement. Il alla vers lui.
— Vous êtes encore là ? Vous avez cependant peu d’informations à rapporter en ce moment ?
— Ah, vous pouvez le dire ! Le tueur ne s’est plus manifesté, la police fait du surplace sans avoir l’air de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe et mon patron commence à trouver le temps long. Je vais attendre la soirée d’après-demain où il se produira peut-être du nouveau. Après…
— Vous buvez quoi là-dedans ?
— Une Marie Brizard à l’eau.
— Boisson de demoiselle ! Prenez plutôt un armagnac ! Ils en ont un formidable ici et je vous accompagnerai.
L’œil du journaliste s’alluma :
— Vous avez quelque chose pour moi ?
— Une manière comme une autre de passer le temps… à condition que vous soyez discret et que vos confrères n’en rêvent pas !
— Vous avez ma parole ! fit Berthier soudain sérieux.
— Une maison hantée en face de celle du pauvre colonel Karloff, cela vous intéresse. Avec en prime une jolie fille à surveiller, ça vous va ?
— Je pense bien !
— Alors, écoutez-moi !
DEUXIÈME PARTIE
VENGEANCE
MAIS POUR QUI ?
CHAPITRE VIII
REVOIR PAULINE
D’une rare beauté, le spectacle faisait reculer le temps. En franchissant la porte Saint-Antoine desservant les Trianons devant laquelle s’arrêtaient les voitures, d’une part, et, d’autre part, l’interminable tapis rouge qui se perdait sous les arbres éclairés de lanternes vénitiennes, on abandonnait le vingtième siècle, son fracas et ses outrances, pour pénétrer dans un monde mystérieux et attirant dont la magie effaçait les siècles. On n’était plus dans les années folles mais en l’an de grâce 1784 et la reine Marie-Antoinette allait recevoir le roi Gustave III de Suède venu sous l’incognito de comte de Haga…
Tout y concourait et d’abord le soin que l’on avait mis à dissimuler les lumières électriques au moyen de lampes couvertes disséminées à travers les jardins et qui donnaient des reflets très doux. Près de la cascade on avait reconstitué comme autrefois les grands transparents blancs, peints à la détrempe, figurant de hautes herbes, des buissons de fleurs fantastiques, des palmes et des rochers. Des personnages vêtus de blancheur scintillante semblaient voltiger, irréels dans la sombre verdure.
La couleur de la neige était d’ailleurs de mise comme elle l’avait été pour cette dernière fête qu’avait donnée la Reine dans son jardin anglais. Toutes les femmes étaient habillées de blanc et c’était une débauche de satins, de velours, de mousselines, de dentelles, de crêpes de Chine, de lamés et de plumes sous les plus beaux diamants, les plus belles chutes de perles fines que recelaient les écrins des belles invitées. Et des moins belles aussi. Le noir mat de l’habit masculin relevait encore la splendeur des toilettes féminines…
Quant au cadre, lady Mendl et le décorateur de l’Opéra avaient fait merveilles en utilisant au mieux au bord du lac artificiel la disposition en arc de cercle du Hameau comme d’une scène de théâtre, dont la maison de la Reine était l’élément principal côté cour et la tour de Marlborough, en avancée de la laiterie de propreté, côté jardin. L’ensemble était doucement éclairé de lampes invisibles afin de ne pas mettre en évidence l’usure du temps sur ces gracieuses constructions de bois et de torchis. En face, au pied du Belvédère brillant comme de l’or, plusieurs tribunes basses, tendues de bleu et blanc, étaient disposées pour les invités et sur le lac même un radeau supportait l’orchestre à cordes choisi par la comtesse Greffuhle. Les musiciens étaient bien sûr en costumes d’époque. Des projecteurs cachés dans les arbres étaient prêts à les éclairer en laissant dans l’ombre relative les barques alentour. Venu de nulle part en apparence, un air de flûte animait la nuit… Le temps était doux et le ciel plein d’étoiles.
Curieusement silencieux, ce début de fête ! Conscients des drames flottant encore autour de Trianon, les invités étouffaient leurs voix pour se saluer ou échanger quelques mots tandis que des jeunes gens en livrée bleu et blanc les guidaient vers leurs places.
Splendide à son habitude, la marquise de Sommières fit, au bras de son neveu, une entrée remarquée dans une longue robe de chantilly blanche à courte traîne réchauffée d’une écharpe doublée de satin. L’habituel col baleiné était remplacé par un large « collier de chien » en diamants baguettes assortis à ceux de ses boucles d’oreilles. Une collection de fins bracelets tous semblables étincelait sur la dentelle de son poignet droit cependant que sa main gauche ne portait qu’une bague en dehors de son alliance : une magnifique pierre à reflets bleutés soutenue de chaque côté par deux plus petites qu’Aldo découvrit avec stupeur au moment du départ lorsqu’il posa l’écharpe sur ses épaules tandis qu’elle mettait ses gants :
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