Bientôt, elle habille presque toute l’Europe. Chaque saison, des poupées revêtues de ses dernières créations partent pour la Russie, le Portugal, l’Angleterre. Elle prépare le trousseau de l’infante de Portugal, habille la duchesse de Marlborough, des princesses espagnoles, la princesse de Wurtemberg, la Cour de Suède, celle de Savoie et bien d’autres. Elle finira par arracher à Mlle Pagelle sa dernière cliente : la comtesse Du Barry toujours ravissante.
Tout cela bien sûr représente beaucoup d’argent mais Rose devient moins riche qu’on pourrait le croire car ses clientes ne sont pas toutes bonnes payeuses et la Reine elle-même fait un peu traîner ses factures. Néanmoins, Rose s’offre une belle propriété à Épinay, une maison rue du Mail et transporte le Grand Mogol devenu trop petit rue de Richelieu… en avril 1789.
Hélas, le 14 juillet n’est pas loin et bientôt les belles clientes prennent le chemin de l’immigration en oubliant bien sûr de payer leurs dernières notes. Néanmoins, Rose Bertin reste fidèle à sa Reine avec un beau courage. Quand elle est prisonnière, c’est elle qui continue à la fournir mais il n’est plus question de luxe. Le dernier bonnet livré en mars 1793 sera celui que Marie-Antoinette portera pour marcher à l’échafaud… Aucun fournisseur, jamais, n’aura eu ce geste royal : quand le danger est venu rôder autour de la Reine, Rose Bertin a entassé ses factures dans sa cheminée et y a mis le feu afin que l’on ne puisse trouver chez elle d’autres motifs d’accusation. Mais après la mort de la Reine, Rose enfin s’éloigne.
Quand elle revient en 1795 et se fait rayer des listes d’émigration, elle n’a plus guère d’argent et aimerait rouvrir sa maison mais, avec la nouvelle mode gréco-romaine, Mlle Bertin fait un peu figure de vieille lune.
Elle le comprend, ne s’obstine pas et, quittant définitivement Paris, elle s’installe dans son domaine d’Épinay où, entourée de ses neveux et des quelques amis fidèles que son cœur généreux a su lui donner, elle regarde se dérouler sous ses yeux la grande aventure de l’Empire. Lorsqu’elle meurt, le 22 septembre 1813, c’est Leroy qui règne sur la mode…
On l’appelait : « Imperia »
LUCREZIA COGNATI
Un diamant brut…
Au cours de la dernière année du XVe siècle, on ne parle, à Rome, que de la mystérieuse maîtresse du vieux Paolo Trotta que ce Crésus cache jalousement. Ce qu’on en sait est peu de chose : elle s’appelle Lucrezia Cognati, elle vient du Borgo Nuovo où sa mère, la Dianora, exerce toujours le métier de courtisane. Son père, un amant de passage, était un Grec dont la mère prétendait qu’il était prince mais dont elle ne connaissait qu’un nom : Pâris. Il est vrai qu’avec un nom pareil… Mais au Borgo Nuovo, personne ne voyait jamais Lucrezia, cachée dans l’espoir de trouver le riche amateur de chair fraîche. Ce fut Trotta qui, en échange d’une grosse somme, emmena la petite chez lui où elle vit depuis gardée par des serviteurs muets achetés au marché aux esclaves de Venise.
Rome grille de curiosité et plus que tout autre le pape Alexandre VI. Pour ce Borgia amateur de femmes qui remplit le Vatican de ses enfants naturels, ce genre de mystère est prodigieusement excitant. Aussi le Saint-Père, intrigué par la merveille cachée décide-t-il d’en inviter le protecteur à un petit souper intime dans le but d’en savoir un peu plus. Si cette Lucrezia (il aime ce nom-là qui est celui de sa fille) était aussi belle qu’on le prétend ?
Connaissant son hôte, le vieil homme pourrait s’efforcer d’en minimiser l’écho mais il emploie une autre tactique. En effet, on n’est jamais certain de sortir vivant d’un souper chez le Pape et celui-ci pourrait fort bien se débarrasser de lui pour envoyer ensuite chercher la jeune femme. Alors il rayonne de satisfaction. Il exulte : sa trouvaille est cent fois, mille fois plus belle que tout ce que l’on peut imaginer mais s’il la cache c’est parce qu’elle n’est pas encore prête à tenir la place à laquelle il la destine. C’est un diamant brut qui, une fois poli et taillé, illuminera la nuit romaine. Lucrezia est encore gauche, ignare presque fruste, indigne en tout cas d’être présentée à un prince aussi raffiné que le Pape. Pour l’instant, on lui apprend les arts, la danse, le chant, l’art de s’habiller… et de se déshabiller. Encore quelques mois et, Trotta en fait le serment, il viendra lui-même la conduire au pied du trône pontifical…
Tout ce qu’il veut, au fond, c’est gagner du temps et ce temps, Alexandre VI le lui accorde benoîtement. Quelques mois… mais pas plus ! Or, Dieu, lui, ne les lui accorde pas et peu de temps après, le vieil homme meurt subitement dans les bras de Lucrezia, laissant à son neveu une grande fortune, des terres, un palais… et sa belle maîtresse ! Lorsque le jeune Trotta vient prendre possession de tout cela, il est subjugué par cette créature véritablement hors du commun. Lucrezia est plus que belle. Son corps digne du ciseau de Praxitèle présente un visage aux traits infiniment purs couronné d’une invraisemblable chevelure d’or qui, dénouée, l’enveloppe tout entière ; son teint est d’ivoire rosé et ses yeux immenses ont la couleur des plus belles aigues-marines. En outre, on lui a donné une éducation digne d’une princesse.
Gian-Paolo Trotta est donc tombé follement amoureux de son héritage mais il n’a pas la prudence de son oncle et ne résiste pas à l’orgueilleux plaisir de l’exhiber dans un festin qu’il donne pour célébrer son bonheur. Le premier convié sera le Pape qui viendra sous un déguisement de cavalier qui ne trompe personne. Et Lucrezia paraît vêtue d’une robe de brocart d’or qui sert d’écrin à des épaules et à des seins parfaits. Ses cheveux dénoués, à peine retenus par un cercle de pierreries coulent derrière son dos comme une rivière dorée. À son entrée un grand silence s’est fait. Stupeur, émerveillement, en un instant, elle a cent cinquante amoureux mais il y en a un parmi eux chez qui le coup de foudre va tourner au délire passionnel et, dans la nuit même, Francesco Beccuto fait enlever la jeune femme par une bande de spadassins à sa solde qui laissent le jeune Trotta sur le carreau.
Lucrezia ne le regrette guère. Beccuto d’ailleurs est beau même s’il est brutal et un peu trop sauvage pour son goût. Mais elle sait manier un homme et elle pose ses conditions : elle sera fidèle mais elle ne peut être ravalée à ce rôle d’objet que l’on fait admirer. En outre, elle refuse de vivre chez lui. Elle veut sa maison et le droit d’y recevoir qui elle veut.
Beccuto promet tout. Il est riche. Mais il ajoute tout de même que si elle rompt son serment de fidélité, il y aura du sang versé. Quelques jours plus tard, Lucrezia s’installe dans un petit palais situé près du Tibre et entreprend de se faire un cercle d’amis, dignes d’elle.
Au premier rang vient le Pape suivi des cardinaux les plus mondains, puis des poètes dont l’Arioste. Le succès de la jeune femme est tel qu’elle sera invitée aux noces de Lucrèce Borgia et du duc de Ferrare. Mais ce seront les écrivains, les poètes qui lui donneront la consécration suprême ; après la mort d’Alexandre VI et une fois que Jules II, tenant Rome sous sa poigne de fer, permettra aux arts et à la beauté de s’épanouir plus librement, un grand concours poétique a lieu au Capitole.
C’est là que Lucrezia Cognati va cesser de vivre en tant que telle car, en lui offrant la couronne symbolique de Rome – un laurier d’or que l’on pose sur ses beaux cheveux, on lui décerne le nom d’Imperia qui va lui rester à jamais et faire entrer dans l’Histoire la petite fille du Borgo Nuovo. C’est un vrai triomphe auquel participe Beccuto, fou d’orgueil et toujours admis au privilège de pourvoir au luxe de la souriante souveraine. Il n’en deviendra que plus jaloux…
Tant qu’Imperia se laissait adorer par une ville entière, il n’y voyait pas d’inconvénient mais tout change le jour où, pour la première fois de sa vie, elle tombe réellement amoureuse. Il s’agit d’un Vénitien, Giacomo Stella, de très ancienne, très noble et très riche famille. Il est venu des bords de l’Adriatique tout exprès pour voir la jeune femme et, quand il la rencontre chez le prince Colonna, il s’éprend d’elle sur-le-champ. Quant à Imperia, elle ne parvient pas à cacher son émotion.
Par chance, Francesco Beccuto est absent de Rome pour quelques jours mais, à peine rentré, il trouve des centaines de jaloux pour lui apprendre sa disgrâce. Pour la première fois, Imperia essuie une scène d’une rare violence : si elle ne renonce pas à cet homme, il mourra de sa main à lui. Beccuto en fait le serment…
Malheureusement, les deux amants ne prennent pas ses menaces au sérieux et Imperia se croit assez habile pour le tenir encore à distance… Or, un soir où elle attend Giacomo, elle entend du bruit dans la rue et comprend qu’on se bat. Au-dehors, elle entrevoit des ombres imprécises et des épées brillent… La peur la prend et elle envoie ses valets à la rescousse. Il n’est que temps : les serviteurs ramènent peu après Giacomo Stella, les vêtements déchirés, blessé à la poitrine heureusement sans gravité mais Imperia pleure : tout cela est de sa faute.
Alors, elle supplie le jeune homme de fuir : ce qui n’a pas réussi cette nuit peut réussir demain. Il faut qu’il rentre à Venise.
— Je partirai, dit-il, mais pas seul. Viens avec moi ! Là-bas nous serons libres de nous aimer car je t’épouserai…
Imperia croit rêver. Il l’épouserait, lui, un patricien alors qu’elle n’est tout de même qu’une courtisane ? Mais ce mot-là il ne veut plus l’entendre. Imperia n’est-elle pas souveraine ? Dans deux jours ils partiront. Qu’elle se prépare !
Hélas, quand se lève le soleil de ce jour qui va la libérer, la jeune femme voit accourir sa servante en larmes : le portier du palais vient de découvrir, allongé sur le montoir à chevaux, le cadavre de Giacomo Stella transpercé d’une dizaine de coups de dague…
Mourir d’aimer…
Dans les jours qui suivent la mort de l’homme qui voulait l’épouser, Imperia vit un cauchemar car cette mort fait scandale et, curieusement, le peuple l’en rend responsable. On la jalouse trop pour ne pas voir là une bonne occasion de l’anéantir. Elle sera même arrêtée plus pour éviter une émeute que pour instruire un procès qui n’aurait ni queue ni tête. Pas pour longtemps ! Un ordre du Pape l’autorise bientôt à regagner son palais mais ce retour est sans joie et si elle n’avait une petite fille – née de Paolo Trotta et qui est élevée dans un couvent – elle se retirerait du monde. Mais l’enfant a besoin d’elle. Elle se contentera donc de fermer ses portes et de chercher dans la prière et l’austérité un apaisement à sa douleur.
Cela non plus ne durera guère : elle n’est faite ni pour l’une ni pour l’autre. C’est alors, qu’entre dans sa vie l’homme qui va en faire une sorte de conte enchanté : le banquier Agostino Chigi qui est l’homme le plus riche d’Italie. C’est un grand seigneur raffiné et lettré, la quarantaine, de taille moyenne, les cheveux blonds et épais et des yeux bleus qui ont le charme flou des regards de myopes. C’est aussi un mécène qui patronne des artistes.
Le soir où, par simple curiosité, il se fait conduire chez Imperia, il s’avoue ébloui par sa beauté mais garde la tête froide car elle lui paraît être une femme hors du commun, capable d’accepter un marché intelligent : elle vivra dans le faste d’une impératrice et aucune reine ne pourra rivaliser avec elle. En échange, elle sera le sourire d’une vie qui n’en a guère – Chigi est veuf – et l’ornement des demeures et des fêtes de son protecteur :
— Je ne vous demande pas de m’aimer ni même de m’appartenir, lui dit-il, mais seulement de laisser croire que vous m’êtes fidèle…
— Et si j’en venais à vous aimer ?
— J’en serais infiniment heureux… mais rien ne vous y oblige.
Engagée de cette façon, la liaison va durer et donner naissance à une amitié amoureuse très reposante pour Imperia dont le cœur n’est pas encore guéri. Une autre petite fille va naître tandis qu’Imperia règne réellement sur la Ville Éternelle. Les navires de Chigi courent les mers pour lui rapporter des trésors. Des artistes travaillent pour elle. Chez la « divine » Imperia on rencontre Léonard de Vinci, Michel-Ange et surtout celui qui l’adorera sans jamais oser le lui dire : Raphaël qui fixera sa beauté sur la toile.
En 1509, le prince Chigi lui fait construire une admirable demeure, celle qui est de nos jours la Farnesina du nom de ce Farnèse qui succédera à Imperia. Le banquier dépense tant d’or qu’on chuchote qu’il se ruine, que la panique est à sa porte. Il n’en est rien et l’on procède bientôt à l’inauguration du nouveau palais. Ce sera un festin dont la splendeur doit couper le souffle au monde…
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