— C’est tout ce que vous inspirent les bienfaits que nous avons reçus ici ? La pâleur de la Reine et sa tristesse vous laissent-elles insensible ?
Pour Henriette-Marie, ce départ qui était presque un exode constituait une nouvelle épreuve. Avec les Chevreuse s’en allait la majeure partie de ceux qui l’avaient amenée en Angleterre, même sa chère Françoise de Saint Georges, sa compagne d’enfance, et elle pressentait que son isolement s’aggraverait dans ce pays huguenot où l’on malmenait ses frères en religion sans qu’elle pût rien faire pour eux, où l’on supportait mal qu’elle prie en latin et entendît la messe chaque jour… où l’insolent Buckingham n’avait pas craint de lui faire comprendre que, si l’envie lui prenait d’aller revoir sa famille, il faudrait que ce soit en sa compagnie…
— N’exagérons pas ! fit rondement Claude. Elle n’a rien à craindre de la peste et je crois qu’au fond son époux a de la tendresse pour elle ! Il me l’assurait hier encore ! Quant à moi, ne me reprochez pas de préférer le beau royaume de France à ce pays déprimant… Il y pleut trop souvent !
Marie se contenta de hausser les épaules. La mine affligée de la petite reine lui avait rappelé les bizarres paroles de Steenie, et elle éprouvait à présent une sorte de remords en la laissant à sa merci. Elle devinait que ce bon moyen dont il avait parlé pourrait bien consister à rendre la vie impossible à Henriette-Marie pour la pousser à prier son époux de lui permettre quelques visites à sa mère et à ses frères, sous sa surveillance ! C’était, à dire vrai, assez misérable…
Cependant, la satisfaction béate de son époux lui portait sur les nerfs : elle décida d’y porter un bémol :
— Ne vous réjouissez pas trop vite de rentrer au bercail et de retrouver la chaude amitié de votre cher souverain ! Nous pourrions avoir des surprises…
CHAPITRE VIII
UN JARDIN EN HIVER…
Marie n’avait pas tort d’appréhender un soit peu le retour en France. La Cour était alors à Fontainebleau pour fuir les miasmes de Paris sous les chaleurs d’août. Aussi les Chevreuse ne firent que toucher terre dans la capitale afin d’y rafraîchir leurs bagages. Assez longtemps cependant pour apprendre les suites des audaces de Buckingham dans le jardin d’Amiens.
Le Roi, renseigné par sa mère dont la plume, plus hypocrite que jamais, avait atteint une sorte de sommet – « Je ne peux m’empêcher de rendre témoignage de la vérité mais je vous assure que tout cela est sans gravité. Quand bien même votre femme eût voulu mal faire elle ne l’aurait pu car on l’observait. Certes Milord Bouquinquant lui a témoigné plus que de l’estime : de l’amour mais quoi ! Les jeunes femmes ont du mal à se défendre des hommages masculins… » On devine l’effet sur un caractère aussi sombrement jaloux que celui de Louis XIII ! Interrogée des premières puisqu’elle accompagnait la Reine durant le fameux voyage, la princesse de Conti s’était contentée de répondre en riant qu’elle répondait de la vertu de Sa Majesté de la ceinture jusqu’aux pieds.
Cet humour un rien brutal, sa haute position aussi la sauvèrent de l’orage qui s’abattit sur les entours royaux. Mme du Vernet fut écartée de la Cour et les deux écuyers d’Anne, le chevalier de Jars et Putange, furent chassés ainsi – Dieu sait pourquoi ! – que le médecin Ripert et un domestique de Mme du Vernet. Ce fut le confesseur du Roi, le père Séguiran, qui fut chargé d’annoncer ces décisions à la Reine. Il revint d’ailleurs le lendemain pour lui apprendre qu’on lui enlevait aussi Pierre de La Porte, son « portemanteau » que l’on avait failli oublier parce qu’il était malade et au lit. Il avait eu deux heures pour quitter le palais. Outrée, alors, Anne pria le religieux de demander à son époux de « nommer une bonne fois pour toutes les personnes qu’il lui voulait ôter afin que ce ne soit plus à recommencer » ! Quant au vrai coupable, le téméraire Buckingham, il était – sans le savoir – interdit de séjour en France. Louis XIII ne voulait plus le voir ni l’entendre sous quelque prétexte que ce soit.
— Vous avez eu de la chance d’être partie pour l’Angleterre avec Madame Henriette-Marie, conclut Bassompierre qui, venu régler une affaire quelconque dans son palais de l’Arsenal, s’était chargé de renseigner les voyageurs. Je ne sais trop ce que l’on aurait fait de vous. Peut-être devriez-vous laisser votre époux se rendre seul à Fontainebleau ?
En dépit de son assurance, Marie se sentit pâlir. Cependant elle garda bonne contenance et même se mit à rire :
— Craignez-vous que l’on m’envoie à la Bastille ? Ce n’est pas moi qui ai poussé la Reine dans ce sacré bosquet et qui ai permis à cet imbécile de Buckingham d’essayer de la violer ! Je ne suis pas gardienne déclarée de sa vertu. D’ailleurs, elle l’a su conserver, non ? Alors quel drame, mon Dieu, pour une bagatelle !
Le rire de Bassompierre fit écho au sien :
— La reine de France troussée dans un massif par un ministre étranger comme une fille de ferme dans une meule de foin, vous appelez ça une bagatelle ? Ma belle cousine, votre jolie tête fait preuve de plus de jugeote d’habitude.
— Que dois-je faire alors, selon vous ?
— Je vous l’ai dit : envoyer Chevreuse en éclaireur…
— Point du tout ! Nous irons ensemble !
— Je ne crois pas que Marie risque grand-chose, intervint Claude. Je suis porteur de lettres du roi Charles à notre sire pleines des choses les plus aimables pour elle et pour moi. Il y dit l’estime et l’amitié où il nous tient et s’offenserait, je pense, que l’on maltraite mon épouse…
— En ce cas, faites à votre guise. Je vous ai seulement donné mon sentiment par pure amitié.
Il importait cependant d’en tenir compte. Chevreuse devait délivrer au plus vite les messages dont on l’avait chargé et Marie tenait à l’accompagner, mais elle obtint de faire un crochet par Lésigny avant de gagner Fontainebleau. Elle voulait interroger Basilio. Elle ne l’avait pas vu depuis longtemps parce que, en dépit de son désir de l’installer à Dampierre, il refusait farouchement de quitter son coin et ses habitudes. Peut-être aussi à cause du fantôme de la Galigaï auquel il restait fidèlement attaché…
Au dernier moment et à la réflexion, elle laissa son époux rejoindre directement la petite cité royale. Elle le sentait piaffer d’impatience et d’autre part elle préférait de beaucoup être seule pour interroger son mage. Mieux valait avoir une idée du genre d’accueil auquel elle devrait se préparer…
Celui de Basilio ne fut guère encourageant :
— Tu fais des bêtises, Madame la Duchesse, dit-il avec une sévérité dont il n’était pas coutumier. A vouloir te mêler de régenter la vie des plus grands, tu risques d’attirer à nouveau sur toi cette foudre que tu as eu tant de mal à détourner…
— Lorsqu’elle me voulait frapper je n’étais pas coupable… et ne le suis pas davantage. Pourquoi vouloir toujours s’en prendre à moi des fautes commises par d’autres ?
— Parce que tu n’es pas entièrement innocente ! Et tu le sais parfaitement. De même tu devrais avoir plus de reconnaissance pour celui qui te protège de son nom. Il t’a épousée par amour…
— Euhhh… oui ! On peut appeler cela comme ça !
— On dit que tu as un amant…
Marie quitta son fauteuil et se mit à tourner dans sa chambre :
— Eh bien, on en apprend des choses au fond d’une campagne comme celle-ci ! fit-elle agacée.
Ce qui n’émut pas le Florentin :
— Les étoiles couvrent le monde comme l’œil de Dieu. La tienne est encore brillante mais j’ai vu dessus l’ombre d’un astre malfaisant. Prends garde qu’il ne l’obscurcisse !
Elle arrêta brusquement sa promenade en face de Basilio qu’elle dévisagea les sourcils froncés :
— Pas de morale, mon ami ! Ce n’est pas ce que je suis venue te demander mais ce qui m’attend dans les jours à venir ! Quant à celui dont tu essaies de m’écarter, sache que je l’aime… passionnément. Comme il m’aime lui aussi !
— Tu en es sûre ?
— Quelle question ! Une femme ne se trompe pas sur ces choses. Ce qu’un homme ne saurait comprendre. Toi le premier !
— Prends garde quand même. Celui-là est le seul capable de te faire du mal, Madame la Duchesse. Les autres, c’est toi qui leur en fais parce que tu es trop portée à vouloir les dominer…
— Revenons s’il te plaît à mon premier propos ! Je rejoins la Cour à Fontainebleau. Comment y serai-je reçue ?
— Selon ton rang et tes mérites, je suppose. Comment veux-tu que Basilio en ait connaissance ?
— Mais…, fit Marie suffoquée, de la manière dont tu prévois toujours l’avenir. Aurais-tu perdu ta clairvoyance ?
Basilio se mit à rire et alla prendre la main de la jeune femme pour la ramener à son siège devant lequel il se planta de façon à l’empêcher de se relever :
— Basilio ne croit pas. Si tu redoutes d’être arrêtée ou quelque chose d’approchant, il peut te rassurer : rien de semblable ne t’arrivera. C’est après que Basilio craint pour toi.
— Pourquoi ?
— Parce que tu ne sauras jamais rester à ta place, parce que l’esprit d’intrigue vit en toi animé par un violent désir de domination. Alors écoute bien ceci, Madame la Duchesse ! Prends la mesure de ceux auxquels tu t’attaqueras en te demandant s’ils ont le pouvoir de te briser…
— A moins qu’on ne le leur ôte avant qu’ils s’en servent ! Ne me prends pas pour une oie, Basilio !… Et laisse-moi passer ! Je dois repartir. Tu ne veux toujours pas que je t’installe à Dampierre ? C’est si beau ! Je pense que tu aimerais…
— Et toi, tu n’aimes plus cette maison ?
— Si… mais…
— Mais tu préfères ton nouveau domaine. C’est tout ça, toi ! Tu t’enflammes pour ce qui est nouveau sans cesser pourtant de garder un petit sentiment pour l’ancien. Il ne faudrait pas que tu en uses ainsi avec ton époux. S’il venait à te rejeter…
— Il ne le fera jamais, lança Marie soudain nerveuse. Il tient à moi !
— Le tissu le plus solide peut craquer un jour. Ton duc n’est pas très intelligent mais il est attaché à ses convictions, à ses fidélités. Veille à n’avoir un jour du sang sur les mains. Il ne te le pardonnerait pas…
— Pour le coup tu perds la tête ! L’idée ne me viendrait pas de tuer qui que ce soit ! Sauf peut-être toi si tu continues à jouer les mauvais augures !
Marie aimait bien Fontainebleau. C’était même la résidence royale qu’elle préférait. Antique et solennel, le Louvre avait quelque chose d’étouffant, Saint-Germain ne manquait pas de majesté ni d’une certaine grâce, Compiègne avait grand besoin d’être requinqué tandis que, dans son environnement de forêts, d’étangs, d’eaux vives et de jardins, le château voulu par François Ier, décoré par le Primatice, encore embelli par Henri II et ses successeurs, possédait tout le charme et la gaieté de la Renaissance.
Or, quand elle y arriva, force lui fut de constater qu’en dépit du soleil radieux et de la parure florale, Fontainebleau, s’il n’avait rien perdu de son charme, péchait singulièrement sur le chapitre de la gaieté.
Fidèle à ses habitudes, Louis XIII chasse une partie de la journée, en consacre une autre à s’entretenir avec le Cardinal, voit sa femme le moins qu’il peut – il n’a jamais eu avec elle la moindre explication sur l’affaire d’Amiens – et réserve ses – rares ! – instants de belle humeur à son nouveau favori, le premier depuis la mort de Luynes. Celui-là, François de Barradat, est beau comme une statue, vaniteux comme un paon et d’une intelligence des plus moyenne. Page de la Petite Ecurie au départ, il s’est retrouvé en un rien de temps premier écuyer, premier gentilhomme de la Chambre et capitaine de l’hôtel de Bourbon. Le Roi l’emmène partout avec lui, le traite en camarade – ils sont à peu près du même âge – sans se rendre compte qu’il donne ainsi prise à des suppositions et que Barradat, gonflé de sa nouvelle importance, n’aura jamais assez de réflexion pour ne pas se croire tout permis. En fait, pour le Roi, ce très beau garçon c’est son Buckingham à lui, une sorte de vengeance, et il prend un malin plaisir à l’étaler sous les yeux de l’épouse coupable.
Quand il est arrivé au palais, Chevreuse a reçu de Louis un accueil aimable. On l’a d’autant plus remercié d’avoir mené à bien son ambassade qu’en effet les lettres du souverain anglais ne tarissaient pas d’éloges. En outre Claude, auquel celui-ci voulait remettre l’ordre de la Jarretière, ne l’a accepté qu’après avoir obtenu l’autorisation de son Roi. Cette soumission a plu. Aussi, le duc, devenu en quelque sorte un lien privilégié avec l’Angleterre, se trouve-t-il mieux en cour que jamais.
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