Devinant son inquiétude – inavouée par fierté –, Marie s’attachait à la petite reine qu’elle connaissait bien. Elle et Holland s’étaient appliqués, depuis le début des pourparlers, à lui tracer un portrait assez séduisant de son futur époux, cependant que par lettres, Henry en faisait autant pour Charles Ier. Il fallait que ce mariage-là fût réussi même si Buckingham, ulcéré, montrait déjà une certaine mauvaise volonté envers Henriette-Marie.
Le Prince rallia Douvres en une dizaine d’heures. La Manche s’était montrée relativement accommodante et personne ne fût malade, même pas Marie que sa grossesse n’incommodait en rien et qui se montrait au contraire plus pétulante que jamais.
L’accueil de Douvres où entrait une solide dose de curiosité fut plutôt chaleureux. Le sourire d’Henriette-Marie, sa jeunesse et ses grands yeux lui ouvraient facilement les cœurs. Elle descendit du vaisseau sur un « pont mobile artificiel », prit place dans une litière qui la mena au château en compagnie de Mmes de Chevreuse et de Saint Georges. La vue dudit château rappela quelque chose à Marie : si la nuit de noces devait se dérouler dans ce monument médiéval, elle ne serait certainement pas plus agréable que sa première nuit à Chevreuse, l’endroit étant lugubre et le mobilier antique. Néanmoins elle se rassura en constatant que Charles Ier n’y était pas et comme elle interrogeait Holland, celui-ci lui apprit que Marie de Médicis, agissant en cela en bonne mère, avait obtenu de son gendre que la jeune fille pût disposer de sa première nuit sur le sol anglais pour se reposer d’une traversée qui, même au milieu du luxe, était toujours éprouvante.
Cependant le roi anglais brûlait de rencontrer son épouse. Il se trouvait à Cantorbéry et, le matin venu, sauta en selle pour accourir à Douvres où il tomba au milieu du petit déjeuner de la mariée. Ravie de cette hâte Henriette-Marie, mettant de côté la gravité qu’elle s’efforçait d’observer, courut au-devant de lui, dégringolant les escaliers pour venir mettre genou en terre à ses pieds et baiser sa main. Enchanté il la releva, la prit dans ses bras et l’embrassa à plusieurs reprises avec un certain enthousiasme puis il écouta en souriant le charmant discours qu’elle avait préparé pour lui. Et que, soudain, elle interrompit pour éclater en sanglots, persuadée qu’il l’examinait et s’étonnait de sa petite taille. Charles s’efforça de la consoler mais elle tenait à mettre les choses au point et relevant un peu sa jupe de brocart, elle lui montra ses souliers qu’aucun artifice ne surélevait :
— Voilà, Sire ! Je me tiens sur mes propres pieds. Ainsi grande suis-je, ni plus ni moins !
— Lord Holland m’avait écrit que vous étiez exquise : il ne m’a pas menti…
On se disposa à quitter Douvres pour Cantorbéry où Henriette-Marie vivrait sa nuit de noces. A cet instant se place un incident que Marie jugea désagréable. Il eût été normal que Mme de Saint Georges et elle-même qui avaient la Princesse en charge, prissent place dans le carrosse royal, mais le Roi s’y opposa : c’étaient des dames anglaises qui devaient à présent accompagner son épouse, et en dépit de ses prières, on fit monter la mère – insupportable – de Buckingham, sa femme – beaucoup plus agréable – et la comtesse d’Arundel. Les deux Françaises eurent cependant leur revanche le soir même en conduisant la nouvelle reine à la chambre nuptiale où Mme de Chevreuse eut le privilège de lui donner sa chemise… et de la réconforter au seuil de cette nuit avec un inconnu toujours redoutée des princesses quand venait le moment de les marier.
Le roi Charles simplifia les choses. Une fois dévêtu il mit tout le monde à la porte et ferma les sept verrous – sept ! – qui la défendaient en interdisant qu’on le réveille, et ce ne fut qu’à sept heures – tard pour un homme habitué à se lever à cinq ! – que l’on entendit claquer les fameux verrous. Derrière se tenait Charles, souriant et d’humeur charmante cependant qu’Henriette-Marie se montrait rose de confusion. Le mariage était réussi. On prit alors le chemin de Londres avec une franche gaieté qui reçut tout de même un bémol quand, à Gravesend, on s’embarqua sur la barge royale qui devait amener le nouveau couple au cœur de sa capitale. D’abord il faisait un temps affreux et, plus grave, on apprit qu’une centaine de personnes étaient mortes de la peste durant la semaine écoulée. A la surprise générale, la petite reine n’en montra aucune crainte :
— Là où vous irez, j’irai, mon cher Sire, dit-elle en lui tendant une main qu’il baisa. Rien de mauvais ne saurait arriver. Je veux partager avec vous les mauvais jours comme les bons.
Et chacun d’applaudir devant tant de crânerie. Cette gamine de quinze ans que l’on allait couronner ne manquait pas de courage : elle était la digne fille d’Henri IV. Charles ordonna alors que l’on ouvre la grande baie de la barge et tous deux, vêtus du même satin vert brodé d’or et de perles, se tinrent debout, à l’avant de l’embarcation pour remonter la Tamise en saluant ceux qui, en dépit de la pluie, se pressaient sur les rives et dans une multitude de petits bateaux portés par la marée. Au passage de la Tour de Londres, les canons tonnèrent, relayés par ceux des vaisseaux d’escorte, et l’on arriva ainsi jusqu’à Denmark House, du nom d’Anne de Danemark, la mère de Charles, qui en avait fait sa résidence préférée. Le Roi venait de la faire restaurer pour sa jeune épouse par Inigo Jones. Celle-ci y resterait jusqu’à la cérémonie du lendemain où, au palais de Whitehall, le mariage serait confirmé par le Parlement, et déclaré légitime puis officiellement consommé, après quoi Denmark House serait gracieusement attribuée aux Chevreuse, pour le temps de leur séjour en Angleterre. Mais, à cause de la peste, ils pourraient résider aussi au château de Richmond.
Ce soir-là, il y eut un grand dîner au palais suivi d’un bal où Marie, n’étant plus concurrencée par Anne d’Autriche, écrasa de son éclat toutes les autres femmes, ce qui lui valut quelques solides inimitiés, à commencer par celle de Lady Carlisle…
La femme de l’ambassadeur était une splendide créature au charme de laquelle Buckingham – toujours lui ! – ne s’était pas montré insensible. Elle était sa maîtresse quasi déclarée et si la soudaine passion de son amant pour la reine de France ne l’avait guère gênée, elle trouva insupportable les liens d’amitié complice noués avec Mme de Chevreuse et entreprit sans plus tarder une campagne de dénigrement qui, à vrai dire, ne rencontra pas beaucoup d’échos : dès son arrivée la folle Duchesse fut à la mode et remporta tous les suffrages.
On ne pouvait malheureusement pas en dire autant d’Henriette-Marie.
Dès le lendemain de la fête à Whitehall, Charles l’avait emmenée hors de Londres dans son magnifique château de Hampton Court, sur la Tamise, et là, presque du jour au lendemain, les choses commencèrent à se dégrader. Par la faute de l’éternel Buckingham qui ne digérait toujours pas son retentissant échec auprès d’Anne d’Autriche. Sa tête chimérique lui avait tant brossé le séduisant tableau d’une reine de France entièrement soumise à son charme et intervenant dans la politique du royaume selon ses idées et directives qu’il faisait peser sur Louis XIII et Richelieu une rancune qui ne cessait d’enfler, au point de lui faire prendre en grippe tout ce qui était français… y compris la pauvre Henriette-Marie.
Désireux d’effacer dans l’esprit du roi Charles la désastreuse impression laissée par les conditions du mariage acceptées par les ambassadeurs et par lui-même, le Duc chargea le cardinal de Richelieu qu’il accusa ouvertement d’avoir plus ou moins falsifié les traités et, manifestement, de les avoir outrepassés en fournissant à Henriette-Marie une suite ecclésiastique plus importante que prévu. Et si l’on n’osa pas lui enlever Monseigneur de La Mothe-Houdancourt, on fit repasser assez vite la Manche à une bonne partie des autres. De même, les dames françaises – principalement Mme de Saint Georges et Mme de Sipierre – furent remplacées par la mère, la femme et la nièce de Buckingham… La petite reine, d’abord surprise puis désolée, commença par demander posément la raison de cet ostracisme, pleura et finalement s’indigna. En digne fille d’Henri IV, elle exigea des explications qu’on lui refusa. Reine d’Angleterre, elle devait se conformer aux us et coutumes du royaume et s’estimer heureuse qu’on lui permît d’avoir un chapelain catholique et de prier comme elle l’entendait. La lune de miel tournait court et même se teintait de sang : au lieu de libérer des catholiques incarcérés pour leur foi, Buckingham en fit exécuter quelques-uns.
Seuls, les Chevreuse échappaient à cette mauvaise volonté. Au contraire même, ils étaient en cour mieux que jamais. Leur luxe et leur élégance leur valaient la faveur de la jeunesse dorée du royaume et l’on s’arrachait leurs invitations. Claude chassait avec le Roi qui le recevait souvent en son particulier et il s’en montrait ravi, trop heureux d’être ainsi honoré pour se soucier de ce qui se passait au palais. Quant à Marie, plus amoureuse que jamais de Holland avec qui elle affichait sans vergogne sa liaison, elle était devenue l’amie de Buckingham avec qui elle bavardait en tête à tête durant des heures sans se soucier de l’effet déplorable de ces apartés. La Mothe-Houdancourt qui entretenait une correspondance assidue avec son cousin Richelieu l’accusait clairement : « Mme de Chevreuse, écrivait-il, demeure chaque jour cinq ou six heures enfermée avec Buckingham : Holland lui a lâché sa prise ! » Autrement dit lui a passé sa maîtresse.
Or il n’en était rien. Marie aimait trop Henry pour songer seulement à lui donner un coadjuteur. D’autant que le terme de sa grossesse approchait. Mais elle aimait bien « Steenie » et, sans rien remarquer du mal qu’il faisait, cherchait continuellement le moyen de le réconcilier avec Anne d’Autriche. Celle-ci était le seul objet de leurs entretiens : comment rétablir l’état de grâce des beaux jours, obtenir d’Anne qu’elle accepte de correspondre avec Buckingham puis de le revoir. Marie, habituellement peu portée sur l’écriture, noircissait des pages à destination de Paris dont, avec son « cher ami », elle discutait chaque phrase. Un incident les rapprocha encore. Ce soir-là, Buckingham donnait à York House, son palais des bords de la Tamise, une fête en l’honneur de Mme de Chevreuse. Le Roi y vint mais la Reine avait refusé de s’y rendre. Elle n’ignorait plus rien des menées du Duc et, sans accuser Marie d’y avoir part, elle ne voulait pas franchir le seuil d’un homme qui changerait en cauchemar un mariage dont elle avait espéré tant de bonheur.
Marie bien sûr était éblouissante dans ses atours blancs et noirs étincelants de rubis et de diamants en dépit d’une grossesse plus qu’avancée, mais qui, au lieu de l’enlaidir, semblait la rendre plus éclatante encore. L’ampleur de ses robes – à la dernière mode ! – dissimulait son corps, assez peu déformé d’ailleurs, et cernait de mille feux la splendeur de sa gorge découverte aux limites de l’indécence. Son entrain non plus ne souffrait pas. Elle ne manqua aucune danse dont plusieurs avec le maître de maison qui était obligé d’inviter d’autres dames.
Vers une heure du matin, il revenait vers elle pour l’inviter à nouveau quand elle fronça le sourcil et, au lieu de se laisser emmener au centre du salon, elle se déclara fatiguée, demanda cependant à lui dire quelques mots en privé : il l’entraîna sous les ombrages illuminés des jardins mais n’eut pas le temps de s’enquérir de la raison d’un entretien si urgent.
— Avec qui avez-vous dansé, depuis notre dernier branle ?
— Attendez que je me souvienne ? Ma nièce Arundel… Lady Stratford, Lady Montaigu… Pourquoi ?
— Vous portiez les ferrets de diamants que l’on m’avait chargée de vous remettre ?
— Pourquoi dites-vous « portiez » ?
— Parce qu’il vous en manque deux. Tenez, ajouta-t-elle en soulevant les deux bouts de ruban qui les avaient supportés. Voyez vous-même ! Ils ont été bien proprement coupés. Par qui ?
Buckingham se mit à réfléchir tout haut :
— Aucune de ces trois dames n’avait de raison de chercher à me nuire : elles me sont affectueusement attachées. Et puis manier des ciseaux en dansant, au vu et au su de tous, cela me paraît difficile.
— Ne vous êtes-vous pas, à un moment donné, entretenu privément avec la comtesse de Carlisle ?… D’assez près il me semble ?
— Lucy ?… C’est impossible, voyons ! Une des plus hautes dames, fille du duc de Northumberland…
— Peut-être mais elle était votre maîtresse, si j’en crois nos relations, une maîtresse singulièrement jalouse. En outre, par son époux, elle ne doit rien ignorer de vos exploits à Paris et à Amiens et, si elle vous aime, elle doit haïr la Reine !
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