Ce qui n’était pas si facile, Louis XIII et Richelieu à présent à la tête du Conseil royal n’entendant pas se montrer moins attachés à la religion de Rome que Philippe IV et le duc d’Olivares, même si cette union leur semblait souhaitable. A dire le vrai, Carlisle et Holland ne faisaient pas le poids en face d’un Richelieu. Celui-ci leur avait déjà arraché des mesures de clémence pour les catholiques anglais persécutés et la liberté de culte pour la future reine et sa suite, mais on butait sur le baptême des enfants à venir et les négociations traînaient en longueur. De Londres Buckingham avait alors brusqué la situation en proposant que « la première éducation des enfants serait confiée à leur mère », ce qui revenait à lui permettre d’en faire de bons petits catholiques. Et bien sûr les Français acceptèrent. Le favori n’avait plus qu’à venir cueillir les tendres lauriers que lui préparait la reine de France sans se soucier un seul instant des réactions probables du peuple anglais. Il annonça son arrivée.
Ce qui n’enchanta ni le Roi ni surtout Richelieu, trop intelligent pour ne pas l’avoir jugé à sa juste valeur : un bel homme follement vaniteux, prêt à faire tout et n’importe quoi pour se mettre en valeur et assurer son pouvoir. Malheureusement il était impossible de l’éviter.
Donc, le 8 mai se jouait le premier acte d’une pièce à grand spectacle qui allait occuper la Cour, la ville et même la France entière jusqu’au départ de la petite reine pour son nouveau pays. Les satisfactions vaniteuses de Chevreuse dureraient plus longtemps puisque à la demande de son « bon cousin Charles » il devait accompagner celle-ci jusqu’à Londres et y séjourner quelque temps. Et cette fois, sa duchesse serait de la fête. Ce qui l’enchantait.
A l’heure fixée, les ambassadeurs vinrent prendre Chevreuse dans sa chambre du Louvre pour le mener dans celle du Roi. Le lit en avait été remplacé sous un dais de velours cramoisi et à l’intérieur de la balustrade dorée isolant la moitié de la pièce par un fauteuil à haut dossier et une table. Au-delà trois autres sièges plus petits attendaient la Reine, la Reine-mère et la fiancée. Celles-ci firent aussitôt leur entrée : Marie de Médicis en noir avec voile de veuve, Anne d’Autriche en satin incarnat brodé d’or et Henriette-Marie, ravissante dans une robe en toile d’argent semée de lys d’or et rehaussée de perles.
Le Roi s’assit cependant que M. de la Ville-aux-Clercs, secrétaire d’Etat, donnait lecture du contrat de mariage annonçant le chiffre de la dot qui était de huit cent mille écus. Le duc de Chevreuse produisit la dispense papale – obtenue non sans mal par Marie de Médicis qui avait bonnement menacé le Saint-Père de s’en passer s’il ne l’envoyait pas ! – que le cardinal légat avait apportée à un train inhabituel pour une éminence. Lecture en fut donnée puis Chevreuse prit place auprès de la petite princesse et le cardinal de la Rochefoucauld procéda à la cérémonie des fiançailles.
Trois jours plus tard, le dimanche 11 mai, tout le monde se retrouvait à Notre-Dame. La cathédrale était décorée des plus belles tapisseries des collections royales et l’on avait construit, devant le portail principal, une sorte de scène de tissu fleurdelisé qu’un chemin en pente douce menait à l’entrée du chœur. En outre, ce « théâtre » était relié à l’Archevêché par une galerie couverte sur laquelle défilerait le cortège.
A neuf heures du matin, Henriette-Marie et sa mère arrivaient à l’Archevêché, où à onze heures, un carrosse de la Reine amenait Chevreuse que ses deux mentors anglais étaient allés prendre, cette fois, à son hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Pendant ce temps les corps d’Etat – Parlement, Cours des Aides, Prévôts des Marchands etc. – prenaient place dans la nef de l’église. Et l’on attendit le Roi, qui devait avec sa cour au grand complet aller chercher sa sœur à l’Archevêché pour la conduire à l’autel.
On l’attendit longtemps car il n’arriva qu’à quatre heures et demie et le cortège ne se mit en marche qu’à cinq heures. Magnifique ô combien ! En tête, encadré par Carlisle et Holland, tout de suite après le Grand Maître de la Maison du Roi et le Maître des Cérémonies, venait Chevreuse toujours en noir mais plus richement paré encore que pour le contrat. Ensuite venaient les Cent-Suisses, les gardes du corps, une fanfare composée de tambours, de trompettes et de hautbois, les chevaliers du Saint-Esprit, sept hérauts d’armes, trois maréchaux de France, une poignée de ducs et de pairs, enfin Henriette-Marie que conduisaient chacun par une main, le Roi, vêtu d’or, et Monsieur son frère. La longue traîne de la fiancée, étincelante de diamants, était portée par les princesses de Condé, de Conti et la comtesse de Soissons. Les Reines suivaient puis les duchesses de Montpensier, de Guise, de Chevreuse et d’Elbeuf, toutes en robe à traîne. On avait construit sur le parvis des tribunes pour les gens de quelque importance et pour les dames de la bourgeoisie, mais il y avait tant de monde que celle où Rubens avait trouvé place s’écroula sous le poids. Le peintre réussit à se retenir à l’un des montants de la construction, tandis qu’une trentaine de personnes étaient jetées au sol. Heureusement sans grand dommage…
Sur l’estrade, le cardinal de la Rochefoucauld procéda au mariage en plein air, après quoi le cortège pénétra dans Notre-Dame pour entendre la messe. Le pseudo-roi d’Angleterre et ses deux ambassadeurs appartenant à la religion réformée ne pouvaient y assister et se retirèrent. Pour revenir prendre leur rang à la sortie. A l’issue de la célébration on regagna l’Archevêché où un somptueux festin était préparé cependant que Paris, illuminé, se livrait à la fête, dansant dans les carrefours où les fontaines faisaient couler du vin tandis que s’allumaient les feux d’artifice et que tonnaient les canons.
Pour Marie cette journée avait été un enchantement. Durant la cérémonie dont son époux était le héros, elle avait occupé une place privilégiée. En outre elle se savait plus belle que jamais dans une robe couleur d’aurore givrée de petits diamants, écrin scintillant pour son cou et sa gorge dont aucun joyau ne masquait les contours charmants. En revanche, des étoiles de diamants étincelaient dans son épaisse chevelure. Personne n’aurait pu deviner qu’elle était enceinte et d’ailleurs elle n’y pensait même pas ! Et puis, Holland étant son voisin au souper, leurs mains s’étaient souvent rencontrées cependant que leurs jambes se frôlaient. Trop souvent peut-être pour leur paix intérieure. Ils évitaient de se regarder, mais un bref coup d’œil avait suffi à Marie pour reconnaître, sur le visage de son amant, la légère crispation qu’amenait le désir. Quand on se leva de table, il se pencha pour murmurer à son oreille :
— Cette nuit ! Dans le pavillon du jardin…
— Non ! s’effraya-t-elle. Ce serait imprudent…
— Je le veux !… à moins que vous ne préfériez votre chambre ?
Elle ne répondit pas, sachant qu’au risque de se perdre et d’être surprise par son époux, elle lui obéirait parce qu’elle l’aimait de plus en plus. Au point de ne pouvoir envisager le jour, encore lointain sans doute mais inévitable, où il leur faudrait se séparer…
En rentrant au logis en même temps que Claude, elle lui fit, au seuil de sa chambre, une révérence de cour :
— Je souhaite une bonne nuit à Votre Majesté ! fit-elle. Je suppose qu’après cette journée triomphale, elle doit être bien lasse ?
Chevreuse n’en avait pas vraiment l’air. Il irradiait encore de mille feux et pour ne pas se priver une seconde de ces moments exceptionnels, il avait à peine bu.
— Las, moi ? Où le prenez-vous, ma belle ? Il me semble au contraire qu’à tant de gloire il faut un couronnement. Et pourquoi donc ce soir, le roi d’Angleterre ne se choisirait-il pas une favorite ? Vous êtes particulièrement indiquée pour ce rôle car jamais je ne vous ai vue plus belle ! ajouta-t-il en l’entraînant vers le lit…
Refuser était impossible. Il fallut en passer par là et, malheureusement, Claude se montra cette nuit-là aussi gaillard qu’aux premiers temps de leur mariage. Quand, enfin, il s’endormit, l’aube n’était plus très loin. Craignant les réactions souvent violentes de Henry, Marie se glissa hors du lit, passa des pantoufles, sa robe de chambre et s’élança dans l’escalier pour gagner le jardin, craignant et redoutant à la fois qu’on ne l’eût pas attendue. Elle se mit à courir, sans trop y voir clair, en direction du pavillon quand, soudain, elle se sentit saisie au passage par une main sans douceur et attirée sous une tonnelle.
— Il était temps ! gronda Holland. J’allais vous chercher !
— Pas auprès de mon époux, tout de même !
— J’en suis parfaitement capable quand ma patience est à bout !
En même temps, il la dépouillait de son léger vêtement pour l’étendre sur le sable. Et Marie oublia qu’ils commettaient là une folle imprudence, que le jour approchait et que n’importe quel serviteur pourrait les voir. Seuls comptaient leur union et ce plaisir à la limite de la souffrance qu’elle recevait de lui… Au moment de le quitter cependant, elle le supplia de ne plus la mettre dans une situation aussi dangereuse. Même les visites à La Vigne en Fleur lui semblaient difficiles : mais il ne fit que rire de ses craintes :
— La reine Henriette-Marie ne part que le 2 juin et vous savez que nous attendons Buckingham. Il ne devrait plus tarder maintenant. Où en êtes-vous avec la Reine ?
— Au point où nous le souhaitions ! Je lui en ai tant parlé, tant vanté cet amour qu’il a pris pour elle, qu’elle doit rêver de lui autant qu’il en rêve lui-même…
— A merveille ! Nous allons bientôt tenir entre nos mains des fils singulièrement puissants… Rentrez à présent ! Nous en reparlerons plus à loisir dans notre nid d’amour… après-demain ? Vous voyez que je sais être raisonnable ! dit-il en posant sur ses lèvres un baiser léger.
Quand Marie regagna sa chambre, Claude ronflait à faire tomber le plafond. Elle se glissa près de lui en prenant soin de ne pas le toucher. Elle avait vraiment besoin de dormir maintenant.
Au jour levé, Elen se rendit à la première messe de l’église Saint-Thomas, chercha le chanoine Lambert et le pria de faire savoir au père Plessis qu’il lui fallait recevoir au plus vite les secours de sa sagesse… Sûre de ce qui allait se passer, elle ne s’était pas couchée et avait épié les deux amants…
Cinq jours plus tard, Marie de Médicis inaugurait son beau palais tout neuf – bien qu’il ne soit pas encore complètement terminé – en présence du Roi, de la Reine et de la Cour. En dehors de sa vaste chambre carrée donnant sur des parterres de broderies, on admira en particulier la galerie qui y menait et où la série des tableaux de Rubens, enfin achevée, éclatait de toutes ses couleurs sous le haut plafond doré à la feuille. Le peintre, remis de sa chute, était là et goûtait visiblement les louanges qui allaient vers lui. Certains de ces panneaux, les plus réussis sans doute, s’expliquaient d’eux-mêmes. Ainsi de « Henri IV recevant le portrait de la Reine », du « Mariage à Lyon », de la « Naissance de Louis XIII » et surtout du prodigieux « Couronnement de la Reine ». D’autres semblaient un peu plus obscurs comme « Félicité de la Régence » et Louis XIII, qui ne gardait pas un souvenir ébloui de cette période de sa prime jeunesse, demanda des explications. Que le peintre se hâta de lui donner :
— Cela dépeint l’état florissant que le royaume connaissait alors ainsi que le relèvement des sciences et des arts par la libéralité et la splendeur de la Reine, que Votre Majesté peut admirer assise sur ce trône brillant et tenant en main une balance pour dire que sa justice et sa prudence tiennent le monde en équilibre.
L’humour n’était pas la qualité première de Louis XIII, mais devant ce monument de flagornerie, il ne put s’empêcher de sourire :
— On voit bien que vous n’y étiez pas ! dit-il seulement, et il s’intéressa au tableau suivant.
Passant devant des nymphes rebondies et autres déesses plantureuses aux chairs débordantes dont étaient truffées les toiles, il les considéra d’un œil perplexe qui devint franchement hostile en face du portrait de sa mère en déesse de la guerre, casquée, une épée sous le bras et vêtue d’une sorte de tunique pourpre dont le drapé laissait nus un bras, une épaule dodue et un sein en pomme qui attirait irrésistiblement le regard… Cependant il ne dit rien mais abrégea sa visite et prit congé emmenant avec lui dans son carrosse le cardinal de Richelieu. Un peloton de Mousquetaires encadra aussitôt la voiture royale qui dévala la rue de Tournon. D’une fenêtre du palais, Marie les regarda s’éloigner. Tout à l’heure à l’arrivée du Roi, elle avait fort bien reconnu Gabriel. Contente de le revoir, en dépit de leur différend et trop insouciante pour être rancunière – sauf envers Louis XIII –, elle lui avait souri mais, à sa surprise, elle l’avait vu détourner la tête, le visage dur, un pli sévère entre les sourcils, et elle en avait conçu une peine, fugitive sans doute, mais aussi inexplicable que l’attitude de son ancien écuyer. Elle remit à plus tard de chercher la raison d’un comportement aussi offensant, ayant à préparer l’arrivée du duc de Buckingham dont on avait en haut lieu décidé qu’il descendrait chez elle. Ce qui d’ailleurs l’enchantait.
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