— Vous n’y mettez pas plus de façon qu’une poule qui pond son œuf ! Savez-vous à qui vous me faites penser ? A la Jacotte des Muides, à Luynes. Quand son onzième enfant s’est annoncé, elle était en train de cueillir des cerises. Les douleurs l’ayant prise elle est allée se coucher, elle a fait son petit… et le lendemain elle retournait cueillir ses cerises, laissant le marmot à sa fille aînée ! Ce n’est pas le comportement d’une noble dame.
— Vous me préféreriez allant de pâmoisons en vomissements ? Mille tonnerres, monsieur mon époux, je vous fais de beaux enfants ! Cela devrait vous suffire…
Or, cette fois elle se sentait la bouche pâteuse, la tête lourde et en venait à se tourmenter : le bébé à venir serait-il moins beau, moins fort que ses demi-frères et sœurs ?
Sans rien en dire Elen s’inquiétait elle aussi. La compote de la veille était-elle pour quelque chose dans l’état si peu normal de la Duchesse ? Sûre à présent de l’amour de Henry, elle répugnait à acheter son bonheur au prix de la santé de Marie. Et même si elle frissonnait déjà en pensant à la nuit à venir, elle se promit de le supplier de ne pas renouveler l’expérience… Mais elle n’eut pas le temps de lui en parler.
Vers midi, une barge royale rouge et or à tendelet de soie montée par une douzaine de rameurs vint s’amarrer à l’appontement au bas des jardins de Chiswick. Elle amenait la comtesse de Buckingham, mère de George, porteuse d’une invitation pour Mme de Chevreuse : la reine Henriette-Marie, afin d’honorer un couple particulièrement cher, désirait que son « amie » vint accoucher à Hampton Court…
Holland vit arriver la dame sans aucun plaisir. S’il s’entendait bien avec Katherine, la jeune duchesse, il détestait la « chère Maman » de son ami.
La cinquantaine atteinte, l’ex-Marie Beaumont était encore une femme d’une grande beauté – son fils avait de qui tenir ! – mais aussi d’une astuce infernale et d’une ambition démesurée. Après les politesses de la porte, elle écouta à peine les représentations du Comte sur l’état de santé précaire de Marie et lui fit entendre que son avis ne l’intéressait pas, qu’elle devait joindre sur-le-champ la future mère et diriger son transport – un élégant brancard porté par quatre valets la suivait – dans la barge d’abord puis dans l’appartement que l’on apprêtait pour elle.
Le discours qu’elle tint à Marie fut à peu près le même, à cette différence près que sans attendre sa réponse, elle ordonna aux femmes de celle-ci de préparer son départ :
— Il ne saurait en être question, protesta la Duchesse. Veuillez répondre à Sa Majesté la Reine que je suis trop souffrante pour bouger d’ici où je me sens parfaitement bien…
— Vous serez encore mieux à Hampton Court et, au moins, vous serez auprès de votre époux dont nul ne comprend qu’il vous ait autorisée à venir en ce lieu… en l’absence de Lady Holland !
— J’ai peine à croire que Sa Majesté vous ait chargée de me dire cela ! La reine Henriette-Marie qui me connaît depuis longtemps a pour moi trop d’amitié…
— Qui dit autre chose, madame ? J’ajoute que le Roi vous en montre plus encore parce que l’ordre a été donné par lui mais il était plus convenable que l’invitation vînt de son épouse. Et un ordre du Roi ne se discute pas ! Fussiez-vous mourante que je vous sortirais d’ici ! Allons, mesdames, que l’on s’active !
Il fallut bien en passer par là. Tellement furieuse qu’elle en oubliait son malaise, Mme de Chevreuse, suivie de ses femmes et de ses coffres à bagages, fut portée dans la barge avec tout le soin et toutes les précautions voulus, et eut à peine le temps d’adresser un adieu rapide à Henry. Debout sur l’embarcadère, la mine sombre et les bras croisés, il regarda le somptueux bateau décoller du bord et commencer sa remontée du fleuve sous l’impulsion vigoureuse de ses rames dorées…
Assise près d’elle qui gardait à présent un silence de mauvais augure, Elen regarda s’élargir le ruban d’eau qui la séparait de Henry. Pour seul viatique, elle emportait les quatre mots qu’il avait réussi à lui murmurer :
— Je saurai vous retrouver…
Si durant le trajet Mme de Chevreuse n’échangea pas trois paroles avec la « vieille Buckingham », l’accueil dont elle bénéficia en arrivant à Hampton Court la réconcilia avec l’existence. On la reçut comme si elle appartenait à la famille royale. L’appartement qu’on lui destinait était le plus beau après celui de la Reine, donnant sur le bassin et les parterres fleuris de ce palais de briques roses construit au siècle précédent par le cardinal Wolsey, offert par lui à la jalousie de Henry VIII – ce qui ne l’avait pas sauvé – et dont la Barbe Bleue britannique et sa fille, la grande Elizabeth, avaient fait un séjour à la fois fastueux et séduisant… Une armée de servantes, dont trois nourrices, plus le médecin de la Reine prirent soin de l’invitée. Claude, toujours installé à Richmond, vint la voir deux fois mais son écuyer Damloup fit le chemin deux fois par jour pour avoir des nouvelles.
Henriette-Marie retrouva avec Marie le ton joyeux de naguère, ce dont la pauvre petite reine avait certainement plus besoin que celle-ci. Buckingham vint aussi avec des fleurs et des fruits rares et même Mgr de La Mothe-Houdancourt avec de bonnes paroles. Ce qui ne l’avait pas empêché quelques jours plus tôt d’envoyer à Richelieu un courrier venimeux où il stigmatisait la conduite de la Duchesse en général, le séjour chez Holland en particulier, sans se priver pour autant de jeter le ridicule sur le mari dont il déclarait qu’il « servait de fable aux étrangers aussi bien qu’aux Français… »
Enfin, par une belle nuit d’été, Marie donna le jour à une petite fille que l’on baptisa Anne-Marie, dont la Reine fut la marraine, et que sa mère confia aux nourrices retenues pour son service. Elle avait accouché selon son habitude avec une facilité déconcertante et souhaitait pouvoir jouir à son aise des fêtes dont Charles entendait célébrer l’événement. Et surtout, surtout retrouver au plus vite Holland qui s’était montré remarquablement discret depuis son départ de chez lui. Peut-être pour ne pas favoriser le jeu des comparaisons auquel la Cour se livrait depuis la naissance pour savoir si l’enfant ressemblait à Chevreuse ou à lui. Il avait tort de se tracasser : la petite Anne-Marie ne ressemblait à personne sinon, un peu, à sa mère dont elle avait les cheveux.
Marie attendait donc ses relevailles – qui furent bénies par l’un des chapelains de la Reine, La Mothe-Houdancourt étant souffrant – quand, au soir de ce beau jour, Claude entra chez elle l’air mi-figue mi-raisin. Il apportait une nouvelle importante : Louis XIII les rappelait à Paris. Aussitôt Marie s’insurgea :
— Pourquoi tant de hâte ? A-t-il à ce point besoin de vous car je suppose que de moi il ne se soucie guère ?
— Détrompez-vous ! Le message est formel : « Le duc et la duchesse de Chevreuse ! » Si voulez en savoir plus long d’ailleurs, ce n’est pas la première fois que l’on nous réclame, mais le roi Charles s’était alors opposé à notre départ avec une courtoisie assortie d’une grande fermeté : vous étiez beaucoup trop proche de votre terme pour que l’on aventure votre vie et celle de l’enfant sur les chemins de terre et de mer.
— Partir ?… Maintenant ? gémit-elle, prête à pleurer.
Il vint s’asseoir près d’elle et prit sa main dans la sienne. Avec beaucoup de gentillesse :
— Voyons, Marie, vous deviez bien vous douter que ce jour arriverait ! Nous ne sommes pas chez nous et, si je partage votre goût pour ce pays où tout nous a souri, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas le nôtre. N’avez-vous pas envie de revoir Dampierre ?
— Dampierre si ! Et d’autres choses et gens avec lui mais ni le Roi ni son Richelieu !
Elle avait craché le nom plus qu’elle ne l’avait prononcé. C’est que le bruit lui était revenu, porté par de bonnes âmes secrètement réjouies de la correspondance échangée par La Mothe-Houdancourt avec son cousin. En réponse à l’évêque accusant Mme de Chevreuse et quelques autres femmes d’être venues en Angleterre moins pour rétablir la religion catholique que pour ouvrir des bordels, le Cardinal aurait écrit : « Quand elle sera de retour, il ne sera plus besoin de faire venir des guilledines d’Angleterre. » Allusion transparente aux femmes recherchées par ceux qui aimaient à courir le guilledou.
Quelqu’un cependant était enchanté du prochain départ de Marie et il vint le lui dire avec maintes effusions : c’était Buckingham. Il avait été merveilleux de pouvoir évoquer avec elle durant des heures le souvenir de sa reine adorée, d’échafauder mille projets pour reprendre les relations si bien commencées et si fâcheusement interrompues, mais tout deviendrait plus facile quand son amie Marie aurait repris sa place auprès d’Anne.
— Je veux la revoir ! expliqua-t-il, et je suis prêt à passer la mer aussi souvent qu’il le faudra, secrètement au besoin…
— Vous secrètement ? Mon pauvre ami, lorsque vous êtes quelque part on ne voit plus que vous tant vous attirez les regards…
— Je saurai me déguiser, faites-moi confiance ! Pour elle je suis prêt aux pires folies.
— Oh, non, je ne vous crois pas ! Même en haillons et le visage noir de suie on vous reconnaîtrait… D’ailleurs vous lui plairiez peut-être moins !
— Alors il faut faire en sorte que je retourne à Paris pour y traiter de nos différends politiques. Il y a là une carte à jouer : nous pouvons peser sur les huguenots français pour les amener à se soumettre en échange de la reprise des hostilités avec l’Espagne !
— C’est votre affaire. Je ne suis pas admise au Conseil, moi ! fit-elle avec irritation.
— Normal ! Au Conseil ne siègent que des hommes…
— Et la Reine-mère ! Pour elle faire la guerre à l’Espagne serait un péché aussi énorme que faire la guerre au Pape !
— Sans doute mais je suis certain que vous êtes de force à gagner ceux qui y siègent.
— Vous oubliez le Roi… et Richelieu ! Le premier me hait et le second m’insulte…
— Parce que vous êtes loin ! Je gage que vous pourriez soumettre ceux-là aussi ! Un évêque est aussi un homme et nulle n’est plus femme que vous ! Ni plus belle ! Pensez-y !… N’importe, je tiens en réserve un moyen de retourner en France… et votre Henriette-Marie m’y aidera !
Holland vint aussi mais au dernier moment. Pendant la durée du séjour de Marie à Hampton Court, il n’y avait pas mis les pieds, sachant que le moindre aparté lui serait impossible. Ce dont la Duchesse avait pensé mourir de rage. Elle avait tant rêvé de leurs retrouvailles ! Or elle repartait sans avoir de lui autre chose qu’un baiser : celui qu’il déposa sur sa main. Sans doute appuya-t-il ses lèvres un peu plus longtemps qu’il n’était permis et ne lâcha-t-il ses doigts qu’en les laissant glisser en une sorte de caresse, mais la cruelle réalité était là : une mer et des lieues de terre allaient s’interposer entre leurs corps qui ne s’étaient pas retrouvés. Sur la barge somptueuse où le couple royal prit place avec ses hôtes français pour les accompagner jusqu’à Gravesend où attendait le Prince, Marie se raidissait pour retenir ses larmes en attribuant à son récent accouchement une faiblesse tellement inhabituelle ! Le chemin était-il si long, après tout, que Henry ne puisse le franchir ? Il viendrait à elle ! Voilà ! Trop d’intérêts communs s’ajoutaient à leur commune passion. Oui mais en attendant, elle avait envie de pleurer…
A quelques pas, Elen éprouvait une tristesse mitigée. En dépit de ce qu’il avait promis, elle n’avait pas revu Holland avant ce matin et, au moment des adieux, il ne lui avait pas même adressé un regard mais en passant près d’elle il avait soudain trébuché et elle avait senti qu’il glissait un billet dans sa main en lui présentant de brèves excuses. Et ce billet qu’elle n’oserait pas lire avant longtemps peut-être atténuait le chagrin du départ.
En dépit de l’apparat déployé, Londres était lugubre ce jour-là. Le temps était gris, triste, brumeux, presque froid. Il n’y avait ni musique ni acclamations mais au long des berges, derrière les pertuisanes des gardes, un peuple dont le silence traduisait l’hostilité. Le fleuve charriait ses habituels effluves de vase, de goudron et de pourriture qu’aggravaient les fumées nauséabondes des bûchers où se consumaient les cadavres des victimes de la peste. Le mal continuait ses ravages et c’était tout juste si l’on n’en rendait pas responsables les maudits Français papistes.
Quand on fut à bord du vaisseau, Chevreuse, un mouchoir généreusement parfumé à l’ambre sous le nez, déclara à sa femme :
— Vous je ne sais pas, mais moi je suis bien aise de rentrer ! La peste est une vraie malédiction et si je la déplore pour nos amis, je ne suis pas mécontent de la laisser derrière nous.
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