– Toi ! Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
– Je pourrais te poser la même question. Et même, des questions, j’en ai pas mal à formuler.
– On va avoir tout le temps pour ça. Je suis content de te voir !
C’était un cri du cœur et l’accolade vigoureuse qui suivit acheva de dissiper la mauvaise impression qu’Aldo traînait après lui depuis Paris.
– J’en ai vu des vertes, tu sais, depuis que nous nous sommes quittés, soupira Adalbert tout en tendant son passeport au réceptionniste avant de virer sur lui-même pour suivre le valet-chambellan. Tu n’imagineras jamais d’où je sors ?
– Essayons de deviner ! Selon moi, tu viens de Vienne mais il n’y a pas si longtemps tu croupissais sur la paille humide d’une prison égyptienne, récita Morosini sans parvenir à cacher un sourire de satisfaction en constatant la stupeur de son ami.
– Comment sais-tu tout ça ?
– Vienne, c’est le fruit de mes déductions personnelles mais ton aventure pharaonique, c’est Simon qui m’a mis au courant.
– Tu l’as vu ?
– La semaine dernière, à Vienne justement. Nous avons admiré ensemble une fort belle représentation du Chevalier à la rose. Cela dit, tu aurais pu prendre la peine de m’écrire ? Ce n’est pas interdit, entre amis !
– Je sais, mais... il y a des choses qu’on préfère expliquer de vive voix. En outre, je déteste écrire.
– Je te croyais homme de lettres autant qu’archéologue... sans compter autre chose ?
– Rédiger un ouvrage ou des communications à telle ou telle académie c’est dans mes cordes, mais la correspondance type Sévigné j’ai horreur de ça !
Le valet venait d’ouvrir devant eux la porte d’une chambre voisine de celle d’Aldo. Adalbert le prit par le bras pour le faire entrer :
– Tu vas me raconter tout ça pendant que je vais prendre une douche et me changer !
– Pas question ! Moi aussi j’ai une douche à prendre. Si tu veux tout savoir je viens de débarquer de l’Arlberg-Express et il faut encore que je me procure une voiture avant le dîner. On causera à table !
– Un instant ! Qu’est-ce que tu veux faire d’une voiture ? La mienne est en bas !
– J’ai assisté à ton arrivée mais, comme j’ignore tout de tes projets, souffre que je m’occupe des miens, fit Morosini avec une hypocrisie parfaite.
– Je n’ai plus rien d’autre à faire que rentrer à Paris. Si tu as besoin de moi et de mon véhicule nous sommes à ta disposition. A ce propos, pourquoi es-tu à Salzbourg ? ... et qu’est-ce que tu es allé faire à l’Opéra avec Simon ? ajouta Vidal-Pellicorne, une lueur soupçonneuse allumée soudain au fond de son œil. Il ne serait pas, par hasard, question de... d’une...
Il hésitait d’autant plus devant le mot que le valet, toujours fidèle à son personnage, ne s’éloignait dans le couloir qu’avec une solennelle lenteur. Aldo eut un grand sourire :
– Parie là-dessus et tu gagneras ! fit-il joyeusement. Seulement, que tu le veuilles ou non, tu attendras le dîner. J’ai vraiment besoin d’un bon bain.
– Tu trouves chic de me faire lanterner ?
– C’est la meilleure, celle-là ! Écoute un peu, mon bonhomme ! Moi ça fait une semaine que je me pose des questions à ton sujet et le petit entretien que j’ai eu avant-hier avec ton précieux Théobald n’a rien arrangé ! Ça, tu peux être fier de lui : il est plus discret qu’un confessionnal !
– Tu as été chez moi ?
– Brillante déduction ! Tout ce que j’ai pu en tirer après l’avoir passé à la question, c’est que tu étais parti en vacances avec une dame. Alors, tu patientes jusqu’au dîner !
Adalbert n’insista pas mais, à la surprise de son ami, il devint tout à coup d’un beau rouge brique et s’engouffra dans sa chambre :
– Comme tu voudras, marmotta-t-il. On se retrouve à huit heures.
Et la porte se referma sur lui.
Les deux hommes en smoking s’attablèrent dans le Roten Salon, le palace salzbourgeois poussant sa dévotion au régime impérial jusqu’à donner ce nom à l’un de ses deux restaurants. Connaissant bien la ville et l’Osterreichischer Hof où il descendait d’habitude, Adalbert s’était chargé du menu. Ce fut lui aussi qui ouvrit le feu, profitant de ce que tous deux se trouvaient encore isolés dans l’angle d’une salle à moitié vide.
– Tu me pardonneras de ne pas respecter l’ordre de tes volontés, mais ce qui m’est arrivé pendant ces mois derniers n’est pas – et de loin ! – aussi passionnant que nos relations avec Simon. Raconte, je t’en supplie, ce que vous avez fait ensemble à l’Opéra !
Sans répondre, Morosini attaqua le verre de Gespritzer[iii] qu’on leur avait servi en guise d’apéritif ce qui eut le don d’impatienter davantage encore Adalbert.
– Eh bien ! pressa celui-ci. De quoi avez-vous parlé ? A-t-il trouvé la piste de l’opale ou du rubis ?
– De l’opale. En fait, il m’a même offert le privilège de la contempler... de loin sur une dame de grande allure encore que bien mystérieuse...
Et, sans se faire prier davantage, il raconta sa soirée d’opéra mais en prenant grand soin de s’arrêter, avec un sens pervers du suspense, au moment où Aronov et lui s’étaient aperçus de la disparition de la femme aux dentelles noires.
– Disparue ! gémit Adalbert. Ça veut dire que vous l’avez perdue.
– Pas vraiment... ou pas encore ! Il se trouve que, par le plus grand des hasards, je l’avais déjà aperçue en fin d’après-midi dans la crypte des Capucins.
– Qu’est-ce que tu faisais là ?
– Une visite ! Chaque fois que je vais à Vienne, je me rends au « débarras de rois » pour y poser quelques violettes sur le tombeau du petit Napoléon. C’est ma moitié française qui parle à ces moments-là.
Suivit le récit, encore plus dramatique, le sujet s’y prêtant, de l’étrange entrevue mais, cette fois, Morosini l’acheva par sa course dans les rues de Vienne derrière les roues d’une calèche fermée.
– Et tu es allé jusqu’où comme ça ? souffla
Vidal-Pellicorne, tellement passionné qu’il en oubliait le morceau d’anguille piqué sur sa fourchette à mi-chemin de l’assiette et de sa bouche.
– Jusqu’à une demeure que je n’ai eu aucune peine à reconnaître, étant donné que je m’y étais déjà rendu. Et quand, à l’Opéra, Simon m’a dit à qui appartenait la loge où se trouvait l’inconnue, je n’ai pas eu de mal à faire le rapprochement. Mais toi aussi tu le connais, ce palais ?
– Dis-moi son nom. On verra après...
Le morceau d’anguille disparut mais faillit bien resurgir quand Morosini lâcha, avec un sourire impertinent :
– Adlerstein ! C’est dans Himmelpfortgasse... Tiens ! Bois un peu sinon tu vas t’étrangler, ajouta-t-il en offrant un verre d’eau à son ami devenu violet dans sa lutte contre le tronçon rétif.
– Eh bien ? Je ne pensais pas te faire un tel effet ? Adalbert repoussa l’eau, avala une gorgée de vin.
– Ce n’est pas toi... c’est... cette bestiole ! Il y a des arêtes, figure-toi ! Quant à ton palais, n’y ayant jamais mis les pieds, je ne le connais pas.
– En ce cas, comment se fait-il que ta voiture, elle, le connaisse ? Je l’y ai vue... ou tout au moins aperçue, tandis qu’un domestique la lavait dans la cour intérieure.
Si Morosini s’attendait à des exclamations ou à des protestations indignées, il allait être déçu. Adalbert se contenta de lui jeter un coup d’œil, tout en se massant le bout du nez d’un air perplexe, mais ne répondit pas. Aldo revint alors à la charge :
– C’est tout ce que tu trouves à dire ? Si elle était garée là, ce n’était tout de même pas sans toi ?
– Si. Je l’avais prêtée.
– Prêtée ? Puis-je te demander à qui ?
– Je te le dirai tout à l’heure... Plus j’y réfléchis et plus je pense que le mieux est que je te raconte maintenant mes aventures personnelles. Tu comprendras mieux !
– Je t’écoute.
– Bien. Tu as appris que j’ai failli être victime, en Egypte, d’une erreur judiciaire ?
– Une statuette que l’on t’accusait d’avoir volée et que l’on a heureusement retrouvée ?
– Pas heureusement ! Par hasard plutôt, dans un coin du tombeau où elle a dû retourner toute seule. Le vrai voleur – dont je soupçonne qui il peut être – l’y a déposée quand il a pris peur après la mort étrange de lord Carnavon...
– J’ai en effet appris cette disparition bizarre. Une piqûre de moustique à ce que l’on a dit ?
– Qui a déclenché un érysipèle meurtrier, mais assez nombreux sont ceux qui pensent voir, dans cette mort, une sorte de malédiction attachée à ceux qui ont dédaigné l’inscription découverte à l’entrée de la tombe : « La mort touchera de ses ailes celui qui dérangera le pharaon. » Il y a eu encore une ou deux disparitions inexplicables et, je te le répète, notre homme aura eu la frousse !
– Et toi, tu y crois à cette malédiction ?
– Non. Le pauvre Carnavon est mort le 5 avril et la salle contenant le sarcophage n’était même pas encore ouverte. Mais moi, ça m’a tiré de prison. Pour être franc, je l’aurais volontiers prise, cette statue, et je ne l’aurais jamais rendue... même s’il m’avait fallu encourir les foudres du défunt. Elle méritait qu’on se damne pour elle ! soupira l’égyptologue avec des larmes dans la voix. Une ravissante petite esclave nue, en or pur, présentant une fleur de lotus. La plus pure expression de la beauté féminine ! Et quand je pense que ce gros misérable l’a eue en sa possession pendant des semaines et que...
– Arrête ! coupa Aldo. Si tu t’embarques dans cette histoire, nous ne sommes pas près d’en sortir. Revenons à notre point de départ : ta voiture miraculeusement transportée à Vienne ! Alors, autant prendre ton récit après ta libération...
– Entendu ! Inutile de te dire que j’ai reçu des excuses de l’expédition et des autorités anglaises. Pour se faire pardonner, ils m’ont même demandé d’escorter jusqu’à Londres un envoi destiné au British Museum.
– Curieux honneur ! Tu aurais préféré diriger ça sur le musée du Louvre ?
– Bien sûr, et je me suis même demandé si ce n’était pas un nouveau piège, puisque lord Carnavon s’était engagé à remettre aux Égyptiens la totalité du produit de ses fouilles, mais Carter – toujours bien vivant, lui ! – entendait que son pays profite un peu de ses trouvailles et comme c’est lui le découvreur... Donc je suis parti pour Londres où j’ai reçu un grand accueil et où j’ai eu le plaisir de revoir notre ami Warren !
– Le pauvre ! Tu as vu ce qui lui est arrivé ? Notre Rose d’York s’est envolée de nouveau !
– Ça, mon ami, c’est le cadet de mes soucis. Et, s’il te plaît, ne changeons pas de sujet ! fit Adalbert.
J’ai donc été admirablement traité et je suis même rentré en France dans les bagages de sir Stanley Baldwin qui venait en visite officielle. Ce qui m’a valu le plaisir d’être invité à la grande réception offerte par lord Crewe, l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, et c’est là que j’ai fait la rencontre inattendue d’une bien charmante jeune fille en difficulté. J’étais allé fumer un cigare dans les jardins, quand j’ai été le témoin d’une scène déplaisante : un quidam était en train de brutaliser une femme pour l’obliger à l’embrasser.
– Et tu as volé à son secours ? dit Morosini suave.
– Tu aurais agi de même quelle que soit la dame, mais j’ai cogné avec d’autant plus d’enthousiasme que je venais de la reconnaître : c’était Lisa Kledermann !
Brusquement, Aldo n’eut plus du tout envie de rire :
– Lisa ? Qu’est-ce qu’elle faisait là ?
– Elle est très liée avec l’une des filles de l’ambassadeur et, comme elle était à Paris pour courir les boutiques, elle n’a pas eu besoin d’être invitée puisqu’elle logeait chez son amie.
Morsini se rappela soudain qu’à Londres Kledermann lui avait dit que sa fille avait beaucoup d’amis en Angleterre.
– Et... l’agresseur ? C’était qui ?
– Oh rien ! Un quelconque attaché militaire persuadé qu’un uniforme peut tenir heu de séduction. Il a d’ailleurs vidé les lieux sans demander son reste. Ce n’était pas un foudre de guerre.
– Et... Lisa ?
– Elle m’a remercié puis nous avons bavardé... de tout et de rien. C’était très agréable, soupira Adalbert dont l’esprit était en train de s’évader vers les réminiscences de cette soirée dans un jardin nocturne.
– Elle va bien ?
Adalbert sourit aux anges sans s’apercevoir que le ton d’Aldo se faisait de plus en plus bref :
– Très bien... C’est une fille délicieuse ! Nous nous sommes revus à deux ou trois reprises : un déjeuner, un concert où je l’ai emmenée, un défilé de couturier...
– Bref, vous ne vous êtes plus quittés ? Et comme ce n’était pas suffisant, vous avez décidé de partir ensemble... en vacances ?
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