— Eh, mais que regardez-vous là ? Vous connaissez ces gentilshommes avec lesquels le duc s’entretient ?
— Non, madame, mentit la jeune fille qui avait cependant parfaitement reconnu Henry Rich.
— Il est vrai qu’ils méritent attention ! Mille tonnerres ! Deux d’entre eux sont les plus beaux hommes que j’aie jamais vus… et le troisième n’est pas si mal ! Je veux savoir !
Et, maniant son éventail avec nonchalance, Marie s’approcha de l’embrasure de la fenêtre où se tenaient ceux qui l’intriguaient.
— Que faites-vous céans à comploter dans un coin ? fit-elle en allumant pleins feux son plus éblouissant sourire. Auquel son époux ne répondit pas. Il semblait contrarié d’une intrusion cependant naturelle quand on connaissait la curiosité de Marie.
— Nous ne complotons pas, madame. Encore qu’un minimum de discrétion s’impose mais puisque vous voilà ! Monseigneur, ajouta-t-il en se tournant vers le plus petit, le moins beau mais le plus important des trois personnages, souffrez que je présente à Votre Altesse Royale la duchesse de Chevreuse, mon épouse. Et vous, Marie, oubliez que vous avez devant vous le prince de Galles Charles Stuart qui voyage incognito et vous autorise à le saluer comme vous feriez de l’un des nôtres.
La révérence de Marie, juste un peu plus profonde qu’il n’aurait fallu, fut un chef-d’œuvre de grâce diplomatique. Elle en fut remerciée par un sourire, un baisemain plus chaleureux qu’on ne pouvait l’attendre d’un Anglais et un :
— Vous êtes un homme heureux, Chevreuse ! Je ne pense pas avoir jamais rencontré plus jolie dame ! Vous êtes… une merveille, Duchesse ! Mais je vous présente mes amis : voici George Villiers, comte de Buckingham, qui m’est presque frère tant nous sommes proches, et Henry Rich, vicomte Kensington, de la maison de Warwick, qui prétend veiller sur notre « folle jeunesse » bien qu’il ne soit pas tellement plus âgé que nous.
Ce fut celui-là qui retint l’attention de Marie dont la gorge sécha d’un seul coup. Elle éprouva en face de lui une émotion telle que jamais elle n’en avait ressenti devant un homme. Son compagnon était sans doute plus séduisant – Marie reconnaissait même n’avoir jamais vu pareille perfection chez un homme –, mais c’était l’autre qui l’attirait comme un irrésistible aimant et quand leurs yeux se rencontrèrent – on pourrait presque dire : se prirent –, il lui sembla que son être entier, sa vie étaient suspendus à ce regard. Elle sut alors que pour l’amour de cet homme elle se sentait prête aux pires folies. Il était l’incarnation de ce qu’elle cherchait sans le trouver depuis que sa gorge avait commencé à fleurir, l’Amant avec un grand A parce qu’en lui se concrétisait l’Amour. Lorsqu’il toucha sa main de ses lèvres elle ressentit un frisson si violent qu’elle s’évanouit.
Quand elle reprit connaissance, étendue sur une banquette, Elen, à genoux près d’elle, bassinait son front avec de l’eau fraîche tandis que Louise de Conti lui faisait respirer des sels. Aussitôt elle se redressa :
— Où sont-ils ? demanda-t-elle tandis que ses yeux cherchaient une haute silhouette vêtue de velours noir.
— Si vous cherchez mon frère et ses… amis, fit Louise avec bonne humeur, ils se sont éloignés en hâte, raccompagnés par Claude. Quelle idée de vous trouver mal en face d’un prince qui voyage incognito ! Une sacrée bonne manière d’attirer l’attention sur eux !… Il est vrai que ces discrets visiteurs n’ont vu dans votre malaise que le prélude à un heureux événement dont ils ont félicité votre époux… Le voilà tout fier à présent !
Marie ouvrit la bouche pour dire qu’il n’en était rien, du moins à sa connaissance, mais la referma prudemment. C’était la meilleure version possible pour la galerie. Comment expliquer sans embarras, sinon qu’elle venait de subir, à la lettre, ce coup de foudre dont elle n’avait jamais rien cru ?
Cependant, Chevreuse, fringant comme un coq, revenait vers les trois femmes en répondant aux compliments des quelques personnes témoins de l’incident :
— Eh bien, madame ? fit-il en lui prenant la main. Vous sentez-vous mieux ? J’aurais préféré d’autres circonstances pour l’annonce d’une si bonne nouvelle mais la nature vous joue de ces surprises ! Et le prince Charles m’a chargé de vous offrir ses vœux chaleureux ! C’est vraiment quelqu’un d’admirable pour un Anglais ! Sensible, aimable ! Le roi Jacques Ier, son père… et notre cousin, a toutes raisons d’être fier de lui…
— Mais enfin, coupa sa sœur, que faisait-il ici incognito, quand il eût été si facile de venir par la grande porte avec les honneurs qui lui sont dus ?
— Parce qu’il ne souhaitait pas que la Cour sût son passage et celui de ses amis. Ils ne sont chez nous que depuis deux jours, logent à l’auberge et partent demain pour l’Espagne.
— Que vont-ils y faire ? demanda Marie non sans s’apercevoir que son époux s’assombrissait.
— Le prince Charles veut se rendre compte de visu de la beauté de l’infante que son père voudrait lui voir épouser. Il n’est venu ici ce soir que pour admirer le ballet au milieu de la foule et, à vous dire vrai, je ne suis pas certain de lui avoir fait grand plaisir en le reconnaissant…
Mme de Conti cependant s’indignait :
— Epouser une infante catholique comme on ne l’est pas alors qu’il est protestant ? C’est de la folie !
— Aussi j’espère sincèrement que cela ne se fera pas. Le Roi et la Reine-mère songent depuis longtemps à une alliance avec l’Angleterre, par le truchement de leur sœur et fille, la petite Henriette-Marie. Et c’est ce qui me contrarie ! Henri IV visait ce rapprochement dès la naissance de sa dernière fille et s’en était ouvert à moi étant donné nos relations familiales avec le roi Jacques. J’ai, en outre, l’assurance que notre sire Louis y songe pareillement.
— En ce cas, conclut Louise de Conti, il faut espérer qu’il ne se sera pas aperçu de leur présence.
Cette affaire de mariage n’intéressait guère Marie. En revanche elle voulait en savoir davantage sur celui qui l’avait à ce point bouleversée :
— Qui sont ses compagnons ? Ce Buckingham, ce Kensington ?
— Buckingham est le nouveau favori du roi Jacques Ier qui le couvre d’honneurs et il a su devenir l’ami intime du prince Charles. Quant à Lord Kensington, il est très lié avec les deux autres et j’avoue être étonné qu’il les accompagne en Espagne. C’est un protestant convaincu… Presque un puritain et voir une infante sur le trône d’Angleterre doit lui faire horreur.
— Peut-être n’y va-t-il que pour mettre des bâtons dans les roues ? Est-il marié ?
— Ma foi, je n’en sais rien… mais je le crois : il est le frère du comte de Warwick, donc membre de l’une des plus puissantes familles de Grande-Bretagne. Et on se marie vite à la Cour, Buckingham a déjà trois enfants.
Chacune de ces paroles tombait comme une pierre sur les illusions de la pauvre Elen qui écoutait de toutes ses oreilles. Son beau rêve n’aurait pas duré longtemps car même si ce grand seigneur avait été libre, il n’aurait jamais tendu sa main à une fille de petite noblesse, fût-elle bretonne.
Que Kensington fût marié ou non importait peu à Marie. Pour elle, les serments échangés devant un prêtre n’avaient qu’une importance relative. Ce qui l’inquiétait davantage c’était l’éventuel puritanisme de cet homme qu’elle s’était déjà juré de séduire. Auprès de lui aucun autre n’existait, même ce sublime Buckingham, et elle savait que sa vie, à elle, n’aurait plus jamais le moindre sel si elle ne parvenait pas à lui inspirer une passion au moins égale à celle qui la brûlait. Elle rencontrerait sans doute une résistance car ces gens-là passaient pour mépriser la chair et ses plaisirs mais la victoire n’en serait que plus grisante. Peut-être conviendrait-il seulement de changer sa tactique habituelle, les armes à employer contre un tel homme ne pouvaient pas être les mêmes que celles employées pour réduire un Chevreuse, et elle se félicita d’avoir, pour ce soir, choisi une robe somptueuse assurément mais modestement décolletée sans aller tout de même jusqu’à imiter Elen qui, elle, était, Dieu sait pourquoi, revenue à la fraise. Simple hypocrisie à l’usage du Roi dont Marie veillait soigneusement à ne pas exciter la colère toujours latente. Aussi avait-elle adopté depuis quelque temps un comportement sage et digne – dont son époux émerveillé s’attribuait le mérite ! –, réservant les éclats de sa gaieté pour les instants où elle était seule avec Anne d’Autriche ou en compagnie de Louise de Conti et d’Antoinette du Vernet. Il ne s’agissait pas de donner à Sa Sévère Majesté le moindre prétexte à lui faire quitter la Cour. Quant à Kensington, si elle réussissait à ne pas l’effaroucher, elle était persuadée d’être assez forte pour l’amener à ses pieds. Le regard plein d’admiration dont il l’avait enveloppée tout à l’heure et qui ne l’avait plus quittée était lourd d’enseignement…
Elen aussi avait saisi ce regard alors qu’il n’avait pas eu l’air de la voir. Elle en ressentit une peine amère mais s’efforça de se réconforter en se disant que Henry était trop gentilhomme pour la reconnaître publiquement, ce qui eût provoqué des explications gênantes pour elle. Peut-être finalement était-il venu au Louvre caché dans la foule avec ses compagnons afin de vérifier si elle lui avait dit la vérité sans imaginer une seconde qu’il allait être reconnu et obligé à lever l’incognito. Il lui avait dit qu’il partait le lendemain pour l’Espagne et c’était vrai. Alors peut-être suffisait-il de se montrer patiente et d’attendre la suite qu’il pensait donner à leurs relations. Même s’il ne pouvait plus être question de mariage, l’amour demeurait possible ! Quant à ce regard, après tout il ne tirait pas à conséquence : presque tous les hommes en posaient un semblable sur la Duchesse la première fois qu’ils la voyaient et si le beau Henry était puritain, il ne pouvait que fuir une femme pourvue d’une si désastreuse réputation. Cela empêcha néanmoins Elen de trouver le sommeil.
Marie ne dormit pas davantage sans se douter un instant de ce qui se passait chez la Reine. L’imprudence de Montmorency était en train de prendre les dimensions d’une affaire d’Etat. Au lieu de se rendre chez sa femme, Louis XIII était allé déverser sa bile chez sa mère. Celle-ci, trop heureuse de la tournure prise par l’événement, feignit de prendre la défense de sa belle-fille, sachant bien que c’était le meilleur moyen d’attiser la fureur du Roi. Anne était jeune, un peu inconséquente, néanmoins sans malice. Elle aimait jouer avec le feu, mais comment imputer un crime à une jeune et jolie femme ? La sagesse viendrait avec l’âge, etc. Le résultat fut que Louis pria la Florentine d’aller sermonner son épouse. Ce que celle-ci fit d’autant plus volontiers qu’elle adorait mettre l’Espagnole dans son tort. Or la Reine refusa la mercuriale avec hauteur. Marie de Médicis retourna se plaindre à son fils qui, cette fois, exigea de la coupable qu’elle présente des excuses à sa belle-mère. Autrement dit personne ne dormit beaucoup au Louvre cette nuit-là…
Quand au matin Mme de Chevreuse se présenta au petit lever de la Reine, elle lui trouva mauvaise mine et les yeux gonflés tandis, que Doña Estefania, visiblement d’une humeur de dogue, l’aidait à enfiler sa chemise de batiste brodée d’or et ses bas de soie rouge et blanche. Autour d’elles, les dames gardaient un silence prudent. En apercevant son amie Anne se mit à pleurer, ce qui déclencha un flot de paroles en espagnol chez la duègne mais elle ne fit pas signe à Marie de s’approcher. Du coup celle-ci rejoignit Mme de Lannoy, la dame d’honneur occupée à examiner avec Mme Bertaut, femme de chambre, le contenu d’un coffre à robes, sans doute pour se donner une contenance parce que cela ne relevait absolument pas de ses fonctions.
— Que s’est-il donc passé ? chuchota-t-elle.
De mœurs austères, Mme de Lannoy ne raffolait pas de Marie mais elle reconnaissait qu’en sa présence, on s’ennuyait un peu moins. Elle leva les yeux au plafond :
— Un vrai drame. Avez-vous vu un gentilhomme quelconque traversant l’antichambre ?
— Non. Pourquoi ?
— Le Roi a interdit qu’aucun homme soit admis chez la Reine hors de sa présence. Sauf les ecclésiastiques, bien sûr !
— Doux Jésus ! Allons-nous de ce fait vivre au Louvre comme à l’Escurial ?
— Il y paraît !
— C’est à cause de M. de Mont…
— Chut ! Il y a des noms qu’il vaut mieux ne pas prononcer en ce moment. Ce que je sais est que le Duc doit être en route pour son château de Chantilly.
— Cela fera au moins plaisir à sa femme, mais un tel drame pour si peu de chose ! Il n’y avait pas de quoi fouetter un chat !
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