— Mais, enfin, il vous a aimée et vous l’avez aimé…
Elle eut à nouveau son petit sourire triste :
— Je l’ai aimé, oui. Il réunissait en lui mes espoirs d’une vie meilleure parce que vécue auprès de lui. Différente surtout de celle qui était la mienne. Voilà pour moi ! Quant à lui…
Elle leva sa main blessée, infiniment plus éloquente qu’un discours.
— Évidemment ! soupira Aldo.
Il n’eut pas le temps d’en dire plus. Un bruit de moteur se fit entendre au-dehors signalant l’arrivée d’une voiture, qui parut soudain assez familier à Aldo : cela ressemblait à l’Amilcar d’Adalbert. Mais aussitôt, Caroline saisie de frayeur se leva :
— C’est lui qui revient ! Il faut que je vous quitte !…
La porte d’ailleurs s’ouvrait sous la main d’un des hommes masqués. Il fit signe à la jeune fille de se hâter et l’emmena sans lui laisser le temps d’ajouter quoi que ce soit. Pour Aldo il n’eut pas un regard. Seulement un geste impératif lui intimant l’ordre de se recoucher. Ce qu’il fit en adoptant la position du chien de fusil qui lui permettait de garder un œil entrouvert. Quelques secondes plus tard Delaunay entrait. Il fit le tour de la pièce, examina Aldo qui ne réagit pas quand il souleva l’une de ses mains. Persuadé que son prisonnier dormait profondément, il appela :
— François ! Viens lui faire sa piqûre !
— Déjà ? Mais il ne va plus se réveiller !
— Ce ne serait pas une grosse perte. Les choses bougent à Versailles et je me demande si j’aurai le temps de le réduire à l’état que je lui ai promis. Le mieux serait peut-être de l’envoyer dans le Trou, après lui avoir prélevé son alliance… avec le doigt bien sûr… ou alors la main entière. Si la situation se gâtait il faudrait en venir à notre position de repli.
— Et… elle ?
Sylvain eut un ricanement fort désagréable :
— Qu’est-ce que tu veux qu’on en fasse ? Elle est tombée amoureuse de ce type et je n’ai plus d’influence sur elle. On les ligotera ensemble pour faire le plongeon. Elle sera contente !… Ah, pendant que j’y pense, il faut que je dise à Nestor de repeindre la Renault ! Comme on partira avec, on n’a déjà que trop tardé à la débarrasser de son cannage ridicule…
— On ne tiendra jamais tous dedans !
— Aussi nous ne serons que quatre ! J’ai trouvé de l’occupation pour les autres : une bonne lettre anonyme à la police lancera cet âne de Lemercier sur ce vieux fou de Ponant-Saint-Germain et sa bande…
— Sous quel prétexte ?
— Trafic de drogue ! On veillera à ce que les flics en trouvent ! Mais assez parlé ! Il faut que je reparte : grouille-toi de lui faire sa piqûre ! Et mets-en une bonne dose !
CHAPITRE XIII
UN ALLER SIMPLE VERS L’ENFER…
À Versailles, l’inquiétude faisait place à l’angoisse depuis l’arrivée chez la présidente du Comité du lugubre trophée prélevé sur Caroline Autié. Ce qui était une cruauté inutile et tellement imméritée ! En ouvrant le paquet, la pauvre femme s’était écroulée avec un cri d’horreur sur le tapis de son boudoir. Aussi, son maître d’hôtel appela-t-il, dans l’ordre : son médecin habituel, le commissaire Lemercier et le général de Vernois, qui était un intime. Le premier prodigua les soins nécessaires et ordonna le transport immédiat dans une clinique privée afin de retrancher la malade de l’atmosphère délétère régnant alors autour d’elle. Le second, plus bourru que jamais, fourra le sinistre envoi – contenant et contenu – dans un sac en papier, expédia le tout au laboratoire de la Sûreté puis, avant de partir en claquant les portes, intima au général l’ordre de « fermer une fois pour toutes cette foutue exposition » qui était en train de tourner au cauchemar. Ajoutant que, faute d’exécution immédiate, il s’adresserait au préfet et même au ministre de l’Intérieur.
Rentré chez lui, Vernois réunit le Comité. Réduit, puisque à part lui-même il ne réussit qu’à trouver Malden, Elsie Mendl et une Plan-Crépin livide avec des besaces sous les yeux. Gilles Vauxbrun n’était pas revenu de Strasbourg, quant à Crawford, il était impossible à joindre : personne ne répondait au téléphone ou à l’entrée. Les volets étaient clos et la maison semblait inhabitée. Enfin, le professeur Ponant-Saint-Germain fit savoir qu’il avait la grippe. Une vraie rareté au mois de juin ! Restait Polignac à Paris ! Bien qu’on ne le vît jamais, il pouvait être utile. Hélas, il n’y était pas lui non plus, il prenait ses quartiers d’été dans l’un de ses châteaux. Le quorum n’étant pas atteint on décida de fermer momentanément Trianon pour « travaux d’urgence ».
— Ce qu’il faut, c’est gagner du temps ! conseilla Olivier de Malden. Quelques jours peuvent changer le cours des événements. Crawford vient d’avaler une amère pilule et il doit avoir besoin de souffler. Vauxbrun ne va pas passer sa vie à Strasbourg, Mme de La Begassière va se remettre et nous n’allons pas permettre à ce vieux timbré de Ponant de jouer les coquettes pendant une éternité. Si nécessaire on ira chez lui… Donnons-nous un délai avant d’en appeler au comité d’honneur.
— Qui serait capable de nous laisser tomber ! dit lady Mendl. Si le malheur voulait que l’on ne retrouve pas le prince Morosini…
— Ne dites pas ça ! s’écria Marie-Angéline. C’est… c’est une idée que je ne peux pas supporter ! D’ailleurs… tous tant que vous êtes n’y croyez même pas ! Vous attendez tranquillement que l’on retrouve son cadavre ?
— Je ne vois pas ce que nous pourrions faire ? soupira Vernois.
— Aller chez le professeur et le passer à la question. Je suis sûre qu’il en sait beaucoup plus long que nous tous réunis sur « le Vengeur de la Reine » ! Et puis essayer de voir ce qui se passe au juste chez les Crawford !
— Nous n’avons aucune raison de forcer sa porte, fit remarquer Malden. Encore moins de demander un mandat de perquisition… que l’on ne nous donnerait pas !
— Ce serait pourtant instructif, émit la voix railleuse de Vidal-Pellicorne qui entrait en coup de vent, dépassant le serviteur qui n’eut pas le temps de l’annoncer. Mes excuses, mon général, de forcer ainsi votre porte mais je cherchais Mlle du Plan-Crépin et l’on m’a dit qu’elle était chez vous.
— Ne vous excusez pas ! Si vous avez des informations importantes…
— Je vous laisse en juger : on a retrouvé l’imprimeur qui a tiré le supplément d’invitations pour le jour de l’inauguration.
— Et c’est ?
— Le même qui avait imprimé les autres. Il a cru de bonne foi que vous aviez besoin d’un supplément et n’avait aucune raison de suspecter celle qui les lui commandait.
— Celle ? s’enquit Malden.
— Lady Crawford ! Elle a payé royalement et demandé le secret : sa version était que son époux comptait faire venir plusieurs personnalités inattendues comme par exemple les acteurs en costume du film Le Collier de la Reine et d’autres artistes… Qu’en dites-vous ?
— Qu’il faut prévenir immédiatement Lemercier. Vous avez raison, cher ami, le nœud de l’histoire est là…
Mais, de toute la journée, il fut impossible de mettre la main sur le policier. Aux demandes instantes du général et du diplomate, l’inspecteur Bon répondit que son chef avait reçu, en fin de matinée, un message à la suite duquel il s’était jeté sur son chapeau et était parti à vitesse grand V en clamant qu’il avait un rendez-vous et que l’on expédie sans lui les affaires courantes.
— Il avait sa tête des mauvais jours ! leur confia-t-il d’un air accablé…
— Parce qu’il y a des jours où il en a une autre ? lâcha Malden exaspéré. Et quand doit-il revenir ?
— Je n’en pas la moindre idée ! Si vous voulez bien m’excuser ?
Le téléphone, en effet, se mettait à sonner.
Quand Adalbert et Marie-Angéline pénétrèrent dans le hall de l’hôtel, le directeur et Michel Berthier convergèrent sur eux. Le premier avait à dire que, Mme la marquise de Sommières ayant eu un léger malaise, le médecin de l’hôtel avait été appelé et se trouvait auprès d’elle. Il n’eut pas le temps d’en dire davantage : Mlle du Plan-Crépin, dédaignant l’ascenseur, escaladait déjà l’escalier à une allure de courant d’air.
— C’est grave ? demanda Adalbert.
— Je ne pense pas. Il est là depuis une demi-heure et il n’a pas encore réclamé d’ambulance.
— Ça ne veut strictement rien dire ! Qu’y a-t-il ? demanda-t-il au journaliste qui se tenait en retrait.
— J’ai à vous parler !
— Un instant ! Je vais voir où en est Tante Amélie et on cause ! Allez m’attendre au bar !
Adalbert redescendit au bout d’un moment : le diagnostic n’était qu’à moitié rassurant : les nerfs de la vieille dame venaient de lui jouer un tour : elle leur avait trop demandé ces derniers temps.
— Un traitement léger, du repos, et surtout pas d’émotions ! avait recommandé l’homme de l’art, plongeant Marie-Angéline dans un abîme d’incertitudes.
— C’est que nous sommes justement fort inquiète d’un parent très cher. Que faire si les nouvelles sont mauvaises ?
— Les lui cacher le plus longtemps possible ! Et me rappeler ! Elle est âgée, vous le savez, ajouta-t-il avec un geste désabusé.
— Le rappeler ? Sûrement pas ! confia-t-elle à Pauline dont elle s’était enfin décidée à apprécier le présence tonique et rassurante. Je vais faire venir son vieil ami le professeur Dieulafoy. Il la connaît comme personne. D’ailleurs il nous connaît tous à fond. À commencer par Aldo qu’il a sorti d’un mauvais pas, pendant l’affaire de la « Régente » !
Naturellement Pauline voulut en savoir plus et Marie-Angéline entreprit de la satisfaire. Ce qui eut l’avantage de leur changer les idées à elles deux. Mme de Sommières s’endormait. Adalbert descendit rejoindre Berthier. Contrairement à son habitude, celui-ci n’était pas assis au bar mais à un guéridon où il buvait une tasse de café d’un air absent.
Adalbert fit signe au barman de lui apporter la même chose, s’assit et demanda :
— Alors ? Y a-t-il du nouveau chez Crawford ? Lemercier pense qu’il est parti. C’est fermé chez lui.
— Possible, mais je suis sûr qu’il est là.
Et Berthier raconta comment il avait réussi à franchir le seuil de cette maison si bien close… Il la surveillait depuis sa voiture arrêtée de façon qu’on ne la remarque pas, quand il avait vu arriver une femme portant deux cabas dont l’un laissait dépasser des feuilles de poireau. Elle les posa près du portail où se découpait une porte destinée à l’entrée des piétons et chercha sa clef. Aussitôt le journaliste courut vers elle afin de lui demander de l’eau pour le radiateur de sa voiture qui était en panne.
Elle a hésité un moment en me dévisageant mais elle a fini par accepter de me laisser entrer dans la cour en disant qu’il y avait un robinet près du seuil de la cuisine. Pour la remercier je lui ai pris ses sacs, plutôt lourds d’ailleurs – après avoir coincé mon broc sous mon bras. Par conséquent, elle a été obligée de me laisser entrer avec elle. Il y avait là une petite bonne en train d’éplucher des pommes de terre et deux serviteurs hindous occupés à briquer l’argenterie dans l’office dont la porte était grande ouverte. Sur la table il y avait un gigot où la cuisinière introduisait des gousses d’ail. J’aurais aimé poser des questions mais je n’avais pas vraiment l’impression d’être le bienvenu. J’ai été remplir mon pot et je suis parti en remerciant chaleureusement… Je ne suis donc pas resté longtemps mais en prenant l’eau j’ai pu apercevoir l’avant d’une Rolls dans le garage entrouvert.
— Donc ils sont là ! conclut Adalbert.
— Oui, mais du dehors on ne s’en douterait pas. Dans la partie visible de la maison les volets sont fermés. J’ai tiré la porte d’entrée prêt à prétendre que j’avais dû laisser tomber un gant dans la cour mais on n’a pas répondu.
— Pas plus qu’on ne répond au téléphone. Qu’est-ce que ça signifie ?
— Que ces gens sont de moins en moins catholiques et qu’on y retourne !
— Pour quoi faire ?
— Examiner les alentours, voir s’il y aurait un moyen d’effectuer une brève visite. Nocturne évidemment ! Pourquoi me regardez-vous de la sorte ?
— Oh, pour rien !… Seulement, je n’imaginais pas un archéologue capable de jouer les monte-en-l’air ?
— Vraiment ? Mais c’est l’enfance de l’art ! On grimpe énormément, chez nous, ou alors on descend, on creuse, on fouille. Quant à ouvrir les portes les mieux fermées, nous sommes passés maîtres en la matière ! Allons-y maintenant ! On prend votre voiture : la mienne n’est pas suffisamment discrète.
On repartit pour Chèvreloup. On y était presque lorsque Berthier freina brusquement puis fit demi-tour :
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