C’est Jacques Pills, qui fut la moitié d’un duo célèbre : Pills et Tabet. Il est charmant et Piaf le connaît déjà depuis des années : il était venu se faire entendre d’elle accompagné de son pianiste, un Méridional famélique nommé Gilbert Bécaud. Pills lui a plu et, le 29 juillet 1952, à la mairie du XVIe arrondissement, elle l’épousait. Son témoin, à elle, c’était Marlene Dietrich et Piaf portait au cou la croix d’émeraude que lui avait offerte sa grande amie. Le mariage religieux eut lieu à New York, le 20 septembre, en l’église Saint-Vincent-de-Paul parce qu’il n’y avait pas d’église Sainte-Thérèse. Pour une fois, Édith portait du bleu pâle avec un petit chapeau assorti et un bouquet de fleurs dans les mains. Elle avait cessé d’être en marge. Elle était enfin et véritablement Madame. En rentrant en France, le couple s’installe 67, boulevard Lannes dans un immense appartement qui verra défiler une bonne partie des têtes d’affiches du monde et que Piaf gardera jusqu’à sa mort.
Chaque année, Piaf retournait en Amérique. Après le Versailles et La Vie en rose pour Pills, c’était la tournée des villes américaines. Ce fut aussi pour elle l’arrivée des rhumatismes déformants dont elle allait tant souffrir. En plus, elle devenait trop superstitieuse, faisant tourner les tables jusqu’à une heure avancée de la nuit, cherchant à retrouver par-delà la mort cette sécurité, ce bonheur sûr que lui avait donné Cerdan et qu’elle n’arrivait pas à retrouver. Ce n’était pas faute de le chercher. Avant Pills, il y avait eu aussi Robert Lamoureux et Eddie Constantine : elle aimait les hommes grands, élégants et bien bâtis. Pourtant, il y en avait eu un qui n’obéissait pas aux canons de la chanteuse : petit, malingre, avec une curieuse voix enrouée… mais tellement de talent ! Il s’appelait Charles Aznavour. Le divorce avec Pills était inévitable…
Un autre amour allait bientôt la distraire : André Schoeller qui possédait une galerie de tableaux rue La Boétie. Piaf dans la grande peinture ! Piaf chez les intellectuels ! Pourquoi pas après tout ? Schoeller avait vingt-neuf ans, il était beau, élégant, charmant… mais aussi prudent car il était marié. Piaf avait quarante ans mais restait envoûtante avec ses beaux yeux bleu clair, sa peau fine, si blanche et sans rides. Néanmoins, ils se sépareront sans cesser d’être amis.
Déjà Piaf a subi plusieurs cures de désintoxication et sa santé se délabre. De brèves aventures encore : Félix Marten, Claude Figus et Georges Moustaki que son ami Henri Crolla amène un soir dans le « cirque Piaf ». Car on ne dort guère boulevard Lannes et on y boit sec. Moustaki s’installera mais donnera à Piaf « Mylord » son inoubliable chanson et il sera longtemps son guitariste. Un accident de la route où elle manque mourir, chasse le Grec de la vie intime de la vedette.
Un Grec, néanmoins, il allait y en avoir un autre, le dernier et celui-là lui apporterait, en dépit des quolibets et des rires moqueurs quelque chose d’infiniment pur, d’infiniment respectable pour employer un mot dont elle avait horreur.
Il se nommait Théophanis Lamboukas et travaillait avec son père qui possédait un salon de coiffure. Il vint un soir boulevard Lannes, emmené par Claude Figus et resta des heures à regarder Édith aller et venir, chantonner, boire…
Mais, en février 1962, atteinte d’une double bronchopneumonie, Édith est hospitalisée à Neuilly. Théo vient la voir, lui apporte une poupée grecque, puis des fleurs. Il la coiffe, lui fait la lecture et pour lui elle redevient coquette. Comme elle trouve son nom impossible, elle le rebaptise Sarapo qui, en grec, veut dire « Je t’aime »…
Revenu avec elle boulevard Lannes, il la soigne comme un bébé, la remet sur pied. Finalement, elle l’épousera en dépit d’une large différence d’âge que Théo juge négligeable car il aime vraiment cette femme étonnante dans laquelle la voix seule ne s’amenuise pas. En septembre, on passe ensemble à l’Olympia dans une chanson que le public plébiscitera : « À quoi ça sert l’amour ? » D’ailleurs quelques mois plus tôt, Piaf n’avait-elle pas proclamé « Non, je ne regrette rien… » avec une foi bouleversante.
Le mariage a lieu le 9 octobre à la mairie du XVIe et à l’église russe de la rue Daru. Dans un tailleur crème de Chanel, Édith est radieuse. Néanmoins, la mort s’approche. En fait de voyage de noces, elle subit une nouvelle cure de désintoxication. Son dernier spectacle, elle le donnera à Lille en mars 1963. Elle en sort épuisée.
Théo a loué pour elle une maison au Cap Ferrat… qui se révèle bientôt trop chère. Alors Théo en trouve une autre, plus modeste, à Plascassier. C’est là qu’elle meurt, sa main dans celles de Théo, le 12 octobre 1963… le même jour que Jean Cocteau dont la fin passera quasi inaperçue. Il n’était qu’un poète… elle était Piaf ! Et l’on sait ce que furent ses funérailles.
Resté seul, Théo fit face à tout : à un fisc fidèle à ses vieux principes, à des créanciers acharnés. Il paiera jusqu’à la dernière les dettes de sa femme. Sept ans plus tard, il la suivra dans la tombe, fidèle jusqu’au bout à cet amour que tant de gens trouvaient invraisemblable, contre nature, voire indécent, mais qui pouvait avoir vécu sous la magie de cette femme étonnante et en sortir indemne ?…
Notes
1 Aujourd’hui avenue Foch.
2 Le mot est difficile à traduire. On hésite entre « chienne enragée » et « chienne de métisse » qui se saurait s’appliquer à Micaela Villegas.
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