— Si le prince Charles est amoureux de l’Infante et s’il gagne le cœur de celle-ci, toutes vos manigances seront inutiles !
— Fais attention à ce que tu dis, Maria ! Une reine ne manigance pas !
— Précautions serait plus juste, émit doucement le Cardinal. Le Prince et son ami sont deux jeunes fous et l’on n’aime guère les fous à Madrid. Moins encore si le duc d’Olivares, le tout-puissant ministre du roi Philippe IV, recevait un écho discret sur la présence en Espagne de ces deux trublions.
— Ces trois ! corrigea Marie. Son Eminence oublie…
— Le vicomte Kensington ? Pas le moins du monde, mais ce huguenot convaincu est hostile au mariage espagnol et je serais fort étonné que le prince le tolère jusqu’en Castille !
Marie de Médicis retrouva aussitôt sa bonne humeur :
— Le Roi, décidément, n’a pas de meilleur serviteur que vous, mon ami ! Il faudra qu’un jour il en prenne conscience ! Je lui parlerai de votre idée au sujet de Chevreuse…
Ainsi approuvé, Richelieu prit une mine modeste qui ne trompa pas Marie. Elle venait de mesurer à quel point un homme aussi renseigné pouvait devenir un redoutable adversaire… à moins que, devenu un ami, elle ne réussît à s’en faire un instrument. Qu’il la trouvât belle ne faisait aucun doute. Elle était trop habituée aux regards des hommes pour se tromper sur leur expression. Qu’il soit prêt à la servir était plus problématique. Elle sentait en lui une force redoutable en dépit de l’humilité qu’il affectait devant sa bienfaitrice, la Reine-mère. Il y avait là-dessous un immense orgueil et un appétit de puissance qui ne se contenteraient pas de demi-mesures. Comme par exemple remettre le pouvoir à la Florentine en ne conservant que les apparences. Et s’il y parvenait resterait à savoir quel camp il se choisirait. A tout hasard et puisque cela ne tirait pas à conséquence, elle opta pour le sourire. Quant à son idée d’expédier Claude en Angleterre, elle n’était pas si bête au bout du compte ! Marie, pour sa part ne pouvait qu’approuver un resserrement des liens avec le pays de ce Kensington dont elle ne pouvait s’empêcher de rêver un peu trop souvent.
— Je suis certaine, dit-elle en caressant Richelieu du regard, que mon seigneur époux serait enchanté de se mettre au service d’une aussi noble cause qu’un mariage entre le prince de Galles et Madame Henriette-Marie.
— Certes, certes ! approuva distraitement la Reine-mère. Et dites-moi encore, mon ami, si vous avez remarqué l’attention avec laquelle l’un de ces hommes regardait ma bru ?
— En effet, madame, c’était Mylord Buckingham, répondit le prélat d’une voix brève. Grâce à Dieu Sa Majesté n’en a rien vu. La colère du Roi retenait son attention.
— Pourquoi grâce à Dieu ? intervint Marie.
— Ce qu’on y pouvait lire manquait par trop de respect ! Surtout s’adressant à la reine de France !
— Ah, vous croyez ? Et toi, Maria, tu as remarqué la même chose ?
La Duchesse haussa les épaules :
— Seulement qu’il est extraordinairement beau. J’étais toute à la surprise de rencontrer au Louvre le prince héritier d’Angleterre et je n’ai guère vu que lui !
— Cela ne te ressemble pas ! Tu retournes au Louvre ?
C’était une façon comme une autre de faire entendre à la jeune femme qu’on l’avait assez vue et Marie ne s’y trompa pas :
— Ma foi non ! Je rentre chez moi où l’on fait également des travaux d’importance. Et puis la reine Anne est lugubre aujourd’hui. C’est Doña Estefania qui mène le branle et l’on s’occupe à prier !
Le visage olympien déjà envahi de graisse s’épanouit comme une salade sous l’arrosoir :
— Vraiment ?… Puis reprenant aussitôt son masque réprobateur : Ce serait une bonne raison pour te joindre à elle. La Reine est très pieuse et toi tu ne pries pas assez ! Bonsoir !
— Je raccompagne Madame la Duchesse à son carrosse ! proposa Richelieu avec empressement. Ce qui lui valut un regard glacé :
— Oh, que non ! Nous avons à parler !
On échangea les saluts rituels et Marie, guidée par un valet en livrée bleue et blanche, rejoignit sa voiture, satisfaite au fond de ce qu’elle venait d’apprendre.
L’attelage descendait la rue de Tournon quand, soudain, Marie se pencha pour ordonner à Peran de s’arrêter de façon à barrer le passage à deux gentilshommes qui s’apprêtaient à traverser pour se rendre sans doute dans un cabaret de renom situé en face : l’un était Gabriel et l’autre un mousquetaire. Elle interpella le premier :
— Mais quel heureux hasard de vous rencontrer, monsieur de Malleville ! persifla-t-elle. Il y a des siècles que je n’ai eu ce plaisir. Il me semblait pourtant me rappeler que vous étiez mon écuyer ces temps derniers !
Elle s’adressait en principe à Gabriel mais regardait son compagnon dont les traits fins, la tournure élégante, les yeux vifs et le pli ironique de la bouche annonçaient un homme d’esprit. En outre il la fixait avec admiration. Gabriel, cependant, répondait :
— Avec la permission de Madame la Duchesse, j’irai ce soir même lui rendre mes devoirs et implorer son pardon…
— Ah, voilà qui est réconfortant ! En attendant présentez-moi donc ce gentilhomme !
Le ton était moqueur mais le sourire charmant et Gabriel ne s’y trompa pas. C’était toujours comme ça quand Mme de Chevreuse rencontrait quelqu’un qui lui plaisait. Il étouffa un soupir résigné :
— Avec le plus grand plaisir ! J’ai l’honneur de présenter à Madame la Duchesse le baron Henri d’Aramits…
CHAPITRE V
LES AMBASSADEURS
L’entrevue entre Marie et son écuyer, qui eut lieu ce soir-là, fut plus pénible à la jeune femme qu’elle ne s’y attendait. En entendant Gabriel lui dire qu’il souhaitait quitter son service pour entrer aux Mousquetaires du Roi, elle eut l’impression qu’on lui volait quelque chose et réagit en conséquence :
— Mille tonnerres, Malleville ! Quelle mouche vous pique ? Mon service vous déplaît-il à ce point qu’il vous faille en chercher un autre ?
— Me déplaire ? Oh, non ! C’est un bonheur que servir Madame la Duchesse ! Ou plutôt c’en serait toujours un si je me sentais utile. Ce qui n’est plus le cas depuis le plus heureux des mariages. Monseigneur le Duc, en tant que prince lorrain, peut mettre à la disposition de son épouse toutes les épées dont elle pourrait avoir besoin…
— N’en était-il pas de même lorsque j’étais mariée au Connétable ?
— Non. D’abord, quand je suis entré ici, feu Monsieur le Duc n’avait pas encore reçu l’épée aux fleurs de lys…
— Qu’il n’a pas portée longtemps, je sais !
— Ensuite, continua Gabriel imperturbable, la situation pouvait devenir dangereuse d’un moment à l’autre à cause de ses nombreux ennemis et il était important que Madame la Duchesse soit protégée. Ce qui n’est plus le cas maintenant : Madame a repris sa place auprès de la Reine, Monseigneur le Duc est si avant dans l’amitié du Roi qu’on pourrait presque voir en lui son bras droit…
— Une excellente raison de demeurer où vous êtes puisque, si je vous ai bien compris, vous voulez servir notre souverain !
Malleville retint un soupir mais s’accorda une grimace. Marie faisait semblant de ne pas comprendre et il n’aimait pas cela. Il allait donc falloir lui mettre les points sur les i.
— En effet mais pas en restant céans ou à Chevreuse ou à Lésigny au milieu des femmes et des serviteurs. Mon épée s’y rouille…
— Dans ce cas donnez-lui de l’air en pourchassant mes ennemis ! Un bon duel de temps en temps vous désennuierait…
— C’est la vie d’un spadassin que vous m’offrez et ce n’est pas servir le Roi !
— Le Roi, le Roi ! Vous n’avez que ce mot à la bouche ?
— Peut-être parce que je l’ai vu à l’œuvre durant la dernière campagne. Toujours sur la brèche en dépit parfois des pires conditions, d’une santé qui n’est pas des meilleures et de sa jeunesse. Je ne sais encore s’il sera un grand souverain mais c’est un chef qu’il y a honneur à suivre. Je désire moi aussi faire mes preuves comme le faisaient mes ancêtres. Vivre en homme et non en chien de manchon !
— Passez chez mon époux, alors ! Lui aussi est un homme de guerre.
— Mais, prince étranger, il peut choisir ses causes… et il lui arrive de changer d’avis, si j’ai bonne mémoire.
— Faites attention à ce que vous dites ! Il a donné trop de preuves de sa fidélité au royaume pour qu’il risque un jour de changer !
L’entrée d’Elen portant avec précaution une buire à parfums en verre de Venise apporta une diversion. Mme de Chevreuse se retourna vers elle :
— Tu entends cela ? Il veut quitter mon service pour celui du Roi afin de guerroyer tout à son aise ! Il veut devenir un pion parmi cent autres en endossant la casaque des Mousquetaires ! N’est-ce pas incroyable ?
Mlle du Latz enveloppa le coupable de son beau regard sombre pour cette fois dépourvu d’animosité :
— Non et peut-être l’imiterais-je si j’étais un homme !
— En vérité, je ne vois pas pourquoi je te demande ce que tu en penses. Tu l’as toujours détesté et son départ doit t’enchanter.
— Oui, mais seulement parce que j’en conçois plus d’estime pour lui…
— Ce qui veut dire que vous n’en aviez guère ? ronchonna Gabriel. Merci beaucoup !
Elle alla poser un des flacons près de la Duchesse, le déboucha pour qu’elle pût en respirer l’odeur.
— J’ai toujours estimé qu’une épée n’avait rien à faire parmi les épingles de chignon et les aiguilles à broder. Surtout dans un hôtel parisien ! Laissez-le partir, madame ! Il vous en sera reconnaissant… du moins je le suppose et si d’aventure vous aviez besoin de son bras, j’ai le sentiment qu’il ne se ferait pas attendre…
— C’est aimable à vous de vous faire mon interprète mais je suis assez grand garçon pour m’en charger moi-même… Bien sûr j’accourrais...
— … Sauf si vous étiez en campagne à l’autre bout de la France ! s’écria Marie. On ne peut pas servir deux maîtres à la fois. Si vous choisissez le Roi…
— Madame, madame ! coupa Malleville, prenez garde que vos paroles ne dépassent votre pensée ! Je croyais qu’un brillant retour en grâce vous rangeait à nouveau parmi les fidèles sujettes de Sa Majesté ?
Les poings serrés et les yeux pleins d’éclairs, Marie fit face au gentilhomme :
— Moi ? Sa fidèle sujette après ce qu’il m’a fait ? Ecoutez-moi bien, Malleville ! Si vous choisissez ce camp-là, je ne vous connais plus !
Une colère folle l’envahissait qui lui faisait perdre toute prudence. Elen s’en effraya et voulut dire quelque chose, mais la Duchesse la fit taire d’un geste de la main :
— J’avais mis ma confiance en vous et je m’aperçois que j’avais affaire à un traître !
Gabriel devint blême et serra les dents :
— Jamais je ne vous ai trahie et j’ai conscience d’avoir accompli les missions dont j’étais chargé en ne voyant que votre intérêt… et parce que ce faisant je ne manquais en rien au serment que mon père m’a fait prêter avant que je ne quitte notre manoir : celui de ne jamais tirer l’épée pour une cause contraire aux intérêts du royaume donc à celui du Roi. En servant Monsieur le Connétable qui était l’ami de notre sire je ne reniais pas ma parole. Ni en vous servant…
— Jetais en disgrâce pourtant !
— Certes et il était de mon devoir de vous aider à trouver les moyens de vous en sortir même s’il s’agissait de forcer quelque peu la main de Sa Majesté mais, dès l’instant, Madame la Duchesse de Chevreuse, où vous vous déclarez son ennemie, où vous vous considérez dans un camp hostile, cela je ne peux l’accepter !
— Et qui vous demande d’accepter quand vous n’avez qu’à obéir ? hurla Marie. Vous êtes à mon service…
— … jusqu’aux limites de l’honneur, madame ! Et je ne suis pas un valet ! La colère vous égare, et je ne crois pas que Monseigneur le Duc…
— Ah, ah ! On parle de moi ici !
Et Chevreuse, aimable et souriant comme à son habitude, pénétra de plain-pied dans le débat sans pour autant calmer son épouse qui le prit aussitôt à partie :
— Je vous fais juge, mon ami ! Voici M. de Malleville qui prétend quitter mon service pour entrer aux Mousquetaires de M. de Tréville… Faites-moi la grâce de lui dire ce que vous en pensez puisque, tout justement, il vous invoquait…
Claude prit la main de sa femme, la baisa et la garda dans la sienne pour la tapoter sur le mode apaisant :
— Là, là, ma chère ! Ne montez pas sur vos grands chevaux. Je suis au fait de la question. Bassompierre aussi, d’ailleurs : c’est lui qui a demandé pour Malleville l’entrée chez Tréville…
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