Pendant ce temps, l’ex-Mlle Lange s’est muée en la plus sage et la plus fidèle des épouses. C’est ce qu’elle fait entendre au peintre Girodet, fort amoureux d’elle, à qui Michel Simons a commandé le portrait de sa femme. Or, Girodet est un homme orgueilleux qui n’admet pas qu’une ancienne femme facile lui résiste. Une fois, deux fois, il revient à la charge et toujours avec le même résultat : Élisabeth aime son époux et ne veut pas le tromper. Obstiné, il croit à une défense de façade et finit par recevoir le salaire de son obstination : une paire de gifles dont il jure de tirer vengeance. Néanmoins, Élisabeth l’a mis en garde : son époux tire aussi bien à l’épée qu’au pistolet.
Il en faut plus néanmoins pour calmer un mâle outragé. Le jour de l’ouverture du Salon où le portrait est exposé, il se jette dessus, le lacère à coups de couteau, jette les débris à terre et les piétine avant de s’enfuir en courant à la stupéfaction générale.
Sa rage néanmoins n’est pas apaisée. Il veut se venger de façon encore plus éclatante : travaillant jour et nuit, il parvient à exposer, avant la fin du Salon une nouvelle toile, franchement répugnante il faut bien le dire : Mme Simons y est représentée entièrement nue sur une couche couverte de pièces d’or avec, auprès d’elle, un dindon ressemblant furieusement à son époux et portant, pour que nul n’en ignore, un anneau conjugal à la patte. Naturellement, le scandale est énorme.
Girodet y perd une part de sa réputation et s’attire la réprobation et la méfiance des femmes. On juge son procédé d’autant plus lamentable qu’alerté par le miniaturiste Isabey, ami de Mme Simons, et par sa femme, Bonaparte a fait hautement savoir sa réprobation. Il exige le retrait immédiat de la toile scandaleuse. Élisabeth n’aura pas à souffrir de cette aventure. Mlle Lange est bien morte. Mais pas oubliée. Le 22 avril 1806, elle espère recevoir sa consécration de femme respectable. Bonaparte, en effet, a cédé la place à Napoléon Ier et Joséphine, sachant que son ancienne voisine a des ennuis du fait de la guerre que l’Empereur a déclarée à ceux qu’il appelle « les trafiquants », a cru bien faire en l’invitant à un bal aux Tuileries.
Pour cette fête, Élisabeth s’est préparée comme s’il s’agissait d’une bataille et, en vérité, elle est bien belle. Hélas, quand Napoléon fait le tour des salons, il repère vite cette femme si belle qui s’incline devant lui avec grâce. Il s’arrête devant elle.
— Qui êtes-vous, Madame ? Je ne vous connais pas…
Les joues soudain brûlantes, la jeune femme plonge dans sa révérence :
— Madame Simons, sire…
— Ah oui, je sais…
Puis, éclatant d’un rire qui est la pire des insultes, il tourne les talons et s’éloigne. Jamais Élisabeth n’oubliera ce rire-là. Pour l’instant elle commence par s’enfuir, malade de honte et, de toute la nuit, elle ne ferme pas l’œil, persuadée que ce rire marque le glas de leur fortune à elle et à son époux. Et elle a raison : trois mois plus tard, Napoléon fait réviser les comptes de Simons. L’enquête va durer deux ans et, en dépit des amis du couple, dont Talleyrand, le verdict est redoutable : Michel Simons est condamné à verser au Trésor un million de francs : c’est la ruine.
Dignement Élisabeth s’efforce d’aider son époux. Heureusement elle et Michel sont mariés sous le régime de la séparation de biens et c’est ce qui leur permettra d’achever leur vie dans la dignité.
Après la catastrophe, elle suit son mari à Bruxelles dans la vieille maison de la rue des Blanchisseries où elle va demeurer jusqu’en 1818 date à laquelle, sa santé le réclamant, elle va s’installer avec son époux sur les bords du lac Léman, au château de Bissey. La fin approche. Les médecins conseillent le climat plus chaud de l’Italie mais il est déjà trop tard. Le 2 décembre 1825, celle qui avait été l’une des reines de Paris s’éteignait doucement dans les bras de son cher époux, ce bourgeois de Bruxelles pour qui elle n’avait voulu être que l’ange du foyer…
La trop jolie
BARONNE DE VAUGHAN
Un rendez-vous galant…
Un soir de l’automne 1898, alors que le paquebot Chili en provenance d’Amérique du Sud, via Dakar, approche de son quai à Bordeaux, un jeune couple – visiblement des amoureux – regarde approcher cette terre de France où ils ont décidé de bâtir un bonheur qu’ils espèrent durable.
Il y a pourtant bien peu de temps qu’ils se connaissent. Tout juste depuis qu’à Dakar, le lieutenant Emmanuel Durieux est monté à bord et qu’il a posé les yeux sur la jeune Blanche Delacroix, âgée de quinze ans seulement mais parée d’une de ces beautés rares qui chavirent les cœurs les mieux ancrés. Il a été ébloui. Quant à Blanche, l’arrivée de ce jeune homme élégant, charmeur, aimant le faste lui a fait l’effet d’un rayon de soleil dans un océan de grisaille : celui d’un retour au bercail aussi dépourvu de gloire que d’espoir. Et ce voyage est loin d’être le premier !
Blanche Delacroix est née en Roumanie. Son père, un tout jeune ingénieur lillois a dû s’expatrier pour fuir le ressentiment de sa famille ulcérée par un mariage trop hâtif avec une jeune fille de condition très modeste. Blanche est le treizième enfant d’un couple beaucoup plus riche de rejetons que d’argent et, très tôt, elle fait l’apprentissage d’une vie difficile. Puis, quand la gêne est devenue misère on l’a envoyée à Paris chez sa sœur aînée Mariette, de vingt ans plus âgée qu’elle qui acceptait de s’en charger.
Mariette, qui faisait profession de galanterie, vivait alors avec un certain Du Péage – un nom fait sur mesure – dont elle se lassa d’ailleurs assez vite au profit d’un riche Argentin qui les emmena, elle et Blanche, à Buenos Aires où elles devaient mener une vie fastueuse. Hélas, l’arrivée dans ce port illustre marqua la fin des bonnes relations entre les deux sœurs. Mariette s’avisant brusquement de la rayonnante beauté de sa cadette, lui voua soudain une amère jalousie qui déchaîna une scène au cours de laquelle l’aînée tenta de massacrer avec des ciseaux l’opulente chevelure blonde qui était l’un des principaux attraits de la jeune fille. Prise de peur, la pauvre enfant ne trouva rien de mieux, pour se mettre à l’abri de la furie que de reprendre en sens inverse le bateau qui l’avait amenée sur cette terre inhospitalière. C’est ainsi que, rentrant mélancoliquement, elle vit en Durieux une sorte de réponse du Ciel à ses incessantes prières. D’autant qu’elle se disposait depuis un moment déjà à suivre le chemin tracé par Mariette. Or le jeune homme semblait riche…
Une fois débarqués, les deux jeunes gens s’installent à l’hôtel de Bayonne et entreprennent de se prouver l’un à l’autre leur amour. Pour Blanche, c’est une révélation merveilleuse. Quant à son compagnon, il avoue volontiers qu’il ne s’est jamais senti aussi épris. Mais la vie à Bordeaux ne lui paraît pas une fin en soi et il décide que l’on va « monter » à Paris et que là, lui et Blanche se marieront. Il est d’ailleurs tout à fait sincère.
À Paris, ils s’installent au Claridge, l’un des palaces les plus luxueux des Champs-Élysées puis Emmanuel, qui tient la toilette pour un sûr élément de succès offre à sa chère Blanche deux ou trois robes de chez Creed, un couturier alors en vogue. Celle-ci est enchantée et pense que sa vie sera désormais un long conte de fées… malheureusement elle va bientôt perdre ses illusions car le plus clair des revenus de son amant lui viennent du jeu auquel il s’adonne avec passion. Chaque jour il part sur les champs de courses ou pour le casino d’Enghien et Blanche apprend bientôt à faire dépendre l’abondance et le raffinement de ses repas des gains ou pertes d’Emmanuel. Tantôt on soupe chez Maxim’s tantôt on mange frugalement dans la chambre d’hôtel. Mais les nuits sont toujours égales à elles-mêmes bien qu’on ne parle plus guère de mariage.
Dans la journée, la plupart du temps la jeune femme s’ennuie. Elle lit des magazines ou sort, erre longuement en regardant les vitrines luxueuses. Pourtant, elle devine dans les yeux des hommes que son existence pourrait devenir moins précaire et, un beau jour, elle accepte de recevoir la visite d’une dame Mohilov qui lui a fait passer sa carte en assurant qu’elle vient pour affaire importante.
Celle-ci est une femme élégante, aimable, souriante et ornée de fort beaux bijoux. Elle s’annonce d’ailleurs comme veuve d’un joaillier… et messagère bénévole d’un des riches clients de son défunt époux, une haute personnalité qui désire vivement rencontrer la plus jolie femme de Paris. Encore naïve, Blanche déclare alors qu’elle recevra volontiers cette personne mais la dame Mohilov pousse de hauts cris. Sa jeune amie y pense-t-elle ? Un personnage illustre dans un hôtel ? La rencontre ne peut avoir lieu que là où elle conduira Blanche le lendemain si celle-ci veut bien lui faire confiance. De cela d’ailleurs un immense avenir peut découler…
L’aventure est tentante. Et puis Blanche s’ennuie tellement ! « Qu’est-ce que je risque ? » pense-t-elle en pénétrant le lendemain dans un élégant immeuble de la rue Lord-Byron où elle trouve, assis dans un fauteuil, un homme très grand, déjà âgé, d’allure imposante et dominatrice dont le visage est prolongé par une barbe blanche taillée en carré. Auprès de lui un autre personnage dont la tournure révèle le militaire en civil se tient debout dans une attitude pleine de respect. Blanche pense alors qu’elle a déjà vu le vieil homme quelque part. Mais où ?
Sans lui adresser la parole, il la regarde avec une attention gênante et c’est son compagnon qui fait les frais de la conversation. Il fait parler, sourire la jeune femme. Il la fait lever, marcher comme s’il s’agissait de la préparer à un spectacle. D’abord étonnée, Blanche finit par prendre un certain plaisir à cette curieuse démonstration surtout quand son interlocuteur, s’adressant au grand barbu l’appelle machinalement « Sire »… Ce dernier alors, ouvre la bouche et laisse tomber une seule syllabe : « Bon ! »
Sur ce mot, le militaire et la dame Mohilov sortent et le vieil homme s’approche de Blanche :
— Qui pensez-vous que je sois ? demande-t-il.
— Je crois que vous êtes le roi Oscar de Suède.
— Non mais peut-être suis-je Léopold de Belgique.
Et il annonce à Blanche qu’elle lui plaît assez pour qu’il souhaite l’emmener à Badgastein où il a coutume d’aller prendre les eaux. Si cela lui convient, elle doit se tenir prête à partir et comme, abasourdie, elle balbutie qu’elle ne sait comment faire, il rétorque que si elle se pose la question c’est que le voyage l’intéresse. Néanmoins, il lui conseille de ne pas rêver tout haut… Pour clore l’entretien, il lui déclare qu’elle devra l’appeler « Très Vieux » et que lui l’appellera « Très Belle » ce qui simplifiera les relations.
Blanche est plus que séduite quand la dame Mohilov lui remet 20 000 francs pour qu’elle s’habille. Dans deux jours elle partira pour rejoindre le Roi, mais là-bas elle devra observer une grande discrétion car celui-ci ne veut pas de scandale…
Blanche n’y tient pas non plus. En ce qui concerne Durieux, sa décision est déjà prise car elle a trop envie de tout ce qu’elle peut obtenir d’un protecteur aussi puissant que le célèbre roi des Belges. Mais, ayant horreur des scènes, elle se contente d’écrire à son amant une lettre fort décousue, assez échevelée même et à laquelle il ne comprendra pas grand-chose car elle y annonce son départ pour l’Amérique du Sud !
Selon les meilleures traditions, Blanche laisse la lettre bien en vue puis, le cœur léger s’en va prendre le train pour Badgastein à la tête de nombreux bagages. Les dernières quarante-huit heures passées chez les couturiers, bottiers, modistes et autres ont été sans doute les plus enivrantes de sa vie et l’âge de Léopold II disparaît glorieusement derrière la magie de son argent vite dépensé. La dame Mohilov n’a-t-elle pas dit que ce n’était que pour « les premiers frais » ?… D’ailleurs, la jeune femme sait, comme tout le monde, que le roi des Belges n’a que deux passions dans la vie : le Congo qu’il a obligé son royaume à accepter presque de force et dont il tire des revenus fabuleux… et les femmes. L’avenir ne saurait se montrer plus rose.
Mariage morganatique
Les précautions que prenait Léopold II pour cacher ses liaisons extraconjugales ne lui réussissaient jamais. Tôt ou tard survenait un événement pour le confondre. C’est ainsi qu’à Badgastein, il rencontre le roi Carol de Roumanie qui soigne lui aussi ses rhumatismes et bientôt l’Europe entière, grâce au Roumain, connaît la jeune et ravissante inconnue qui accompagne le souverain belge. L’Europe et, bien entendu, sa famille, une famille qui n’a guère besoin de ce supplément de soucis.
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