FRANÇOIS (se renfrognant). — Je n'ai rien à ajouter.


Anne le fixe encore quelques instants. Puis elle se tourne, enlève son peignoir, se met dans le lit et éteint sa lumière, sans un mot. François s'efforce de lire pendant quelques instants, puis se met dans le lit, éteint sa lumière, ainsi que la télévision. Le silence et le noir sont complets.


ACTE I, scène 3


La même chambre, quelques instants plus tard François, allongé sur le dos, ronfle. Anne s'assied et rallume la lumière. Elle reste assise en tailleur, observant son mari. Finalement, elle le secoue.


FRANÇOIS (ahuri). — Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

ANNE (d'une voix morne). — Je veux que tu me dises la vérité.

FRANÇOIS (fermant les yeux). — Tu ne vas pas recommencer ! C'est pas vrai !

ANNE (avec la même voix). — Je ne te lâcherai pas de la nuit. Dis-moi la vérité.

FRANÇOIS (agacé). — Écoute, Anne, je dois me lever tôt demain matin. Arrête tes âneries et laisse-moi dormir.

ANNE. — La vérité.

FRANÇOIS (furieux). — Mais tu la connais, la vérité ! (En détachant chaque syllabe.) Je-ne-t'ai-ja-mais-trom-pée ! Je ne vais quand même pas te dire le contraire, non ?

ANNE. — Tu mens.

FRANÇOIS (hilare). — Je mens ! Je mens ? Ah oui ! C'est ça. Madame sait tout ! Madame croit tout savoir.

ANNE. — Quand tu mens, tu ne me regardes plus dans les yeux.

FRANÇOIS. — Dis tout de suite que j'ai le nez qui pousse, comme Pinocchio !

ANNE (d'une voix douce). — Écoute, François, je te supplie de me dire la vérité. Je te promets que j'essayerai de comprendre. Ce que je ne supporte pas, ce sont tes mensonges. Ce n'est pas bien grave, que tu m'aies trompée. Toutes les femmes savent que leur mari peut avoir un jour une envie. Je sais tout cela. (François se lève et fait les cent pas, bras croisés sur sa poitrine.) Cela doit être difficile pour toi de me dire la vérité. Si tu as peur de me faire souffrir, c'est parce que tu m'aimes. Je suis là pour te comprendre, je suis ta femme. Tu dois te confier à moi. Pense à ta fille que tu aimes tant, et qui t'aime tant. Nous sommes une famille unie. Nous devons le rester. Sans mensonges. En toute vérité. (Un silence s'installe. François s'est assis dans le fauteuil. Il regarde ses orteils. Anne sort du lit et vient se mettre à ses pieds.) N'aie pas peur de parler, François. Ensemble, nous essayerons de repartir sur de nouvelles bases. Nous reconstruirons notre mariage. J'essayerai d'être plus tolérante, plus compréhensive. Nous sommes jeunes. Nous avons du temps devant nous. On s'est mariés à vingt ans. On était des gamins. J'étais enceinte de Gabrielle. Tu ne regrettes pas de m'avoir épousée ?

FRANÇOIS (secouant la tête). — Mais non, mais non.

ANNE (lui prenant la main). — Alors parle-moi. N'aie pas peur.

FRANÇOIS (regardant toujours ses pieds et parlant très rapidement). — C'est une secrétaire de mon bureau. (Anne se fige).

ANNE (figée). — Quoi ?

FRANÇOIS. — Elle était de ce voyage. (Anne ne dit plus rien.) Elle m'a fait des avances. Je n'ai pas pu lui résister.

ANNE (se levant et marchant dans la pièce). — Je la connais ?

FRANÇOIS. — Non.

ANNE. — C'est quoi, son nom ?

FRANÇOIS. — Madeleine Sablé.

ANNE. — Quel âge a-t-elle ?

FRANÇOIS. — Notre âge.

ANNE (ne le regardant toujours pas). — Comment est-elle physiquement ?

FRANÇOIS (se grattant la tête, d'une voix hésitante). — Elle est plutôt mignonne.

ANNE (se tournant vers lui en hurlant). — Salaud ! (Elle lui assène une gifle violente.) Espèce de porc ! Je te hais ! Je te déteste…

FRANÇOIS (lui attrapant les mains). — Anne, calme-toi ! Je t'en supplie, calme-toi.

ANNE (le regardant avec haine). — Ah, tu croyais que j'allais te pardonner, hein ? Tu pensais que j'allais te dire : mais mon chéri, ce n'est pas grave, je te pardonne, ne t'en fais pas, viens, mon chéri, viens te coucher. (Haussant le ton) C'est bien fait pour toi ! Tiens ! (Elle lui donne un coup de pied) Tiens ! (Un autre.) Je vais te tuer ! Salaud !

FRANÇOIS (l'immobilisant avec peine). — Arrête, Anne ! Arrête ! Tu vas réveiller ta fille !

ANNE (tentant de se dégager). — Je m'en fiche ! Je lui dirai que son père est une ordure ! Un salaud, un monstre, une crapule ! Je te hais ! Je voudrais te tuer !


François la gifle. Elle s'effondre sur le lit en pleurant. François la regarde quelques instants, puis s'assied à côté d'elle. Il lui caresse les cheveux. Elle sanglote, puis se relève.

ANNE. — Ne me touche pas ! Va-t'en ! Sors d'ici ! Va retrouver ta pouffiasse ! Fous le camp !

FRANÇOIS. — Anne, calme-toi. Pardonne-moi, je t'en supplie, pardonne-moi.

ANNE (sanglotant). — C'est trop tard ! Tu as détruit notre mariage !

FRANÇOIS. — Ne dis pas cela. Je t'ai fait du mal, c'est vrai, mais je te promets que je ne recommencerai plus.

ANNE. — Je ne te crois plus, François. C'est fini, tu entends ? Fini ! Boucle tes valises et pars ! Je ne veux plus te voir !

FRANÇOIS. — Tout à l'heure tu as parlé de compréhension, et de vérité. Tu voulais que je te dise tout, et je l'ai fait. Tu voulais même qu'on reparte à zéro. Et maintenant tu me mets à la porte !

ANNE (trépignant de rage). — Ce que j'ai dit tout à l'heure n'a aucune importance. L'important, c'est que tu es un traître, et un lâche. Dehors !

FRANÇOIS (soupirant). — Anne, s'il te plaît… Parlons, discutons. Je sais que j'ai eu tort, mais…

ANNE (hurlant). — Dehors !

FRANÇOIS (résigné). — Je vais dormir dans le salon.

ANNE (hurlant). — Je m'en fiche où tu dors ! Disparais ! Tu prendras tes cliques et tes claques, et tu iras où tu voudras, chez ta mère, ou chez ta bonne femme, mais pas ici, tu entends ? Pas ici !

FRANÇOIS (prenant un oreiller). — Ça va, j'ai compris. Je m'en vais. Tu vas réveiller l'immeuble entier.

ANNE (lui jetant l'autre oreiller). — Je m'en fiche !

François ferme la porte derrière lui Anne se jette sur le lit en pleurant. Au bout de quelques instants, elle se calme. Elle reste sur le lit à hoqueter, abattue. La porte s'entrouvre. C'est François.

FRANÇOIS (doucement). — Ça va mieux ? (Elle ne dit rien. Il s'approche et la prend dans ses bras. Elle ne se débat pas. Il l'embrasse.) Je t'aime, tu sais. (Elle le serre dans ses bras et pleure à nouveau. Puis ils s'embrassent passionnément et basculent sur le lit).


ACTE I, scène 4


La même chambre, après l'amour. Anne et François sont au lit, dans les bras l'un de l'autre.


ANNE. — C'était comment avec elle ?

FRANÇOIS. — Quoi ?

ANNE. — L'amour.

FRANÇOIS. — Pourquoi veux-tu savoir ?

ANNE. — Parce que.

FRANÇOIS (mal à l'aise). — C'était pas mal.

ANNE. — Mieux qu'avec moi ?

FRANÇOIS. — Non. Toi, je t'aime.

ANNE. — Comment cela a commencé ?

FRANÇOIS. — Elle m'a allumé.

ANNE. — C'est-à-dire ?

FRANÇOIS (embarrassé). — Eh bien, elle m'a fait comprendre qu'elle voulait…

ANNE. — Qu'elle voulait bien.

FRANÇOIS. — Oui, c'est ça.

ANNE. — Et puis après ?

FRANÇOIS. — Tu veux tout savoir ?

ANNE. — Tout.

FRANÇOIS. — Cela va te faire du mal.

ANNE. — J'ai déjà mal. Je ne peux pas avoir plus mal.

FRANÇOIS. — Elle est venue dans ma chambre d'hôtel, un soir.

ANNE. — Pour quoi faire ?

FRANÇOIS. — Pour me rendre un dossier.

ANNE. — Elle aurait pu attendre le lendemain matin.

FRANÇOIS. — Oui, elle aurait pu.

ANNE. — Mais elle ne l'a pas fait.

FRANÇOIS. — Non, elle est venue me le rendre ce soir-là. Et puis voilà.

ANNE. — Et puis voilà quoi ?

FRANÇOIS. — Elle s'est assise de façon suggestive sur le lit.

ANNE. — Suggestive ?

FRANÇOIS. — Elle me montrait ses jambes. Et ses cuisses.

ANNE. — Qui sont comment ?

FRANÇOIS. — Pas mal.

ANNE. — Et puis alors ?

FRANÇOIS. — Nous avons commandé quelque chose à boire.

ANNE. — Continue.

FRANÇOIS. — Tu le souhaites vraiment ? Anne. — Oui.

FRANÇOIS. — Puis elle m'a dit qu'elle était attirée par moi, et qu'elle m'aimait.

ANNE. — Et tu l'as crue ?


Une pause.


FRANÇOIS. — Il était trop tard.

ANNE. — Que veux-tu dire ?

FRANÇOIS. — Elle ne m'a pas donné le temps de réfléchir. Elle s'est ruée sur moi.

ANNE. — Et puis ?

FRANÇOIS. — Elle a ouvert ma braguette. Anne. — Ne le dis pas !


Un bref silence.


ANNE. — Si, dis-le.

FRANÇOIS. — Elle m'a… (Il hésite).

ANNE (horrifiée). — Elle t'a quoi ?

FRANÇOIS (à voix très basse). — Elle m'a fait ce que tu penses.


Silence.


ANNE (incrédule). — Tu t'es laissé faire ?

FRANÇOIS (penaud). — Oui.

ANNE. — Tu n'as pas essayé de résister ?

FRANÇOIS. — C'était au-delà de toute résistance possible et imaginable.


Un silence plus long.


ANNE (d'une voix étranglée). — Et après ?

FRANÇOIS. — Elle m'a demandé de lui faire l'amour.

ANNE (ironiquement). — Et toi, comme un gentil garçon, tu t'es appliqué à obéir.

FRANÇOIS (gêné). — On ne devrait pas parler de tout cela, cela te fait du mal, et à moi aussi.

ANNE. — Une dernière question…

FRANÇOIS. — Quoi ?

ANNE. — C'était donc bien son odeur que j'ai sentie, et que ta fille a sentie ?

FRANÇOIS (honteux). — Oui.

ANNE. — Donc j'ai eu raison. Tu as passé une semaine à baiser cette femme.

FRANÇOIS (à voix basse). — Oui. Mais c'est fini.

ANNE. — Qu'est-ce que j'en sais, moi, si c'est fini ? C'était chouette, cette partie de jambes en l'air ! Vous avez peut-être envie de recommencer ?

FRANÇOIS. — Non. Elle est mariée.

ANNE. — C'est du propre !

FRANÇOIS (un peu pompeux). — Nous savions bien que c'était purement sexuel. Elle m'a expliqué qu'elle ne voulait pas que cela aille trop loin. Nous en étions conscients. C'était simplement une histoire de rut.

ANNE (cinglante). — Tu peux dire « de cul ».


Elle se lève, se rhabille et prend son sac.


FRANÇOIS. — Où vas-tu ?

ANNE. — Dormir à l'hôtel. (Arrivée à la porte, elle se retourne.) Petit conseil pour la prochaine fois. Pense à bien laver tes vêtements avant de rentrer, ou alors choisis une fille aux odeurs plus modérées. Ça doit exister. (Elle sort et referme la porte derrière elle).


François tend l'oreille. La porte d'entrée claque. Il lit son magazine pendant quelques instants, en sifflotant. Puis il décroche le combiné du téléphone et fait un numéro.


FRANÇOIS. — Allô ? C'est moi. Elle sait tout. (Silence.) Elle est partie dormir à l'hôtel. Non, elle n'est pas contente. C'est normal. Cela lui passera. Je ne suis pas inquiet. (Pendant qu'il parle, la porte s'ouvre doucement, et Anne entre sur la pointe des pieds. Il ne la voit pas. Elle reste debout, près du lit.) Ce n'est pas le genre à trop s'énerver. Elle est plutôt calme, en général. Mais elle m'aime, qu'est-ce que tu veux. Il faut que je lui fasse un grand numéro de charme. Et ton mari ? Il ne se doute de rien ? Il doit être bien plus idiot que ma femme ! On se voit demain ? Même endroit, même heure ? Je serai là. Comme d'habitude. Au revoir, ma douce.


François raccroche. Avec un soupir de satisfaction, il se retourne. Puis il aperçoit sa femme, bras croisés devant le lit. Alors qu'il pousse un cri de surprise et de terreur, le rideau tombe.

Fin.


IX. LA JALOUSE


« Les gens qui aiment ne doutent de rien,

ou doutent de tout. »


Honoré de Balzac (1799-1850),