— Oh, elle sait très bien haïr, mais en l’occurrence que pourrait-elle faire de ces deux ferrets ?
— Innocent que vous êtes ! fit Marie en lui tapotant la joue du bout de son éventail. Mais tout simplement les envoyer au roi Louis… ou même au Cardinal. Hier au soir je l’ai vue en grande conversation avec La Mothe-Houdancourt. Si ces maudits affiquets arrivent sous les yeux du Roi, la Reine est perdue ! Elle sera d’autant plus joyeusement répudiée que l’on en est toujours à attendre un héritier pour le royaume.
— Alors elle n’aura qu’à venir à moi, mes bras lui seront ouverts et ma fortune à ses pieds…
— … en compagnie de votre femme et de vos enfants ? Ma parole, vous rêvez debout, mon ami. Si grand que vous soyez, cela ne saurait suffire à une infante d’Espagne, émit la Duchesse avec dédain.
— Vous avez raison ; je crains qu’il n’y ait d’autre moyen de la conquérir que le fil de l’épée et les canons des vaisseaux qui, un jour prochain, me porteront en France. En attendant… venez avec moi !
Il la prit par le bras pour la conduire jusqu’à son cabinet de travail où il s’assit à sa table pour rédiger une lettre rapide. En même temps, il sonnait, ce qui fit apparaître aussitôt un valet :
— Cette lettre à l’Amirauté, en urgence. Il faut qu’avant une heure des courriers soient partis pour exécuter mes ordres…
L’homme disparut et Marie qui s’était assise dans un fauteuil le suivit des yeux :
— Qu’avez-vous décidé ?
— De fermer tous les ports d’Angleterre. N’oubliez pas que je suis Premier Lord de la Mer. En outre, tous ceux qui voudraient embarquer doivent être fouillés jusqu’à l’os qu’ils soient hommes ou femmes. Enfin…
Un nouveau coup de sonnette amena un autre serviteur qui reçut, lui, l’ordre d’aller chercher le joaillier du duc en le tirant de son lit, au besoin. Ce qui fut réalisé avec une célérité remarquable.
— Ne serait-il pas plus simple, remarqua Marie avec un sourire en coin, de faire appeler Lady Carlisle… et de la fouiller vous-même puisque vous êtes du dernier bien ?
— Elle a quitté le bal à l’instant où je vous amenais ici et si les ferrets doivent aller en France ils sont certainement déjà en route.
Perkins, le joaillier, fit son entrée quelques minutes plus tard avec la mine ensommeillée de quelqu’un qui n’a pas dormi son content, mais il se réveilla complètement en s’entendant commander deux ferrets semblables à ceux qu’on lui montrait, et ce dans des délais si brefs qu’il allait devoir chercher ses outils et s’installer à York House où les pierres nécessaires lui seraient fournies. Le pauvre homme commença par lever les bras au ciel :
— Cinq jours, Votre Grâce ? Je n’y arriverai jamais !
— Faites venir des aides si vous voulez mais que ce soit fait dans les cinq jours et chacun vous rapportera mille livres ! En revanche, si vous dépassez le temps imposé, il vous sera retranché la même somme par vingt-quatre heures !
Il n’y avait rien à ajouter à cela. Perkins une fois confié au majordome du palais chargé de l’installer, Buckingham remplit deux verres de vin d’Alicante et en offrit un à Marie. Elle l’accepta avec un sourire moqueur :
— Il y a des moments où je ne vous comprends pas, mon ami. Pourquoi cinq jours plutôt que six ou sept ? Vous mettez ce malheureux sur les dents !
— N’est-ce pas vendredi, donc le sixième jour, que part votre courrier pour la France ? Choisissez vous-même celui à qui nous pourrons confier sans crainte le précieux paquet et la personne à qui il devra le remettre.
Mme de Chevreuse envoya une pensée pleine de regrets à Gabriel qui eût été le messager idéal, mais il fallait trouver autre chose :
— Sans hésiter Peran, mon cocher. Il est à mon service depuis mon enfance et c’est l’homme le plus sûr et le plus silencieux qui soit. Une force de la nature qui ne dit pas trois paroles par jour. Il confiera les bijoux à Mme du Vernet ou à Louise de Conti mais je préférerais la première : elle est dame d’atour et rangera les ferrets à leur place… Je pense qu’il n’y a pas de souci à se faire, il les connaît bien toutes les deux…
Le vendredi suivant, Peran partait pour la France avec les dépêches à destination de Paris. Marie n’avait eu aucune peine à obtenir de l’ambassadeur permanent à Londres, le comte Le Veneur de Tillières, de l’adjoindre à ses messagers sous le prétexte de lui rapporter une parure restée rue Saint-Thomas-du-Louvre.
Or la chaleur s’abattit soudain sur Londres où, dans les bas quartiers, les cas de peste augmentaient. Marie prit peur quand on retrouva, un matin, le corps boursouflé d’un des palefreniers de Denmark House. Elle voulut quitter aussitôt la maison, ce que son époux, pas beaucoup plus rassuré qu’elle, accepta volontiers.
— Allons à Richmond puisque nous y sommes chez nous, proposa-t-il. Nous y serons à l’abri du danger et vous respirerez peut-être un peu mieux.
— Cette bâtisse sinistre ?
— Sinistre ! Un château au milieu d’un parc giboyeux ! Oh ! émit Claude scandalisé.
— Est-ce que je suis en état de chasser ? Et vous savez très bien que je n’aime pas le Moyen Age ! Je n’irai pas à Richmond !
Le château construit au XVe siècle n’était pas follement gai en effet. On y gardait pieusement le souvenir du roi Henry VII et surtout de la Grande Elizabeth qui, tous deux, y avaient rendu le dernier soupir, et pour la seconde celui d’y avoir été emprisonnée dans sa jeunesse comme d’ailleurs Marie Tudor, la demi-sœur qui l’avait précédée sur le trône. Rien de très réjouissant dans tout cela mais le prétexte semblait bon à Marie qui avait une autre idée en tête. Son époux cependant reprenait :
— Comme vous ne voulez pas non plus rester ici, me direz-vous où vous comptez aller ?
— Chez notre cher ami Holland voyons ! A Chiswick, répondit-elle après avoir toussoté pour s’éclaircir la voix. Il y a des jours qu’il nous propose sa ravissante maison au bord du fleuve en assurant qu’il ne gardera pour lui qu’un petit logis. Le jardin est merveilleux, l’air excellent…
— Pas pour moi ! J’aime beaucoup votre « nous propose » mais je voudrais que vous ne me croyiez pas plus bête que je ne le suis. C’est vous qu’il invite. Pas moi ! Et aller faire vos couches chez Holland me paraît stupide. On chuchote déjà partout que l’enfant est de lui.
— Ah ? On dit cela ?
— Oui. On va bientôt le crier sur les toits !
— Ridicule ! Et vous devriez être le dernier à vous faire l’écho de cette sottise ! Oh, je n’ignore rien des ragots de cour. Ne dit-on pas aussi que je suis la maîtresse de Buckingham… alors que, grâce aux excellents rapports que j’entretiens avec lui, nous sommes les seuls Français que l’on ne regarde pas de travers à Whitehall ou à Hampton Court.
— Je suis moi-même en très bons termes avec le Roi ! fit Chevreuse en se rengorgeant.
— Mais vous le seriez certainement moins si je n’entretenais cette vive amitié avec « Steenie ».
— Dans ce cas vous devriez faire en sorte qu’il cesse de tourmenter la pauvre Henriette-Marie ! Et si nous parlions de Henry Holland ? Nos relations avec lui sont-elles aussi… diplomatiques ?
— Peut-être plus que les vôtres avec Lady Carlisle ! Souvenez-vous, mon ami, qu’il a été l’artisan principal de ce mariage qui vous a tant honoré ! C’est lui qui écrivait au roi Charles pour lui vanter la grâce et les belles qualités de notre princesse et, en même temps, il tenait à celle-ci des discours propres à lui donner de l’amour pour son futur époux…
— Certes, certes ! Mais que vient faire Lady Carlisle dans notre conversation ?
Marie ouvrit de grands yeux innocents :
— N’êtes-vous pas du dernier bien avec elle ? C’est du moins ce que proclame la rumeur publique… et si je n’y vois pas offense je ne laisse pas de m’en inquiéter. Savez-vous qu’elle se donne une peine infinie pour nuire à Buckingham… et aussi à notre reine Anne ?
— Elle ? Oh, c’est incroyable !
— Pourquoi ? Elle était la maîtresse du Duc dont le cœur est pris tout entier en France et elle le sait. Elle ne serait pas femme si elle ne cherchait à se venger… Vous devriez y veiller !… Claude, ajouta-t-elle en venant nouer ses bras autour du cou de son mari, vos mérites ont fait que nous sommes ici le point de mire d’une cour qui ne brille pas par sa sagesse ni par sa retenue. Notre entente ne doit pas en souffrir puisque nous ne sommes pas des gens comme les autres ! Ensemble nous pouvons tout obtenir… tout oser peut-être ! Une chose compte : conserver la bienveillance que nous montre le roi Charles ! Restez donc au plus près de lui… et laissez-moi mettre au monde notre enfant !
— Chez Henry Holland ?
— J’ai besoin d’air et celui de Richmond ne me convient pas… Mille tonnerres, Claude, continua-t-elle en s’éloignant de quelques pas pour qu’il pût avoir une vue d’ensemble de son corps arrondi à travers le déshabillé de fine batiste blanche, de rubans et de dentelles, croyez-vous vraiment que ma vertu ait quoi que ce soit à redouter dans l’état où vous me voyez ?
Avec la masse fauve de ses cheveux répandus sur ses épaules elle était si belle que Chevreuse haussa les épaules avec un demi-sourire :
— Vous êtes simplement merveilleuse !… Souvenez-vous seulement de temps en temps que vous êtes ma femme !
Et il sortit sans rien ajouter…
Si l’on avait interrogé Elen du Latz, elle eût sans doute répondu qu’elle préférait cent fois Richmond, même Denmark House où cependant le fléau venait de frapper, que suivre la Duchesse chez son amant. Depuis l’arrivée en Angleterre son rôle auprès de Marie ressemblait de plus en plus à celui d’une femme de chambre et non d’une suivante. A la Cour, fastueuse et passablement dépravée, les us et coutumes étaient plus simples et les dames, à l’exception de la Reine, bien sûr, ne s’encombraient guère de demoiselles à accompagner : elles sortaient seules comme les hommes ou avec les hommes dont elles imitaient parfois la vie, chassant, jouant et buvant comme eux. Dans la résidence des Chevreuse, Elen passait le plus clair de ses journées à broder près d’une fenêtre ou dans le jardin pour préparer le trousseau du bébé à venir, s’occuper des toilettes de Marie – il arrivait à la Duchesse d’en changer quatre fois par jour ! – et de l’entretien de ses bijoux. Et s’il lui advenait de croiser Lord Holland dans la maison, il se comportait comme s’ils ne se connaissaient pas, se contentant d’un salut rapide, la plupart du temps, auquel elle ne répondait pas, paralysée par une étrange timidité née de l’amour grandissant qu’il lui inspirait et aussi du fait qu’il possédait le pouvoir de l’impressionner. Toujours vêtu sobrement et le plus souvent de gris ou de noir, il tranchait parmi ses pairs rutilants de parures sur des satins ou des brocarts vivement colorés tout comme son allure hautaine et ses yeux froids maintenaient à distance les éléments les plus turbulents de la jeunesse dorée à l’exception, naturellement, du seul Buckingham. On le savait redoutable aux armes, exact à ses devoirs religieux et s’ils étaient nombreux ceux – et celles ! – qui s’étonnaient de sa liaison évidente avec la belle duchesse française, nul ne se fût permis de lui demander des explications. Marie elle-même subissait cette influence dont elle n’imaginait pas qu’elle l’asservissait, parce qu’elle croyait son amant attaché par les liens de fer d’une passion toujours intense. A défaut de lui parler d’amour, ne lui répétait-il pas qu’elle éveillait en lui une espèce de fureur génésique alternant avec des instants d’une douceur infinie à quoi elle se livrait avec délices ? Il était un amant incomparable et elle se croyait certaine de le garder aussi longtemps qu’elle en aurait envie…
Evidemment, aux approches de la naissance, il avait bien fallu adopter un comportement plus sage – encore que !… –, mais Marie savait que Henry lui laisserait juste le temps des relevailles avant de reprendre leurs étreintes et elle avait accepté avec enthousiasme l’idée un peu bizarre tout de même de faire ses couches chez lui. D’autant plus curieux que Lady Holland était allée vivre sa propre grossesse dans leur château du Kent. Et elle anticipait avec des frissons le moment béni où, délivrée d’un fardeau dont il était peut-être responsable, elle pourrait à nouveau lui offrir le corps qu’il aimait tant…
Elen le savait. Ignorant les sentiments de sa suivante pour Holland, Marie n’avait jamais cessé de se confier à elle aussi bien pour les projets qu’elle formait au sujet des futures relations d’Anne d’Autriche avec Buckingham que de cet amour dont, avec une certaine naïveté, elle avouait qu’elle n’en avait jamais connu de semblable. Excellant aux jeux de la coquetterie, elle ne ménageait pas ses sourires à ses nombreux soupirants mais sans y attacher d’autre importance qu’à un bon moyen d’éveiller la jalousie de Henry en minimisant ainsi, aux yeux de son époux, l’importance de sa relation avec lui. Elen en souffrait, et plus encore de sentir une envie amère l’envahir et prendre peu à peu la place de l’ancienne affection éprouvée pour la Duchesse jusqu’à l’entrée dans leur vie commune du trop séduisant Anglais. Aussi craignait-elle de se retrouver entre eux dans une demeure où il était le maître.
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