François, baron de Betstein – francisé en Bassompierre –, de Haroué, de Remonville, de Baudricourt et d’Ormes n’avait que dix-neuf ans lors de son arrivée à Paris avec le prince de Joinville, futur duc de Chevreuse. MM. de Bellegarde et de Schomberg l’avaient présenté au roi Henri IV qui, tout de suite, s’était pris d’amitié pour ce garçon vif, hardi et entreprenant avec ses cheveux bouclés et sa blonde barbiche parfumée à l’ambre. Très brave, intelligent, cultivé – il lisait le latin et parlait quatre langues : français, allemand, italien et espagnol –, il était en outre élégant, spirituel encore que de langage assez vert, et les femmes l’adoraient. Il en aima beaucoup mais eut malheur de tomber dans les griffes de Marie d’Entragues, sœur de la marquise de Verneuil, favorite d’Henri IV à laquelle l’opposait, depuis plus de quinze ans, un procès en rupture de promesse de mariage renforcée par la naissance d’un enfant. Ce qui avait valu à l’imprudent les pires ennuis, allant jusqu’à une excommunication heureusement rapportée depuis un an… mais aussi une durable histoire d’amour avec la princesse de Conti. De telles aventures ne pouvaient qu’inciter Bassompierre à une absolue compréhension des problèmes de son ami Chevreuse. Etant lui-même très en faveur auprès de Louis XIII, il prêcha la patience.
— Garde-t’en bien ! Si le Roi feint d’ignorer ton mariage, ce serait la pire maladresse que l’en faire souvenir.
— Que dois-je faire ?
— Combattre… l’ennemi ! Une ou deux actions d’éclat feront plus pour ta cause qu’un long plaidoyer.
Le conseil était bon et Chevreuse, soulagé d’avoir été accepté sans subir l’une des redoutables colères royales, décida de le suivre avec d’autant plus d’empressement qu’à la guerre il se sentait à son affaire. L’année d’ailleurs poursuivait son chemin, un chemin singulièrement difficile après les pluies de printemps génératrices de boue et d’ornières. Le lendemain de l’arrivée de Claude, 22 mai, on atteignit la Dordogne à Castillon. Le 25 ce fut Sainte-Foy-la-Grande que M. d’Elbeuf, précédant l’armée royale, assiégeait et que défendait M. de la Force, un héros protestant laissé pour mort dans la nuit de la Saint-Barthélemy. Le Roi occupait déjà son château voisin et savait bien ce que représentait un ennemi si valeureux. Il envoya son secrétaire d’Etat Loménie de Brienne traiter avec lui non seulement pour Sainte-Foy mais aussi pour la basse Guyenne. Et, le jour où La Force lui rendit la ville, Louis XIII en fit un maréchal de France avec une indemnité de deux cent mille écus, s’attachant ainsi et à jamais l’une des plus nobles familles du royaume.
Au-delà la route continuait, plus pénible encore : une épidémie de peste avait ravagé la région. Dans les jardins les cadavres abandonnés pourrissaient que le Roi ordonnait de brûler. L’eau était empoisonnée et le pain manquait mais l’armée ne s’arrêta pas. Blême et tendu, Louis XIII voyait tout, entendait tout, comme le devait un vrai chef et, s’il menaça de faire sauter la tête de l’ingénieur pontonnier qui avait pris du retard pour le passage du Lot, quand la cavalerie atteignit l’Aveyron qu’il fallait passer à gué, il se lança lui-même dans le fort courant pour sauver l’un de ses hommes en train de se noyer. L’objectif était la puissante cité huguenote de Nègrepelisse qui refusait toujours de se rendre et se battait avec acharnement. Ce fut Chevreuse qui, montant à l’assaut à la tête des « Enfants perdus » – une colonne d’attaque volante –, suivi de Bassompierre et de Praslin, emporta la position pour le Roi alors miné par une sévère attaque de dysenterie. Le prince de Condé commandait malheureusement à sa place. Nègrepelisse fut saccagée et brûlée sous le prétexte qu’en janvier dernier, elle avait massacré quatre cents hommes des troupes royales.
Chevreuse, cependant, avait accompli l’exploit préconisé par Bassompierre. Louis le félicita et le rapprocha de lui, demandant son avis et l’appelant même à son conseil.
— Je crois le moment venu, déclara Bassompierre. Tu es plus en faveur que jamais. Allons parler au Roi !
Hélas, Louis avait la rancune tenace. Moment favorable ou pas, il rabroua vertement les deux amis…
A Dampierre, pendant ce temps, Marie se morfondait en essayant de n’en rien laisser paraître, multipliant les activités. Elle s’efforçait d’embellir encore ce domaine qu’elle aimait de plus en plus, les jardins surtout qu’elle voulait couverts de roses. Elle avait envoyé Gabriel à Luynes y chercher ses enfants et prenait plaisir à voir son petit duc de deux ans et Louise, sa fille de quatre, gambader entre les broderies de buis débordantes de fleurs. La dernière, Anne-Marie, âgée seulement de quelques mois, se promenait gravement dans les bras de sa nourrice en essayant d’attraper les papillons attirés par son odeur de lait. Et, Marie, auprès d’eux, se retrouvait tout simplement une jeune mère pareille aux autres, détachée de ses préoccupations comme de ses ambitions, heureuse de voir s’épanouir les frimousses enfantines. Louise lui ressemblait et serait certainement jolie, Louis-Charles tenait plus volontiers de son père, ce qui était bonne chose au fond s’il héritait de son charme. Quant au bébé Anne-Marie, à l’exception des légers flocons blonds qui dépassaient de son béguin de dentelle, il était encore trop tôt pour décider de quel côté elle se tournerait. Cette ambiance familiale faisait trouver les jours moins longs à Marie, lui rappelant sa propre enfance dans le château paternel de Couzières en pays de Loire avec son frère bien-aimé…
D’autre part, elle s’acquittait avec conscience de ses devoirs de châtelaine, tout comme elle le faisait à Lésigny. Les gens du village avaient compris qu’ils auraient facile accès auprès d’elle. Chaque dimanche elle se rendait à l’église Saint-Pierre et s’arrêtait volontiers en chemin pour écouter une doléance, faire aumône ou donner un conseil parfois soufflé par Malleville quand cela dépassait un peu ses compétences personnelles. Souriante, gracieuse, naturellement généreuse et sans façons, elle savait se faire aimer et bientôt les gens de Chevreuse prirent l’habitude de couvrir la lieue de chemin qui les séparait de Dampierre pour venir chercher une aide de leur duchesse…
En s’astreignant à une vie aussi calme, aussi jalonnée par les simples devoirs d’une grande dame, Marie avait d’autant plus de mérite qu’elle bouillait intérieurement tandis que passaient les jours sans lui apporter la plus petite nouvelle de son époux ou de l’armée. Cela allait durer trois mois irritants au possible où le moindre écho d’un cheval lui arrachait le cœur.
Enfin, alors qu’avec les chaleurs de juillet, les habitants de Dampierre s’abandonnaient avec délices aux fraîcheurs de ses eaux courantes et de ses ombrages, vint un cavalier couvert de sueur et de poussière dont les premières paroles en descendant de cheval furent pour réclamer de l’eau. Il en but et même s’en inonda : il faisait ce jour-là une température de four et la Duchesse, étendue sur un lit de repos en tenue légère dans les ombres douces de sa chambre, buvait de l’eau d’orgeat tout en se faisant bassiner les tempes à l’eau de rose et en s’éventant. Le cri annonçant « un courrier de Monseigneur le duc de Chevreuse ! » la remit sur pied instantanément prête à courir au-devant du messager quand Elen lui barra le passage pour l’envelopper d’un vaste peignoir de toile fine. Repoussée d’une bourrade, la jeune fille fut obligée de la laisser s’envoler sur ses pieds nus, chemise au vent, mais s’élança derrière elle. Marie d’ailleurs n’alla pas plus loin que le bel escalier de pierre blanche en haut duquel Malleville arrivait en même temps qu’elle, la lettre à la main.
Elle s’en saisit, fit sauter le cachet de cire rouge, déplia le message, le parcourut des yeux et poussa un véritable hurlement de triomphe dont les ondes se répercutèrent jusqu’aux limites du domaine, faisant se signer les paysans persuadés qu’il y avait un malheur au château.
— Sauvée ! s’écria-t-elle encore en se jetant au cou d’Elen avec tant d’impétuosité que la jeune fille plia sous le choc. Fais préparer mes coffres et vous, Gabriel, donnez l’ordre d’atteler ! Nous partons pour Paris ce soir même et nous roulerons toute la nuit si nécessaire. Il faut que je sois au lever de la Reine dès demain.
— Par cette chaleur ?… Et les enfants ?…
— Les enfants restent ici ! Ils y seront mieux que dans les touffeurs et mauvaises odeurs de Paris ! Ah ! Il faut aussi que l’on m’habille ! Appelle Anna !
Tout en donnant ces ordres décousus, le regard de Marie accrocha celui – amusé – de Malleville.
— Qu’est-ce qui vous fait rire ?
— Je ne ris pas, madame, je souris à voir votre joie. Si j’ai compris, nous ne sommes plus en disgrâce ?
— Absolument plus ! Monseigneur m’écrit que le Roi consent à ce que je reprenne ma place dans les entours de la Reine ! Je conserve mes charges, y compris la Surintendance ! N’est-ce pas merveilleux ? Tenez, lisez ! ajouta-t-elle dans une soudaine envie de partager son bonheur avec celui qui l’avait aidée à le retrouver.
— On dirait que Monseigneur a fait du bel ouvrage, en effet. Il précise d’ailleurs que ce sont ses mérites personnels qui ont obtenu ce résultat ; une sorte de récompense pour services rendus ?
— Mille tonnerres ! Malleville, que ce soit ce que Dieu a voulu…
— … ou le Diable ?
— Ne dites donc pas de sottises ! Ce qui compte est que demain je rentre à la Cour par la grande porte. Alors cessez d’ergoter et apprêtez-vous à m’accompagner !… Ah ! Je veux un carrosse armorié et Peran sur le siège ! Courez ! Vous devriez être déjà parti.
En moins d’une heure tout fut prêt. Marie avait donné ses instructions à Boispillé, embrassé ses enfants après avoir distribué une volée de recommandations et, sans plus se soucier de la chaleur, reprenait enfin la route de Paris, gonflée d’une joie qu’elle contrôlait mal et qui avait dû être celle des Hébreux découvrant la Terre promise. Dans sa lettre Claude lui recommandait expressément de rentrer discrètement, sur la pointe des pieds en quelque sorte pour ne pas susciter une nouvelle colère du Roi, mais Marie se sentait l’âme conquérante. Elle rentrait au Louvre pour régner à travers Anne d’Autriche, pas pour s’y faire oublier ! Et quand le Roi reviendrait… mais on n’en était pas là ! Selon Claude, l’armée se préparait à quitter Toulouse où Louis avait été malade, se dirigeant vers la Provence à travers des régions qui se soumettaient l’une après l’autre. De l’eau coulerait sous les ponts de la Seine avant que les galeries du Louvre retentissent sous les pas impérieux du souverain. Il s’agissait de le bien employer.
Elle n’y manqua pas. Dès le lendemain matin, en robe de taffetas changeant de la nuance exacte de ses yeux, ouverte sur une jupe de satin neigeux comme le grand col de dentelles rabattu et les hautes manchettes d’où s’évasaient les larges manches à crevés, le cou serti d’un collier de grosses perles soutenant une petite croix d’émeraude et un voile blanc sur la tête, Marie montait dans un carrosse fraîchement lavé où s’étalaient les armes de Chevreuse et se faisait conduire au Louvre afin de donner à son retour le plus d’éclat possible, alors qu’elle aurait pu arriver à pied par les jardins. Mais elle entendait user d’un privilège dont seules les princesses jouissaient : pénétrer en voiture dans la cour d’honneur et n’en descendre que devant le degré de la Reine. Même duchesse, même épouse du Connétable, elle était tenue jusqu’à ce jour de sortir de son véhicule sous la voûte d’entrée.
Le Louvre composait alors un ensemble hétéroclite reflétant l’architecture de plusieurs siècles. La façade d’entrée, sur la rue d’Autriche, était résolument médiévale et plutôt noirâtre. Les tours massives, les fossés emplis d’une eau plus ou moins boueuse, le pont-levis et une première enceinte crénelée et jalonnée de tourelles avaient vu le jour au temps des rois capétiens. La seconde était un peu plus jeune et, entre les deux épaisseurs de muraille il y avait les deux jeux de paume où le Roi et ses gentilshommes aimaient à se détendre.
Pourvu que l’on soit convenablement vêtu… et à pied, l’accès du palais était libre. Aussi, en dépit de l’heure matinale, y avait-il déjà foule sur le pont surveillé par les archers de la Prévôté en hoqueton bleu. Deux d’entre eux croisèrent leurs pertuisanes devant le magnifique attelage à six chevaux. Alors Peran lança toute sa voix :
— Place ! Place à Son Altesse Madame la duchesse de Chevreuse, princesse de Joinville, Surintendante de la Maison de Sa Majesté la Reine !
Un officier vint, chapeau bas, saluer la nouvelle venue et ordonna que l’on la laisse entrer, et Peran engagea ses chevaux sous la longue voûte noire de la Porte de Bourbon. Au-delà et bien que le Roi fût à la guerre, il y avait un monde de courtisans, de marchands, de financiers, de provinciaux et même d’étrangers venus par curiosité. Quelques femmes aussi. Tout cela canalisé par les gardes françaises en habit bleu à parements rouges. Enfin il y avait un carrosse, un seul devant l’escalier menant chez la Reine mais que Marie reconnut avec plaisir : celui de la princesse de Conti, sa meilleure amie et à présent sa belle-sœur.
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