Je me suis retournée. Hubert parlait avec une voix nouvelle, moins hésitante. Son regard s'était adouci.


« Je trouve qu'il ressemble à Daniel Day-Lewis dans My Beautiful Laundrette. Il est grand et mince, et il aime la vie. Il m'a appris à ne pas avoir honte de ma différence, à ne pas avoir honte de mes envies. C'est vrai qu'avant lui, j'avais honte. Je me sentais marginal, exclu, solitaire. Maintenant, je suis en paix avec moi-même. J'ai compris ce que je voulais. Biarritz, c'était avec Phili. Nous sommes allés à Arcachon, aussi, un autre week-end, à ton insu. »


Pour la première fois depuis le début de son récit, Hubert marqua une pause. Il changea de position, alluma une cigarette. Il en tira quelques bouffées, puis l'écrasa.

Le bébé babillait toujours dans son parc. Il allait bientôt commencer à réclamer son dîner, et je ne l'avais pas baigné. Combien de temps encore durerait cette cassette ?

Comme s'il répondait à ma question, Hubert enchaîna :


« Ne t'inquiète pas, j'ai bientôt fini. Je sais que tu dois t'occuper du bébé. C'est une mauvaise heure pour toi. Pardonne-moi. Je voulais te dire aussi ceci. Je crois que quand un homme aime les hommes, on change souvent de partenaire. On a une grande faim sexuelle. Après lui, il y en aura d'autres. Rassure-toi, je me protège. Je ne suis pas fou. Je n'ai pas le sida. J'ai passé le test plusieurs fois. Tiens, regarde. »


Il approcha de la caméra une feuille blanche sortie de sa poche. Je pus déchiffrer son nom, la date et ces mots : « HIV négatif. »

« Je t'imagine de l'autre côté de l'écran. Je t'imagine brisée. Écœurée. Révoltée. Oui, je vois bien que jamais tu n'as eu un doute, jamais tu n'as pu penser que j'étais homosexuel. Le choc pour toi doit être brutal. Une autre femme, d'accord. On accepte. Mais un mari homosexuel, non. Cela marque une vie. Tu sais tout de moi, désormais, Thérèse. As-tu seulement pu m'écouter jusqu'au bout ? Peux-tu comprendre ? Peux-tu accepter ? Je ne sais pas. Vas-tu t'en sortir ? Que vas-tu faire ? Je suppose que nous allons divorcer, que notre mariage est fini. Vas-tu vouloir me revoir ? Vais-je pouvoir revoir Louis ? Vas-tu me laisser le voir, et te voir aussi, de temps en temps ? Je l'espère de tout mon cœur. Je veux que tu me dises ce que tu veux. Tes désirs seront des ordres, Thérèse. Je te téléphonerai à huit heures ce soir, quand Louis sera couché. Si tu ne réponds pas, je comprendrai que tu ne veux plus me voir. Et j'essayerai d'accepter ta décision. »


La voix d'Hubert se cassa. Il cacha son visage entre ses mains et pleura longtemps, en silence. Hubert resta quelques instants sur le canapé. Puis il se leva et s'approcha de la caméra. Avant que l'écran s'éteigne, j'entendis une dernière fois sa voix :


« Thérèse, s'il te plaît, détruis cette cassette. Merci. »

La femme qui me contemplait dans le miroir était une inconnue. Elle avait de vagues ressemblances avec moi, surtout les cheveux. Pour le reste, c'était une étrangère. Son visage était marqué, des lignes profondes allaient de son nez jusqu'à sa bouche ; ses yeux semblaient éteints, opaques ; son teint cireux, presque verdâtre. Je ne la connaissais pas, mais en même temps, elle m'était familière.

Lorsque cette femme tressaillit au cri d'un bébé, je compris qui elle était. La femme baigna le bébé avec douceur, puis lui donna son dîner. Elle était tendre avec l'enfant. Elle le coucha. Puis elle attendit près du téléphone.

À huit heures précises, il sonna. Elle décrocha.

Une voix d'homme dit :

— C'est moi.

Elle répondit :

— Je sais que c'est toi.

Même sa voix ne ressemblait pas à la mienne.

— Thérèse, je…

— Non. Ne parlons pas au téléphone. Je veux que tu viennes. Maintenant. Nous allons parler. Je t'attends.

L'homme dit :

— J'arrive.

L'inconnue se leva, puis me regarda dans le miroir.

Je lui demandai :

— Qu'est-ce que tu vas lui dire ?

Elle mit de l'ordre dans ses cheveux, ajusta son corsage.

— Que je n'accepte pas de divorcer.

— Pas de divorce ! Mais ton mari est homosexuel !

— Peut-être, mais c'est mon mari. C'est le père de mon enfant. Je porte son nom, son fils aussi. Je ne lui accorderai pas le divorce. Je ne le laisserai pas nous quitter, Louis et moi. Être homosexuel ne doit pas l'empêcher d'être un bon père. Je veux un vrai foyer pour mon fils. Hors de ce foyer, il aura sa vie secrète, ses amants, ses films, ses sorties. Ici, il sera un père et un mari. C'est tout ce que je lui demande.

— Et s'il refuse ?

— Il a dit qu'il ferait tout ce que je désire.

Elle me regarda. Jamais je n'avais vu un regard si dur.

Puis elle annonça :

— Il le voudra, sinon il ne verra plus son fils.

On frappa à la porte.

Nous nous regardâmes longtemps. Elle était assez belle, avec ce visage ravagé et digne.

— Va ouvrir, me dit-elle. La tête haute et le menton fier, Thérèse ! Et surtout pas d'humidité dans l'œil.


VIII. L'ODEUR


« Il y a de bons mariages, mais il n'y en a point de délicieux. »


François de La Rochefoucauld

(1613-1680),

Maximes.


ACTE I, scène 1


Une large chambre à coucher, dont les rideaux sont encore tirés. Le lit est défait, des vêtements traînent par terre. Une jeune femme de trente ans (Anne), vêtue d'un T-shirt trop large, fait le lit en chantonnant. Ensuite elle se baisse pour ramasser les vêtements, qu'elle entasse sur une chaise. Puis elle ouvre les rideaux, laissant entrer la lumière du jour. Elle s'étire. Le téléphone sonne. Elle répond.


ANNE. — Allô ? Ah, c'est toi. Tu es parti bien tôt, ce matin. Je t'ai à peine vu. Tu rentres à une heure convenable ce soir ? Essaye ! Gaby aimerait te voir un peu durant les vacances. Ta valise ? (Elle regarde autour d'elle, puis repère un gros sac de voyage au pied du lit.) Tu veux que je la défasse ? Je le ferai. Tu n'as pas eu le temps, je sais. À tout à l'heure, chéri.


Elle raccroche. La porte s'entrouvre et une fillette de dix ans (Gabrielle), en peignoir, pénètre dans la pièce.


GABRIELLE (maussade). — Bonjour, maman.

ANNE (tirant vers elle la valise). — Bonjour, ma chérie.

GABRIELLE. — Papa est déjà parti ?

ANNE (ouvrant la valise). — Oui, mais il m'a promis d'être là tôt ce soir. Pour te voir.

GABRIELLE (s'asseyant sur une chaise). — J'espère bien. J'ai oublié à quoi ressemble mon père.

ANNE (en souriant). — Tu sais bien qu'il travaille beaucoup !


Elle enlève les habits de la valise et les trie.


GABRIELLE. — Ce sont les vêtements de papa ? Ceux qu'il a portés en voyage ?

ANNE. — Oui.


Gabrielle s'approche pour regarder. Elle touche une chemise d'homme froissée.

GABRIELLE. — Ça sent bizarre.


Anne porte une chemise à son nez. Elle renifle, puis hausse les épaules.


ANNE. — C'est vrai, tu as raison, il y a une drôle d'odeur. Mais tu sais, papa est parti une semaine, il a beaucoup voyagé.


Gabrielle prend un pantalon par la ceinture, et le renifle.


GABRIELLE. — Ce pantalon aussi ! Sens ce pantalon, maman.


Anne s'exécute.


ANNE. — Pouah !

Gabrielle. — Où est-ce que papa s'est fourré pour que la valise pue cette odeur ?


Anne remet brutalement les vêtements dans le sac.


GABRIELLE. — Mais que fais-tu ?

ANNE. — Je vais tout laver, ça sent trop fort. Sois gentille, porte le sac dans la salle de bains. Je vais mettre une machine en route.

Gabrielle prend le sac et sort de la pièce. Anne s'assied sur le lit, songeuse. Elle prend le téléphone, pianote un numéro, puis raccroche. Puis elle hausse les épaules et sort de la pièce.


ACTE I, scène 2


La même chambre, à onze heures du soir. Les lampes de chevet sont allumées, les rideaux tirés. La télévision est allumée en sourdine. Un homme d'une trentaine d'années (François) est allongé sur le lit en caleçon. Il lit un magazine de sport. Anne range des vêtements propres dans la commode et dans la penderie. Elle porte un kimono blanc et court. Elle ne regarde pas son mari pendant qu'elle range.


ANNE (sans tourner la tête). — C'était bien, ce voyage ? Tu ne m'as rien dit.

FRANÇOIS (sans lever les yeux de sa lecture). — Mon voyage ? Oui, oui, c'était bien. On a surtout travaillé. Je n'ai pas eu le temps de voir grand-chose.


Anne ferme un dernier tiroir et s'allonge sur le lit. Elle prend un roman sur la table de chevet.

Pendant quelques instants, ils lisent en silence. Puis elle pose son livre, tourne la tête et l'observe. Elle s'approche et lui renifle le cou.


FRANÇOIS (en sursautant). — Que fais-tu ?

ANNE. — Je trouve que tu sens une odeur bizarre.

FRANÇOIS (souriant). — Ah, bon ?

ANNE. — Tout à l'heure, en déballant ta valise, j'ai remarqué avec Gabrielle que tes vêtements sentaient cette odeur.

FRANÇOIS (un peu énervé). — Mais une odeur de quoi, enfin ?


Anne tripote le cordon de son kimono. Elle hésite.


ANNE. — Je n'ai pas osé le dire devant Gaby, mais tu sens… enfin… tu as l'odeur de… d'un sexe de femme.


François se dresse dans le lit d'un bond et la regarde avec stupéfaction.


FRANÇOIS. — D'un sexe de femme ? Tu veux dire que je sens la chatte ? Tu es folle, ou quoi ?

ANNE. — Ne sois pas vulgaire ! Ce n'était pas ton odeur naturelle, et Gaby l'a remarqué, même avant moi. C'était très fort, et tons les vêtements en étaient imprégnés. J'ai trouvé cela bizarre.

FRANÇOIS (se grattant la nuque). — C'est bizarre.

ANNE (faisant des nœuds avec le cordon de son peignoir). — Et là, en reniflant ta nuque, je constate que tu portes toujours cette odeur. Oui, c'est une odeur de chatte. Sur ton cou. Juste là. (Elle touche le cou de son mari.) Comment expliques-tu cela ?

FRANÇOIS (touchant son cou avec un mouvement de défense). — Oui, c'est bizarre…


Anne attrape les doigts de son mari et les porte à son nez.


FRANÇOIS. — Aïe ! Que fais-tu ?

ANNE. — Je renifle tes doigts.

FRANÇOIS. — Mais pourquoi ?

ANNE. — Pour voir s'ils sentent la chatte. (Elle renifle énergiquement.) Ils sentent le savon. (Elle a l'air déçu).

FRANÇOIS (dégageant sa main). — Encore heureux ! Tu dérailles, ma pauvre.

ANNE (à voix basse). — J'ai l'impression, en respirant cette odeur, que tu as passé la semaine entière entre les cuisses d'une femme.

FRANÇOIS (reprenant son magazine). — Arrête, veux-tu, Anne ? Tu vas continuer toute la nuit, ou quoi ?

ANNE. — Je voudrais te poser une question.

FRANÇOIS (soupirant). — Quoi ?

ANNE. — Est-ce que tu m'as déjà trompée ?

FRANÇOIS. — Mais, non, enfin ! C'est inouï ! Je rentre de voyage, fatigué, heureux de retrouver ma famille, et ma femme et ma fille fouillent mes affaires, décrètent que je sens le sexe, du coup, on m'accuse d'être infidèle !

ANNE (très calme, bras croisés sur la poitrine). — Je ne t'accuse pas, je te pose simplement une question. Oui ou non ?

FRANÇOIS (excédé). — Non, Anne ! Je ne t'ai jamais trompée. J'ai failli, mais je ne l'ai pas fait.

ANNE. — En dix ans de mariage, tu ne m'as jamais trompée ?

FRANÇOIS. — Eh bien, non.

ANNE. — Eh bien, je ne te crois pas.

FRANÇOIS. — Pendant dix ans, tu m'as cru !

ANNE. — J'avais des doutes. Je fermais un peu les yeux. Mais là…

FRANÇOIS (furieux). — Mais là, quoi ?

ANNE. — Cette odeur de sexe…

FRANÇOIS. — Tu es folle. Complètement folle.

ANNE (se tournant vers lui). — Écoute, François. On ne va pas se taper dessus. On ne va pas se mentir, comme la plupart des couples. Je ne supporte pas l'idée que tu me mentes. Alors dis-moi la vérité. J'essayerai de comprendre. Si tu persistes à me le cacher, cela sera encore pire. Je finirai par l'apprendre de toute façon. Dis-moi la vérité. Maintenant, s'il te plaît.