— Madame cherche quelque chose ?
— Oui. Je croyais que cette chambre était celle du vicomte de Jolival...
— Madame se trompe. Cette chambre est celle de
Madame la comtesse de Gachet. Monsieur le vicomte habite tout à côté... mais il n'est pas là pour le moment.
— Qu'en savez-vous ? fit sèchement Marianne à laquelle le ton de la femme déplaisait. Vous aurait-il, par hasard, confié où il allait ?
— Oh non, Madame ! Simplement, j'ai vu M. le vicomte sortir aux environs de 8 heures. Il a demandé un cheval sellé et il s'est éloigné en direction du port. Madame a encore besoin d'autre chose ?
— Non... C'est bien, je vous remercie.
Mécontente et perplexe, Marianne regagna sa chambre. Où, diable, Jolival avait-il bien pu courir ainsi dès le matin ? Et pourquoi ne lui avait-il rien dit ?
Elle était habituée depuis longtemps aux expéditions solitaires du vicomte qui, dans n'importe quelle région du monde, semblait doué d'un pouvoir particulier pour se faire comprendre et pour apprendre ce qu'il désirait savoir. Mais ici, dans cette ville où la sauvagerie était encore à fleur de peau et où la civilisation n'était qu'un mince et fragile vernis, Marianne éprouvait un sentiment désagréable à se sentir seule, même pour une heure ou deux, même dans un hôtel aussi typiquement français que l'hôtel Ducroux.
La femme de chambre avait dit qu'il s'était dirigé vers le port. Pour quoi faire ? Etait-il parti à la recherche de la Sorcière ou bien explorait-il les environs de la vieille citadelle dans l'espoir d'y apprendre des nouvelles de Jason ? L'un et l'autre peut-être ?...
Un moment, Marianne tourna en rond dans sa chambre, ne sachant trop quel parti prendre. Elle brûlait d'envie de sortir, elle aussi, pour se livrer à ses propres investigations, mais, maintenant, elle n'osait plus, de crainte de manquer le retour de Jolival et les nouvelles qu'il rapporterait peut-être. Désœuvrée, de plus en plus mécontente à mesure que le temps passait d'être obligée de rester là quand elle désirait tant, elle aussi, chercher Jason, elle fourragea dans ses coffres, se recoiffa, mit un chapeau pour sortir malgré tout, le retira, se jeta dans un fauteuil, prit un livre, le jeta, et, finalement, remit son chapeau pour descendre au moins dans le vestibule et apprendre de Ducroux si d'aventure aucun message n'était arrivé du palais du gouverneur.
Elle était occupée à nouer sous son menton les larges rubans de crêpe vert d'eau de sa capeline quand un véritable tintamarre éclata dans l'hôtel. Il y eut des cris, des galopades dans le couloir et dans l'escalier, des glapissements émis d'une voix criarde et dans une langue qu'elle ne comprenait pas, puis des pas lourds, de toute évidence chaussés de bottes, qui se rapprochèrent avec le fracas d'armes que l'on traînait.
Intriguée, elle se dirigeait vers sa porte quand celle-ci s'ouvrit brusquement, livrant passage à l'hôtelier effaré, plus blanc que sa chemise, qui se tenait sur le seuil, en compagnie de deux soldats en armes et d'un officier de police, avec la mine d'un homme qui ne sait que faire de lui-même.
Avec indignation, Marianne toisa les arrivants et protesta :
— Eh bien, maître Ducroux, que signifie ? Quel genre d'hôtel prétendez-vous tenir ? Qui vous a permis d'entrer chez moi sans y être invité ?
— Ce n'est pas moi, croyez-le bien, Mademoiselle, balbutia le malheureux. Je ne me serais jamais permis, vous pensez... Ce sont ces Messieurs... ajouta-t-il en désignant les trois Russes.
L'officier, d'ailleurs, sans faire autrement attention à lui ou à la jeune femme, pénétrait dans la chambre et commençait à fouiller meubles et bagages avec si peu de ménagements que Marianne s'indigna.
— N'êtes-vous plus le maître chez vous ? Faites-moi sortir ces gens-là immédiatement si vous ne voulez pas que je me plaigne au gouverneur ! Quant à ce que « ces Messieurs » prétendent faire ici, je ne m'en soucie aucunement.
— Je ne peux pas les en empêcher, hélas. Ils exigent de fouiller cette chambre.
— Mais enfin, pourquoi ? Allez-vous m'expliquer oui ou non ?
Décidément au supplice sous le regard étincelant qui paraissait vouloir lui arracher jusqu'à la peau, Ducroux tourmentait ses manchettes et gardait les yeux obstinément fixés sur les pieds de la jeune femme comme s'il en attendait une réponse. Un ordre brutal de l'officier parut le décider et il leva sur Marianne un regard malheureux :
— Il y a une plainte, fit-il d'une voix à peine audible. On a volé, chez l'une de mes pensionnaires, un joyau de grand prix. Elle exige que tout l'hôtel soit fouillé... et, malheureusement l'une des femmes de chambre a vu Mademoiselle sortir de la chambre de cette dame.
Le cœur de Marianne cessa de battre, tandis qu'un flot de sang montait à ses joues.
— Un joyau de grand prix, dites-vous ?... Mais, chez qui ?
— Chez Mme de Gachet ! On lui a volé un gros diamant taillé en poire... une larme de diamant comme elle dit ! Un bijou de famille... et elle fait un bruit affreux...
Un instant plus tard, naturellement, le diamant était retrouvé au fond du réticule de Marianne et, malgré ses protestations furieuses, la jeune femme, qui avait compris trop tard dans quel piège elle s'était laissée tomber par naïveté pure, était arrachée de sa chambre sans douceur par les deux soldats, solidement encadrée et entraînée hors de l'hôtel au milieu d'un grand rassemblement de foule attirée par le vacarme dont la maison de maître Ducroux venait d'être le théâtre.
Sans aucune précaution préalable, Marianne se vit jetée dans une voiture fermée que l'on était allé chercher en hâte et emportée à grande allure vers cette citadelle qu'elle avait eu tellement envie de visiter l'instant précédent. Elle n'avait pas même eu le temps d'une protestation...
9
GENERAL DE L’OMBRE...
L'antique citadelle podolienne de Khadjibey, renforcée par les Turcs et reprise en main par les Russes, avait sans doute beaucoup gagné en puissance et en consolidation à ces règnes différents, mais certainement pas en confort. Le cachot dans lequel on jeta, sans cérémonie, une Marianne écumante de fureur, était petit et humide, avec des murs sales et une fenêtre à triple barreaux donnant sur un mur gris bordé d'arbres rabougris. Encore la vue même de ces arbres était-elle interdite aux prisonniers, car les vitres de la fenêtre, peintes à la chaux, entretenaient, même en plein soleil, une espèce d'obscurité dans la prison.
Pour tout mobilier, il y avait un lit, ou plutôt une planche garnie de paille, attachée au plancher ainsi que la lourde table et l'escabeau. Une lampe à huile était posée dans une niche, mais cette niche elle-même était grillagée comme si l'on eût craint que les occupants de la cellule n'essayassent d'y mettre le feu.
Quand la porte massive Se fut refermée sur elle, Marianne resta un moment, étourdie, sur la paillasse où ses gardiens l'avaient poussée. Tout avait été tellement vite qu'elle ne savait plus bien où elle en était. Et surtout, surtout, elle ne comprenait rien à ce qui lui était arrivé...
Il y avait cette femme, cette misérable créature qui s'était servie du nom de son père pour parvenir jusqu'à elle, pour l'émouvoir et pour lui arracher de l'argent ! Mais alors, pourquoi cette comédie, dans quel but ? S'approprier une somme d'argent et s'assurer ainsi de ne pas être obligée de la rendre ? C'était, bien sûr, la seule hypothèse valable, car, en dehors de cela, il était impossible de trouver un mobile quelconque à une ruse aussi infernale. Il ne pouvait être question de haine féminine ni de vengeance, puisque cette Mme de Gachet et elle-même s'étaient vues la veille, pour la toute première fois, dans le vestibule de l'hôtel. Et il n'était jusqu'à ce nom que la jeune femme n'avait jamais entendu. Jolival, lui-même, qui croyait avoir déjà rencontré ce démon femelle, était tout à fait incapable de se rappeler les circonstances de leur premier contact et n'était pas parvenu à remettre un nom sur son visage...
Le premier mouvement de stupeur passé, Marianne retrouva intacte la colère qui s'était emparée d'elle quand elle s'était vue arrêtée comme une vulgaire voleuse de grands chemins. La tête bourdonnante et les yeux traversés de lueurs rouges, elle revoyait la mine triomphante de l'officier quand il avait tiré la larme de diamant de son sac, celle, à la fois indignée et navrée de l'hôtelier et l'ébaudissement des autres habitants de l'hôtel, attirés par le scandale, à la vue d'une pierre aussi magnifique.
— Oh non ! s'était écrié Ducroux. Cela ne peut pas être possible...
Il n'avait pas précisé s'il faisait allusion à la splendeur du diamant ou à la déception que lui causait sa jeune et ravissante cliente. Mais comment celle-ci aurait-elle pu nier une telle évidence ? D'autant moins que l'infernale comtesse s'était bien gardée de se montrer... Et maintenant, qu'allait-il advenir d'elle ?
Un réconfort lui venait peu à peu, cependant, en pensant à Jolival. Très certainement, en rentrant à l'hôtel, il apprendrait cette tragédie et se précipiterait chez le gouverneur pour mettre fin à un affreux malentendu, qui risquait de tourner à l'erreur judiciaire ! Mais parviendrait-il à voir assez rapidement Richelieu pour tirer Marianne, dans l'heure immédiate, de sa position critique ? C'était possible, après tout ! C'était même certain si le gouverneur était le grand seigneur que son rang exigeait. Il ne tolérerait pas que le nom d'un ancien ami se trouvât mêlé à un scandale aussi affreux...
Avant peu, très certainement, on viendrait chercher Marianne, on l'interrogerait dans une langue qu'elle pourrait comprendre. Alors, elle saurait bien se faire entendre, elle obtiendrait qu'on la confrontât avec cette affreuse femme et alors tout rentrerait dans l'ordre. On lui ferait même des excuses, car c'était elle, après tout, qui était la plaignante, elle à qui l'on avait volé cinq mille roubles avec une effronterie sans précédent. On verrait bien si la voix de la vérité ne sonnait pas plus haut et plus clair que celle du mensonge. Avec quelle joie, alors, elle enverrait cette vieille sorcière la remplacer dans ce cachot...
Elle en était là de ses cogitations intimes qui marquaient un net retour à l'optimisme, quand la vieille prison, tellement silencieuse l'instant précédent qu'elle en était oppressante, s'emplit de bruits. Il y eut celui des lourdes bottes, le fracas des armes traînées et des éclats de voix qui se joignaient au tumulte d'une lutte. Mais, dans ces voix qui se mêlaient, Marianne reconnut avec épouvante celle de Jolival qui protestait avec fureur :
— Vous n'avez pas le droit ! hurlait-il. Je suis français, vous entendez ? Je vous dis que je suis français et que vous n'avez pas le droit de me toucher. Je veux voir le gouverneur... Je veux voir le duc de Richelieu. Richelieu !... Mais écoutez-moi donc, bon sang !... Tas de brutes !
Le dernier mot s'acheva dans un gémissement de douleur qui apprit à la jeune femme révoltée qu'on avait dû frapper le prisonnier pour le faire taire.
Très certainement, le malheureux vicomte avait été pris dès son retour à l'hôtel et peut-être n'avait-on même pas daigné lui donner la moindre explication. Il ne devait rien comprendre à ce qui lui arrivait...
D'un élan, elle se jeta contre la porte, collant sa bouche aux grilles du guichet, et elle se mit à crier :
— Arcadius ! Je suis là... Je suis tout près de vous !... Moi aussi on m'a arrêtée... C'est cette femme horrible... cette Mme de Gachet ! Arcadius...
Mais elle n'entendit pas d'autre réponse qu'un nouveau cri de douleur plus éloigné précédant le fracas d'une porte ouverte et refermée dans un grand claquement de verrous. Alors, une rage folle s'empara d'elle. Des poings et des pieds, elle martela le chêne épais de la porte, hurlant des imprécations et des injures en différentes langues dans l'espoir insensé que l'une des brutes obtuses qui les avait arrêtés parviendrait à en saisir quelques bribes, et exigeant avec fureur que l'on allât sur l'heure lui chercher le duc de Richelieu.
Le résultat de ce vacarme ne se lit pas attendre. La porte de sa prison fut ouverte si brusquement que, déséquilibrée, elle faillit choir dans le couloir. Mais elle fut retenue par la poigne d'une espèce de géant chauve dont tout le système pileux semblait concentré dans une énorme moustache fauve, dont les pointes retombaient de chaque côté de sa bouche. D'une bourrade brutale, le nouveau venu renvoya la jeune femme sur son tas de paille en criant des mots dont elle ne comprit rien, mais qui devaient constituer une invitation brutale à faire moins de bruit.
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